1 septembre 2018

[Côme de Prévigny - Renaissance catholique] La Fraternité Saint-Pie X a un nouveau supérieur général

SOURCE – Renaissance catholique – août-septembre 2018

Le 11 juillet 2018, le quatrième chapitre général de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX), établie par Mgr Marcel Lefebvre en 1970, a élu l'abbé Davide Pagliariani supérieur général pour douze ans.

Cet Italien originaire de Rimini prend ainsi la suite de l'abbé Franz Schmidberger et de Mgr Bernard Fellay. Au terme de six années d'interrogations où les aspirations de prêtres et fidèles ont pu diverger, les yeux sont fixés sur la maison générale de la FSSPX dont les actions ou les silences déterminent dans une certaine mesure le sort du traditionalisme et, à travers lui, la sérénité de ses prêtres, l'unité des foyers, voire la paix des ménages. La nou­velle équipe dirigeante poursuivra-t-elle la ligne suivie depuis 2000, consistant à fortifier les relations ro­maines à mesure que s'éloigne le temps des persécutions ? Le discret supérieur général aspirera-t-il à freiner le rapprochement pour apaiser ceux qui ont quitté la Fraternité ces dernières années ? Tels sont les enjeux actuels qui sont finalement les éternels défis de l'œuvre depuis sa fondation et qu'il sera sans doute impossible de gommer tant la question est inhérente à l'existence de l'œuvre : se rapprocher de Rome au risque de relativiser des convictions ? Ou bien s'en éloigner au risque de contrevenir aux articles de foi liés au Siège de Pierre ?

L'entourage du supérieur général

L'élection de juillet a pour l'heure automatiquement modifié l'autorité du supérieur général. L'abbé Pagliariani est peu connu, n'est pas évêque contrairement à son prédécesseur au long mandat, il est né dans les années 1970, à une époque où ses aînés étaient déjà au séminaire. Cela ne veut pas pour autant dire que son tempérament et le modèle qu'il donnera à suivre rendront plus faible son gouvernement. Ce sont les mois qui viennent qui le diront. En revanche, outre les prérogatives centrales inhérentes à sa charge, son pouvoir se trouve accru dans la mesure où son conseil est davantage réparti. Les deux assistants qui ont été élus à ses côtés doivent en effet partager leur rôle avec deux conseillers généraux. Cette distribution est d'autant plus marquée que ces deux conseillers ne sont pas des figures anodines mais les deux anciens supérieurs généraux et ce en vertu de la volonté de l'abbé Pagliariani. Cette disposition a plusieurs mérites : elle affine les initiatives de la hiérarchie, elle ménage les tendances inévitables au sein d'une communauté de plus en plus importante. En intégrant deux évêques dans le dispositif dirigeant, elle évite la division entre maison générale d'un côté et évêques de l'autre, laquelle s'était maladroitement manifestée en 2012 à l'occasion d'une publication sauvage de correspondances qui a porté un très grave coup à l'unité de la Fraternité et dont on paye encore les conséquences. Le premier acte du nouveau supérieur général est certainement bien réfléchi.

La question romaine : simple différend ou cœur du problème ?

La tâche ne sera cependant pas simple pour ce dernier dans la mesure où des tendances ont pu s'ancrer dans le paysage traditionaliste au cours de la dernière décennie. La Fraternité et la considération dont elle a pu bénéficier ad extra ont été portées au fil des années par la dynamique qu'exerçait le calendrier des concessions romaines (Motu Proprio Summorum Pontificum en 2007, levée d'excommunication en 2009, reconnaissance des confessions en 2015, des mariages en 2017, etc.) et par les prières qui l'accompagnaient de tous côtés tandis que l'œuvre de Mgr Lefebvre bénéficiait de la publicité que les presses catholique et profane lui réservaient en chaque occasion. De son côté, la mouvance contestant Mgr Fellay, craintive des effets de tels gestes pontificaux, souhaitait interrompre ce calendrier pour mettre entre paren­thèses la question romaine. Ne plus en parler, telle était la solution pour pouvoir reporter aux calendes grecques le proces­sus lancé par Mgr Lefebvre dès 1976 et relancé par Mgr Fellay en 2000. Outre le fait qu'une telle disposition d'étouffement contrevenait à la nécessité théologique de ne pas rechercher la désunion avec le Siège de Pierre, cette perspective ne satisfaisait pas non plus ceux qui souhaitaient au contraire multiplier les agressions verbales pour pouvoir hypothéquer et diaboliser une bonne fois pour toutes la moindre aspiration à la recherche de solutions. Sans doute plus d'un clerc, plus d'un fidèle a-t-il été blessé par cette agitation continuelle et a-t-il aspiré au repos mais il paraît bien difficile au catholique de cacher son espérance sous le boisseau et de se désintéresser de la vie de l'Église en renonçant à vivre « le déchirement » qu'a expérimenté Mgr Lefebvre à la fin de sa vie et dont il a constamment entretenu les fidèles.

