Notre lettre de la semaine dernière sur le diocèse de Saintes et La
Rochelle illustrait combien il demeure parfois pratiquement impossible
d’assister à la forme extraordinaire du rite romain. Le professeur Peter
Kwasniewski, l’un des plus intéressants et prolifiques auteurs de langue anglaise,
soulignait cet été que l’impossibilité n’était pas que pratique (pas de messe à
horaire familial à portée de voiture) mais aussi parfois sociale et
psychologique pour les tensions en famille ou entre amis voire avec le curé que
peut soulever l’option préférentielle pour le missel de saint Jean XXIII. D’où
son idée de rassembler dans un même article 10 bonnes raisons de dépasser ces
difficultés et de continuer à réaliser, dimanche après dimanche, des prouesses
logistiques pour conduire toute la famille au pied de l’autel de Dieu.
Voici ces 10 raisons, librement
traduites de l’article du professeur Kwasniewski, publié le 9
juillet 2015 sur l’excellent site OnePeterFive. Nos commentaires suivront dans
une prochaine lettre.
Peter Kwasniewski lors de Sacra
LIturgia 2015 à New York.
1. Vous serez comme des saints.
Si l’on considère que la messe
traditionnelle célébrée jusqu’en 1970 était pour l’essentiel celle de saint
Grégoire le Grand (codifiée vers l’an 600), nous parlons de 1400 siècles de la
vie de l’Église et donc de la plus grande partie de l’histoire de ses saints.
Les prières, les hymnes, les lectures qui ont nourri leur foi sont celles qui
nourrissent la vôtre. C’est la messe de saint Thomas d’Aquin qui composa le
propre de la Fête du Christ-Roi que l’on s’apprête à célébrer dimanche ;
c’est la messe à laquelle saint Louis assistait jusqu’à trois fois par
jour ; c’est la messe qui plongeait saint Philippe Néri en de longues
extases dont il fallait finir par le distraire ; c’est la messe que les
prêtres disaient clandestinement en Angleterre et en Irlande au temps des
persécutions ; c’est la messe que saint Damien de Molokaï célébrait dans
la chapelle construite de ses mains lépreuses...
2. Ce qui est vrai pour nous
l’est encore plus pour nos enfants.
La liturgie traditionnelle forme
les esprits et les cœurs de nos enfants à la louange divine par l’exercice des
vertus d’humilité, d’obéissance, et d’adoration silencieuse. Elle remplit leurs
sens et leur imagination de signes et de symboles sacrés,
de « cérémonies mystiques » comme les appelait
le Concile de Trente. Les pédagogues savent que les enfants sont plus
sensibles aux illustrations visuelles qu’aux longs discours. La solennité de la
liturgie traditionnelle ouvrira les enfants catéchisés à la transcendance et
fera naître chez nombre de garçons le désir du service de l’autel.
3. La messe universelle.
La liturgie traditionnelle
n’établit pas simplement un lien d’unité temporelle entre notre génération et
les précédentes mais aussi un lien d’unité spatiale entre tous les fidèles du
globe terrestre. Avant la réforme liturgique, c’était un réconfort pour les
voyageurs de découvrir qu’en dépit des cultures et des climats, la messe était
toujours la même où qu’ils aillent, celle que célébrait leur curé dans leur
paroisse. C’était aussi la plus évidente confirmation de l’authentique
catholicité de leur catholicisme ! Quel contraste avec certaines paroisses
d’aujourd’hui où la messe change d’un prêtre à l’autre et d’un dimanche à
l’autre...
4. Vous savez ce qui vous attend.
Une cérémonie centrée sur le
sacrifice de Notre Seigneur au Calvaire. Le silence avant, pendant et après.
Seulement des garçons comme servants de messe. Uniquement des mains consacrées
pour toucher le Corps du Christ. Pas de frasques vestimentaires ni musicales.
En d’autres termes, la seule activité sur terre que l’homme, même s’il la
bâcle, ne peut totalement détourner de son unique objet : la louange du
vrai Dieu. Le Père Jonathan Robinson, de l’Oratoire de saint Philippe Néri,
dans son livre The Mass and Modernity (Ignatius
Press, 2005), rédigé avant qu’il ne se familiarise avec la liturgie
traditionnelle, note que l’attraction principale et pérenne de ce qui était
encore l’ancien rite tient à ce qu’il offre « une référence
transcendante », fût-il mal célébré (1). Alors que rien, dans la nouvelle
messe, ne garantit « la centralité du mystère pascal » (2).
