7 septembre 2018

[Dom Jean Pateau - Antoine Pasquier - Famille Chrétienne] Abus sexuels: «Ne tournons pas le dos à l'Église»

SOURCE - Dom Jean Pateau - Antoine Pasquier - Famille Chrétienne - 7 septembre 2018

Déboussolés par les dernières affaires d’abus sexuels, des fidèles expriment tout haut leur sentiment de honte et de sidération. Certains sont même tentés de tourner le dos à l’Eglise. Est-ce la bonne attitude à adopter en temps de crise ? Comment faire face à la situation en tant que fidèle ? Eléments de réponse avec Dom Jean Pateau, père-abbé de l’abbaye de Fongombault.
La tentation est grande chez certains de quitter l’Eglise après les dernières révélations d’actes pédophiles et le silence de ses responsables. Comment les fidèles peuvent-ils traverser spirituellement cette épreuve ?
D’abord, comme le répète souvent le Pape François, il ne s’agit pas de regarder l’Église du balcon, ou encore comme un bien de consommation qu’on prend ou qu’on laisse. Non, il n’en va pas ainsi : nous sommes l’Église. L’Église est sainte et pure en elle-même, mais elle est constituée de pécheurs dans ses membres. Il ne s’agit donc pas de tourner le dos à l’Église, mais de tourner le dos, de dire « non », aux péchés, commis parfois par des membres éminents de l’Église, abus sur mineurs, homosexualité active... Comment ceux qui devaient conduire leurs frères au Christ ont-ils pu se détourner du Christ au point de profiter des brebis confiées à leur garde ? Comment le silence, l’inaction, ont-t-il pu être gardés en face de souffrances intolérables ?

Quand de telles affaires viennent à la lumière, la première pensée des fidèles doit aller aux victimes. La souffrance doit aussi réveiller le cœur des croyants à la vue de l’image défigurée de l’Église proposée au monde. Qu’est devenu le resplendissement de son visage illuminé par le Christ, Lumen gentium, Lumière des peuples ? Nous devons tant à l’Église. L’aimer, c’est souffrir avec elle et pour elle, parfois par la faute de ses propres membres.

Enfin, ces événements éprouvent la qualité de notre foi et invitent à l’approfondir. Le Christ demeure la tête de ce corps qu’est l’Église. Purifions une vision trop humaine de l’Église, parfois aussi utilitariste, et recentrons-nous sur le Christ. Il est paradoxal de constater qu’alors que le Concile Vatican II a proposé aux chrétiens un riche enseignement sur l’Église, celle-ci semble moins aimée.
Dans son histoire, l’Église a-t-elle connu pareille crise ?
Au risque de choquer, mais considérant son histoire, je dirai que le régime habituel du chemin de l’Église sur la terre, c’est la crise ! Elle va de crise en crise. Le Seigneur l’a vécu lui aussi. Devant ses apôtres rassemblés, il annonce à Pierre que celui-ci va le renier trois fois. Pierre se récuse. Il est sûr de lui : « Même si je dois mourir avec toi, je ne te renierai pas. » (Mt 26,35) Et Pierre renie. Voilà le témoignage de celui que le Seigneur a choisi comme chef des apôtres ! Et puis, il y a le Vendredi-Saint, la débandade générale : les disciples abandonnent leur maître. Tel est l’exemple de la fidélité humaine. Les trois convoitises sont à l’œuvre aussi dans l’Église : « la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la richesse. » (1 Jn 2,16)
Comment l’Eglise s’est-elle relevée de ces différentes crises?
Comparons Pierre et Judas. Celui qui a vendu son maître, pris de remords, va rendre l’argent de son forfait. Il espère en quelque sorte réparer par lui-même le mal commis. Seul, il ne s’en sort pas et se pend. Rapportant le reniement de Pierre, saint Luc se borne à dire : « Le Seigneur se retournant posa son regard sur Pierre. Alors Pierre se souvint… Il sortit et, dehors, pleura amèrement. » (Lc 22,61-62) On relève la délicatesse de Jésus. Son regard révèle mais ne condamne pas. Les larmes de l’apôtre tirent hors d’un cœur désormais purifié les scories d’un amour propre effondré. Il doit en aller de même pour tout homme. Pour se relever, il doit accueillir le regard purifiant du Christ sur sa vie, reconnaître et pleurer ses fautes et faire pénitence.

