17 mai 2016

[Paix Liturgique] À Guadalajara, la réalité tranquille des Silencieux


SOURCE - Paix Liturgique - Lettre n°542 - 17 mai 2016

Nous avons vu, dans notre lettre 540, comment le Mexique avait répondu, sans attendre la France et avec une fermeté plus grande, aux troubles conciliaires et post conciliaires. Cette semaine, nous allons, à travers la présentation de l'apostolat exemplaire mené à Guadalajara par deux jeunes prêtres de la Fraternité Saint-Pierre (FSSP), nous pencher sur le phénomène des silencieux dans un pays où le catholicisme est longtemps demeuré classique dans sa pratique comme dans son expression.
I – L'installation de la Fraternité Saint-Pierre au Mexique
Guadalajara, capitale de l'état mexicain de Jalisco, est le centre d'une agglomération de 4 millions d'habitants. Plus de 90% de la population y est catholique et la fête de Notre-Dame de Zapopan, le principal sanctuaire marial local, regroupe autour de 3 millions de personnes chaque année en décembre. Les communautés religieuses y sont nombreuses, les prêtres y jouissent encore d'un grand respect et la plupart des fidèles n'imaginent pas communier autrement que sur les lèvres. Quant au séminaire diocésain, il compte plus de 600 séminaristes ce qui en fait, et de loin, le séminaire le plus fréquenté au monde.
           
C'est en 2006-2008, au moment du Motu Proprio Summorum Pontificum que l'idée de l'implantation de la Fraternité Saint-Pierre à Guadalajara va commencer à se dessiner. Au cours de pèlerinages auprès des sanctuaires mariaux mexicains menés par l'abbé Jonathan Romanoski, séminariste nord-américain fasciné par les Cristeros et la Vierge de Guadalupe, des contacts vont se nouer non seulement avec des familles locales mais aussi avec le cardinal Sandoval Iñiguez, à l'époque archevêque de Guadalajara. L'idée d'un apostolat sur place va prendre forme et se concrétiser en 2008, au moment de l'ordination sacerdotale de l'abbé Romanoski. En juillet 2009, l'abbé Kenneth Fryar, ordonné en 2004 pour la FSSP après avoir passé une quinzaine d'années au Mexique comme frère franciscain, va être nommé titulaire de la « quasi paroisse Saint-Pierre-aux-Liens » (1) érigée à ce moment par le cardinal Sandoval. L'abbé Romanoski, connu localement sous le nom de Padre Romo, l'accompagnera dès l'origine comme vicaire.
    
En 2014, comme nous l'avions rapporté dans notre lettre 454, l'abbé Romanoski a célébré pour 300 des séminaristes du diocèse. Cette messe, qui n'a pas été pour l'heure suivie d'effets concrets à l'intérieur du séminaire, a cependant permis de mieux faire connaître à la fois la liturgie traditionnelle et le Motu Proprio mais aussi la Fraternité Saint-Pierre au clergé local. En effet, pour les catholiques de Guadalajara, tout ce qui avait à voir avec la « messe lefebvriste » selon l'expression longtemps employée localement, était forcément en opposition ou du moins en rupture avec Rome.
II – Un apostolat dynamique
L'église actuellement assignée à la quasi paroisse est Notre-Dame-du-Pilar, située en plein cœur historique de Guadalajara. Les prêtres de la FSSP y célèbrent deux messes dominicales (à midi et à 19h) et la messe quotidienne. Des prêtres diocésains y célèbrent deux messes en espagnol le dimanche mais, contrairement à ce que l'on observe d'ordinaire, le sanctuaire est normalement paré pour la forme extraordinaire et ce sont les servants de la messe ordinaire qui installent et retirent l'autel versus populum. Le mélange paisible voulu par Benoît XVI est ici un fait. La quasi paroisse compte un autre lieu de culte, dans une zone plus résidentielle de la ville, où est célébrée la messe dominicale à 10 heures.
    
