10 septembre 2018

[Abbé Xavier Beauvais, fsspx - L'Acampado] Si vous ne devenez comme des petits enfants

SOURCE - Abbé Xavier Beauvais, fsspx - L'Acampado - septembre 2018

Notre-Seigneur a de ces phrases parfois lapidaires que nous n’avons pas le temps ou le courage, hélas, d’approfondir. 
     
J’ai choisi pour vous, celle-là : « Si vous ne devenez comme de petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux ». Rien de plus clair et de plus formel dans cette parole. En clair, il faut se convertir. Il y a là un mouvement de conversion: redevenir enfant et même, petit enfant. A première vue, on résiste à une telle parole. On sourit même. Mais, il ne faut pas s’y tromper, c’est d’une véritable conversion qu’il s’agit : la conversion à l’enfance évangélique. 
     
Replaçons cette phrase lapidaire dans le contexte évangélique. Les disciples viennent trouver Notre Seigneur et Lui posent cette question qui les préoccupe : 
     
« Qui donc est le plus grand dans le royaume des cieux ? » Les disciples veulent savoir quelle est, dans la nouvelle économie inaugurée par le Christ, l’échelle des valeurs. Ils ont confusément conscience que Notre Seigneur apporte quelque chose de vraiment nouveau et ils lui demandent, au fond, la règle d’après laquelle tout est jugé dans son royaume. Question capitale s’il y en a. Que répond Notre Seigneur ? Il appelle un enfant, le place au milieu d’eux et dit : « En vérité, je vous le dis en toute certitude, si vous ne changez pas et ne devenez pas comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. Celui qui se fera humble comme cet enfant, c’est celui-là qui est le plus grand dans le royaume des cieux ». 
     
Nous voilà prévenus. C’est stupéfiant. Notre Seigneur ne nous demande rien de moins qu’un complet retournement de notre échelle des valeurs. Ce qui importe dans son royaume, la pierre de touche de tout le reste, c’est l’attitude profonde où l’homme se fait petit et enfant. Celui qui y parvient est, en toute vérité, le plus grand, le seul réellement grand aux yeux de Dieu. Alors, ne disons pas que cette conversion est impossible.
   
Un premier aspect de cette conversion à l’enfance évangélique, c’est la conversion de l’orgueil de la vie à la douceur et à l’humilité du cœur. Si vous jetez un coup d’œil autour de vous, que voyez-vous ? Que presque tout est faussé par ce terrible besoin qui possède l’homme d’avoir la première place, le plus d’autorité, le plus d’influence. Certes, avoir de l’ambition n’est pas en soi de l’orgueil si l’on entend par là le désir de faire réellement de grandes choses. Mais combien vite et de quelle manière insidieuse, cette légitime ambition est faussée par l’orgueil ! Notre Seigneur avait déjà remarqué combien l’homme désire « la place d’honneur ». Il l’avait remarqué même chez ses disciples. Chez les pharisiens, la chose était admise. Et l’on connaît son enseignement : il faut passer de l’amour de la première place à celui de la dernière. 
   
Attention. Bien sûr que Notre Seigneur ne veut pas encourager la pusillanimité, l’absence d’initiative ou la peur des responsabilités.
    
Nous avons même, en effet, dans certains cas, le devoir de chercher la première place -en tant que chrétiens- , ou tout au moins de la tenir avec autorité si elle nous a été confiée. Mais, on saisit vite où se situe la conversion intérieure que le Christ nous demande. Il faut tenir la première place comme si c’était la dernière : car c’est à la dernière place qu’on sert ses frères et que l’on est le plus sûr de trouver Notre Seigneur.
   
L’abbé Huvelin, le confesseur de Charles de Foucauld, avait à ce sujet une expression gracieuse :
    
« Depuis que le Christ a pris la dernière place, on ne peut plus avoir que l’avant-dernière ». 
    
Et, en effet, Notre Seigneur a pris la dernière place : relisez la scène où les fils de Zébédée demandent la place d’honneur, ou encore la réponse du Seigneur qui lave les pieds de ses disciples. Le véritable enfant évangélique, c’est celui qui se fait ainsi le serviteur de ses frères. Et il convient de rappeler ici, la béatitude des doux. Cette douceur, ici, n’a rien à voir avec je ne sais quel facile petit sentiment, apanage d’âmes craintives, sans grande personnalité. En réalité, c’est une extraordinaire béatitude de force et d’amour. Elle suppose la force de la charité qui sert constamment ses frères, qui ne se laisse durcir ni par l’ingratitude, ni par l’orgueil, ni par l’amertume, ni par le dépit. On peut dire que les vrais doux sont étonnamment forts. Le mal ne les trouble pas, et ils comprennent tout. C’est pourquoi ils possèdent la terre des cœurs qui s’ouvrent à eux. La première conversion à l’enfance évangélique, c’est cela, à l’exemple de Notre Seigneur, Lui-même, qui s’est dit «doux et humble de cœur», à l’exemple de la Très Sainte Vierge, douce entre toutes. 
    