5. C’est l’original.
Le rite romain traditionnel a une
évidente orientation théo- et christocentrique que traduit aussi bien le
positionnement ad Orientem du prêtre que les riches textes du missel qui
mettent en avant le mystère trinitaire, la divinité de Notre Seigneur et son
sacrifice sur la Croix. Comme l’a fort bien documenté le professeur Lauren
Pristas (3), alors que les prières du nouveau missel manquent de clarté dans
leur expression du dogme et de l’ascèse catholique, les prières de l’ancien
missel sont sans ambiguïté ni équivoque. De plus en plus de catholiques se rendent
compte à quel point la réforme liturgique a été précipitée et porte à la
confusion du fait de ses options quasi illimitées et de sa discontinuité avec
les quatorze précédents siècles de prière de l’Église.
6. Un sanctoral supérieur.
Lors des débats liturgiques, une
grande part des échanges est, logiquement, concentrée sur la défense ou la
critique des changements apportés à l’ordinaire de la messe. Mais il ne faut
pas oublier que l’une des différences majeures introduite par le missel de 1970
est son calendrier. À commencer par le sanctoral. Le calendrier de 1962 est une
merveilleuse introduction à l’histoire de l’Église, en particulier l’histoire
de l’Église primitive, si souvent négligée aujourd’hui. Il est
providentiellement disposé de telle manière que la succession de certaines
festivités forme des ensembles qui illustrent une facette particulière de la
sainteté. Pour leur part, les créateurs du calendrier réformé ont éliminé ou
rétrogradé 200 saints, à commencer par saint Valentin. Saint Christophe, le
patron des voyageurs, a disparu, au motif qu’il n’aurait jamais existé
nonobstant les innombrables vies qu’il sauve au quotidien. Aux traditions
orales de l’Église, ils ont trop systématiquement préféré la science historique
moderne. Leur préférence scientifique fait penser à ces mots de Chesterton dans Orthodoxie : « Il est très facile de comprendre pourquoi une
légende est traitée, et doit être traitée, avec plus de respect qu’un ouvrage
historique. La légende est généralement l’œuvre de la majorité des membres d’un
village, une majorité d’hommes sains d’esprit. Le livre est généralement écrit
par le seul homme du village qui soit fou. »
7. Un temporal supérieur.
Le temporal aussi a été
chamboulé. Le cycle liturgique est bien plus riche dans le calendrier de 1962.
Chaque dimanche de l’année a son contenu propre, qui devient pour les fidèles
comme un marqueur grâce auquel ils peuvent mesurer, d’année en année, leurs
progrès ou replis spirituels. Le calendrier traditionnel observe d’antiques
occurrences comme les Quatre-Temps ou les Rogations qui manifestent non
seulement notre gratitude envers le Créateur mais aussi notre soumission de bon
gré au cycle naturel des saisons et des récoltes. Le calendrier traditionnel
n’a pas de « temps ordinaire » – expression ô combien malheureuse si
l’on considère que plus rien ne peut demeurer « ordinaire » après
l’Incarnation – mais un temps après l’Épiphanie et un temps après la Pentecôte,
donnant ainsi un long écho à ces fêtes. Tout comme Noël et Pâques, la Pentecôte,
qui n’est pas une fête de moindre importance, est célébrée le temps d’une
octave afin que l’Église ait tout le temps de se réchauffer à son feu céleste.
Sans oublier le temps de Septuagésime qui aide le peuple de Dieu à passer en
douceur de la joie de Noël à la douleur du Carême. Autant de trésors
précieusement conservés qui nous relient à l’Église des premiers siècles...
8. Une meilleure introduction à
la Bible.
L’opinion courante veut que l’une
des avancées principales du nouvel Ordo soit son cycle triennal et ses plus
nombreuses lectures qui porteraient à une meilleure connaissance de la Bible.
