19 mars 2012

[Stéphanie Le Bars - Le Monde] Le "pas en avant" des lefebvristes vers l'Eglise


SOURCE - Stéphanie Le Bars - Le Monde - 19 mars 2012

L'accord n'est pas signé et on ne peut donc pas formellement parler d'avancée historique. Mais comme le porte-parole du Vatican l'a lui-même reconnu, mercredi 18 avril, il s'agit "d'un pas en avant, d'une évolution encourageante". Aussi prudente soit-elle, cette déclaration signe une étape décisive dans le long feuilleton des relations entre le Vatican et les membres de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX), le mouvement intégriste fondé par Mgr Marcel Lefebvre (1905-1991) en 1970.

Après deux réponses négatives, qualifiées d'"insuffisantes" par Rome, Mgr Bernard Fellay, le supérieur de la Fraternité, a fourni, le 17 avril, une ultime réponse au "préambule doctrinal" mis sur la table par le pape en septembre 2011. Cette fois, a aussi précisé le porte-parole du Vatican, la réponse "est différente des autres". Elle est "positive" a, pour sa part, affirmé le vaticaniste Andrea Tornielli, sur le site spécialisé Vatican Insider.
 
S'il se confirme que les deux parties sont parvenues à un accord en dépit de divergences fondamentales sur les enseignements du concile Vatican II, la voie serait ouverte à la résorption du dernier schisme en date dans l'Eglise catholique. Tout au moins sur le papier. La réponse officielle de Benoît XVI est attendue dans les prochaines semaines, après l'examen de la réponse intégriste par la Congrégation pour la doctrine de la foi, le 25 avril.
200 000 FIDÈLES
L'enjeu de ce rapprochement, amorcé en 2007 par le pape, vise la réintégration dans le giron de l'Eglise catholique des troupes lefebvristes, évaluées à près de 200 000 fidèles (dont une grande partie en France) et plus de 500 prêtres. Benoît XVI, meurtri par le "schisme d'Ecône", provoqué en 1988 par l'ordination de quatre évêques par Mgr Lefebvre malgré l'interdiction papale, a fait de "l'unité retrouvée de l'Eglise" l'une des priorités de son pontificat.
 
Depuis cinq ans, le pape n'a pas ménagé ses efforts pour aboutir ; au risque de paraître concéder beaucoup aux schismatiques, critiques virulents des principaux points du "désastre" que fut à leurs yeux le concile Vatican II - liberté religieuse, oecuménisme, dialogue interreligieux, collégialité des évêques - ou des "dérives" liturgiques auxquelles il a donné lieu, et pourfendeurs réguliers du clergé ou des fidèles conciliaires.
 
Après avoir reçu Mgr Fellay, quatre mois seulement après son élection, en 2005, le pape accède en 2007 à l'une des demandes des intégristes et autorise le rétablissement de la "messe en latin", en vigueur avant le concile. En 2009, un deuxième geste a un retentissement inattendu : Benoît XVI lève les excommunications prononcées à l'encontre des quatre évêques ordonnés illégalement par Mgr Lefebvre. L'un d'eux est un négationniste notoire et la décision du pape va brouiller les relations du Vatican avec les communautés juives à travers le monde. Au-delà de leur rejet des autres religions, les intégristes sont réputés pour leur antisémitisme persistant.
 
La même année, satisfaisant à la troisième requête des intégristes, Benoît XVI ouvre une discussion doctrinale et théologique avec la Fraternité, une démarche considérée par certains comme une potentielle trahison du concile. Les experts des deux parties vont se rencontrer à huit reprises.
 
Dans le même temps, la Fraternité poursuit ses critiques à l'encontre de l'Eglise et du pape et ordonne des prêtres, en infraction avec le droit canon. Elle rejette aussi à plusieurs reprises le préambule doctrinal, dont on sait seulement, comme le précise un proche du dossier, qu'il "demande la reconnaissance du magistère des conciles et des papes, de la liturgie conciliaire, tout en laissant ouverts à la discussion les points de divergence". Cette fois, selon Vatican Insider, Mgr Fellay aurait accepté ce texte sans changements substantiels.
"UNE ÉTAPE, NON UNE CONCLUSION"
De son côté, la Fraternité a tenu à préciser qu'il ne s'agissait encore que d'une "étape et non d'une conclusion". Face aux gestes répétés de Rome, la responsabilité historique d'un échec pèserait sur la Fraternité, analyse toutefois un proche du dossier. Dans l'attente du texte définitif, il souhaite que "ce pas en avant ne soit pas simplement tactique, car Mgr Fellay a souvent soufflé le chaud et le froid".
 
Si elle se concrétise, la signature pourrait donner lieu à de multiples interprétations et à de potentiels conflits dans l'Eglise et au sein même de la Fraternité. Certains y verront une victoire de la tradition, refaisant son entrée en force dans l'Eglise. D'autres un succès du pape qui rallie les intégristes au droit commun. Les conséquences restent hypothétiques. Sur le terrain, il est probable que cela ne change pas grand-chose. La FSSPX vit en vase clos avec ses écoles, ses lieux de culte et ses séminaires. Le pape devrait en outre lui accorder une prélature personnelle, lui conférant une assez large autonomie par rapport aux évêques locaux.
Mais les trois autres évêques intégristes suivront-ils Mgr Felley, alors qu'un quart des fidèles, notamment en France, sont réputés hostiles à une réintégration ? Si un seul refuse l'accord, le schisme perdurera. Comment le clergé et les fidèles, qui ont subi les attaques de cette communauté, accueilleront-ils cette décision ? Que penseront de ce geste les "désobéissants", prêtres et fidèles demandeurs d'évolutions de l'Eglise sur le mariage des prêtres ou l'ordination des femmes, et qui ont récemment été rappelés à l'ordre par le pape ?
 
Comme Mgr Hippolyte Simon, vice-président de la Conférence des évêques de France, pour qui "un schisme est toujours un malheur", plusieurs évêques français reconnaissent qu'il faudra "du temps et de la pédagogie" pour gérer cette situation nouvelle. Mais sur le fond, ils veulent croire que les célébrations prévues cette année pour le 50e anniversaire du concile Vatican II feront la preuve que le pape "n'entend rien brader de Vatican II" et que son pontificat s'inscrit "dans la continuité, sans renier ni la tradition ni le concile".