1 février 2017

[Mgr Pascal N'Koué - La Vie Diocésaine (diocèse de Parakou)] Un frère appuyé sur son frère...

SOURCE - Mgr Pascal N'Koué - La Vie Diocésaine (diocèse de Parakou) - Février 2017

L’Archidiocèse de Parakou découvre petit à petit la forme extraordinaire du rite romain et s’en réjouit. Elle est le grand frère de la forme ordinaire. Un peu d’histoire, ça fait du bien.
  
Dans le cadre des 25 ans du Pontificat de Jean Paul II, le rite, communément appelé messe de St Pie V (ou messe traditionnelle), a été célébré publiquement en 2003 dans la Basilique Ste Marie Majeure de Rome et présidé par le Cardinal Castrillon HOYOS, alors Préfet de la Congrégation pour le Clergé et Président de la Commission Pontificale ‘‘Ecclesia Dei’’.
  
A partir de ce jour-là, un grand doute fut dissipé. En effet, nombreux étaient ceux qui pensaient que ce rite tridentin était formellement interdit, définitivement mort et enterré, parce qu’il était, pensait-on, en opposition avec la messe de Paul VI (ou messe "moderne"). Entre temps, le schisme de Mgr Marcel Lefebvre, avouons-le, n’a pas arrangé la situation inutilement conflictuelle. Nous en souffrons encore.
  
Mais le Pape Benoît XVI rassure : « Quant à l’usage du Missel de 1962, comme "forma extraordinaria" de la liturgie de la messe, je voudrais attirer l’attention sur le fait que ce Missel n’a jamais été juridiquement abrogé, et que par conséquent, en principe, il est toujours resté autorisé » (motu proprio "Summorum Pontificum" de Benoit XVI)…Ce Missel n’est pas traduit en langue vernaculaire. Son usage présuppose un minimum de connaissances de la langue latine…
Que penser réellement de la forme extraordinaire ?
Le Souverain Pontife Paul VI, après le Concile Vatican II, avait déjà permis que des prêtres, en certaines situations, puissent continuer à célébrer dans ce vénérable rite de Saint Pie V, dont le missel a été promulgué en 1570 et révisé en 1962 par le Pape Jean XXIII. En 1984, la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements, avec la lettre ‘‘Quattuor abhinc annos’’, avait autorisé, sous quelques conditions, la célébration de ce Rite. Mais c’est surtout à partir du 2 juillet 1988, avec le Motu proprio ‘‘Ecclesia Dei’’ que le Pape Jean Paul II a demandé à l’Église entière de respecter en tous lieux le désir de tous ceux qui se sentent liés à la tradition liturgique latine de Saint Pie V. Le Pape Jean-Paul II nous demandait même de faire une application large et généreuse des directives déjà publiées par le Siège Apostolique concernant l’usage de ce Missel Romain, selon l’édition vaticane de 1962. Ce rite de St Pie V ou plus exactement de Jean XXIII a donc plein droit de cité dans l’Église. En effet, cet attachement à l’ancien rite, quand il est vécu en communion avec saint Pierre de Rome, est un enrichissement inouï. Il a formé pendant deux millénaires de nombreux saints. Il a modelé pendant des siècles le visage de l’Église. Il est riche sous l’angle de ses prières d’offertoire, par ses nombreuses génuflexions en signe d’humilité : "l’homme n’est grand qu’à genoux", par la multiplicité des signes de croix avec la main pour rappeler constamment la puissance de la croix du Christ comme instrument de notre salut, par l’ensemble des gestes et symboles mystagogiques, par le mode de communion demandé aux fidèles. Ce rite nous plonge d’emblée dans le mystère insondable du Dieu invisible, nous place devant sa majesté et nous pousse à confesser humblement notre indignité devant sa transcendance. L’Eucharistie, n’est-elle pas à la fois sacrifice de louange, d’action de grâce, de propitiation et de satisfaction ? J’ai entendu le Cardinal Bernardin GANTIN dire : "Nous les Africains qui avons connu ce rite ancien, nous en avons tous la nostalgie ". En effet, le prêtre y apparaît comme l’homme du sacré, l’homme qui oriente l’humanité vers le Ciel.
  
