16 février 2017

[Anna Latron - La Vie] FSSPX : Ce qu'ils disent (et pensent) du pape François

SOURCE - Anna Latron - La Vie - 16 février 2017

Depuis le 27 février 1977, il y a 40 ans, la Fraternité Saint-Pie-X (FSSPX) occupe l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, à Paris. Alors que la commission pontificale Ecclesia Dei, chargée du dialogue avec elle, serait toujours en train de travailler sur une forme juridique pour l’accueillir, petit tour d’horizon sur ce que ses responsables disent du pape François.
     
« La situation de l'Église est un vrai désastre, et ce pape est en train de la rendre 10.000 fois pire. » En octobre 2013, moins d’un an après l’élection de François, Bernard Fellay ne mâchait pas ses mots lors d’une conférence et d’une homélie, reprises (en anglais) par le site du journal américain Catholic Family News, proche de la Fraternité Saint-Pie-X . Trois ans plus tard, dans un communiqué du 29 juin 2016, les propos du supérieur général de la FSSPX reprennent les mêmes thèmes, de façon à peine plus policée : « La proclamation de la doctrine catholique exige la dénonciation des erreurs qui ont pénétré en son sein, malheureusement encouragées par un grand nombre de pasteurs, jusqu’au pape lui-même. »
     
Sans surprise, Mgr Fellay se montre depuis le début du pontificat très critique, mais en prenant soin d'adapter son discours selon qu'il s'exprime en interne ou en externe. Le contexte joue évidemment : les négociations avec Rome, qu'on a pu croire rompues juste avant le départ de Benoît XVI, ont repris après l'arrivée de François, ce qui conduit le supérieur de la Fraternité à souffler le chaud et le froid.
« Quelque chose ne va pas avec ce pape »
Le froid, d'abord, et même le froid polaire. En 2013, Mgr Fellay enfonçait le clou : « Si le pape actuel continue comme il a commencé, il va diviser l'Église. Il fait tout exploser. Les gens vont finir par dire : c'est impossible qu'il soit le pape, nous ne voulons pas de lui. (…) Il provoque la colère. » « Depuis le début nous avons le sentiment que quelque chose ne va pas avec ce pape. Depuis le début il cherche à se distinguer et à être différent de tout le monde.»
     
Estimant avoir affaire à « un authentique moderniste », il ajoutait, à propos des confidences, interviews et appels téléphoniques de François : « Nous n'avons peut-être pas une vue d'ensemble à l'heure actuelle, mais nous en avons suffisamment pour être terrorisés. » Ces déclarations, peu surprenantes mais particulièrement tranchées, s'inscrivaient également dans le contexte d'une nette hausse de ton de la part des lefebvristes, un an après le premier échec des négociations avec Rome.
     
Et bien entendu, c'est aussi souvent par opposition à son prédécesseur que Bernard Fellay juge l'actuel évêque de Rome. Dans un long entretien paru le 21 mars 2016 sur le site d’information de la FSSPX, il insiste sur le « côté conservateur » de Benoît XVI, sur « son amour pour l’ancienne liturgie, son respect pour la discipline antérieure dans l’Église».
La FSSPX, une « périphérie »
Pour autant – sans basculer non plus dans un enthousiasme excessif –, certains aspects de la personnalité de François semblent presque trouver grâce aux yeux du supérieur général de la Fraternité. « Chez le pape François, on ne voit pas cet attachement ni à la liturgie, ni à la discipline ancienne, on pourrait même dire : bien au contraire, estimait-il encore dans le même entretien de 2016. Une des explications est la perspective du pape François sur tout ce qui est marginalisé, ce qu’il appelle les “périphéries existentielles”. Je ne serais pas étonné qu’il nous considère comme une de ces périphéries auxquelles il donne manifestement sa préférence.»
     
En se positionnant délibérément sur ce leitmotiv du pontificat que sont les « périphéries », Mgr Fellay envoie évidemment un message à Rome. Mais il salue aussi à demi-mots l'insistance pastorale du pape, jusqu'à la recontextualiser en partie dans le discours classique de la FSSPX sur l’Église et la mission. Il voit ainsi chez François « une accusation assez constante contre l’Église établie, (…) qui est un reproche fait à l’Église d’être auto-satisfaite, une Église qui ne cherche plus la brebis égarée. (…) On voit très bien que lorsqu’il dit “pauvreté”, il inclut aussi la pauvreté spirituelle, des âmes qui sont dans le péché (…). Et dans cette perspective-là, il voit dans la Fraternité une société très active, et qui est prête à se retrousser les manches pour cela.»
     
