SOURCE - Abbé Raphaël du Chazaud, fsspx - Fideliter - novembre-décembre 2014
Fideliter a demandé à un prêtre français ordonné il y a trois ans, et envoyé en Australie, de bien vouloir faire le point sur cette première étape de son ministère sacerdotal.
Fideliter a demandé à un prêtre français ordonné il y a trois ans, et envoyé en Australie, de bien vouloir faire le point sur cette première étape de son ministère sacerdotal.
Un papier griffonné au crayon dépassait de mon « casier à serviette de table ». Diacre pieux, je me proposais de réciter vêpres en faisant les cent pas au dehors, avant de satisfaire ma futile curiosité. Les ordinations sacerdotales approchaient, et plus rapidement encore approchaient les premières nouvelles des nominations. Un prieuré, une école, la ville, la campagne, le Nord, le Sud ? Après Écône, on sait qu’il faut s’attendre à tout. Mais coupant court aux interrogations après les vêpres, la note disait : « Commencez au plus tôt les démarches pour obtenir un visa pour l’Australie. »
Par exemple, quelle nouvelle ! L’aventure commence encore plus tôt que prévu. En réalité, j’eus à peine le temps de ressortir une vieille grammaire anglaise et de me mettre au travail après l’ordination sacerdotale : il fallait quitter famille et patrie. Après deux jours de train et d’avion, je découvris le charme particulier de Singapour, un charme industriel fait de gratte-ciel, de pétroliers et autres circuits de Formule 1. Il sied au plus haut point, lors d’un voyage de 17 000 km, de ménager des étapes pour offrir le saint sacrifice quotidiennement. Dans l’autre sens, celui du retour au pays, il n’est nul besoin de faire escale. Il semble que la Providence ait tout prévu : les vacances arrivent plus vite pour les Français expatriés dans le grand Est ! En fait, cela est dû au sens de la rotation de la terre, non que la vitesse des avions soit plus grande quand ils vont à contresens, mais simplement qu’à la même vitesse, davantage de fuseaux horaires sont traversés.
J’atterris finalement à Sydney, la capitale administrative de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X en Australie, qui se trouve être aussi la capitale du business. Mon nouveau supérieur tenait à introduire lui-même son nouveau jeune prêtre dans la vie apostolique, et il me retenait trois semaines aux Nouvelles-Galles du Sud, avant de me dépêcher dans l’État de Victoria, encore plus au Sud.
Balbutiements stricto sensu
C’est la « mission » d’Armidale, située à 500 km au nord du prieuré de Sydney, qui écopa de mon tout premier ministère dominical. Grâce au latin, la messe fut dite sans heurts, mais les confessions, le sermon… Imaginez ! Non, n’imaginez pas.
Croyez avec confiance en la grâce du bon Dieu qui fait des miracles, mais qui n’épargne pas l’orgueil de ses serviteurs. Oui, je fus blessé quand, à l’issue de la messe, on me demanda combien d’années j’avais passé en Australie, et qu’une fidèle de bon sens fit remarquer, avant que je n’eusse le temps de comprendre la question, que bien sûr j’avais dû arriver la veille, vu le caractère laborieux, voire complètement incompréhensible, de mon discours.
« Aide-toi, le Ciel t’aidera »
Le dimanche suivant je dus recommencer, mais dans une autre « mission » : Singleton, à 215 km de Sydney. Combien les gens, en tous ces lieux, sont patients et bons ! Plusieurs fois cependant, quelques fidèles, dont la patience avait certaines limites, alors que j’avais déjà passé des mois et des mois dans le pays, me tendirent des offrandes de messe pour que mon anglais fasse enfin quelques progrès minimaux ! Feignant d’ignorer l’affront, je me contentais de balbutier des sank you very mutch. Malgré toutes les prières envolées vers le Ciel, celui-ci ne m’a pas donné le don des langues. La vieille grammaire, il fallait vraiment la rouvrir.
Probablement le moment est venu de remercier notre professeur d’anglais, celui qui nous a légué toutes les bases de la langue. Je dis « notre » parce que mon destin est lié à celui des autres prêtres français oeuvrant dans le monde anglophone, et issus de la même école. J’en vois deux au Nigeria, deux en Afrique du Sud, un aux États-Unis. Probablement en oublié-je. Leurs bases en anglais doivent venir de leurs passages à Châteauroux ; oui, gloire à l’école Saint-Michel, et merci à M. Fayon !