La seconde conversion, c’est celle qui consiste à placer sa force, non pas dans les richesses périssables, mais dans l’amour du Père des cieux, amour qui ne périt pas. Le plus grand dans le monde, c’est celui qui a le plus d’argent. Et voici que Notre Seigneur vient nous dire que le plus grand à ses yeux, c’est celui qui se confie, non dans ses richesses, mais dans son amour à Lui. Le véritable enfant, selon l’Evangile, c’est le pauvre en esprit, et Notre Seigneur l’a béatifié. Il faut vraiment être redevenu ce bienheureux enfant selon l’Evangile, pour ne pas céder à la séduction de l’argent. 
    
Et puis le monde défend encore son ordre de grandeur par le mensonge, la duplicité, les faux-semblants. Quel chrétien, hélas, aujourd’hui, ne gémit pas d’être souvent entraîné malgré lui, dans un monde où presque tout est falsifié ? Il n’est pas souvent commode de résister. Et pourtant, là encore, il faut écouter Notre Seigneur : c’est-à-dire ne pas prendre le parti de mentir. Il faut vouloir redevenir enfant, cet enfant de Dieu, désarmant comme l’étaient les saints, pour qui oui c’est oui, non c’est non. Et s’il faut être prudent comme le serpent, il faut savoir aussi être simple comme la colombe. 
    
Il y a enfin un dernier aspect de la conversion à l’enfance évangélique, peut-être le plus profond car il touche à l’intime de notre esprit, c’est-à-dire la conversion de la sagesse et de l’habileté du monde, à la simplicité de la foi. Toute l’histoire évangélique nous montre que le Seigneur a été reconnu, non par ceux que le monde appelle «habiles et sages», mais par les petits, les cœurs simples et droits. La foi qui consiste essentielle ment à reconnaître et adhérer à Notre Seigneur, nous est parfois douloureuse parce que nous ne sommes pas assez simples. Il ne s’agit pas ici de canoniser l’ignorance et l’inculture. Non ! car dans l’Eglise du Christ, il y a une sainteté de l’intelligence, et le mot de Notre Seigneur qu’on trouve en saint Marc : « Aimer Dieu de toute sa capacité de comprendre » doit nous être cher. Mais cela dit, il n’en reste pas moins qu’il faut être redevenu enfant, au sens profond de l’Evangile, d’un cœur parfaitement droit et pur, profond et candide, adorant et soumis. Il faut, en effet, être aussi ouvert, aussi simple, aussi candide qu’un enfant dans les mains deDieu, pour recevoir son règne qui est la foi. Quelle est donc l’attitude essentielle à partir de laquelle ce bienheureux état d’enfance spirituelle va naître dans nos âmes ? Eh bien, c’est l’abandon aux mains de Dieu et la charité, amour de Dieu. 
     
La leçon essentielle que nous donnent les enfants, c’est que l’enfant se confie et s’abandonne, tandis que l’adulte, bien souvent, se défie et se raidit. Il faut vraiment réapprendre, de toute notre âme, à nous ouvrir à Dieu et à nous abandonner entre ses mains. Malgré l’incohérence apparente de ce monde, malgré le caractère parfois douloureux de la vie, malgré tant d’obscurités, nous pouvons céder à ce cœur d’enfant qui ne se défend plus mais s’ouvre à Dieu et Lui parle. C’est à ce moment-là qu’on retrouve le secret de l’enfance évangélique, et tout nous paraît alors beaucoup plus simple. 
     
Au fond, ce que Dieu nous demande, c’est exactement ce que des parents demandent à leurs enfants : notre confiance et notre amour. Si nous avons vraiment donné à Dieu cette confiance et cet amour, tout s’ensuit. Notre vraie richesse est dans ses mains et nous avons alors horreur des mensonges dans lesquels le monde vit : ces mensonges de l’orgueil et de l’Argent-Roi, mensonges du double-jeu et de la façade, mensonges des habiles et des sages. Au début du XXème siècle, il a plu à Dieu de nous donner comme modèle, celle qui n’a voulu s’appeler que la petite Sœur Thérèse, elle qui était en réalité étonnamment grande. Ce qu’elle nous apprend, c’est une confiance éperdue en Dieu et la pureté de la charité. 
    
Vous le voyez, l’enfance évangélique est à l’opposé de certaines mièvreries qui, parfois, l’ont défigurée. Certains même, y ont semblé trouver la justification de leurs faiblesses ; non, tout cela n’est que caricature malsaine de l’enfance spirituelle. Il faut donc bien l’avouer, seuls les saints sont les parfaits enfants évangéliques. La grâce du Christ est leur seule richesse. Ils ont retrouvé leur vraie nature d’enfants de Dieu. Ils sont singulière - ment indépendants du monde, libres, et ne sont à la remorque de personne. Et pourtant, ils sont humbles et doux, pauvres et purs. C’est la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ à laquelle ils se sont confiés et dans laquelle ils se sont perdus, qui a fait cette merveille.
    