La communauté Summorum Pontificum est désormais forte de près de 350 paroissiens, dont seulement un tiers (essentiellement les fidèles de la seconde chapelle) connaissait la liturgie traditionnelle avant l'arrivée de la FSSP. Ce qui veut dire que, des 200 fidèles qui remplissaient en ce quatrième dimanche après Pâques l'église du Pilar où nous assistions à la messe, la plupart sont des silencieux qui, en dépit d'un contexte liturgique et doctrinal encore préservé, ressentent le besoin et le désir d'une majeure solennité, d'une manifestation plus claire de la transcendance et d'une catéchèse structurée.
    
De cette catéchèse et de la pédagogie qui l'accompagne ni Padre Romo ni son nouveau vicaire, l'abbé Daniel Heenan, ne sont avares. Pour preuve, chaque dernier dimanche du mois, à l'issue de la messe, l'abbé Romanoski se met à la disposition des nouveaux fidèles pour leur présenter tout à la fois le Motu Proprio de Benoît XVI, le statut de la quasi paroisse, la Fraternité Saint-Pierre et les grandes lignes de la liturgie traditionnelle et de ce qui va avec. Ce dimanche 24 avril, comme nous avons pu le constater de nos yeux, une vingtaine de personnes ont participé à cette présentation ponctuée de nombreuses questions auxquelles le Padre Romo a répondu avec soin en dépit de l'heure avancée (les portes de l'église ont été fermées vers 14h30).
    
Pendant ce temps, les fidèles habituels et leurs nombreux enfants devisaient allègrement autour de la boutique de la communauté (livres, objets religieux), dressée sous le porche de l'église. Quant à l'abbé Heenan, il n'a pas cessé de confesser ou presque. Il faut dire que, durant les offices, les portes principales de l'église sont fermées, ce qui oblige les fidèles à accéder à l'église par une chapelle latérale dans laquelle trône le confessionnal...
    
Un certain nombre des familles que nous avons rencontrées pratiquent l'école à la maison et sont très demandeuses d'un fort accompagnement catéchétique et spirituel – pour les enfants mais aussi pour les parents – et donc très heureuses des efforts déployés par les abbés Romanoski et Heenan. D'autres familles, venues notamment de communautés comme les Légionnaires du Christ ou l'Opus Dei, très implantées au Mexique, y sont tout simplement habituées et sont heureuses de pouvoir continuer à en bénéficier dans leur nouvelle paroisse d'élection. Ce qui est sûr c'est qu'en dépit de leur jeunesse et de leur fort accent « gringo », ces deux jeunes prêtres répondent parfaitement aux attentes de leurs ouailles.
III – Vers un pré-séminaire en langue espagnole
En début d'année, la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre a annoncé qu'elle allait ouvrir à Guadalajara, en 2018, un pré-séminaire pour les aspirants hispanophones à son séminaire nord-américain de Denton, au Nebraska, où les cours et la vie quotidienne sont en anglais. L'abbé Berg, supérieur général de la FSSP, était d'ailleurs attendu sur place au lendemain de notre visite pour faire un point sur ce projet.
    
Dès cet été, en fait, jeunes espagnols et sud-américains pourront en effet venir passer un mois au prieuré de Guadalajara pour y perfectionner leur anglais, leurs connaissances liturgiques et bénéficier d'une direction spirituelle en vue de les aider à discerner leur vocation. En parallèle, les abbés Romanoski et Heenan, accueillent régulièrement des confrères nord-américains désireux de se familiariser avec la langue, la culture et la spiritualité de ces catholiques d'origine mexicaine qui représentent une part toujours plus importante des fidèles des paroisses des États-Unis.
IV – Les réflexions de Paix liturgique
1) La tradition catholique n'a pas de frontières. Il est bon de le savoir mais encore mieux de le constater de ses propres yeux comme nous avons pu le vérifier, grâce à nos donateurs, lors de notre séjour à Guadalajara. Merci donc à tous ceux qui contribuent par leur générosité à l'existence de cette lettre de Paix liturgique qui s'efforce d'apporter, chaque semaine, des éléments de réflexion originaux sur la liturgie traditionnelle et l'apostolat qui l'accompagne. Merci aussi aux abbés Romanoski et Heenan et à tous les fidèles de la quasi paroisse de Guadalajara pour la grande et joyeuse gentillesse avec laquelle ils nous ont accueillis.
    
