SOURCE - Jean-Marie Guénois - La Croix - 4 février 2007
Mgr Ricard : «Sortons de la critique systématique pour vivre la charité fraternelle»
Celui qui a dû accueillir dans son diocèse l'Institut du Bon Pasteur, érigé par Rome, où les prêtres sont autorisés à célébrer la messe selon le rite tridentin, explique le sens de la convention qui vient d'être signée
Entretien - Cardinal Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux et président de la Conférence des évêques de France
Cela dit, cette communion appelle également la vérité. Je n’ai pas voulu que la question des divergences sur la relation au concile Vatican II et à certains de ses textes soit occultée. La réception positive de l’enseignement du Concile comme acte magistériel est une condition importante de cette communion. Car, plus que sur une question liturgique, c’est bien à ce niveau-là que s’est établi le contentieux avec ceux qui avaient suivi Mgr Lefebvre.
Je crois que, sur ce point-là, le dialogue est nécessaire. Les prêtres qui ont fondé l’Institut ont accepté d’avoir en ce domaine « une attitude positive d’étude et de communication avec le Siège apostolique, en évitant toute polémique ». L’année prochaine, nous aurons quatre catéchèses diocésaines pour adultes afin de revisiter les grandes intuitions du concile Vatican II. J’ai demandé aux prêtres de l’Institut de participer à cette réflexion diocésaine en faisant part de leur propre approche. Une écoute et un échange respectueux devraient être possibles.
Entretien - Cardinal Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux et président de la Conférence des évêques de France
La Croix : Quels sont les points qui vous paraissent essentiels dans la convention signée entre le diocèse de Bordeaux et l’Institut du Bon Pasteur ?Cardinal Jean-Pierre Ricard : Le diocèse de Bordeaux a érigé une paroisse personnelle, c’est-à-dire non territoriale (canon 518), déterminée par l’usage des livres liturgiques en vigueur en 1962. Il la confie ad experimentum pour cinq ans à l’Institut du Bon Pasteur, érigé par Rome le 8 septembre dernier. Il met l’église Saint-Éloi à la disposition de cette paroisse personnelle et intègre le fonctionnement de cette paroisse dans celui des autres paroisses du diocèse, notamment en ce qui concerne sa gestion financière.
On pensait, le 8 septembre dernier, lors de l’annonce de la création de l’Institut du Bon Pasteur, que l’accord avec le diocèse allait de soi. La signature de cette convention, le temps pour y parvenir, démontrent le contraire : quelles ont été les difficultés rencontrées ?Quand le décret de création de cet Institut par Rome (commission Ecclesia Dei) a été signé, j’ai regretté qu’une convention avec le diocèse de Bordeaux n’ait pas été signée de façon concomitante. Avec le recul, je reconnais que ce décalage dans le temps a permis un grand débat dans les conseils du diocèse (conseil presbytéral et conseil pastoral diocésain), le début d’une meilleure connaissance mutuelle et un ajustement de nos positions respectives. Après des années d’ignorance mutuelle, de polémiques et de contentieux (en particulier à propos de l’utilisation de l’église Saint-Éloi), la confiance ne se crée pas du jour au lendemain. Je crois que les contacts et les rencontres que nous avons eus à l’occasion de cette convention ont permis, ces derniers mois, d’en ouvrir le chemin.
Le décret romain du 8 septembre exprimait une décision du Saint-Siège et vous n’aviez pas caché avoir été mis devant le fait accompli. Le texte de la convention insiste au contraire sur l’initiative du diocèse de Bordeaux : avez-vous retrouvé une liberté d’action et toute votre responsabilité épiscopale sur ce dossier ?Le décret romain et les statuts donnés à l’Institut stipulaient que celui-ci bénéficierait d’un usage exclusif des livres liturgiques de 1962. J’ai donc tenu compte de cette décision. Le décret ne donnait pas d’indication particulière sur une mission pastorale dans le diocèse de Bordeaux. Cela restait du ressort de l’archevêque et du diocèse. Ma liberté était grande sur ce point. Elle m’a même permis de préciser un point du décret, à savoir que l’église Saint-Éloi ne pouvait être aujourd’hui le siège de l’Institut que parce qu’une paroisse personnelle lui était confiée sur Bordeaux. En effet, il ne m’est pas possible de confier une église municipale dont le diocèse est affectataire à une institution qui n’aurait pas une mission pastorale dans le diocèse. Sur ce point en particulier, les choses sont rentrées dans l’ordre.
