SOURCE - François Hoffman - Monde & Vie - 6 septembre 2018
Il a été ordonné en 1996 et provient d’Italie. Il était un parfait inconnu pour les journalistes, mais aussi pour les observateurs de la mouvance traditionnelle. Qui est l’abbé Davide Pagliarani ? Il s’est occupé du district d’Italie de la FSSPX et a exercé son ministère en Argentine et à Singapour. Il est un peu à l’intersection de deux générations : celle des jeunes prêtres et l’ancienne, qui a encore connu Mgr Lefebvre. Sur le plan générationnel, son élection peut déjà représenter un compromis. Un petit indice sur son profil.
Il a été ordonné en 1996 et provient d’Italie. Il était un parfait inconnu pour les journalistes, mais aussi pour les observateurs de la mouvance traditionnelle. Qui est l’abbé Davide Pagliarani ? Il s’est occupé du district d’Italie de la FSSPX et a exercé son ministère en Argentine et à Singapour. Il est un peu à l’intersection de deux générations : celle des jeunes prêtres et l’ancienne, qui a encore connu Mgr Lefebvre. Sur le plan générationnel, son élection peut déjà représenter un compromis. Un petit indice sur son profil.
Mais pour beaucoup, l’élection par le chapitre
général de la FSSPX a été une surprise,
voire une douche froide. On pensait pourtant la
“ligne” Fellay suffisamment légitime et enracinée.
Pour certains, il y aurait comme une sorte
de “complot” au sein de la FSSPX. À sa manière,
l’élection du chapitre équivaudrait au conclave
de 2013 qui vit l’élection du pape argentin.
Comme si face à la nouvelle ligne pontificale, qui
rebute et déconcerte au-delà même des rangs
traditionalistes, la FSSPX se crispait. L’élection
aurait été préparée par des acteurs influents, et
ce bien avant que le chapitre ne se réunisse. Le
nom de Mgr Alfonso de Galarreta, cet autre
évêque de la FSSPX qui a lui aussi fêté ses 30
ans d’épiscopat, apparaît sans peine dans les
analyses. Sans étonnement, il devient assistant du
supérieur général avec l’abbé Christian Bouchacourt,
le seul Français de la nouvelle équipe.
Il y a bien une nouvelle donne à Écône. Comme
dans tout changement d’ordre politique, on a
assisté aussi à des nominations et à des évictions
symboliques. Ainsi, l’abbé Alain Nely a été
évincé du district d’Italie et l’abbé Benoît de
Jorna rapidement nommé au district de France.
Cependant, la surprise a été telle que deux
jours après ce flot de décisions, deux membres
du Conseilsont nommés: l’abbé Franz Schmidberger,
supérieur de 1982 à 1994 et Mgr Bernard
Fellay, qui le fut de 1994 jusqu’à cette
année. Comme si la nouvelle direction éprouvait
le besoin de s’entourer de deux fins connaisseurs
des milieux romains, réputés favorables à
un accord avec le pape. En effet, la nouvelle
direction semble moins appareillée dansle dossier
des relations avec Rome.
L’élection de cet été traduit aussi un changement
dans la représentation géographique de
la FSSPX.Aprèsle Suisse et l’Allemand, Écône
fait le choix d’un Italien, opérant une sorte de
déplacement géographique de son centre de gravité.
À l’exception de l’abbé Bouchacourt, les
nouveaux dirigeants ne sont pas issus des bastions
dynamiques de la Tradition. Ainsi, le
monde américain semble encore ignoré et sous représenté,
alors que ces zones de pêche limitées
pour la Tradition que sont l’Italie, l’Argentine ou
l’Espagne sont bien là. Il s’est donc passé
quelque chose à Menzingen, l’inamovible maison
générale de la Fraternité en Suisse. À ces
constats peut probablement s’ajouter une probable
réaction face à l’usure des deux longs mandats
de Mgr Fellay. Certains en ont pris ombrage,
ce qui est, somme toute, assez humain. La
FSSPX entrerait-elle dans une phase de « naphtaline
», se coupant un peu plus de la vie de
l’Église pour cultiver ses propres fondamentaux
? Il est extrêmement risqué de le pronostiquer,
car les choses sont plus complexes et les
marges de la nouvelle équipe assez limitées face
aux évolutions ecclésiales.
