« Combats » ou réformes ? - par Yves Chiron
Le motu proprio sur la messe traditionnelle, qui portera aussi sur « la nouvelle messe » dit-on à Rome, est toujours en attente de publication. Le 17 février dernier, lors de la célébration, à Paris, du 30e anniversaire de la « prise » de l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, Mgr Fellay, Supérieur général de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, a reconnu : « Jusqu’où va-t-il ? Nous n’en savons franchement rien. »
Il a insisté surtout sur la nécessité de poursuivre le « combat ». La publication d’un motu proprio sur la messe ne sera qu’une étape, a estimé Mgr Fellay. Il a ajouté : « Est-ce que cela veut dire la fin d’un combat ? […] Si vous le pensez, vous vous trompez. […] L’histoire de notre combat pour la Tradition n’est pas finie. […] Notre combat n’est pas que la messe. […] Il y a tout le reste. Et cela nous vaudra encore de bons combats. »
Cette position du Supérieur général de la FSSPX est, bien sûr, celle de l’abbé Grégoire Celier dans les entretiens qu’il a eus avec Olivier Pichon et qui sont publiés dans un volume à paraître le 2 mars. L’ouvrage, déjà annoncé dans le précédent numéro d’Aletheia, s’intitule : Benoît XVI et les traditionalistes. Le titre est assez trompeur, car il est, finalement, peu question de Benoît XVI, de ce qu’il a déjà accompli en tant que Souverain Pontife et de sa vision ecclésiale. Mais le livre mérite d’être lu car il expose, de manière approfondie et claire, la perception de la crise de l’Eglise qu’a la FSSPX[1].
L’abbé Celier, qui joue un rôle grandissant dans la communication de la FSSPX, répond aux questions d’Olivier Pichon, ancien professeur en classe préparatoire, agrégé d’histoire, ancien élu politique, directeur du magazine bimensuel Monde et Vie depuis 2003. Ce magazine, qui a été longtemps l’écho de la FSSPX en France, a, depuis 2003, pris davantage d’indépendance.
C’est Jean-Luc Maxence, rédacteur à Monde et Vie, et directeur de la collection « Connivences » aux éditions Entrelacs, qui est à l’origine de ce livre d’entretiens. Le ton entre les deux interlocuteurs est libre, même si l’on comprend bien, à lire le livre, que les questions et les réponses n’ont pas fait seulement l’objet d’un dialogue oral mais aussi d’un travail écrit. Olivier Pichon pose des questions sans concession, poussant l’abbé Celier dans ses retranchements, bien qu’il n'arrive pas toujours à obtenir de réponse claire de la part de son interlocuteur[2].
On passera sur les quelques erreurs factuelles, telle celle de faire figurer le grand théologien suisse Hans Urs von Balthasar parmi les représentants de la « nouvelle théologie » au concile Vatican II. Balthasar ne fut point parmi les « periti » officiels du concile ni même théologien de quelque évêque ; il en fut d’ailleurs quelque peu chagriné.
Autre point historiquement contestable : le rôle des six observateurs non-catholiques au sein du Consilium créé en 1964 pour mettre en œuvre la réforme liturgique voulue par Paul VI. L’abbé Celier, à la suite de nombreux auteurs et journalistes traditionalistes depuis plus de trente ans, majore leur rôle et leur influence et les voit comme les agents d’une protestantisation de la nouvelle messe. Mgr Bugnini, qui fut le secrétaire de ce Consilium, a contesté cette influence dans son gros livre sur la réforme liturgique[3].
Qu’ils n’aient pas été inactifs et silencieux, on en conviendra aisément. Les recherches en cours de Stéphane Wailliez montreront sans doute l’influence réelle qu’ils ont pu avoir. Mais, on voit mal comment ces 6 « observateurs », anglicans et protestants, auraient pu avoir un rôle déterminant dans un Consilium qui a compté 58 « membres », plus de 150 « consulteurs » et plus de 70 « conseillers ».
J’ajouterai qu’un de ces observateurs non-catholiques, Max Thurian, s’est converti ensuite au catholicisme et il est devenu prêtre. Lui qui avait écrit, en 1969, que la « nouvelle messe » pouvait être dite par des protestants (« théologiquement c’est possible » écrivait-il), a été, dans les années 1990, très sévère pour l’application de la réforme liturgique.