Un prêtre d’un certain âge, un « vieux prêtre » comme on dit avec respect, visitant un jour notre prieuré, me conseilla d’invoquer les missionnaires français qui luttèrent autant pour la propagation de l’Évangile qu’avec les arcanes insidieux de la langue du Roi d’Angleterre. Plus spécialement, il me conseilla de prier pour les âmes de ceux qui se trouvent encore en Purgatoire, afin d’en obtenir de l’aide pour la langue. Ils savent d’expérience, eux, ce que c’est que de prêcher en anglais tous les dimanches, à en perdre votre français.
Les Pères Maristes, originaires de Lyon, oeuvrèrent à Sydney dès le milieu du XIX° siècle, c’est -à-dire très tôt dans l’histoire catholique de l’Australie. Plus près de notre école de Tynong, à Warragul exactement, des religieuses de Notre-Dame-de-Sion élevaient des petites catholiques jusqu’à la débâcle conciliaire.
Des Parisiennes à Warragul ! Une grand-mère d’élève se souvient encore d’elles. Après avoir été fondées à Paris par le Père Théodore Ratisbonne (le frère d’Alphonse) dans les années 1840, les religieuses de Sion arrivèrent en Australie en 1889, dans le diocèse de Sale, qui ne comprenait que quatre prêtres à sa fondation deux ans plus tôt.
Au milieu des plus grands déboires de tout serviteur de Notre-Seigneur, Dieu est là, et sa grâce resplendit d’une lumière venue d’ailleurs, souvent invisible à nos yeux de chair. Même au milieu de toutes petites mésaventures, dérisoires d’ailleurs, la grâce luit, et pour le moindre de ses serviteurs, Notre-Seigneur fait encore tout. Avec sa grâce, les soeurs avaient tout à faire.
La Fraternité en Australie
Et tout est à refaire ! L’apostolat de la Fraternité, en Australie comme ailleurs, c’est un grand effort pour les écoles. L’éducation catholique aux alentours est alarmante. Parfois, on entend ce genre de paroles : « Voici un professeur de catéchisme qui ne croit pas en Dieu. » Et il ne s’agit pas là de plaisanterie. La réalité est au contraire infiniment triste. Comme si les « Offices Diocésains de l’Enseignement Catholique », puissants dans tous les diocèses australiens, utilisaient leurs prérogatives pour détourner de la foi catholique les jeunes générations.
La Fraternité a fondé sa première école australienne à Sydney il y a trente ans. La cherté de la vie à Sydney oriente les parents vers Brisbane (1 000 km au nord) ou vers Melbourne (1 000 km au sud ouest) où se trouvent nos deux écoles secondaires. Ces deux centres d’apostolat sont en pleine croissance et viennent en tête des implantations de la Fraternité, qui compte 18 prêtres en Australie pour 25 lieux de messes et un séminaire (un certain nombre de ces centres de messe ne reçoivent la visite du prêtre qu’une fois par mois). L’Australie, cependant, compte 23 millions d’habitants…
Les Dominicaines de Wanganui sont arrivées au prieuré de Tynong voilà presque trois ans, et elles prennent, pour ainsi dire, la relève des soeurs de Notre-Dame-de-Sion. Elles ont commencé en Nouvelle-Zélande il y a dix ans avec le soutien des Dominicaines de Fanjeaux. Leur nouveau noviciat devrait être prêt dans quelques mois, sur un terrain jouxtant le campus de l’école. Elles auront passé trois ans dans un couvent de fortune fait de mobile-homes, en contrebas du prieuré. L’endroit est néanmoins charmant, au milieu des moutons, des chevaux, des vaches, et bien sûr des kangourous omniprésents. En attendant, leur communauté aura bien grandi.
L’école Saint-Thomas-d’Aquin
La Fraternité, quant à elle, est arrivée à Tynong en 1997. Un terrain marécageux à 75 km à l’est de Melbourne, pauvrement drainé par des colons et des forçats, il y a cent cinquante ans, avait été acheté là par des familles pour construire une école. Le choix a été fonctionnel. Il fallait un terrain accessible au plus grand nombre de familles possible et bien desservi. Depuis 15 ans maintenant, une communauté s’édifie autour de l’école du prieuré. Ils sont près d’un millier à se presser tous les dimanches dans l’église du Corpus-Christi, un immense hangar reconverti avec panache.
