Il est bien vrai que le monde a bien changé ! Nous ne sommes plus ni au Moyen-Age, ni sous Louis XIV, ni même sous Pie XII ! Nous pouvons le regretter mais il serait illusoire d’imaginer que nous puissions vivre comme au siècle dernier !
Cela dit, avons-nous pensé à nous
interroger – avant de dire qu’on ne peut plus vivre comme autrefois, qu’il faut
être de son temps et s’adapter au monde tel qu’il est devenu – sur le rôle de
l’Eglise, et notre rôle à nous chrétiens. Il y a peu de temps, je lisais ces
lignes si sages d’un commentateur actuel, suite à la dernière exhortation du
Pape.
« Le
problème, avec l’Église catholique, est que les médias et le public voudraient
qu’elle soit à l’image des autorités de la société civile, qu’elle écoute le
sens du vent qui souffle et qu’elle s’adapte au siècle et à ses évolutions.
Contresens énorme ! L’Église n’est pas là pour répondre aux souhaits des
pécheurs que nous sommes. Ce n’est pas une institution civile.
Elle est une
institution divine : Jésus-Christ répandu et communiqué dans le monde,
pour le sauver. Celui-ci n’a pas attendu notre époque pour savoir dans quel
sens le vent soufflait. Il est l’éternité. L’absolu. Le mystère. Celui dont
tout découle. Père, fils et Saint-Esprit. Il n’a rien à voir avec la
sociologie, la politique, la psychologie, nos petits problèmes d’épanouissement
personnel par rapport à notre agir, notre moi, notre ego !
Le pape qui
est le chef de cette Église ne peut pas la faire évoluer. Il n’en a ni le
pouvoir ni les moyens. Nous ne sommes pas dans le domaine des raisonnements
humains, simplement et trop humains. La démocratie n’a pas voix au chapitre.
Quelle que soit la majorité, l’erreur reste l’erreur, la vérité reste la vérité
et le dogme demeure le dogme.
Qu’attendons-nous
de l’Église ? S’il s’agit, pour nous, d’en faire notre chose, selon nos
caprices, nos attentes, nos besoins subjectivement appréciés, elle n’est plus
catholique. Si, par contre, il s’agit de savoir comment nous pouvons être
rachetés et quelle est la voie du salut pour notre âme, alors notre mère
l’Église est prête à nous écouter, nous pardonner, nous entendre, pleurer avec
nous, nous emmener sur le chemin de la miséricorde et nous conduire au ciel.
Il n’est qu’un
problème dans le monde contemporain : l’inconscience de notre besoin le
plus fondamental, celui du rachat de nos péchés, notre totale omerta sur la vie
éternelle, le salut de nos âmes et notre perte de vue de l’éternité… Car la vie
sur cette terre n’est qu’un passage vers l’au-delà. »
Cela est le premier point, le
plus fondamental. Mais nous pourrions aussi tenter de réfléchir un peu pour
savoir si le monde a changé en bien ou en mal ? Cela peut sembler
enfantin, mais beaucoup hélas, n’y réfléchissent guère, semble-t-il.
Le monde a donc changé dans
l’ordre matériel, dans le domaine des techniques nouvelles, cela est
incontestable. Et cela peut être un bien, si les progrès réalisés sont utiles
et servent vraiment à améliorer la vie humaine, matérielle, intellectuelle,
sociale et même spirituelle. Et si nous savons nous en servir pour cela !
Mais dans l’ordre moral, les
changements survenus sont-ils un progrès, un mieux ? La réponse est
évidente, me semble-t-il. Depuis que la république a proclamé son matérialisme
et sa laïcité, laquelle n’est en rien une neutralité passive, le monde où nous
vivons a perdu son âme, et les hommes de caractère sont devenus introuvables,
même dans la Sainte Eglise, hélas !
La foi est remplacée par la
science ;
La charité est remplacée par le
sentiment humanitaire ;
Quant à l’espérance... elle est
morte !
Je me souviens encore de cette
chanson pleine de nostalgie que chantaient autrefois les Frères Jacques : « Pleurez
Pierrots, poètes et chats noirs, la Lune est morte ce soir... »
Ils chantaient la nostalgie de
cette lune qui faisait rêver les poètes, cette lune dont il n’est plus possible
de rêver depuis que les hommes ont marché sur elle. Et c’est votre cœur que
l’on crève, la corde qu’on vous passe au col ! Il va falloir aller plus loin,
par delà des millions d’étoiles à la recherche « de l’étoile qui vous fera
rêver demain »….Dans mon jardin depuis la veille, ne chante plus le
rossignol...