2) Les silencieux de l'Église ne connaissent pas les frontières et se retrouvent sur tous les territoires catholiques de la planète, de Singapour au Nigeria et de la Finlande au Mexique. Là, comme chez nous, les silencieux représentent la plus grande partie des fidèles… mais les silencieux sont et restent silencieux c'est-à-dire des fidèles catholiques discrets voire en retrait, tant face aux mouvements de résistance catholique que face aux bouillonnements modernes. Toutefois, les silencieux sont toujours prêts à se révéler dès l'instant que leurs positions peuvent s'exprimer librement et pacifiquement. C'est ce que nous découvrons aujourd'hui à Guadalajara en voyant se multiplier des fidèles Summorum Pontificum dans un diocèse où l'offre traditionnelle semblait jusqu'à présent satisfaite. Nous avons ici une nouvelle illustration de ce que nos sondages avaient démontré, à savoir qu'il est malhonnête de réduire le nombre des fidèles attachés à la messe traditionnelle à ceux d'ores et déjà liés aux communautés traditionnelles.
    
3) En dépit du contexte sédévacantiste local, que nous avons décrit dans notre lettre 540 et qui faisait que, jusqu'à l'arrivée des prêtres de la FSSP, tout le monde pensait la messe traditionnelle étrangère à l'Église officielle (2), l'apostolat Summorum Pontificum de Guadalajara a attiré en quelques années plus de 300 fidèles dont la grande majorité suivait, jusque-là, la liturgie ordinaire. C'est dans ce contexte nouveau que le Motu Proprio de Benoît XVI prend tout son sens : puisque la messe traditionnelle n'a jamais été interdite et qu'elle est désormais célébrée régulièrement dans de nombreux diocèses, les silencieux peuvent enfin pouvoir vivre leur foi catholique au rythme de la forme extraordinaire sans risquer d'apparaître comme de dangereux révolutionnaires, pour peu que cette occasion leur soit offerte près de chez eux à un horaire familial. Les bancs remplis de Notre-Dame-du-Pilar confirment que le monde dit « traditionaliste » n'était que la partie émergée d'un catholicisme traditionnel que, mois après mois et partout dans le monde, la lente avancée du Motu Proprio Summorum Pontificum révèle davantage.
    
4) L'ouverture d'un pré-séminaire à Guadalajara, annoncé pour 2018 par la FSSP, est une très bonne nouvelle. Les petits séminaires diocésains, viviers de vocations, ont fermé leurs portes presque partout en Europe. En Italie, ils sont en grande crise : à Rome même, le Petit Séminaire Pontifical, magnifique maison installée au plus haut de la colline vaticane, ne compte plus qu'une dizaine de petits séminaristes. Pour tenter de pallier à cette disparition, des années de spiritualité (dans les séminaires traditionnels) ou de propédeutique (dans les séminaires diocésains) ont été instaurées mais le dommage demeure immense pour le recrutement des vocations et pour la formation aux humanités des futurs clercs.
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(1) Le terme de « quasi paroisse » est celui utilisé dans le décret d'érection. « Quasi » signifie que l'église affectée à la FSSP n'est pas encore érigée en paroisse à cause des circonstances particulières (canon 516). De fait, le lieu de culte principal de la « quasi » paroisse a changé depuis 2009. En revanche, les prêtres desservant la « quasi paroisse » détiennent toutes les autorisations et les registres pour administrer les sacrements à leurs fidèles.
     
(2) Dans un récit publié à la fin de l'année dernière sur le blog 1P5, l'abbé Romanoski raconte comment, au début de l'apostolat de Guadalajara, tout le monde – y compris les personnes bien disposées – qualifiait les prêtres Summorum Pontificum et les messes qu'ils célébraient de « lefebvristes ».