Le missel de Paul VI (promulgué en 1969), issu d’un Concile qui se voulait surtout pastoral, est riche en acclamations du peuple, en prières eucharistiques diverses, en monitions, en psaumes responsoriaux, en antiennes et oraisons adaptées, en préfaces, en textes bibliques et bien sûr en attitudes corporelles festives. La prière universelle ou prière des fidèles y est restaurée, sans oublier le silence sacré prescrit après la communion. Tout cela dans le but de favoriser une grande participation active du peuple au saint sacrifice de la messe. Malheureusement, dans la forme ordinaire le prêtre est plus porté à être un animateur de communauté.
  
Comme vous le voyez, c’est tout catholique qui devrait aimer les deux rites : celui de Saint Pie V et celui de Paul VI. Ces deux formes sont valables et doivent être célébrées avec foi et piété. "Les deux Missels romains, bien que séparés par quatre siècles, gardent une tradition semblable et égale"(PGMR n°6). Ils peuvent donc coexister pacifiquement et s’enrichir mutuellement. Ils sont comme deux frères. Et "un frère appuyé sur son frère est une citadelle imprenable" (Prov.18, 19). Il est temps qu’on cesse de s’exclure réciproquement, de se persécuter et de faire saigner inutilement le cœur du Christ. L’eucharistie n’est pas faite pour diviser mais pour unir.
  
Dans le rite de St Pie V, on insiste davantage sur le Calvaire. La messe est d’abord sacrifice du Christ à Dieu le Père. On y retrouve en effet un climat de sacralité, de dévotion, d’intériorité, de mystère et de spiritualité enveloppé de silence très proche de ce qui se vit dans les cultes sacrificiels de la Religion Traditionnelle Africaine. On soulignera sa richesse signifiée par les nombreuses génuflexions du prêtre et par la grande précaution dans le maniement des saintes espèces : le prêtre garde joints les doigts qui ont touché l’hostie consacrée ; la communion est reçue par les fidèles à genoux et sur la langue avec l’usage de la table de communion et du plateau de communion; l’attitude est recueillie ; le tabernacle est sur l’autel ou dans l’axe de l’autel. Ce qui frappe souvent celui qui assiste pour la première fois à cette messe, c’est l’ambiance inhabituelle de recueillement. Le silence est un signe fort de la présence de Dieu, comme dans toutes les théophanies de l’Ancien Testament. Généralement, dans la forme extraordinaire, il n’y a pas de monition d’accueil, ni de commentaires avant les lectures, tout cela manifeste le caractère austère de cette messe qui oriente directement les intelligences et les cœurs vers le Mystère. Vouloir évacuer le mystère de la célébration eucharistique c’est oublier que c’est précisément le grand mystère de la foi. ‘‘Mysterium fidei’’ ! En outre, la forme extraordinaire se célèbre orientée vers le Père, vers l’abside, en privilégiant le latin et le chant grégorien, mais cela n’est pas sa spécificité puisque le Concile Vatican II invitait à garder ces éléments pour la forme ordinaire. Malheureusement beaucoup pensent que c’est ce Concile qui a interdit le latin et imposé la messe face à face. Erreur monumentale !
  
Sans nier l’importance des langues parlées, un peu de latin ne peut que faire du bien à nos liturgies. Les Papes et les Conciles n’ont jamais cessé de recommander l’usage de cette langue à la fois immuable et universelle dans la prière officielle de l’Église. Nous faisons partie de l’Église Latine, nous l’oublions trop souvent. Le latin liturgique était un facteur d’universalité et même d’unité dans l’Église d’hier. Pourquoi ne le serait-il pas dans l’Église d’aujourd’hui et de demain. Les essais d’inculturation hâtifs et superficiels, excluant trop vite le latin, ont souvent provoqué une altération de la foi catholique dans nos Assemblées.
  
