15 avril 2016

[Abbé Guillaume Gaud, fsspx - Lettre sur les Vocations] Que faire pour avoir plus de prêtres, malgré la crise de l'Eglise?

Prise d’habit des Sœurs
Pilar, avril 2015
SOURCE - Abbé Guillaume Gaud, fsspx - Lettre sur les Vocations - avril 2016

« Il faut bien se garder de croire que les erreurs, quelles qu’elles soient, puissent détruire l’Eglise et en interrompre la suite ; elles y viennent pour la réveiller, et faire qu’elle entende mieux ce qu’elle croyait » assure Bossuet dans son Instruction pastorale sur les promesses de l’Eglise. Il ajoute ensuite : « Nous sommes ceux à qui tout profite, et même les hérésies : elles nous rendent plus attentifs, plus zélés, mieux instruits ». La situation qu’il vivait était pourtant loin d’être rose : une Europe saignée au cœur par le cancer protestant, une France en proie au jansénisme, et Bossuet lui-même se débattant dans la querelle gallicane.

Loin de faire de nous des prêtres aigris, découragés, ou bien révoltés, la crise qui secoue l’Eglise et la société nous transforme - qu’on le veuille ou non - en phares dans la nuit : « Vous êtes la lumière du monde ».

De même que les fortes vertus naissent parmi les souffrances, un sacerdoce fort doit naître parmi les épreuves de la crise de l’Eglise. La Tradition elle-même n’est pas épargnée, et tout douloureux que ce soit, c’est bon. Car les épreuves qui nous affligent servent à nous préserver de ce qui nous flatte. Quand Dieu veut nous faire comprendre qu’un ouvrage est tout de sa main, il réduit tout à l’impuissance et au désespoir, il nous laisse à nous-même, nous fait sentir notre propre néant… et il agit. L’Histoire de l’Eglise nous dévoile que les temps d’affliction sont précieux : on y fait certainement plus de progrès dans la consolidation de la foi, dans les œuvres de charité et de patience, que pendant la prospérité.

Est-ce que le monde n’a jamais eu autant besoin de médecins des âmes, atteintes par l’infection du vice? autant besoin de prédicateurs, qui enseignent la Vérité qui est Jésus-Christ, clairement et sans mélange? autant besoin de pères, dont l’autorité et la bonté lui apprennent «à observer ce que le Christ nous a commandés»? autant besoin de médiateurs qui prient le bréviaire de tout leur cœur pour nous? autant besoin de sanctificateurs qui nous infusent mystérieusement la Vie de Dieu par les sacrements? En un mot, le monde a soif de saints prêtres.

Mais les vocations baissent… nous donnerons aujourd’hui trois raisons qui nous semblent fondamentales, et dont la connaissance nous permet d’y remédier.

Avons-nous bien compris ce qu’attend Notre-Seigneur à travers cette crise ? Une plus grande foi en Lui. Pour cela, Il attend. Il attend que ses fidèles reviennent à Lui, par une véritable prière qui inonde nos vies.
 
Une vraie prière, qui le supplie de nous octroyer ces prêtres dont nous avons besoin. « La Providence de Dieu ne se borne pas établir que tel ou tel effet sera produit : elle détermine aussi par quelles causes et selon quel ordre il le sera (1) ». Et la prière est une de ces causes. « Nous ne prions pas pour changer ce que Dieu a établi, mais nous prions pour obtenir ce que Dieu a décidé de nous donner par le moyen des prières des âmes saintes (2) ». Or Dieu nous a dit qu’il nous enverrait certaines grâces proportionnellement à notre prière ; les vocations sacerdotales en font partie : « Jésus, voyant les foules, en eut pitié, car elles étaient affaiblies, gisant comme des brebis qui n’ont pas de pasteur. Alors il dit à ses disciples : ‘la moisson est grande, mais les ouvriers sont peu nombreux : priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson (3) !’ ». C’est clair, net et précis : c’est de notre prière que dépend l’envoi de prêtres, et donc l’avenir du monde.
 
