SOURCE - Franck Bouscau - Le Chardonnet - février 2017
À l’approche du quarantième anniversaire du retour de SaintNicolas à la Tradition, ceux qui ont participé à cet événement se penchent sur leurs souvenirs afin d’évaluer ce qui demeure de ces journées.
événement a marqué une
étape dans l’affirmation
du mouvement catholique
traditionnel. Il se
situe après l’été chaud
de Mgr Lefebvre qui avait vu pour la
première fois depuis le Concile, avec la
messe de Lille d’août 1976, un prélat
de haut rang contester ouvertement les
réformes qui, jour après jour, détricotaient
le tissu chrétien de notre pays.
L’on avait alors pu constater qu’une
multitude de fidèles se sentait désorientée
dans l’ambiance de révolution
permanente qui, avec la complicité d’un
clergé démolisseur, ravageait l’Église.
Quant à la messe traditionnelle, elle
s’était maintenue discrètement depuis
le Concile grâce à quelques prêtres fidèles
et à quelques laïques persévérants,
dans quelques salons, chapelles, et à la
salle Wagram où le saint sacrifice s’intercalait
entre les réunions sportives.
Cette marginalisation de la Tradition,
assortie au surplus de condamnations,
sanctions et mises à l’écart, aboutissait
à constituer un milieu réfractaire.
Contre toute attente, celui-ci allait
quitter la demi-obscurité dans laquelle
le nouveau clergé, détenteur des lieux
de culte, l’avait confiné, pour arriver
en pleine lumière et se transformer en
point de départ d’un nouveau rayonnement
à l’occasion de la prise d’une
église parisienne.
Au matin du 27 février 1977, nous
étions un certain nombre de catholiques
venus pour une manifestation
organisée à la salle de réunion de la Mutualité,
en vue de demander des églises.
L’on ne savait pas bien si cette demande
était adressée à Dieu, au gouvernement
ou aux évêques… Cependant, à l’arrivée, nous étions orientés non pas
vers la Maison de la Mutualité mais
vers l’église voisine de Saint-Nicolas
du Chardonnet. Quelques bribes de
l’office qui s’y déroulait suffisaient
pour constater que nous étions chez
des novateurs. Le prêtre, qui officiait
devant une poignée d’assistants –
et qui expliquait qu’il envisageait,
compte tenu de la situation financière
de la paroisse, de fermer l’église une
partie de la semaine ou de supprimer
le chauffage – dut être surpris de
voir subitement des fidèles arriver en
nombre. Peut-être crut-il un instant
au succès de la pastorale nouvelle ?
Le résultat de la quête à laquelle les
amis de la Tradition donnèrent peu
(je sais pour ma part avoir été l’un
des seuls à déposer quelques centimes
pour faire illusion), l’utilisation par la
foule du Notre Père traditionnel, avec
vouvoiement, et le nombre dérisoire
de communiants par rapport à une
assemblée nombreuse, indiquèrent à
l’ecclésiastique qu’il avait affaire à des
opposants. À ce moment, bien imprudemment,
il invita un représentant de
ceux-ci à venir prendre le micro pour
expliquer de quoi il retournait. Ce
micro ne lui a jamais été rendu...
Le porte-parole improvisé annonça
aux catholiques traditionnels présents
qu’ils allaient de nouveau pouvoir assister
au saint sacrifice dans sa forme
traditionnelle à l’intérieur des murs
sacrés d’une église, événement qui ne
s’était plus produit à Paris depuis plusieurs
années. C’est alors que retentit
l’hymne « Catholiques et Français
toujours », qui, parlant de « la foi
des anciens jours », résumait bien la
sensibilité traditionaliste, bousculée
par les innovations incessantes. Alors
que les rares fidèles de la nouvelle
religion s’égaillaient, une procession
qui s’était formée à la Mutualité,
composée de servants et de prêtres
revêtus des ornements traditionnels,
entrait, croix processionnelle en tête,
suivie de nombreux fidèles. À un
interlocuteur qui demandait au nom
de qui avait lieu cette intrusion, il
fut répondu fièrement : « in nomine
Domini »
Le reproche a été parfois fait aux traditionalistes d’avoir injustement privé les anciens paroissiens de leur église. C’est ne pas tenir compte du fait que les fidèles de la Tradition ont été privés de toutes les églises depuis le Concile jusqu’à Benoît XVI. Quant aux rares fidèles qui restaient à Saint-Nicolas en 1977, ils pouvaient se replier sur Saint-Séverin, sanctuaire proche rattaché à la même paroisse. Et d’ailleurs, dans les semaines qui suivirent les événements, de nombreux habitants du quartier signèrent une pétition pour affirmer qu’ils préféraient le nouvel ordre de choses.
