C’était il y a 25 années, dans
les premières heures du 25 mars, le Lundi-Saint 1991: Monseigneur Marcel
Lefebvre s’endormait dans les bras de Notre-Dame. Cette année ce sera le
Vendredi-Saint, mais rien ne peut nous empêcher de nous souvenir de ce matin de
fête choisi par Dieu pour appeler à Lui son bon et fidèle serviteur.
Tout semble avoir été dit sur Mgr
Lefebvre, mais encore aujourd’hui certains ne retiennent de lui qu’une partie
de son action pour l’Église.
Certains ne veulent voir en lui
que le refus des nouveautés conciliaires.
D’autres ne voient en lui que le
refus de la liturgie nouvelle.
Mais qui voit en lui, non l’homme
des refus, mais l’homme de la fidélité totale, le serviteur de la vie de
l’Église, et donc serviteur de sa doctrine et serviteur de la Messe, défenseur
de sa foi et défenseur de sa Messe, sauveur de sa Tradition et sauveur de son
sacerdoce ?
Car la religion catholique n’est
pas seulement une doctrine ou une liturgie ! Elle est une vie ! Elle
n’est pas toute contenue, enfermée dans un certain nombre de vérités ou de
dogmes ! Elle est une vie :
vie de l’âme, vie de foi, d’espérance et de charité… Vie qui peut exister en
toute perfection même là où la doctrine n’est qu’imparfaitement connue, pourvu
qu’elle soit implicitement acceptée. Cela est une pensée chère à St Thomas
d’Aquin, qui évoque parfois une « vetula » que nous serions peut-être
tentés de mépriser.
« Mon juste, dit en effet le
Seigneur (Habacuc, 2,4) vit par la foi. Et cela est si manifeste qu’aucun
philosophe, avant l’avènement du Christ, par tous ses efforts, ne put en
savoir autant sur Dieu et les vérités nécessaires à la vie éternelle, qu’une
vieille femme après l’avènement du Christ au moyen de sa foi. (Commentaire du
Credo)[…]Mais est-il vrai que la charité qui est avec la science, soit
suréminente à celle qui est sans la science. Il semble que non, parce qu’alors
un théologien sans vertu aurait une charité plus excellente qu’une pauvre femme
qui serait sainte. (Commentaire Ephésiens III,19) […] Une petite vieille en
sait bien plus de ce qui se rapporte à la foi que tous ces philosophes. […] Mais
quelle est la petite vieille qui ne sait pas aujourd’hui que l’âme est
immortelle ? La foi peut beaucoup plus que la philosophie, par conséquent,
si la philosophie s’oppose à la foi, on ne peut l’accepter. (Sermo
Attendite a falsis) »
Avis aux
« ratiocineurs » de tout poil et de tout bord, et qu’on relise plutôt
le si beau chapitre de Mgr Lefebvre sur « le mystère de la Croix »,
dans son « Itinéraire spirituel », qui fut son testament, ou encore
le chapitre sur « le Saint-Sacrifice de la Messe » dans
la « Lettre aux catholiques perplexes ».
Si l’attachement à l’ancien Ordo
Missae et le refus du Novus Ordo fut la base pratique fondamentale du combat
entrepris par Mgr Lefebvre, et demeure la nôtre, son principal grief envers le
Concile est de nature foncièrement doctrinale, car portant sur la présence en
son sein de thèses modernistes mortifères, incompatibles avec
l’enseignement traditionnel de l’Eglise, et inconciliables avec l’esprit de la
liturgie et du sacerdoce traditionnels.
Sur ce point, il faut être bien
attentif à na pas considérer la liturgie comme une simple règle de prière, variable
et sans rapport avec la doctrine, comme une simple dévotion ou un ajout
sacramentel. Bien au contraire, la Messe – avant d’être une liturgie – est une
doctrine incarnée ! Elle est l’Incarnation de la foi. Elle est la
Rédemption en acte, la foi qui vit et qui se célèbre, la foi magnifiée,
habillée de pourpre et d’or, chantée pour faire entendre au ciel et à la terre
la voix de Jésus-Christ et les battements de son cœur ; elle est aussi
éducation de toute l’âme des participants, pour leur faire aimer et chanter
leur foi et leur amour envers Jésus-Christ. Elle est le « Mysterium
fidei » que célèbre l’Église pour rendre à Dieu tout honneur et toute
gloire, par, avec et en Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Dom Gréa, en 1909, écrivait dans
son bel ouvrage « la sainte liturgie »: « La prière liturgique
est le plus excellent hommage qui puisse être rendu à Dieu par l’homme sur la
terre; tout ce qui la diminue est un malheur public, et sa suppression est le
dernier châtiment dont Dieu menace les cités: “Je ferai cesser en ce lieu la
voix de l’Epoux et de l’Epouse” (Jer.7,34 – 16,9 – Apoc.18,23), le solennel
colloque de Jésus-Christ et de l’Eglise.