En outre, nous savons qu’à un certain moment donné, lors des cultes de nos religions traditionnelles africaines, pour exprimer le mystère, les chefs religieux utilisent une langue autre que celle comprise par tous. Ils sentent le besoin de surélever la prière au-delà des mots du langage commun. Il s’agit pour eux d’une langue sacrée, distincte du parler quotidien. Ce n’est rien de bizarre. Les Russes n’emploient-ils pas le slavon dans leur liturgie ? Les Grecs continuent d’utiliser le grec ancien qui n’est plus parlé. Les Maronites ont pour langue sacrée le syriaque dérivé de l’araméen. Les Chaldéens s’adressent à Dieu dans l’arabe littéraire. Et que dire de notre Seigneur Jésus-Christ ? Il parlait en araméen et priait en hébreu : c’était la langue liturgique. Qui dit mieux ? Il faut réintroduire le latin liturgique dans nos Séminaires et nos Noviciats.
  
Chose curieuse, il semble que les mélodies grégoriennes sont d’origine africaine. Je comprends alors pourquoi beaucoup d’Africains aiment tant les airs du plain-chant. En tout cas, ‘‘il est permis aux prêtres de célébrer la messe en latin, en tout lieu et à tout moment’’, dit l’Instruction ‘‘Redemptoris Sacramentum’’ (n°112). Cela pourrait diminuer les improvisations mal à propos et aider un peu plus à la concentration et au recueillement. Ne travaillons pas à évacuer le mystère de nos Eucharisties. "L’Eucharistie est un grand mystère ! Mystère qui doit avant tout être bien célébré" (Jean-Paul II).
  
S’il fallait schématiser ces deux formes, ce qui est forcément réducteur, on pourrait dire que la forme ordinaire ressemble plus à la sainte Cène du jeudi saint, alors que la forme extraordinaire insiste plus sur le Vendredi Saint, au pied de la Croix du Golgotha. S’il y a eu ces deux moments c’est qu’ils nous sont nécessaires. Gardons-les. Dieu ne permet rien pour rien.
  
La forme ordinaire, ne peut pas être comprise ni vécue en rupture avec la tradition : "L’histoire de la liturgie est faite de croissance et de progrès, jamais de rupture" (Benoit XVI). Aussi est-il nécessaire de connaître la forme ancienne, dite "extraordinaire", pour bien pénétrer le sens du rituel de la messe dans sa forme ordinaire. La forme ordinaire (missel de Paul VI) et la forme extraordinaire (missel de saint Pie V réédité par Jean XXIII) sont deux mises en œuvre de l’unique rite romain (Benoit XVI). Il serait souhaitable que les jeunes prêtres soient initiés aux deux formes au cours de leur formation. Pour le Card. Robert SARAH c’est une question de bon sens tout simplement : "La célébration pleine et riche de la forme ancienne du rite romain, l’"usus antiquior", devrait être une part importante de la formation liturgique du clergé. Sans cela comment commencer à comprendre et à célébrer les rites réformés dans l’herméneutique de la continuité si l’on n’a jamais fait l’expérience de la beauté de la tradition liturgique que connurent les Pères du Concile eux-mêmes et qui a façonné tant de saints pendant des siècles" ? Au grand Séminaire "Providentia Dei" et au Monastère des Sœurs Contemplatives de Jésus Eucharistie, la forme extraordinaire est célébrée et promue.
  
Le mystère sacré est inépuisable et aucune forme liturgique ne peut, à elle seule, l’épuiser. La variété des rites dans l’Eglise nous le prouve. Tout le cérémonial qui se déploie autour de l’Eucharistie n’est que l’écrin qui l’enveloppe et qui doit mettre en valeur les multiples facettes du mystère de la présence cachée et silencieuse de Jésus-Christ parmi nous.
  
Pascal N’KOUE
Omnium Servus
  
NB : L'Abbé Denis Le Pivain du diocèse d'Avignon est le supérieur du Séminaire diocésain Providentia Dei et l'Abbé Laurent Guimon du diocése de Versailles est aumônier des Sœurs Contemplatives de Jésus Eucharistie