Saint Benoît cite cette maxime de Jésus dans le chapitre VII
de sa Règle. Maxime absolue, principe qui s’applique pour tous sans exception aucune. Mais est-ce bien vrai ? Dans la vie, il semble que cela ne soit pas si sûr. Combien d’hommes et de femmes se sont exaltés et n’ont pas été si humiliés que cela. Quand on pense à quelques personnalités « panthéonisées », nous pouvons même en douter. Et pourtant, Notre-Seigneur l’a bien dit. Pour que ce principe se réalise, il faut tenir compte de plusieurs points.
Le premier est que ce principe se réalise de façon absolue seulement dans l’éternité. Une
personne peut s’exalter et être portée aux nues par plusieurs générations mais dans la limite du
temps présent. Dans l’éternité, en Dieu, chacun recevra selon ses mérites. La vie ne s’arrête pas
à notre horizon temporel mais se prolonge dans ce que la Sainte Écriture appelle les siècles des
siècles. C’est dans la perspective de l’éternité que la justice de Dieu se réalise pleinement, même
si ici-bas elle se réalise en partie. Car ce principe se réalise aussi dans le temps, comme l’avait
bien compris Mirabeau qui, après avoir été la coqueluche des révolutionnaires, en est devenu
la bête noire. C’est lui qui inventa cette maxime proche de celle de Notre-Seigneur : « La roche
tarpéienne n’est pas loin du Capitole », c’est-à-dire que l’endroit où l’on jetait les condamnés à
mort n’était pas loin de là où l’on couronnait les héros.
Le deuxième point est que cette maxime se réalise surtout dans la vie intérieure et surnaturelle,
dans ce cœur-à-cœur avec Dieu. Ce ne sont pas les humiliations purement extérieures et
seulement subies qui sont gages de gloire. Le diable a été et est encore aujourd’hui bien humilié.Combien de fois l’a-t-il été par Notre-Seigneur dans l’Évangile, et cependant il ne pourra en
tirer aucun profit. Bien au contraire, chaque humiliation conforte sa révolte. Être humilié ne
suffit pas, il faut y consentir et s’humilier à ses propres yeux devant Dieu. L’exemple le plus
admirable est donné par Notre-Seigneur, la personne la plus humiliée de toute l’histoire du
monde. « Lui qui, possédant la nature divine, n’a pas considéré son égalité avec Dieu comme
butin jalousement gardé mais s’est anéanti lui-même… Et Dieu lui a donné un Nom qui est
au-dessus de tout nom afin que tout genou fléchisse devant Lui… » Et Jésus est plus qu’une
magnifique illustration de ce principe : c’est lui qui donne toute sa force à ce principe. C’est lui
qui transforme les humiliations en gloire. Sans lui, ce principe serait resté lettre morte.
Le troisième point est qu’il n’y a pas d’humilité vraiment chrétienne sans la liberté des
enfants de Dieu. Ælred de Rievaulx, dans une méditation sur la Passion de Notre-Seigneur, se
demande pourquoi les Évangiles mentionnent la présence de l’ânon, le petit de l’ânesse avec
laquelle Jésus fait son entrée triomphante à Jérusalem. C’est parce que, dit-il, l’ânesse est symbole
d’humilité. Le véritable Roi entre dans sa ville, non pas sur un char tiré par des chevaux,
mais humblement sur un âne. Toute la vie de Jésus est empreinte d’une profonde humilité, de
sa naissance à sa mort. Mais l’ânon symbolise la liberté et l’exaltation face à toute adversité.
Ainsi Jésus face aux pharisiens et face à Pilate. Et la Vierge Marie nous persuade que ce principe
est vrai et immédiat, elle qui, après s’être présentée comme la servante du Seigneur, a chanté
son Magnificat, et qui est glorifiée au ciel et sur la terre comme aucune autre créature pour les
siècles des siècles.
+ F. Louis-Marie, o. s. b., abbé