La négociation en vue de cet accord a-t-elle fait progresser votre connaissance réciproque, voire votre communion, ou a-t-elle gelé les positions ?Je dois avouer que j’ai été inquiet après la création de cet Institut par Rome par des affirmations comme « Nous avons gagné », « Nous n’avons rien cédé », « Nous serons les sauveurs d’une Église en ruine » ! De tels propos ont eu des effets ravageurs. La signature d’une convention dans cet état d’esprit n’aurait pas été possible. Or, je sens aujourd’hui chez l’abbé Laguérie et les prêtres de l’Institut du Bon Pasteur une volonté d’être en pleine communion avec Rome et d’intégrer, sous ma responsabilité épiscopale, la famille diocésaine.
Vous insistez beaucoup sur la dynamique de communion – vous instituez même une commission de dialogue. Pensez-vous qu’un tel objectif soit réalisable dès lors que vous ne cachez pas une forte « divergence » sur le concile Vatican II ?Je pense que cette communion qui est un don de Dieu est aussi une tâche à réaliser et que cette tâche est réalisable. Elle demande relations, connaissance mutuelle, dialogue et échange. Sur la suggestion du conseil presbytéral, j’ai mis sur pied une commission de dialogue (de prêtres et de laïcs) pour faciliter ces relations. Elle a été bien acceptée par les prêtres de l’Institut. Sortons de l’époque de la polémique, des jugements à l’emporte-pièce, de la critique systématique pour vivre la charité fraternelle et l’estime et le respect mutuels. Dans la foi, je crois aux fruits de communion que l’Esprit Saint peut susciter dans son Église.
Cela dit, cette communion appelle également la vérité. Je n’ai pas voulu que la question des divergences sur la relation au concile Vatican II et à certains de ses textes soit occultée. La réception positive de l’enseignement du Concile comme acte magistériel est une condition importante de cette communion. Car, plus que sur une question liturgique, c’est bien à ce niveau-là que s’est établi le contentieux avec ceux qui avaient suivi Mgr Lefebvre.
Je crois que, sur ce point-là, le dialogue est nécessaire. Les prêtres qui ont fondé l’Institut ont accepté d’avoir en ce domaine « une attitude positive d’étude et de communication avec le Siège apostolique, en évitant toute polémique ». L’année prochaine, nous aurons quatre catéchèses diocésaines pour adultes afin de revisiter les grandes intuitions du concile Vatican II. J’ai demandé aux prêtres de l’Institut de participer à cette réflexion diocésaine en faisant part de leur propre approche. Une écoute et un échange respectueux devraient être possibles.
L’abbé Laguérie avait estimé que cette convention pourrait servir de « prototype » pour d’autres diocèses : le président de la Conférence des évêques que vous êtes encourage-t-il une telle diffusion ?Cette convention est faite pour le diocèse de Bordeaux et fait référence à une situation particulière. Il est toujours possible de s’en inspirer, mais chaque évêque reste juge dans son diocèse de l’opportunité ou pas de faire appel à l’Institut du Bon Pasteur.
La décision du 8 septembre a provoqué une onde de choc dans le catholicisme français et beaucoup d’interrogations subsistent à propos d’un éventuel motu proprio libéralisant la messe tridentine. Vous êtes membre de la commission Ecclesia Dei en charge de ce dossier à Rome, le Saint-Siège va-t-il vraiment poursuivre cette voie de réforme ?Benoît XVI souhaite poursuivre un travail de réconciliation avec ces prêtres et fidèles qui ont quitté la pleine communion avec le Siège de Pierre (en particulier la Fraternité Saint-Pie-X). Il se pose également la question d’une « libéralisation » de la messe tridentine. Le pape a en mains tous les éléments du dossier. Il prend son temps avant d’arrêter sa décision sur une question de cette importance.
Recueilli par Jean-Marie GUENOIS