7 octobre 2015

[Louise Gamichon - Le Monde des Religions] Des intégristes interrompent une rencontre autour du dialogue interreligieux

SOURCE - Louise Gamichon - Le Monde des Religions - 7 octobre 2015
Le samedi 3 octobre dernier, la projection du documentaire La Voie de l'hospitalité sur le dialogue interreligieux monastique, au Collège des Bernardins, a dû être suspendue. De jeunes intégristes ont perturbé la séance, estimant que «dialoguer et refuser de convertir son prochain n'est pas une attitude catholique».

Samedi 3 octobre, une petite vingtaine de jeunes intégristes ont perturbé la projection d'un documentaire au Collège des Bernardins. La Voie de l'hospitalité co-réalisé par Aubin Hellot et Lizette Lemoine, présente des moines bénédictins et cisterciens en situation de dialogue interreligieux avec d'autres moines de confession bouddhiste, mais aussi des hindous et des musulmans. La projection était suivie d'une table ronde en présence de moines bouddhistes et hindous, d'un poète et d'un théologien.

Quelques minutes après le début de la projection, des jeunes se sont levés, criant notamment qu'il n'était «pas possible de montrer cela», de «présenter l'Église de la sorte», et que le pape Pie XI (1922-1939) avait «condamné les rencontres interreligieuses». Ils ont également récité le chapelet. La séance a été interrompue durant une cinquantaine de minutes. La police a été contactée, et la vingtaine de jeunes sortie de la salle.
Le dialogue interreligieux, « pas catholique » ?
Le frère Daniel Pont, organisateur de l'évènement, explique qu'il a tenté de dialoguer avec ces jeunes: «Ils étaient incapables d'argumenter, leur discours était incohérent et irrecevable». Il décrit les perturbateurs comme de très jeunes gens, dont certains n'étaient probablement pas majeurs. Le réalisateur du documentaire Aubin Hellot a précisé que le téléphone portable de l'un d'eux a été confisqué. Le jeune homme filmait la manifestation de ses camarades, sûrement dans le but de publier l'action sur Internet. Leur protestation, au tout début du film, témoigne «d'une volonté de vouloir l'arrêter sans même en connaître la teneur», pour le frère Pont, comme pour Aubin Hellot.

«Nous étions heureux de voir autant de jeunes à la projection», regrette-t-il. Le réalisateur relève que le Collège des Bernardins, qui accueillait la projection, se situe dans le voisinage de l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, connue pour être un bastion du catholicisme intégriste à Paris. Les prêtres de la Fraternité Pie X, dont le fondateur Mgr Lefebvre a été excommunié en 1988, y officient. La messe y est dite en latin, selon le rite tridentin. La Fraternité Pie X refuse notamment les réformes du Concile Vatican II (1962-1965), parmi lesquelles figure le dialogue interreligieux.
Un mouvement proche de Civitas
S’il admet la proximité géographique avec l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, le directeur adjoint du Collège des Bernardins, Hervé de Vaublanc, indique ne pas avoir d'éléments sur les perturbateurs. Au Collège des Bernardins, «un certain nombre de manifestations ont été perturbées par des questions agressives ou en lien avec des projections». En revanche, la situation a pris cette fois une ampleur inédite : «C'est l'une des premières fois qu’une manifestation est perturbée dès le début et que nous devons faire appel aux forces de l'ordre», souligne-t-il. Pas question pour autant de filtrer davantage l'entrée : «Le Collège des Bernardins est un lieu d'ouverture, de rencontres, et d'échanges. Notre rôle n'est pas de mettre des barrières, mais de permettre aux participants un dialogue mutuel et réciproque. Ceux qui refusent ce dialogue ne sont pas obligés de se rendre à nos manifestations, surtout si le seul objectif est de les perturber».

Seul élément certain, un tract signé du Mouvement de la jeunesse catholique de France (MJCF) a été diffusé par les perturbateurs durant la projection. Le document indique notamment : «Dialoguer et refuser de convertir son prochain, ce n'est pas une attitude catholique.» Le MJCF est réputé proche de la Fraternité Pie X ainsi que de Civitas, un mouvement catholique d'extrême-droite. Contacté par la rédaction du Monde des Religions, le Mouvement a refusé de répondre, mais n'a pas semblé surpris à l’énoncé du motif de notre appel. Il est possible que, sans concertation, un deuxième groupe intégriste ait été présent dans la salle. Certains jeunes disaient ne pas se connaître.
Une ultra-minorité très militante
Le réalisateur du documentaire, Aubin Hellot, souligne que le public était choqué de la réaction de ces jeunes. Certains participants auraient même passé le reste de la soirée dans des odeurs de boules puantes, selon le frère Pont. «On s'attend à ce que des intégristes réagissent face à certaines œuvres, comme la pièce de théâtre de Castelluci [sur le concept du visage du fils de Dieu, NDLR], mais là, ça va trop loin», commente Aubin Hellot. Les perturbateurs sont restés devant le Collège des Bernardins. À la sortie des participants à la projection, ils étaient toujours là et «chantaient des hymnes», raconte le réalisateur. Aubin Hellot réfléchit à porter plainte. Pour lui, «il faut marquer le coup».

Le frère Pont n'exclue pas que le DIM (Dialogue interreligieux monastique, un organisme qui existe depuis plus de 35 ans) se joigne aux poursuites. Il mène une concertation à ce sujet : «Je pense qu'il faut faire quelque chose dans la mesure où ils récidivent». Les mêmes jeunes auraient perturbé, le lendemain, les vêpres orthodoxes de la Saint Denis à la cathédrale Notre-Dame de Paris. Le religieux reste cependant bienveillant à l'égard des jeunes, pointant qu'ils ont effectué une «action bête» qu'ils sont susceptibles de regretter plus tard, et qu'ils sont sans doute «manipulés». Il tient à souligner qu'il s'agit d'un groupe très isolé, d'une ultra-minorité.