La sainte liturgie revêt, en
effet, tous les caractères de l'Eglise elle-même et participe à ses notes
glorieuses ; par son antiquité, elle remonte aux apôtres; elle est une dans sa
substance et, comme la tunique de la reine, elle n'admet de diversité que dans
les ornements et, pour ainsi dire, les perles et les broderies qui
l'embellissent; elle est universelle et appartient à tous les lieux comme à
tous les temps; elle est sainte de la sainteté même du Saint-Esprit, qui
l'anime au dedans et qui, parlant dans les Saintes Ecritures et dans la
Tradition, forme toute la trame des paroles sacrées.»
Si tout cela n’est que
« piété » sans lien avec la doctrine, je me demande ce qui le
sera ! Et le pape Paul VI le savait bien, lui qui, selon l’aveu de son ami
et confident Jean Guitton « était soucieux, par esprit œcuménique, de
diminuer les obstacles. Et il pensait que la liturgie nouvelle, préparée par
Bugnini (à qui il donnait sa confiance) pouvait rapprocher les protestants et
les catholiques soit en adoucissant l’aspect sacrificiel et
« tridentin » de la messe de St Pie V, soit en se rapprochant des
liturgies les plus anciennes, où le sacrifice est implicite. »
La Messe tridentine est
sous-tendue par la doctrine du Concile de Trente, et elle le véhicule avec
toute son âme, comme le NOM est sous-tendu par celle de Vatican II, qu’il
véhicule sans âme mais de toute la force de l’autorité qui l’a promulgué. Ainsi
on devient et on demeure « tridentin » par le seul fait de participer
à la messe tridentine, de se laisser porter, former et instruire par sa
liturgie, sans toujours s’en rendre compte. Et l’on devient conciliaire par la
fréquentation des rites conciliaires, sans même l’avoir recherché. C’est ainsi
que des « conciliaires » naïfs et sincères sont devenus incapables de
comprendre les motifs de nos refus. Pour eux, il est naturel d’assister à ces
rites ! Et il faut être un géant de la vie intérieure pour « demeurer
pareil » malgré l’esprit des rites.
Et je dois avouer que j’ai du mal
à comprendre comment on peut se dire attaché à la Messe Tridentine et en
réclamer l’usage, sans jamais dire une parole contre les doctrines qui la contredisent !
Il faudra bien qu’un jour ces sociétés qui ont obtenu de pouvoir user d’un
droit reconnu par Benoit XVI, nous expliquent comment elles s’arrangent avec
leur conscience pour ne jamais émettre la moindre réserve sur les prédications
de ceux qui le leur ont accordé ! Comment nommer ce comportement…? Je
n’ose évoquer le cas de ce bon père bénédictin qui ose même défendre et
justifier les thèses conciliaires les plus avancées !
C’est évidemment la raison du
combat mené par Mgr Lefebvre, non seulement pour maintenir et sauver la
liturgie et la Messe, mais aussi pour refuser les doctrines nouvelles énoncées
par le Concile. Son attachement – et le nôtre – à la doctrine et à la Messe est
un et total, sans possibilité de séparer l’un de l’autre. Et sans l’avoir
recherché et sans le savoir peut-être, il fut un bel exemple de cette forte
pensée de Psichari : « Ça n'est pas difficile, le progrès. Je
n'admire pas. Ce qui est difficile, au contraire, c'est de rester pareil,
d'être le roc battu de tous les orages, mais qui reste debout et qu'aucun
ouragan n'ébranlera ». (L’Appel des armes, p.33)
Daigne la Vierge de
l’Annonciation nous accorder cette fermeté et cette fidélité qui nous feront
vivre dans la cohérence d’une foi qui devient prière et d’une prière qui ne dit
rien de moins que la foi que nous avons reçue de l’Église lors de notre
baptême.
Saint et généreux Carême et
Sainte et fervente Semaine Sainte à tous dans la joie de célébrer notre foi et de
chanter notre amour à notre Dieu crucifié par amour et ressuscité pour notre
espérance.