La moyenne d’âge est extrêmement jeune. La cause en est probablement que la messe catholique, pour ancienne qu’elle soit, est celle qui réjouit notre jeunesse à tous (1). La raison plus prosaïque est que les familles citadines ont déserté Melbourne pour se rapprocher de l’école. Les « mauvaises langues » désignent maintenant le prieuré-pilote de Melbourne (Hampton) de l’affectueux label « prieuré des vieux ».
Le legs de Mgr Lefebvre
Le prieuré de Hampton a été fondé il y a plus de trente ans, et se glorifie encore et à bon droit d’une double visite de notre fondateur. En fait Mgr Marcel Lefebvre se rendit à Melbourne pour le Congrès eucharistique de 1973, et avait été remarqué à l’époque par les prêtres locaux qui souffraient des nouveautés imposées par les réformateurs révolutionnaires.
Voici un témoignage que je me contente de rapporter. Annibale Bugnini ne connaissait rien en liturgie, paraît-il. L’été dernier, de retour d’un « centre de messe » (Albury, 5 heures de route), par une chaleur élevée et un temps venteux qui favorisait d’effrayants feux de forêts, l’autoroute se trouva coupée par la police par mesure de sécurité. Je rebroussai donc chemin et frappai chez le curé d’une petite ville au nord de Melbourne, Seymour. Il avait été en poste à la paroisse Notre-Dame-de-Lourdes de Prahran, dans la banlieue de Melbourne, et c’est justement là que Mgr Lefebvre logea au moment du Congrès eucharistique. La discussion continua sur la liturgie, puisque Mgr Lefebvre avait célébré une messe pontificale dans le diocèse voisin de Bendigo pour protester contre le déroulement insane des festivités paraliturgiques à Melbourne. Le curé m’apprit qu’il avait fait son séminaire à Rome, et que son professeur de liturgie était inquiétant d’ignorance… Vous avez deviné, il s’appelait Annibale Bugnini !
L’admiration des fidèles australiens pour Mgr Lefebvre est touchante de reconnaissance. Peut-être les fidèles de nos chapelles de France se sont-ils habitués à cette disposition de la Providence… Pourquoi celle-ci a-t-elle disposé que nous sommes le peuple qui vit naître ce grand missionnaire ? Certainement faut-il mettre cela en rapport avec la parole des papes interpellant la « Fille aînée de l’église »… Grâce au documentaire Mgr Lefebvre, un évêque dans la tempête, dont le succès est extraordinaire, notre dévotion est soutenue, éclairée et partagée.
Revenons à Tynong. L’école Saint-Thomas-d’Aquin fut fondée malgré d’importantes difficultés – d’origine gouvernementale évidemment –, qui furent surmontées par l’énergique poigne de notre confrère américain, l’abbé Todd Angele. L’abbé Fabrice Loschi, originaire de la belle et chère Annecy, prit la suite et marqua de son zèle pour les âmes une génération d’élèves. L’école est maintenant dirigée par un prêtre australien, un « ancien », ordonné en 1984, l’abbé Michael Delsorte. Le prieuré est situé à quelques kilomètres et comprend cinq prêtres, dont trois Australiens. Trois d’entre nous, en plus du directeur, sont présents à l’école, particulièrement pour l’enseignement du catéchisme. La devise de l’école consiste en une citation de saint Thomas : « Honor excellentiæ debetur », À l’excellence est dû tout honneur. La visée est haute, le travail abondant, la moisson mûrit lentement. L’école donnera ses deux premiers prêtres en décembre 2015, Deo volente (Si Dieu veut). De nouvelles familles et des vocations : les gloires visibles de l’apostolat, qui tout doucement, après quinze ans de grâces, de labeur et de sueur, commencent à briller.
Mais la mission s’étend sur un très vaste domaine : le prieuré de Tynong dessert Hobart, en Tasmanie, tous les mois, et les îles Fidji plusieurs fois par an. Nous aidons aussi le prieuré voisin de Melbourne pour les missions d’Adélaïde. Les aéroports n’ont plus de secret pour les prêtres de la Fraternité en Australie.
La terre est vaste, les âmes sont partout. Partout, elles meurent de faim. Engagez-vous !
Abbé Raphaël du Chazaud
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Source : Fideliter n° 222 de novembre-décembre 2014