Aussi la situation actuelle, il faut le réaffirmer fortement, doit-elle être reçue comme une invitation à se recentrer sur le Christ, à se convertir. Pour les pasteurs, Benoît XVI résumait ainsi leur vocation : un « humble serviteur dans la vigne du Seigneur. » Humilité et volonté de servir sont les conditions premières pour éviter les crises et éventuellement les résoudre.
L’ampleur du scandale est telle qu’on se demande s’il ne s’agit pas d’une manœuvre du Diable. Est-ce trop simpliste de raisonner ainsi?
Que le Diable soit à la manœuvre, cela ne fait pas de doute. Tout ce qui est mauvais est fomenté ou au moins favorisé par lui. L’ampleur du scandale est le résultat de ses séductions et de ses intrigues. Mais ce qui est tout aussi certain, c’est que tout ce qui se passe est permis par Dieu en vue d’un plus grand bien. Il est tentant de faire un parallèle avec l’année du sacerdoce promulguée par Benoît XVI en 2009-2010 où apparaissent les premières révélations des scandales sexuels causés par des prêtres : de même, la crise actuelle arrive quelques mois après que le Pape François a demandé que Marie soit fêtée dans l’Église universelle comme Mère de l’Église. Une vraie mère telle que l’est Marie travaille à la purification de ses enfants. Aussi est-il plus important de considérer l’œuvre de Dieu que celle du Diable : Dieu est à l’œuvre dans cette purification, d’autant plus urgente qu’approche le synode pour les jeunes.

Dans sa lettre au peuple de Dieu, le pape François invite les fidèles à avoir recours à la prière et au jeûne. Comment ces armes spirituelles peuvent-elles nous aider à lutter contre les abus ?

D’abord, le Saint-Père, en rappelant la nécessité de la prière et du jeûne comme moyen pour mettre en fuite les démons les plus rebelles, ne fait que reprendre l’enseignement du Seigneur (Mt 17,21 ; Mc 9,29). La prière s’adresse au Seigneur qui est tout-puissant. Elle lui demande de guérir les cœurs de ceux qui ont été abîmés par la faute des gens d’Église, de les restaurer aussi dans l’amour de Dieu, dans l’amour de l’Église, dans l’amour du prochain et dans l’amour d’eux-mêmes. La pénitence, qui n’est plus vraiment à l’ordre du jour même dans l’Église, au sein d’une société marquée par la quête du plaisir, est le moyen de contrebalancer, par un renoncement volontaire, un excès dans l’usage des biens de la terre. La prière et la pénitence contribuent aussi puissamment à faire évoluer le regard que porte l’homme sur la création. Elle n’est pas sa propriété mais le lieu d’un chemin pour aller vers Dieu.
Prier et jeûner, est-ce suffisant?
Ce regard renouvelé sur le monde, et par là-même sur la société, ne sera pas sans conséquence concrète. Dans le prolongement de la prière et du jeûne, il faut que l’Église mette en place les moyens de dépister les prédateurs, de les écarter de l’apostolat et des charges de gouvernement. Il faut aussi qu’elle enseigne de façon concrète à ses séminaristes et à ses prêtres les moyens d’affronter un monde perverti et qui conduit à la perversion. Les prêtres qui ont fauté sont d’abord des hommes, membres d’une société.

L’Église, à travers l’épreuve qu’elle vit, ne recevrait-elle pas le devoir d’interpeller la société sur ses incohérences ? Comment promouvoir une liberté sexuelle quasiment sans borne, comment imposer à tous la drogue des images provocantes dans les médias et sur les murs… et s’étonner ensuite que certains tombent ? Ces événements douloureux, qui ne touchent pas uniquement l’Église, soulignent la grave responsabilité dans l’éducation à un exercice responsable de la liberté. Construire une épave, c’est se préparer de nombreux naufrages… Au contraire, l’exemple de parents chrétiens, de familles unies, sont autant de témoignages pour des enfants. Inviter les parents à passer du temps avec leurs enfants, à les écouter, est aussi un moyen de prévenir les situations d’abus.
Un grand nombre de catholiques appellent à une purification de l’Église. Mais cette purification passe-t-elle uniquement par des réformes institutionnelles?
Non, la réforme de l’Église ne passe pas d’abord par les réformes institutionnelles, mais premièrement par la réforme des cœurs. Les événements que nous vivons incitent chacun à ré-entendre la question de Jésus à Pierre : « Simon, fils de Jean m’aimes-tu vraiment ? » (Jn 21,15) et à tirer les conséquences de la réponse qu’il apportera. C’est dans ce face à face avec le Christ que le pasteur trouvera la force quotidienne d’accomplir sa mission dans la vérité et la fidélité. Et alors il pourra penser à réformer des institutions qui, elles, n’ont pas les promesses de la vie éternelle. Enfin un mot pour conclure : ESPÉRANCE ; confiance aussi en Marie, Mère de l’Église.