16 février 2017

[DICI] Amoris lætitia: «Evêques contre évêques, cardinaux contre cardinaux»

Les cardinaux Gerhard Müller
(à gauche) et Reinhard Marx.
SOURCE - DICI - 16 février 2017

Dans un message publié le 1er février 2017, au sujet de l’interprétation de l’exhortation post-synodale Amoris lætitia, la Conférence des évêques d’Allemagne estime qu’il « faut respecter une décision des fidèles de recevoir les sacrements », et que les divorcés « remariés » peuvent avoir accès à la communion dans certains cas.
    
Les évêques allemands prennent soin d’affirmer que l’indissolubilité du mariage appartient au trésor intangible de la foi de l’Eglise, mais que néanmoins le pape François appelle à un regard différencié sur chaque situation de vie. Selon eux, les personnes concernées doivent expérimenter que l’Eglise ne les abandonne pas. Et des solutions différenciées doivent pouvoir être examinées lorsque la reconnaissance de la nullité d’un mariage n’est pas possible, tout en évitant une attitude trop laxiste et un comportement trop sévère.
     
Les prélats allemands tiennent à préciser qu’il ne s’agit pas « d’automatisme en direction d’un accès général de tous les divorcés remariés aux sacrements ». La décision en conscience ne peut être que le résultat d’un examen sérieux et d’une démarche spirituelle accompagnée par un prêtre. A la fin de ce processus, l’accès au sacrement de réconciliation et à l’eucharistie ne sera pas forcément accordé dans tous les cas. – On se souvient comment la communion dans la main, initialement exception pastorale, est devenue une règle universelle.
    
Au même moment, le cardinal Gerhard Ludwig Müller, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, a accordé un entretien à la revue d’apologétique Il Timone de février. Il y met en garde les évêques qui interprètent le magistère. Selon lui, Amoris lætitia « est clairement à interpréter à la lumière de toute la doctrine de l’Eglise ». « Il n’est pas correct, que tant d’évêques interprètent Amoris lætitia selon leur propre façon de comprendre l’enseignement du pape », ajoute-t-il. Le haut prélat fait allusion non seulement à ses confrères allemands, mais aussi aux évêques de l’Ile de Malte qui ont publié en janvier un document en faveur de la communion des divorcés « remariés », repris dans L’Osservatore Romano du 14 janvier, suscitant la critique d’un certain nombre de leurs diocésains dans la presse.
   
Devant une telle confusion, le cardinal Müller fait observer que « le magistère du pape est à interpréter seulement par lui, ou à travers la Congrégation pour la doctrine de la foi ». « Ce ne sont pas les évêques qui interprètent le pape », car cela constituerait une « inversion de la structure de l’Eglise catholique ». A ceux qui parlent « trop », le préfet de la Congrégation de la foi conseille « d’étudier d’abord la doctrine sur la papauté et l’épiscopat ». En tant que « maître de la Parole », un évêque doit être le premier à être « bien formé », pour ne pas risquer d’être « un aveugle qui guide d’autres aveugles ».
    