« Le prêtre est un don extraordinaire que Notre-Seigneur a fait à l’humanité. Si nous n’avions pas de prêtres, nous n’aurions pas la sainte communion ; nous ne pourrions pas recevoir l’Esprit-Saint par les sacrements » disait Mgr Lefebvre. Ce qui place le prêtre au-dessus de toutes les grandeurs humaines, en dépit des langues malignes qui tâchent de l'abaisser et de rapetisser son caractère, c'est sa mission divine incomparable, à tel point que saint Paul lui-même s'en fait gloire en face de ses ennemis. Tant de génies ont brillé dans la guerre, la politique, les inventions, les sciences et les arts ; ils ont épuisé par leurs œuvres immortelles tout ce qui existe de gloire humaine ; on peut leur accorder de grandes louanges, mais d'aucun d'eux nous ne pouvons dire qu'il sert ex professo et directement au triomphe de Dieu. Mais l’humble prêtre, pourtant éloigné de tous ces renoms, contribue directement à ce triomphe. Voilà pourquoi saint Jean Eudes osait dire, à l’adresse de tout catholique : « Le sacerdoce des prêtres est si grand, si divin, qu’il semble qu’il ne peut y en avoir de plus grand ni de plus divin. Cependant, il y en a un qui pour ainsi dire le surpasse : celui de travailler à la sanctification des ecclésiastiques, ce qui est sauver les sauveurs, paître les Pasteurs, obtenir la lumière à ceux qui sont la lumière du monde, et sanctifier ceux qui sont la sanctification de l’Eglise ». Un prêtre est une grâce si grande pour nous, si mystérieuse, qu’il nous faut une prière profonde, pleine d’espérance et donc de persévérance pour l’obtenir. Dieu ne nous refuse pas, quand il diffère de nous exaucer, mais il aime notre persévérance et lui donne tout. Prions donc avec confiance, car Il opère lentement et doucement. Malheureusement est-ce que nous ne donnons pas trop peu à Dieu, en espérant en recevoir beaucoup ?
 
L’estime paisible du sacerdoce, qui passe par le respect sans faille des prêtres.
 
Par son ordination sacerdotale, le prêtre catholique devient « alter Christus - un autre Christ ». Il est comme élevé au-dessus des anges, et on est confondu de respect et d’admiration devant ce mystère : « O vénérable dignité du prêtre ! Entre ses mains, le Fils de Dieu s’incarne comme dans le sein de la Vierge. Les voilà, ces mortels plus grands que les anges » (Saint Augustin). Jésus disait à sainte Catherine de Sienne : « Je veux te faire comprendre la dignité de mes ministres. Je les ai sacrés et je les ai appelés mes christs parce que je les ai chargés de me donner à vous… ». C’est une preuve de foi que d’avoir ce regard profond sur les prêtres, quels qu’ils soient. Pour aider leurs enfants à affermir ce regard de foi, les parents pourront avantageusement leur répéter sans cesse ces paroles du saint curé d’Ars : « Quand vous voyez le prêtre, pensez à Notre-Seigneur Jésus-Christ » ; quand vous l’écoutez, pensez que vous écoutez Notre-Seigneur ; quand vous parlez d’un prêtre, pensez que vous parlez du Christ.
 
Ce que nous venons de dire est indépendant de sa sainteté personnelle. Celle-ci s’y ajoute et devrait couronner la sainteté de son être. Mais même un prêtre qui aurait le malheur d’être gravement pécheur, ou hérétique ou schismatique, garde cette participation efficace au sacerdoce du Christ.
 