Ce qu’ils ignorent ce faisant c’est que la nouvelle architecture a certes
multiplié les lectures mais en rompant le lien qui les unissait dans l’ancien Ordo
et constituait la trame de la messe de dimanche en dimanche. En matière de
lectures bibliques, l’Ordo traditionnel répond à deux principes
admirables :
- d’abord, que les passages ne
sont pas choisis pour leur propre intérêt (afin de couvrir autant que possible
toute l’Écriture) mais pour éclairer l’occasion particulière célébrée ;
- deuxièmement, que l’accent est
mis non pas sur une plus grande alphabétisation biblique des fidèles mais sur
la « mystagogie ». En d’autres termes, les lectures de la messe ne
sont pas conçues comme un cours biblique dominical mais comme une initiation
progressive par la liturgie aux mystères de la foi. Leur nombre plus limité,
leur concision, leur pertinence liturgique et leur répétition annuelle en font
un très efficace agent de formation spirituelle et une parfaite préparation au
sacrifice eucharistique.
9. La dévotion pour la Sainte
Eucharistie.
Bien entendu, la forme ordinaire
peut être célébrée avec révérence et dévotion et la communion distribuée
seulement par des ministres ordonnés à des fidèles communiant sur les lèvres.
Mais on voit bien chaque dimanche que la plupart des paroisses ordinaires ont
recours aux services de ministres extraordinaires au moment de la sainte
communion que la majorité des fidèles prennent, plus qu’ils ne la reçoivent,
dans la main. Ces deux attitudes sapent profondément le sacro-saint respect dû
au Saint Sacrement et, partant, la compréhension du mystère eucharistique. Et
quand bien même on communie soi-même sur les lèvres en choisissant la file du
prêtre plutôt que celle du ministre extraordinaire, on risque de s’approcher de
Jésus-Hostie l’âme distraite, tourmentée, voire et ce n’est pas mieux,
indifférente. Moment de grande solennité, traditionnellement très édifiante
pour les enfants, la communion finit ainsi par devenir un moment d’agitation et
de confusion. L’oubli de la présence réelle de Notre Seigneur dans la Sainte
Eucharistie débouche immanquablement sur la « protestantisation » de
notre rapport à Dieu. Tant que l’indult de la communion dans la main ne sera
pas aboli, la liturgie traditionnelle est la seule voie sûre pour préserver et
nourrir notre compréhension du mystère de la présence réelle de Notre Seigneur
Jésus-Christ, aussi bien dans la Sainte Eucharistie que dans l’Église et dans
nos vies de chrétiens.
10. Le mystère de la Foi.
S’il ne devait rester qu’une
raison pour justifier le choix préférentiel de la forme extraordinaire, c’est
tout simplement qu’elle est l’expression la plus parfaite du Mystère de la Foi.
Ce que saint Paul appelait musterion et
que la tradition latine désigne sous les termes de mysterium et sacramentum est
tout sauf un concept marginal dans la Chrétienté. L’incroyable révélation de
Dieu auprès de nous, tout au long de l’histoire mais surtout en la personne du
Christ, est un mystère dans le sens le plus élevé du terme : c’est la
révélation d’une réalité parfaitement intelligible mais toujours inéluctable,
toujours lumineuse mais aveuglante par sa luminosité. Les cérémonies
liturgiques qui nous mettent en contact avec Dieu devraient porter le sceau de son
essence mystérieuse éternelle et infinie. Par sa langue sacrée, son
ordonnancement, sa musique et la position du prêtre, la forme extraordinaire du
rite romain porte sans aucun doute ce sceau. En favorisant le sens du sacré, la
messe traditionnelle conserve intact le mystère de la foi (4).
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(1) Jonathan Robinson, The Mass and Modernity, Ignatius Press, 2005, p. 307.
(1) Jonathan Robinson, The Mass and Modernity, Ignatius Press, 2005, p. 307.
(2) Ibid., p. 311.
(3) Collects of the Roman Missal: A
Comparative Study of the Sundays in Proper Seasons Before and After the Second
Vatican Council, London, T&T Clark, 2013.
(4) Durant de longs siècles – et
même, selon saint Thomas d’Aquin, depuis les Apôtres – le prêtre a toujours dit
Mysterium Fidei au moment de la consécration du calice.