La messe qui suivit notre entrée fut spécialement fervente. Après cette cérémonie, étant invité, je partis, pensant que l’affaire était terminée. C’est le soir, en revenant à la maison, que j’appris de mes parents que Saint-Nicolas était toujours occupé. Mes parents me pressèrent d’ailleurs d’y retourner.
La prise de l’église a été complétée peu après par la prise de la sacristie. Plusieurs événements s’étaient produits dans la nuit précédente. En particulier un pétard envoyé de l’extérieur – semble-t-il par un membre du clergé officiel – avait fait long feu alors qu’il était destiné à provoquer une évacuation pour incendie. Une opération fut donc entreprise pour ajouter la sacristie à l’église. Nous pénétrions par le sanctuaire, tandis que nos adversaires venaient par la rue. Dans l’espace resserré, les traditionalistes récitaient le chapelet sous les sarcasmes des novateurs. Une gifle dont je ne connais pas l’origine ni le destinataire, provoqua une mêlée générale, peu violente d’ailleurs : il s’agissait plutôt de se repousser. Sur ces entrefaites la police arriva, sépara les combattants et, divine surprise, nous laissa en possession de la sacristie.
Cette situation de preneurs d’église était curieuse : habitués que nous étions à l’obéissance, à la hiérarchie et à la discipline. De toute façon, légal ou non, cela était légitime : Mgr Ducaud-Bourget fit symboliser la situation par un dessin qui représentait un homme mourant de faim qui tenait un pain salvateur dont il s’était emparé en état de nécessité. Les tentatives adverses pour reprendre l’église par les voies judiciaires s’avé- rèrent vaines. Lorsqu’un tribunal ordonna l’expulsion de prêtres nommé- ment désignés et des fidèles qui étaient là du chef de ces prêtres, il fut évident que cela était impossible. En effet, un catholique est chez lui dans une église catholique, et de son propre chef… Les provocations telles que les perturbations de messes firent long feu. La tentative de maintenir un « Saint-Nicolas hors les murs » dans le presbytère voisin, resté aux conciliaires, n’eut guère de succès. Les traditionalistes acquirent rapidement la sympathie des commerçants, qui n’avaient pas à s’en plaindre, celle de services publics, comme l’électricité, qui virent les nouveaux occupants solder les dettes des anciens, et même celle de la municipalité d’arrondissement...
L’aveuglement des adversaires de la Tradition a aussi joué un rôle dans l’issue favorable de la bataille de Saint-Nicolas. Le clergé progressiste se croyait à l’avant-garde d’un grand mouvement, sans se rendre compte que ceux qui le suivaient étaient de moins en moins nombreux, et que ses amis de la gauche politique n’étaient pas prêts à lui accorder leur soutien en récompense de celui qu’il leur avait prodigué. Considérant que la prise de Saint-Nicolas était une manifestation de mécontentement de l’extrême-droite en face des dérives du clergé de gauche, des analystes à courte vue pensaient que l’église serait vite délaissée au terme de ce qu’ils prenaient à tort pour une opération politique. En réalité c’est un grand mouvement spirituel qui soutenait cette action. Les fidèles authentiques qui constituaient le gros des troupes ont apporté un zèle de croisés à la continuation de l’aventure, et l’église, rendue à la liturgie romaine, est devenue le symbole de la résistance aux innovations religieuses.
La vie paroissiale ancienne a repris avec, outre la messe quotidienne et dominicale, les vêpres, les baptêmes, mariages et enterrements, le catéchisme et une quantité d’œuvres... Multiples sont les conversions, les enseignements, les méditations qui ont eu lieu dans ce sanctuaire du dix-septième siècle, qui a ainsi retrouvé une nouvelle jeunesse.
Depuis 1977, abrités comme dans une arche de Noé voguant sur les flots toujours grossissants du déluge révolutionnaire, ecclésiastique et laïque, les fidèles de Saint-Nicolas s’y sont maintenus contre vents et marées. Après tout, leurs pères avaient bâti ce sanctuaire, et c’étaient ceux qui avaient changé la religion qui étaient les usurpateurs. Ils étaient chez eux, ils y sont encore, et ils y resteront si Dieu veut. L’aventure spirituelle de la reconquête de l’Église par la Tradition continue ad majorem Dei gloriam.
Le reproche a été parfois fait aux traditionalistes d’avoir injustement privé les anciens paroissiens de leur église. C’est ne pas tenir compte du fait que les fidèles de la Tradition ont été privés de toutes les églises depuis le Concile jusqu’à Benoît XVI. Quant aux rares fidèles qui restaient à Saint-Nicolas en 1977, ils pouvaient se replier sur Saint-Séverin, sanctuaire proche rattaché à la même paroisse. Et d’ailleurs, dans les semaines qui suivirent les événements, de nombreux habitants du quartier signèrent une pétition pour affirmer qu’ils préféraient le nouvel ordre de choses.