Il faut donc bien faire attention à ne pas entretenir, à ne pas tolérer la critique des prêtres. Nous serions alors les meilleurs auxiliaires des destructeurs de l’Eglise, même avec les meilleures intentions. Comme disait Mgr Lefebvre, la crise actuelle est une crise du sacerdoce ; les prêtres sont donc les premières cibles, mais le remède passera donc forcément par une résurrection du sacerdoce. Cette résurrection doit avoir lieu dans les esprits avant d’avoir lieu dans l’Eglise. Cette résurrection est notre œuvre. Ou nos paroles alimentées à la pure Foi aident l’Eglise (et nos enfants) à estimer le sacerdoce, et contribuent alors aux vocations ; ou bien nos propos sont trop humains, et favorisent encore plus à l’abaissement du sacerdoce dans l’Eglise et à la chute des vocations. N’oublions pas que les prêtres sont aussi les premiers protégés de Notre-Dame « reine du clergé ». Et contemplons l’amour que Notre Seigneur manifeste à Judas et Pierre après leur chute, en vue de les aider à se relever. « Ceci est un exemple afin que vous fassiez comme j’ai fait » disait-il ce soir-là…
 
De quelques aspects importants dans l’éducation des jeunes catholiques :
 
Un prêtre n’est pas un homme tombé du Ciel. Il est le fruit de son éducation ; il porte en lui forces et faiblesses acquises au cours de sa jeunesse. Les éducateurs doivent bien le comprendre : tout un pan de l’éducation consiste précisément à préparer l’enfant et l’adolescent aux situations et aux épreuves qu’il aura à affronter plus tard. Or le sacerdoce implique un oubli et un don de soi aux autres, une compassion profonde, un esprit de sacrifice, une régularité de vie, un courage dans la prédication et dans le gouvernement, un souci de la vérité. Ces composantes doivent donc faire partie intégrante de l’éducation des jeunes gens - d’autant que ces qualités ne sont pas l’apanage des seuls prêtres. Un jeune homme trop éloigné de ces qualités risque d’avoir de grandes difficultés à être prêtre.
 
Les parents et éducateurs (et jeunes gens qui sentent un appel de Dieu) doivent veiller à ce qu’il ne grandisse pas en s’enchaînant peu à peu au « tout, et tout de suite » dans la communication grâce à son téléphone portable (qui risque d’entraîner une faiblesse à affronter seul les moments de solitude), au « tout, et tout de suite » dans l’information par internet (qui risque d’amollir l’effort de réflexion au profit du papier-mâché), à l’habitude terrible de regarder des films seul sur son ordinateur, à l’absence de sacrifice réel pour les autres, de dévouement en famille (« Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » Math 10, 8), de régularité dans les horaires, d’un peu de simplicité de vie, d’un peu « de vie à la dure », toutes ces petites choses de l’éducation qui habituent le futur homme à la virilité. Tout cela s’accomplit tranquillement, c’est plus un mode de vie qu’une discipline stricte.
 
Éveillons chez nos enfants un esprit miséricordieux pour les âmes vivant loin de Dieu. Les éducateurs peuvent facilement faire comprendre l’importance du salut des âmes. Le souci de ce salut sera infusé par Dieu. Il est très avantageux de leur lire la vie de saints prêtres, missionnaires, à cet effet. Ceci va de pair avec le souci de l’unité bien comprise : « qu’ils soient tous un, comme Vous mon Père êtes en moi, et moi en Vous ; qu’ils soient un en nous » (Jn 17.21). Soyons en tous les hommes par notre amour. A ce niveau, il importe d’ouvrir le cœur aux autres, par le moyen de la compassion ; les cœurs sensibles l’ont naturellement, il faudra les aider à le réguler de façon raisonnable, sans porter toute la misère du monde en soi. Mais il est des cœurs peu sensibles ; soit qu’ils sont très intellectuels, soit qu’ils sont égoïstes. Ceux-là ont besoin d’expérimenter la misère des autres (les éducateurs doivent les mettre en contact avec cette misère proportionnée), sans quoi sa compassion étant trop limitée, sa miséricorde le sera aussi.
 