En somme, au-delà des inquiétudes et des divergences, un accord serait toujours possible. « La Divine Providence se débrouille pour mettre de bonnes pensées chez un pape qui, sur beaucoup de points, nous effraye énormément, avoue Mgr Fellay. Elle se débrouille pour nous faire passer à travers ces écueils, d’une manière très surprenante. Très surprenante, car il est très clair que le pape François veut nous laisser vivre et survivre.»
Un pape inclassable
Dans les plus récents propos de Mgr Fellay, on note une difficulté manifeste à situer clairement ce pape « atypique (…) dans une de nos catégories habituelles ». Ainsi, dans une interview au National Catholic Register, le 13 mai 2016, il explique que c’est l’« un des grands problèmes, car la façon normale de juger quelqu’un est de partir de ses actes et d’en conclure qu’il agit ainsi parce qu’il pense de telle façon. Mais si vous remontez à une doctrine, ou parfois une idéologie, avec ce pape vous êtes complètement perplexe, puisqu’il fait une chose un jour et le lendemain il fait ou il dit presque le contraire. (…) Il faut comprendre que son approche ne se situe pas à ce niveau : (…) il a affirmé qu’il considère la doctrine comme un obstacle dans les rapports avec les gens. Pour lui ce qui est important c’est la vie, la personne ; alors il essaie de voir la personne et là, si je puis dire, il est très humain. Maintenant, quelles sont ses motivations ? (…) Il paraît comme quelqu’un qui voudrait voir tout le monde sauvé, que tout le monde ait accès à Dieu, comme un sauveteur qui défait sa corde de sécurité pour se mettre lui-même dans une situation risquée afin de sauver d’autres personnes.»
     
D'où ce point qui pourrait sembler à première vue paradoxal : la FSSPX paraît se féliciter des bonnes grâces du pape jésuite, alors même que son prédécesseur pouvait sembler un meilleur interlocuteur en vue d'une réconciliation. Mais on se souvient que les discussions sous Benoît XVI étaient conditionnées à la signature par la Fraternité d'un « préambule doctrinal » qui incluait l'acceptation des textes du concile Vatican II. Dans un sermon prononcé en avril 2016 au Puy-en-Velay, Mgr Fellay affirmait même que Benoît XVI, face au refus constant des lefebvristes de signer le texte, aurait été prêt à aller jusqu'à excommunier la FSSPX. Or, selon une source interne – anonyme – à la Fraternité citée par l'hebdomadaire anglais The Catholic Herald, l'aspect doctrinal serait nettement moins important aux yeux du pape François : « Il ne s'intéresse pas du tout à la théologie, et donc ça lui est plutôt égal que nous continuions à rejeter Vatican II. Et il est bien plus autoritaire que Benoît XVI, si bien que s'il décide qu'il veut que l'accord ait lieu, il balaiera les obstacles, personne n'osera s'opposer à lui.»
« J'essaie de comprendre ce qu'il fait»
C'est aussi à cette lumière que les lefebvristes accueillent les pas faits par le pape François dans leur direction, en considérant notamment comme licites les absolutions accordées par leurs prêtres à l’occasion du Jubilé de la Miséricorde. Dans une interview à Terres de Mission le 29 janvier dernier, le supérieur général de la FSSPX revenait d'ailleurs sur l’extension de cette mesure au-delà de l’année jubilaire : « Je crois, je peux me tromper, que cela vient de ce souci de s’occuper de ces gens que le pape reproche à l’Église, disons dans son ensemble, d’avoir oubliés ou mis de côté », expliquait-il. Selon lui, ce geste du pontife et l’exhortation apostolique Amoris Lætitia « viennent d’un même mouvement. Et ce mouvement c’est un souci du Saint-Père pour les rejetés de tous bords».
     
Mgr Fellay avait d’ailleurs déjà insisté sur ce point trois jours plus tôt sur Radio Courtoisie : « Pour une bonne partie de ces âmes qui sont dans la difficulté, elles s’y trouvent parce qu’elles ont été heurtées par la loi (…). Donc on a un pape qui a un problème avec la loi (…) et qui va essayer de voir s’il n’y a pas moyen – non pas de faire sauter la loi, je ne crois pas que ce soit son idée –, mais de voir s’il y a quand même un chemin pour eux. » Et de conclure : « J’essaie de comprendre ce qu’il fait, mais ce n’est pas facile.»