Le statut par morceaux de la FSSPX : l’acquis bergoglien?
La FSSPX discute depuis l’an 2000 avec Rome.
Or, en 18 ans, il y a eu beaucoup d’évolutions
redevables aux démarches de Mgr Fellay, à l’action
de Benoit XVI etsurtout, dans un paradoxe
apparent, aux initiatives de François. L’abbé
Pagliarani ne pourra que les prendre en compte.
Outre la levée des excommunications des
évêques ordonnés par Mgr Lefebvre, il faut
compter les différentes « pièces » accumulées qui
font que la FSSPX dispose aujourd’hui d’un
véritable statut par morceaux.Au fur et à mesure
des années, les éléments du puzzle canonique
se sont accumulés. Cela permet à la Fraternité
d’agir avec le tampon ecclésial jusque danssa vie
quotidienne. Il y a bien sûr la question des
confessions et des mariages. À ce titre, répondant
aux ouvertures romaines, tous les évêques de
France, sauf trois, ont donné des facultés aux
prêtres de la FSSPX afin qu’ils disposent d’une
juridiction pour marier. Récemment, lors d’une
réunion de prêtres de la FSSPX, l’abbé Jean-Michel
Gleize aurait rappelé la nécessité de disposer
de pouvoirs de la part de l’évêque diocésain
sous peine de nullité du mariage. Un appel
à ne plus agir en vase clos.
Quant aux confessions, à l’issue du Jubilé
de la miséricorde, le pape François a établi à
titre permanent la faculté pour les fidèles de la FSSPX de recevoir validement et licitement
l’absolution sacramentelle de leurs péchés
(lettre apostolique Misericordia et misera du 20
novembre 2016).
La FSSPX peut aussi juger en premier ressort
ses prêtres. Enfin, ses ordinations ne sont
plus considérées comme illégitimes au regard
de Rome. En effet, elle s’est montrée moins
rigide que certains évêques diocésains lors de
récentes ordinations sacerdotales. Concernant
les autres aspects de la vie comme l’exemption
des vœux des religieux ou la réduction à l’état
laïc des prêtres, la FSSPX a fait le choix
de recourir aux congrégations romaines.
Aujourd’hui, il est impossible d’affirmer que la
FSSPX vit dans un état d’apesanteur canonique.
Au passage, sur ce point, on peut regretter
que le travail de Mgr Fellay n’ait pas été salué.
Mais on voit difficilement l’abbé Pagliarani et
ses proches revenir sur ce mouvement constant
de rapprochement avec Rome, surtout quand
cette dernière a fait preuve de bienveillance en
mettant en veille ses exigences doctrinales. Il ne
reste en fait que peu de choses pour que le statut
soit complet. Si : l’existence d’un tribunal
d’appel (Rome jugerait alors en cassation) ou
encore la nomination à vie du supérieur (qui
n’est en aucun cas dans les statuts rédigés par
Mgr Lefebvre). Ce sont des avantages que donnerait
justement l’octroi d’une prélature personnelle,
lequel octroi représenterait la solution
la plusfavorable car elle permettrait à la FSSPX
de s’implanter sans subir le frein des diocèses.
En outre, sur le plan doctrinal, François a
clairement voulu éviter un accord compliqué à
obtenir. Il a préféré exiger la simple signature
de la profession de foi de… Pie IV. Entre la
Fraternité et le pape François, il y a bien eu
des contacts depuis 2013, nonobstant les polémiques
et les ouvertures pastorales controversées.