Le souci de défendre la foi catholique et son application concrète. Il faut donner le sens de la nécessité et de la bonté du combat ; ce combat n’est pas une chose extraordinaire, nouvelle, dramatique. Les circonstances changent, mais le combat demeure. Les milliards de catholiques qui nous ont précédé ont mené ce combat défensif contre les assauts sataniques : dès la mort du Christ, l’Eglise naissante fut persécutée par les juifs ; en interne ce furent les chrétiens hétérodoxes et les gnostiques qui sapaient le dogme de la rédemption ; puis le gouvernement de l’Empire prit le relais pour des motifs totalement différents ; en interne nous souffrîmes alors des lâches et des divisions au sujet des lapsi ; s’en suivirent la haine du néo-paganisme, et en interne le développement des hérésies : arianisme, semi-arianisme, nestorianisme, monophysisme, etc., puis l’Orient qui se détache de Rome pour des motifs trop humains ; la défense de la foi et du culte abîmés par le protestantisme, puis par le jansénisme, ont mobilisé des milliers de catholiques ; plus récemment ce furent les persécutions ouvertes de la révolution dite française, de la 3ème république antichrétienne, de la révolution bolchévique internationale, du nazisme, de l’islamisme… et les résistances héroïques : vendéens, chouans, zouaves pontificaux, cristeros, etc.. Faisons contempler aux enfants nos aïeux héroïques, car les grandes âmes s’échauffent dans la grandeur ! Les âmes médiocres s’y élèvent, et les viles peuvent être touchées…
 
Si vous voulez construire des âmes fortes en vos enfants, n’en faites pas des âmes dures, jugeant les autres ; mais faites-leur bien comprendre qu’un principe est fait pour être appliqué. Donnez ce sens des principes. En tous les domaines. Le libéralisme veut vous persuader du contraire en faisant croire que les principes (ou la vérité) deviennent dépassés, qu’ils ne peuvent plus être appliqués. « L’objectif de l’homme d’Etat chrétien doit être de respecter l’intégrité des principes, là même où ont ils ont cessé momentanément d’être applicables… de ne livrer jamais le plus petit atome de la vérité catholique » disait Mgr Pie. Mais ceci est valable pour tout homme, et en toutes choses. Nous devons former nos enfants avec cette force d’âme, quoique sans tomber dans une apparente intransigeance qui, au nom de la défense d’un principe, va s’opposer à d’autres principes tout aussi indispensables…
 
Apprenons alors aux jeunes à respecter l’ordre en toutes choses, à être dociles : « Le libéralisme est justement la négation de l’ordre, de la règle et de l’autorité qui l’impose » écrivait l’abbé Roussel, dans « Libéralisme et catholicisme » en 1926.
 
Par notre attitude, plus que par nos mots, nous pouvons infuser aux jeunes le sens de la transcendance divine, la crainte révérencielle de tout ce qui est sacré, la force intérieure du recueillement.
 
Notre attitude à l’église, la façon dont se prépare à la Messe, l’endimanchement de nos vêtements, le silence respectueux dans les églises, l’obéissance exemplaire aux pasteurs, l’action de grâce après la communion, la réaction surnaturelle des parents dans les épreuves : combien de prêtres d’aujourd’hui pourraient témoigner avoir été touchés par cela quand ils étaient enfants…
 
Enfin ne craignons pas de montrer l’exemple de la prière prolongée discrètement, surtout quand les adolescents grandissent, car cet âge se laisse toucher par l’exemple. Encourageons-les finement à la prière, en leur confiant des intentions particulières, en leur faisant connaître tel et tel livre qui les aideront à goûter la prière intérieure. Car «les âmes qui prennent contact avec le ciel ont le désir du ciel. Elles se détachent des choses créées et c’est ce qui suscitent en elles le désir de se donner tout entières au bon Dieu, voilà la source véritable des vocations (4)».
 
Que Notre-Dame éclaire les parents sur cette foule de petits éléments formateurs, qui, bien au-delà de l’éducation de futurs prêtres, élèvera toute une génération future de chrétiens surnaturels et puissants.
   
Abbé Guillaume Gaud
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(1) St Thomas, Somme théologique IIa IIae, q 83 a 2.
(2) Idem.
(3) St Math IX, 36-38.
(4) Mgr Lefebvre, homélie du 3 avril 1976.