Le cardinal Müller affirme également que pour un catholique, il ne peut y avoir de contradiction entre la doctrine et la conscience personnelle : c’est « impossible ». Par exemple, « on ne peut pas dire qu’il y a des circonstances selon lesquelles un adultère ne constitue pas un péché mortel ». Or le péché mortel ne peut « coexister » avec la grâce sanctifiante, rappelle-t-il. Dès lors, sur l’accès des divorcés « remariés » aux sacrements, le prélat allemand réaffirme la doctrine de l’Eglise, contenue dans la Sainte Ecriture et dans Familiaris Consortio : la nécessité pour ces personnes qui souhaitent communier de vivre comme frères et sœurs. Le cardinal Müller souligne encore que le mariage est l’expression de l’unité entre le Christ et l’Eglise : ce n’est pas une « simple analogie, comme certains l’ont dit durant le synode », mais au contraire la « substance » même du sacrement du mariage. « Aucun pouvoir dans le ciel ou sur terre, ni un ange, ni le pape, ni un concile, ni une loi des évêques n’a la faculté de le modifier », précise-t-il.
Une guerre civile ?
Face à cette opposition manifeste entre fidèles, prêtres, évêques et cardinaux, certains vaticanistes – comme Antonio Socci – parlent de « guerre civile entre catholiques ». L’historien Roberto de Mattei dans Corrispondenza Romana du 11 février, commente cette expression : « L’image de la guerre civile est évidemment une métaphore pour indiquer un climat d’affrontements doctrinaux, qui voient pour la première fois dans l’histoire moderne de l’Eglise, évêques contre évêques et cardinaux contre cardinaux. Le cardinal Gerhard Müller, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi affirme qu’Amoris lætitia doit être interprété à la lumière de la doctrine de l’Eglise, et ne peut pas permettre la communion aux divorcés remariés, mais le cardinal Reinhard Marx (président de la Conférence épiscopale d’Allemagne, ndlr) a répondu qu’il « ne parvient pas à comprendre » comment il peut y avoir des interprétations d’Amoris lætitia différentes de celles des évêques allemands, qui admettent la possibilité d’accès à l’Eucharistie pour ceux qui vivent more uxorio (maritalement, ndlr).
   
« Il s’agit d’une confrontation qui n’est pas seulement herméneutique. Deux conceptions opposées de la morale catholique se font face. Et l’existence d’interprétations différentes du même document montre combien est justifié le terme “confusion”, contre lequel proteste le directeur du Sismografo, Luis Badilla. Faudrait-il dire que la clarté règne dans l’Eglise ? Les “dubia” des quatre cardinaux sont plus que justifiés et une “correction fraternelle” envers le pontife romain est nécessaire si celui-ci persiste dans une attitude qui favorise la diffusion de l’hérésie. »
   
Mais l’universitaire romain tient à préciser comment cette demande de clarification doit être formulée : « Laïcistes et modernistes utilisent l’insulte, le mensonge, la calomnie, la désinformation. Le style de ceux qui luttent pour la vérité doit être différent, en paroles et en actes. Il ne faut pas oublier en outre que le responsable de la confusion et du scandale est malheureusement un pape qui gouverne légitimement l’Eglise, au moins jusqu’à preuve du contraire. Ses erreurs dans le domaine de la doctrine et de la pastorale peuvent être critiquées, mais avec le respect dû à l’institution qu’il représente, au moins tant qu’il ne démontrera pas, de manière manifeste, qu’il veut renoncer à sa mission. Pour le moment, le pape François exprime dans sa personne le mystère de l’Eglise, sainte et immaculée dans son essence, mais parfois très fragile chez les hommes qui la représentent. La bataille, donc, doit se dérouler avec sérieux et hauteur, et Antonio Socci, en citant comme modèles, le cardinal Burke et le cardinal Caffarra, semble nous dire que c’est de cette façon qu’il entend la mener. Comme nous. »
   
Dans l’entretien qu’il accordait à Radio Courtoisie le 26 janvier, Mgr Bernard Fellay, Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X, déclarait à propos de la confusion causée par Amoris lætitia : « Vous avez un cardinal Müller qui dit : “Ce texte ne va pas contre la foi”. Entendez : on peut le lire d’une manière catholique. Pas seulement on peut, mais on doit le lire d’une manière catholique. Ceux qui ne le lisent pas d’une manière catholique, ceux-là sont dans l’erreur. Il ne le dit pas aussi clairement, parce que s’il le disait, il viserait son chef. Il y a là un non-dit extrêmement important… Et les quatre cardinaux qui, eux, ont signalé très justement cette blessure ouverte dans la doctrine qui était claire jusque-là, vraiment très claire. Car on a fait une ouverture en direction des divorcés “remariés” qu’on n’avait pas le droit de faire. Tout simplement. Aussi, que le cardinal Müller dise : “On n’a pas franchi la porte, on n’est pas sorti de la loi divine”… officiellement, c’est vrai, sauf qu’un certain nombre de conférences épiscopales, elles, ont déjà indiqué la sortie. »
   
(Sources : cath.ch/imedia/corrispondenza romana – trad. benoitetmoi – DICI n°349 du 17/02/17)