Depuis quarante ans, des partisans de la messe en latin réclament de pouvoir la célébrer selon le rite de saint Pie V. Benoît XVI s'apprête à leur concéder cette faveur. Plusieurs fois annoncé par des collaborateurs directs du pape, le motu proprio, une décision personnelle qui devrait être rendue publique avant le 9 juillet, instaurera deux formes de célébration dans le rite romain : une forme ordinaire qui suit le missel de Paul VI (publié en 1970, suite au Concile Vatican II), et une autre, extraordinaire, fidèle au missel de 1962, présentant le rite de saint Pie V dans sa dernière version modifiée par Jean XXIII.
Comme il l'a expliqué à une quinzaine d'évêques convoqués au Vatican le mercredi 27 juin, ce motu proprio vise à retrouver le « trésor » que représente le missel de saint Pie V, trop vite écarté selon Benoît XVI alors qu'il a nourri la vie spirituelle et liturgique de l'Eglise pendant des siècles, jusqu'en 1970.
Au-delà, le pape espère apporter une réponse aux demandes des catholiques traditionalistes proches de la Fraternité Saint-Pierre et fait une nouvelle tentative pour rallier les 400 000 lefebvristes présents principalement en France, mais aussi en Allemagne, aux Etats-Unis et dans quelques pays d'Amérique latine. Dès la fin des années 1960, ceux-ci ont suivi l'étendard brandi par Mgr Marcel Lefebvre pour refuser le nouvel Ordo voulu par le Concile.
Un dialogue jamais vraiment interrompu
Depuis le XVIe siècle et saint Pie V, l'usage du seul rite romain s'était imposé dans toutes les paroisses catholiques latines du monde, même si subsistaient des rites particuliers : ambrosien (Milan), mozarabe (Tolède), dominicain, lyonnais. Après un long travail préparatoire et les décisions de Pie XII pour restaurer le caractère unique de la Semaine sainte et de la Vigile pascale, le Concile a tiré profit du Mouvement liturgique lancé dès le XIXe siècle avec la restauration de la vie monastique en Europe. A la suite du Concile, des excès d'adaptation (que Benoît XVI condamne durement) ont pu être commis dans des célébrations. Ils ne sont pas pour autant représentatifs d'une réforme jalonnée de bien des étapes et de quelques soubresauts. Ce renouveau va susciter également la forte opposition d'une mouvance catholique dont Mgr Marcel Lefebvre a pris la tête. Ancien archevêque de Dakar, au Sénégal, puis évêque de Tulle, en Corrèze, Mgr Lefebvre a participé à tous les travaux du Concile. Elu supérieur général des Pères du Saint-Esprit (spiritains), il a été mis en minorité par les membres de sa congrégation, en 1968, à cause de ses prises de position hostiles au concile Vatican II. L'évêque de Fribourg (Suisse) l'autorise à fonder un séminaire à Ecône. Mais, rapidement, Mgr Lefebvre s'oppose à la hiérarchie en ordonnant illégitimement des prêtres. Cela lui vaut d'être suspendu a divinis en 1976.
Paul VI va alors tenter une réconciliation par l'intermédiaire des cardinaux français Gabriel-Marie Garrone et Jean Villot, puis en le recevant personnellement. Début 1979, quelques mois après son élection, Jean-Paul II fait de même avant de charger le cardinal Joseph Ratzinger de renouer des liens et d'entretenir le dialogue. Un accord est même signé le 5 mai 1988 pour éviter un schisme. Dès le lendemain, Mgr Lefebvre renie son engagement et ordonne, en juin, quatre évêques sans l'aval du pape. Selon le droit de l'Eglise, et en pleine connaissance, ils sont excommuniés. Pour ne pas rester sur cette situation d'échec et prouver sa bonne volonté, Jean-Paul II promulgue, en juillet 1988, le motu proprio Ecclesia Dei afflicta.
Dans le même temps, la commission pontificale Ecclesia Dei est mise en place pour favoriser l'accueil de ceux qui ne veulent pas suivre Mgr Lefebvre dans le schisme, à l'exemple de la Fraternité Saint-Pierre qui réunit, depuis lors, les prêtres et les séminaristes qui souhaitent célébrer le rite de saint Pie V tout en demeurant dans l'Eglise catholique. Des communautés religieuses comme les bénédictins du Barroux ont, elles aussi, franchi le pas.
En près de vingt ans, la commission Ecclesia Dei, désormais présidée par le cardinal Castrillon Hoyos et dont le cardinal Jean-Pierre Ricard est membre, a mis en application les divers accords signés. Une nouvelle tentative de réconciliation a eu lieu avec Mgr Bernard Fellay. Le successeur de Mgr Lefebvre, décédé en 1991, et actuel supérieur général de la Fraternité Saint-Pie-X a été reçu par Jean-Paul II en 2000 puis par Benoît XVI en août 2005, sans aboutir à une entente réelle. Enfin, le 8 septembre 2006, l'Institut du Bon-Pasteur a été créée pour réunir cinq prêtres issus de la Fraternité Saint-Pie-X autour de l'abbé Laguérie, ancien curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris, en délicatesse avec sa communauté d'origine. Chaque pas supplémentaire accompli a ainsi permis le retour de quelques fidèles et de prêtres. Mais n'a jamais interrompu le schisme.
Il est vrai que motu proprio n'a pas pour seul objet de conduire à la réconciliation. S'il entend, par ce décret, tendre la main aux courants traditionalistes et lefebvristes, Benoît XVI poursuit un objectif plus large : redonner sa légitimité à une messe qu'il considère comme partie intégrante des richesses de la liturgie. Et inviter les fidèles du monde entier à conserver vivants les « immenses trésors spirituels, culturels et esthétiques de la liturgie ancienne », comme l'a souligné le cardinal Dario Castrillon-Hoyos, président de la commission Ecclesia Dei et, à ce titre, un des artisans de ce motu proprio. |