Se trouvera-t-il un poète pour
chanter la tristesse d’un monde sans espérance, sans âme, sans autre finalité
que de posséder et jouir sans fin ? Le monde aujourd’hui a piétiné l’espérance, et il est impossible de
découvrir dans ce monde quelque vestige de cette étoile qui nous fera rêver
demain, cette étoile qui est la recherche d’un monde plus beau, plus pur, plus
vrai… pour lequel nous sentons en nos âmes un attrait que rien ne peut
anéantir.
Le monde d’aujourd’hui n’est plus métaphysique Il a été décapité; il a
perdu la tête au sens propre : il a perdu sa raison d’être et de vivre, il
n’a plus de finalité ! Il tourne sur lui-même comme un fou ! Englué
dans la matière et le sensible, il cultive l’art de paraître et l’art de jouir,
l’art d’avoir, de calculer et de compter … alors que l’âme aspire à être, à
aimer et à chanter en silence !
Gustave Thibon, dans la préface à « deviens ce que tu es »
écrivait au sujet du fils de Marcel de Corte, mort à 18 ans : « Absent
de sa propre existence, il n'était qu'accueil à toutes les formes du savoir, de
la beauté et de l'amour - et tout ce qui lui avait été ravi sous l'aspect caduc
de l'avoir lui était rendu au centuple dans la sphère incorruptible de l'être. »
Être, savoir, aimer dans le silence et la pauvreté… pour rencontrer Dieu,
si pauvre et qui ne possède rien, mais qui est intensément, source de
tout être et immuable béatitude.
Être au lieu d’avoir – Être au lieu de paraître – aimer au lieu de jouir,
sous quelque forme que ce soit !
Être ce que je suis, tout simplement, sans chercher à plaire ni à
déplaire,
Être ce que je dois être, et non ce que sont les autres,
Être chrétien, quitte à ne pas ressembler aux autres,
Être chrétien, quitte à ne pas agir comme les autres et s’interdire certains
comportements devenus habituels,
Être chrétien, quitte à ne pas être aimé, à être moqué, être haï…être
condamné. Avons-nous parfois songé à cette parole de Notre-Seigneur ?
« Le monde ne peut vous haïr; moi, il me hait, parce que je rends
de lui le témoignage que ses œuvres sont mauvaises. » N’est-ce pas la
mission du chrétien de rendre ce même témoignage ? Et comment se fait-il
que le monde ne nous haïsse pas ? Il hait les chrétiens qui se battent
pour le demeurer et il nous laisse encore relativement tranquilles !
Aimer, se donner au bien, au vrai, au beau… quels que soient les
sacrifices à consentir pour cela !
Aimer Jésus-Christ, sa Mère et les saints, et mépriser sans orgueil et
sans haine ceux qui ne savent qu’en rire, et n’aspirent qu’à jouir comme des
bêtes à peine plus évoluées dans l’art d’inventer des recettes pour des
plaisirs plus raffinés !
Il est vrai que notre société n’admet plus la Croix, celle de
Jésus-Christ, la vraie, celle qui arrache et fait pleurer, celle qui purifie et
qui libère notre être profond ! Elle n’aime que les religions sans croix,
le judaïsme, l’Islam… « religions » honorables car sans
sacrifice !
Et l’Eglise elle-même est devenue amorphe et sans voix ; elle n’ose
plus rendre au monde « le témoignage que ses œuvres sont
mauvaises ! »
Et nous voudrions nous adapter à ce monde-là ?
Nous rougirions de ne pas ressembler aux sans-dieu qui vivent à nos côtés
et ne savent rien des joies de l’esprit, du cœur et de toute l’âme ?
Mais cela ne serait même plus du respect humain, de la coquetterie, de la
vanité, etc… Ce serait bel et bien de la trahison envers ce Jésus que nous
disons aimer, et envers ces prochains auxquels nous refuserions de susciter en
eux le goût de cette autre chose qu’ils ignorent !
A la Salette, la Vierge pleurait
sur les sociétés sans dimanche, sur les dimanches sans Dieu. Pleure-t-elle
aujourd’hui sur les chrétiens qui oublient la croix, pour qui elle n’est plus
qu’une œuvre d’art, une image glissée dans un missel (quand il y a encore un
missel) ou un geste qui n’est plus un signe, qui ne signifie rien, fait sans
âme, par habitude ? Pleure-t-elle sur ces chrétiens qui se vêtent, se
distraient, vivent comme ceux qui ne le sont pas ?
Que Dieu nous garde de faire
pleurer notre Sainte Mère, et soyons fidèles à suivre le « sillage du
Christ », dans cette folle et confiante espérance de les retrouver en cet
autre monde pour lequel nous avons été créés et rachetés.