Le saint n’a donc pas de force à lui, toute sa force est en Dieu. Ce n’est qu’un enfant. C’est dans l’expérience toujours désolante de sa faiblesse que l’âme prend conscience qu’elle n’a pas de force à elle, mais que la force du Christ habite en elle. 
     
Marie, la Très Sainte Vierge, fut la parfaite enfant évangélique. Le Magnificat n’est pas le cantique de l’enfant pauvre, humble et douce, mais intrépide dans sa foi. 
    
Saint Jean nous la présenta comme notre Mère, comme une bonne Mère qui veille sur ses enfants. Qu’elle nous apprenne alors à redevenir enfants dans le sens dont nous parlons.
Simplicité
Quand Jésus passait, autrefois, sur les routes de Palestine, volontiers Il arrêtait les enfants, il les bénissait, il les aimait, il les aimait pour leur âme faite de simplicité et de candeur, de sensibilité droite et de tendresse profonde. Il reconnaissait en eux l’âme du vrai disciple, et Il les proposait en exemple à la foule : « Si vous ne devenez semblable aux petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux ». Car le royaume des cieux est pour les enfants ; pour ceux qui, dans l’âge mûr, auront gardé ou retrouvé leur candeur et leur simplicité. La simplicité est toujours le premier pas sur les routes qui mènent à Dieu. Mais, comment la définir, cette simplicité ? La simplicité, c’est un état d’âme, bien plus qu’une qualité, tout état d’une âme neuve, d’une âme d’enfant que la vie n’a pas encore encombrée de déchets. Chez l’enfant, parce qu’il est simple, tout est droit, tout est spontané. Pour lui, les êtres sont ce qu’ils sont. Il répond sans hésiter à tout ce qui le touche, et l’on entend bien qu’il n’y a point de mystère entre son cœur et les mots qu’il nous dit. Il voit tout en beauté parce qu’il voit tout en vérité ; chaque instant marque pour lui une découverte, dans un monde merveilleux. La beauté et la vérité ne sont pas lointaines. Les objets familiers, les choses coutumières nous en offrent de précieux rayons. « J’ai connu un bon vieillard, écrivait le Père Draime, qui, à propos d’une chrysalide entretenait son petit-fils de la résurrection des corps. De même, disait-il, qu’un papillon léger, bleu comme le ciel, sortira de cette pâle enveloppe, ainsi nos corps glorieux, ruisselants de lumière, rejailliront d’une pincée de cendres. Et l’âme simple de l’enfant comprenait ce discours. Chaque mot tombait en lui comme un appel ; devant ses yeux émerveillés, le ciel s’ouvrait et son imagination d’enfant lui représentait sa grand-mère, morte récemment, comme un grand papillon dans la lumière du Paradis ». 
     
On a tort de parler avec un grain de pitié de la naïveté des enfants. Cette naïveté, mieux que tous nos raffinements d’âmes compliquées, les met en possession du réel. Elle les rend simples dans ce qu’ils accueillent, simples dans leurs réactions ; de leur âme neuve, elle fait une âme sincère, et de multiples joies récom pensent leur désir terrestre. Nous sourions parfois de l’enfant que nous étions autrefois, mais à dire vrai parfois aussi cela éveille en nous un regret et un désir, le regret de la vie simple où tout nous enchantait, le désir de retrouver l’âme simple d’autrefois. Si certains connaissent si rarement la joie de vivre, n’est-ce pas peut-être parce qu’ils ont perdu cette simplicité ? Comme nous nous compliquons la vie si souvent ! Nous-mêmes, parce que nous manquons de simplicité, nous sommes pris à notre propre jeu. Nous n’osons plus nous reconnaître. Nous ne savons même plus ni ce que nous sommes, ni ce que nous désirons, ni ce que nous aimons. Nous en devenons des êtres artificiels. Alors quoi d’étrange ? Ce qui nous appelle, nous ne l’entendons plus ; et si Dieu soudain frappait à notre porte, aurait-il une réponse ? Une réponse n’est possible que dans un climat de lumière et de vérité, de confiance et d’abandon. Simplifions donc notre vie, ne nous réfugions pas dans les mensonges que l’on nous crée, ou que nous nous forgeons. La simplicité ouvre l’âme à tout ce qui est vrai et nous dispose à mieux entendre. C’est au milieu de ses brebis, dans l’ombre silencieuse d’un vieux chêne que Sainte Jeanne d’Arc entendait ses voix. Là, le Ciel lui parlait, et elle répondait simplement. Dieu existe, et c’est à la porte de votre cœur qu’il frappe et vous appelle. Soyez donc là où Il vous attend, dans le silence et la simplicité de votre âme. 
     
Le secret de notre âme nous révèlera peut-être de la faiblesse, de l’impuissance, de la misère, oui, mais la simplicité quand on est faible et pauvre et misérable, n’estce pas de tourner son cœur pitoyable vers la lumière et la grande miséricorde ? Il faut donc être l’enfant simple au regard droit.