Continuité des relations romaines

Il peut être alors tentant de faire de la Fraternité une fin en soi mais les soubre­sauts de la tête de l'Église ne cesseront pas d'agiter ses rangs. Comme le disait l'abbé Christian Bouchacourt il y a deux ans : « Quand l'Église souffre, la Fraternité souffre. Et tant que l'Église ne sera pas sortie de la tempête qui la traverse, nous aurons nous-mêmes le contrecoup de cette tempête ». Les prêtres et les fidèles se satisferont difficilement d'une situation précaire où il faudrait ne plus réfléchir à un équilibre entre l'attachement à certaines vérités et le principe qui unit chaque catholique au successeur de Pierre. Même si elle n'est pas d'actualité, car les évêques de la Fraternité ne sont pas âgés, la question de leur renouvellement se reposera. Mgr Lefebvre l'avait longuement anticipée. L'émergence d'un côté de prélats conservateurs aspirant à la pérennité de la Fraternité (NN.SS. Athanasius Schneider ou Vitus Huonder) et de l'autre la perpétuation par Mgr Richard Williamson de la lignée épiscopale de Mgr Lefebvre peuvent-elles légitimer demain l'état de nécessité de consacrer, sous prétexte que plus aucun évêque ne répondrait aux aspirations des fidèles ? La réponse est bien moins évidente qu'il y a trente ans.

Les rapports avec les autorités se poseront également à chaque fois que des mariages seront célébrés par des prêtres de la Fraternité Saint-Pie X car ils manifestent le lien à la hiérarchie de l'Église depuis que le pape François a admis la reconnaissance de la validité du sacrement en encourageant les évêques diocésains à accorder la juridiction ordinaire des mariages. S'affranchir délibérément de cette délégation qui est donnée sans contrepartie a inévitablement des conséquences : elle jette un véritable doute sur la validité des mariages conférés, comme les théologiens et canonistes de la Fraternité l'ont eux-mêmes précisé. Ils laissent par ailleurs entendre que l'aspect conciliaire des autorités supplanterait en elles toute forme de juridiction, voire laisserait planer un véritable doute quant à la vacance des sièges diocésains. Dès le mois de juillet, des commentateurs de l'élection estimaient pourtant que pour apaiser en interne les prêtres de la Fraternité, leurs supérieurs pourraient leur permettre de recourir indifféremment soit à la délégation ordinaire désormais accordée par les diocèses, soit à la juridiction extraordinaire qu'invoquait jadis la Fraternité. Mais un tel recours, sous couvert de générosité, n'aurait fait qu'ajouter de la confusion et du trouble. En renonçant à donner une ligne cohérente, elle viserait à juxtaposer la règle d'un côté et les entorses à la règle d'un autre côté, selon le principe même qui a détruit à petit feu la vérité lors du concile Vatican II.

C'est ce même principe de la mise sur pied d'égalité des lois et de leurs exceptions qui a prévalu lors de la rédaction d'Amoris Laetitia. On comprend que le chapitre général ait voulu avaliser la règle claire de l'acceptation de la juridiction ordinaire accordée par le pape et les évêques, en renonçant à l'écueil qui ferait planer un trouble pour le moins funeste.

Depuis 1988, la situation a indéniablement changé. Le monde traditionaliste est désormais beaucoup moins persécuté même si des formes d'opprobres peuvent toujours être observées. En trente ans, le nombre de messes traditionnelles a multiplié, les œuvres ont essaimé et les paroisses personnelles ont été reconnues. La doctrine régresse à Rome nous répondra-t-on avec justesse. C'est ce qui conforte précisément le mouvement traditionnel en suscitant les réactions et c'est ce qui empêche désormais son éradication. Il en résulte néanmoins une configuration tout en grisé où les pronostics sont déjoués, où la netteté n'apparaît pas et où la complexité s'amplifie. De nouvelles catégories de catholiques apparaissent : lefebvristes non romains ou ratzinguériens sédévacantistes, tradi-charismatiques et diocésains conservateurs. Le risque est alors grand de sombrer dans l'idéologie partisane au détriment d'une saine observation de la vie de la grâce. Et la Fraternité est invitée à affiner son discours en vertu de ce nouveau contexte.

Nous ne sommes plus dans les années 2000, encore moins dans les années 1990 ou 1980. À l'aube de la décennie 2020, l'œuvre historique phare du traditionalisme va devoir s'adapter à ces âpres réalités. Si les prières et les sacrifices sont à la hauteur, Dieu devrait lui faire entrevoir clairement les solutions et guider le supérieur qui a été amené à présider à ses destinées à les adopter.