À Rome, il existe un dicton qui dit que la
meilleure façon d’être reçu par le pape François
c’est d’être membre de la Fraternité… En
tout cas, François est le pape contemporain qui
a le plus reçu de prêtres de la FSSPX au cours
de ces cinq dernières années. Doctrinalement
éloigné, il en est humainement proche. François
a du respect pour ces prêtres tout-terrain,
éloignés d’une logique d’Église installée.
Quitte à s’indigner que tel prêtre de la FSSPX
qu’il a rencontré ne dispose pas de facultés
canoniques… On est loin des foucades de
Paul VI ou des impasses doctrinales dans lesquelles
se complaisaient saint Jean-Paul II et
Benoît XVI. Une telle attention à la doctrine de
Vatican II peut paraître naturelle pour des papes
qui avaient fait le concile. Pour le pape François,
le concile n’est plus à interpréter. En se
fixant trop sur lui, on tombe dans le piège des
doctrines desséchées, qui ne sont d’ailleurs pas
des travers propres au traditionalisme catholique.
L’avenir de la FSSPX est lié à la nouvelle configuration ecclésiale
Au regard de tous ces élémentsfavorables, il est
peu probable que l’on entre dans une période de
glaciation. L’abbé Pagliarani lui-même semble
avoir été prudent dansle passé. Lors des discussions
doctrinales avec Rome qui eurent lieu de
2009 à 2011, il avait tenu des propos plutôt favorables.
Il devra compter avec une nouvelle cartographie
ecclésiale qui affecte la mouvance traditionnelle.
Outre le développement desinstituts
Ecclesia Dei ou Summorum Pontificum, certains
diocèses sont redevenus attractifs pour le développement
d’un clergé traditionnel. À l’exception
peut-être de la Chine, le jeune clergé est universellement
attiré par la messe traditionnelle et
par une pratique qui donne sa place à laTradition.
La soutane n’est plusrejetée. La crise à Rome et
danssa gouvernance ne saurait faire oublier que
beaucoup de changements favorables à la Tradition
ont eu lieu depuis 30 ans. La concurrence
est plus forte. Ainsi, ces derniers mois, le séminaire
d’Écône est tombé sous la barre des 35
séminaristestoutes années confondues. Une ligne
trop rigide ferait fuir les vocations vers la Fraternité
saint Pierre et d’autresinstituts. La FSSPX
sait qu’en son sein ses prêtres etsesséminaristes
peuvent se poser plus que dans les autres cénacles
la question d’aller « voir ailleurs ». Doctrinalement,
la critique des dérives ecclésiales est
plusforte. Elle n’est plusle seulfait de prêtrestraditionalistes.
Les cardinaux et les évêques sont
plus nombreux que dans le passé à monter au
front, qu’ils’agisse du cardinal Burke, du cardinal
Sarah, voire du cardinal Müller. La critique
des errances romaines ou pontificales a cessé
d’être l’apanage de prélatsisolés. Enfin, la question
de l’état de nécessité est mal posée. On est
loin d’une situation comparable à celle qui prévalait
en juin 1988. Malgré les difficultés dans
l’Église, la survie de la FSSPX n’est pas menacée.
Ses trois évêques peuvent encore ordonner
des prêtres et ils ne sont pas réputés être à l’article
de la mort. Ilse murmure même que certains
évêques diocésains ou émérites pourraient généreusement
sacrer des évêques pour la FSSPX.
Des noms peuvent être assez facilement avancés…
Un sacre est un acte qui doit obéir à des
conditions précises, non à une logique punitive
ou revancharde à l’égard de Rome comme semblent
l’attester les dérives de la « résistance »,
cette dissidence de la Fraternité qui engrange
trois sacres depuis 2015 juste pour une poignée
de fidèles… Bref, la nouvelle direction au sein de
la FSSPX ne saurait faire l’impasse sur les changements
au sein de la mouvance traditionnelle
et de l’Église. Ces paradigmes s’imposeront à
elle. Un changement à Écône ? Peut-être mais
dans une continuité qui, au fond, marque aussi le
destin de l’Église tout entière.