29 février 2016

[Ennemond - Le Forum Catholique] La théorie fumeuse de deux Églises institutionnelles

SOURCE - Ennemond - Le Forum Catholique - le 29 février 2016

Hier, une poignée de traditionalistes, les plus passionnés, s’arrogeaient une mini-autorité pour décréter qui était le pape, qui ne l’était pas. Ils ont constitué ce qu’il est convenu d’appeler le sédévacantisme. Mgr Lefebvre a rejeté de façon définitive la théorie qui consisterait à prétendre que le pontife romain serait un usurpateur et qu’on ne pourrait de ce fait le placer dans la chaîne des successeurs de Pierre, sinon, il serait impossible, expliquait-il, de trouver une solution à la crise. Qui décréterait la fin de cette dernière ? Qui devrait rétablir le véritable pape ? Qui le désignerait ? Autant de questions auxquelles les sédévacantistes ne pouvaient répondre tandis que leur nombre allaient en diminuant à mesure que ce nouveau contexte s’étalait sur les mois, les années, puis les décennies.

Le fondateur de la Fraternité Saint-Pie X a tellement insisté sur ce rejet du sédévacantisme que parmi ses fidèles une petite minorité, tout en étant attirée par ces thèses hâtives et tout en conservant l’idée de demeurer fidèle à l’archevêque, ont inventé une forme de sédévacantisme larvé. Ils ont laissé de côté la gênante question du pape pour, de la même manière, dire de façon définitive du haut de leur seule autorité que l’Église que le pape conduirait ne serait pas l’Église. Le mirage ne se situerait pas à l’échelon du pape, mais de l’Église elle-même. Il y aurait deux Églises qui se feraient face : l’une conciliaire serait animée à Rome, l’autre catholique et on ne saurait pas bien où se trouve son gouvernement. Peut-être à Rome, peut-être à Écône ou Saint-Nicolas, peut-être à Londres ou à Avrillé. Ce ne serait plus du sédévacantisme mais de l’ecclésiovacantisme. On pourrait alors poser les mêmes questions sur l’issue aventureuse de cette théorie. Qui relancera la véritable Église ? Qui la dirige vraiment aujourd’hui ? Le collège cardinalice, pourtant peuplé de modernistes, en fait-il toujours partie ? S’il est un collège d’une fausse Église, peut-il élire le véritable pape ? Bref, on retombe dans une suite de questionnements extravagants et sans réponse.

Où donc les « théoriciens » de ces propositions amphigouriques, avançant qu’il y aurait deux Églises distinctes, tirent-ils leur idée fumeuse ? Selon leurs propos, de la déclaration de Mgr Lefebvre du 21 septembre 1974 qui parlait de deux Rome : la « Rome éternelle » à laquelle il voulait demeurer fidèle, opposée à la « Rome de tendance néo-moderniste » qu’il refusait complètement. Deux ans plus tard, il a d’une certaine manière réutilisé cette analogie en parlant d’une nouvelle Église avec « ses sacrements, sa foi, son culte, ses catéchismes ». Mais il s’agissait bien évidemment d’une analogie. Sinon, il aurait été inconséquent pour Mgr Lefebvre de continuer des pourparlers et même de les envisager dix ans plus tard avec une Église qui aurait été un ersatz d’Église. On notera d’ailleurs que nos « théoriciens » datent la naissance de la soi-disante nouvelle Église du code de Droit Canon de 1983. Mgr Lefebvre a pourtant prononcé sa déclaration analogique des deux Rome en 1974… Les dominicains d’Avrillé prétendent de leur côté que Mgr Lefebvre avait définitivement conclu en 1978 que l’Église constituée des prélats romains n’était pas vraiment l’Église catholique. Pourtant c’est avec ces mêmes prélats qu’il préparait des accords dix ans plus tard.

A suivre ce montage élaboré de fraîche date, on aurait donc eu un fondateur de la Fraternité qui, pendant des années, aurait littéralement trompé les fidèles en leur faisant croire qu’il allait les faire reconnaître par une fausse Église, animée par des comédiens. Une telle vision confine à l’absurdité car elle extrapole une analogie et en fait déduire des conclusions nocives. C'est le propre du raisonnement univoque. Quand Mgr Lefebvre parlait d’Église conciliaire, il ne parlait pas d'une institution. Il parlait bien réellement de la mouvance progressiste qui s’est installée dans les cadres de la Sainte Église. Avec cette dernière, fondée par le Christ, et malgré les méfaits des clercs corrompus, il n’a jamais voulu rompre et avec ses représentants légitimes, quoique parfois bien indignes, il a toujours désiré parvenir à un accord pour être reconnu.

Vouloir conclure à une opposition entre deux Églises institutionnelles revient à solliciter outre-mesure une analogie circonstancielle. Prenons un exemple bien connu. Sous la IIIe République, les observateurs ont, par commodité, théorisé une opposition entre « les deux France » : Il y aurait eu d’un côté la France républicaine et anticléricale, héritière de la Révolution et imbibée des idées maçonniques ; de l’autre la France catholique et monarchique, héritière de l’histoire des rois et des saints. Il s’agissait bien évidemment de présenter deux mouvances cohabitant en France, l’une relevant de ce qu’a toujours été la France, l’autre étant un véritable corps étranger qui s’est niché dans l’esprit de dirigeants corrompus. Mais il ne s’est trouvé à l’époque aucun esprit tordu pour décréter que ces deux France étaient deux pays différents, avec des gouvernements différents, des ambassades différentes, des institutions différentes. Sinon, pourquoi ne pas avoir poussé l’analogie encore plus loin pour passer de l’absurdité à la folie : On aurait pu s’ingénier à localiser ces deux France sur une carte comme nous aurions essayé de calculer la distance qui sépare en kilomètre la Rome éternelle de la Rome conciliaire. Cela n’aurait évidemment eu aucun sens.

Ces quelques mots n’ont d’autre but que de montrer que pousser l’analogie un peu trop loin, c’est risquer de faire abstraction de sa raison. En tout cas, définir des vérités en les fondant sur des analogies ou des comparaisons qui visent avant tout à faciliter la compréhension, conduit toujours à contrefaire la vérité. C’est en général ainsi que sont nées les grandes hérésies, à coups de sophismes et de raisonnements captieux. Même des esprits brillants y ont sombré.