Cela dit, on sera tout à fait d’accord avec l’abbé Celier pour estimer que dans cette question de la réforme liturgique, « Paul VI n’a été ni trompé, ni circonvenu : il a su, il a voulu, et on ne peut l’exonérer de la responsabilité première de la situation actuelle de la liturgie. »
On sera attentif aussi aux éléments positifs qu’il reconnaît dans la réforme liturgique : « Une partie de ce qui a été mis en œuvre dans la réforme liturgique postconciliaire est d’ailleurs intéressant. Par exemple, le fait d’allumer le cierge pascal au cours du baptême constitue une innovation, mais qui se trouve profondément en accord avec la tradition liturgique. Personnellement, je trouve que saint Pie V a eu la main un peu lourde en supprimant certaines préfaces : on pourrait songer à les réintroduire. Mgr Lefebvre, pour sa part, était favorable à ce que les lectures du début de la messe (ce que l’on appelle aujourd’hui la « liturgie de la Parole ») soient faites face au peuple, et non pas à l’autel. Nous ne sommes pas des opposants de principe à toute réforme liturgique ».
Ce genre de propos est trop peu souvent lu sous la plume de prêtres de la FSSPX pour ne pas être relevé. Plus loin, on lira les pages sur l’avenir possible de la liturgie en France : la « messe pipaule » (mélange du rite « Pie » et du rite « Paul »). Hormis ceux qui peuvent, et pourraient à l’avenir, célébrer exclusivement selon le rite traditionnel, l’abbé Celier pense que les autres prêtres pourraient, progressivement, « réenraciner dans la tradition liturgique la liturgie qu’ils célèbrent en public (donc la liturgie nouvelle) », en y important « tout simplement des parties de la liturgie traditionnelle qu’ils célèbrent plus occasionnellement. »
Cette vision, assortie d’un nom comique, n’est pas loin de celle de la « réforme de la réforme » évoquée depuis longtemps par celui qui est devenu le pape Benoît XVI.
Les analyses de l’abbé Celier sur le concile Vatican II constituent une autre partie importante du livre. Même s’il ne le dit pas, on sait que pendant très longtemps, les textes du concile Vatican II n’étaient pas étudiés dans les séminaires de la FSSPX. L’abbé Celier pense le moment venu d’ une « étude vraiment globale, vraiment systématique et vraiment scientifique du concile » par la FSSPX[4].
On trouvera d’autres analyses intéressantes dans ce livre de dialogues. Les évêques de France qui, pour la plupart, n’ont qu’une connaissance superficielle de la FSSPX, pourraient le lire avec profit. Même s’ils risquent de conclure comme Olivier Pichon : « J’ai beaucoup appris en votre compagnie, même si je ne suis pas convaincu en tout point par vos explications. »
[1] Olivier Pichon et abbé Grégoire Celier, Benoît XVI et les traditionalistes, Editions Entrelacs (204 boulevard Raspail, 75014 Paris), 250 pages.
[2] Évoquant le protocole d’accord signé le 5 mai 1988 entre Mgr Lefebvre et le cardinal Ratzinger, protocole rompu par le premier le lendemain, l’abbé Celier estime : « il aurait été rompu de toutes les façons par le cardinal Ratzinger le 7 mai ou à peu près ». Son interlocuteur s’étonne : « Etes-vous bien sûr que le cardinal Ratzinger, compte tenu de ce que nous savons maintenant de lui comme pontife, aurait rompu l’accord ? ». L’abbé Celier se contente d’affirmer : « chacun est allé à la limite de son élasticité et a compris que, pour le moment, l’accord n’est pas vraiment possible ». La position du cardinal Ratzinger était, me semble-t-il, très différente.
[3] Annibale Bugnini, La Riforma liturgica (1948-1975), Rome, CLV-Edizioni liturgiche, 1983, p. 203-205.
[4] Il en arrive ainsi à considérer – même s’il ne les cite pas – les colloques sur le concile Vatican II organisés par des institutions de la FSSPX ou proches d’elle comme des « premières analyses forcément fragmentaires ».