La messe qui suivit notre entrée fut spécialement fervente. Après cette cérémonie, étant invité, je partis, pensant que l’affaire était terminée. C’est le soir, en revenant à la maison, que j’appris de mes parents que Saint-Nicolas était toujours occupé. Mes parents me pressèrent d’ailleurs d’y retourner.
La prise de l’église a été complétée peu après par la prise de la sacristie. Plusieurs événements s’étaient produits dans la nuit précédente. En particulier un pétard envoyé de l’extérieur – semble-t-il par un membre du clergé officiel – avait fait long feu alors qu’il était destiné à provoquer une évacuation pour incendie. Une opération fut donc entreprise pour ajouter la sacristie à l’église. Nous pénétrions par le sanctuaire, tandis que nos adversaires venaient par la rue. Dans l’espace resserré, les traditionalistes récitaient le chapelet sous les sarcasmes des novateurs. Une gifle dont je ne connais pas l’origine ni le destinataire, provoqua une mêlée générale, peu violente d’ailleurs : il s’agissait plutôt de se repousser. Sur ces entrefaites la police arriva, sépara les combattants et, divine surprise, nous laissa en possession de la sacristie.
Cette situation de preneurs d’église était curieuse : habitués que nous étions à l’obéissance, à la hiérarchie et à la discipline. De toute façon, légal ou non, cela était légitime : Mgr Ducaud-Bourget fit symboliser la situation par un dessin qui représentait un homme mourant de faim qui tenait un pain salvateur dont il s’était emparé en état de nécessité. Les tentatives adverses pour reprendre l’église par les voies judiciaires s’avé- rèrent vaines. Lorsqu’un tribunal ordonna l’expulsion de prêtres nommé- ment désignés et des fidèles qui étaient là du chef de ces prêtres, il fut évident que cela était impossible. En effet, un catholique est chez lui dans une église catholique, et de son propre chef… Les provocations telles que les perturbations de messes firent long feu. La tentative de maintenir un « Saint-Nicolas hors les murs » dans le presbytère voisin, resté aux conciliaires, n’eut guère de succès. Les traditionalistes acquirent rapidement la sympathie des commerçants, qui n’avaient pas à s’en plaindre, celle de services publics, comme l’électricité, qui virent les nouveaux occupants solder les dettes des anciens, et même celle de la municipalité d’arrondissement...
L’aveuglement des adversaires de la Tradition a aussi joué un rôle dans l’issue favorable de la bataille de Saint-Nicolas. Le clergé progressiste se croyait à l’avant-garde d’un grand mouvement, sans se rendre compte que ceux qui le suivaient étaient de moins en moins nombreux, et que ses amis de la gauche politique n’étaient pas prêts à lui accorder leur soutien en récompense de celui qu’il leur avait prodigué. Considérant que la prise de Saint-Nicolas était une manifestation de mécontentement de l’extrême-droite en face des dérives du clergé de gauche, des analystes à courte vue pensaient que l’église serait vite délaissée au terme de ce qu’ils prenaient à tort pour une opération politique. En réalité c’est un grand mouvement spirituel qui soutenait cette action. Les fidèles authentiques qui constituaient le gros des troupes ont apporté un zèle de croisés à la continuation de l’aventure, et l’église, rendue à la liturgie romaine, est devenue le symbole de la résistance aux innovations religieuses.
La vie paroissiale ancienne a repris avec, outre la messe quotidienne et dominicale, les vêpres, les baptêmes, mariages et enterrements, le catéchisme et une quantité d’œuvres... Multiples sont les conversions, les enseignements, les méditations qui ont eu lieu dans ce sanctuaire du dix-septième siècle, qui a ainsi retrouvé une nouvelle jeunesse.
Depuis 1977, abrités comme dans une arche de Noé voguant sur les flots toujours grossissants du déluge révolutionnaire, ecclésiastique et laïque, les fidèles de Saint-Nicolas s’y sont maintenus contre vents et marées. Après tout, leurs pères avaient bâti ce sanctuaire, et c’étaient ceux qui avaient changé la religion qui étaient les usurpateurs. Ils étaient chez eux, ils y sont encore, et ils y resteront si Dieu veut. L’aventure spirituelle de la reconquête de l’Église par la Tradition continue ad majorem Dei gloriam.
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[Franck Bouscau est avocat honoraire à la cour de Paris, Professeur agrégé des Facultés de Droit, Président du jury rectoral de l’Institut Universitaire Saint-Pie X.]