28 février 2017

[Paix Liturgique] Summorum Pontificum, une oasis spirituelle pour les prêtres d'aujourd'hui

SOURCE - Paix Liturgique - lettre 584 - 28 février 2017

Le droit canon prévoit que tout prêtre, séculier ou régulier, suive chaque année un temps de retraite spirituelle (canons 276 et 719). Diocèses et instituts proposent des exercices annuels à leurs prêtres, mais, du moins en ce qui concerne le clergé séculier, le choix de ces retraites est laissé à l’initiative individuelle. Souvent, ces retraites permettent à des prêtres « ordinaires » de vivre durant quelques jours au rythme de la liturgie et de la spiritualité traditionnelles ; en particulier, et comme c’est le cas en France, dans le silence discret des monastères.

Dans de nombreux pays toutefois, ces oasis monastiques n’existent pas et les prêtres liés ou tout simplement attirés par la forme extraordinaire du rite romain doivent s’organiser entre eux. C’est ainsi le cas en Italie où, à l’initiative du RP Vincenzo Nuara, op, l’Amitié sacerdotale Summorum Pontificum offre depuis sept ans une telle opportunité à des prêtres qui, parfois, n’ont jamais fait auparavant l’expérience de la Tradition.
I – 3 QUESTIONS AU RP NUARA
1) RP Nuara, comment se déroulent ces journées de retraite spirituelle ?

RP Nuara : De façon très traditionnelle, dirais-je ! Nous en sommes à notre septième édition. Chaque année, nous invitons un prédicateur différent qui illustre un thème de son choix portant sur tel ou tel aspect de la vie sacerdotale et spirituelle. Cette année, l’Amicizia Sacerdotale Summorum Pontificum est heureuse de recevoir le fondateur des moines de Nursie, le RP Cassian Folsom, osb, qui nous instruit sur la sainte liturgie comme source de sanctification. Le prédicateur donne deux instructions chaque jour, après tierce et après none. Nos journées sont en effet rythmées par la récitation en commun de l’Office divin, des laudes aux complies. Pour le reste, c’est le silence qui prévaut. Sinon, les prêtres s’alternent tout au long de la journée aux quatre autels prévus à cet effet pour la célébration de leur messe privée.

2) Qui participe à vos retraites ?

RP Nuara : Tous les prêtres sont les bienvenus. Qu’ils soient diocésains ou non, qu’ils célèbrent ou non la forme extraordinaire du rite romain, qu’ils viennent d’Italie ou de l’étranger (cette année, nous avons un missionnaire polonais venu d’Asie par exemple !). Souvent, ils viennent à deux, l’un entraînant l’autre. Bien sûr, même quand ils ne sont pas familiers de la forme extraordinaire, tous sont attirés par la spiritualité traditionnelle. Pour certains, c’est l’occasion de renouer avec leur identité sacerdotale, avec leur vocation. Certains reconnaissent en effet avoir délaissé la pratique de la retraite spirituelle, lassés du bruit et de la superficialité de celles qu’ils fréquentaient. Le silence qu’ils découvrent chez nous, même s’il est parfois difficile de le respecter, est un trésor dont ils font provision.

3) Au-delà des fruits individuels inhérents à une telle retraite, y voyez-vous des fruits collectifs ?

RP Nuara : Tout d’abord, je voudrais dire que cette retraite annuelle naît elle-même comme un fruit du motu proprio de Benoît XVI. Ensuite, au bout de sept éditions, il est évident que les fruits de cette semaine d’intense vie spirituelle et liturgique dépassent le cadre individuel.
De l’avis des participants, elle est à la fois une expérience de charité sacerdotale, de charité fraternelle et de charité spirituelle.
  • Elle est une expérience de charité sacerdotale car elle pourvoit à un besoin primordial de la vie sacerdotale qui correspond, en même temps, un devoir canonique des prêtres. Certains prêtres souffrent de ne pouvoir trouver dans les retraites qui leur sont proposées par leur diocèse ou leur communauté la nourriture spirituelle dont ils ont besoin. C’est ce moment clé de leur vie spirituelle que nous leur offrons grâce au motu proprio Summorum Pontificum.
     
  • Elle est une expérience de charité fraternelle car elle permet à des prêtres souvent isolés, en particulier en raison de leur sensibilité traditionnelle, de se retrouver entre frères. C’est pour eux l’occasion de partager, avec ce que le cardinal Sarah a justement appelé « la force » du silence, un intense moment de prière, de réflexion et de méditation. Pendant quelques jours ils n’ont plus l’impression d’être des étrangers...
     
  • Elle est enfin une expérience de charité spirituelle car elle leur permet de reposer, soigner et fortifier leur âme. C’est pour tous une opportunité de raviver le don de Dieu, la grâce sacramentelle reçue lors de leur ordination. Ainsi, ils refont le plein de zèle apostolique et sont donc, de retour dans leur paroisse ou leur office, mieux au service des âmes qui leur sont confiées.

II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1) Les monastères ayant conservé ou repris la liturgie traditionnelle sont aujourd’hui nombreux de par le monde et constituent pour la plupart des oasis où les prêtres de sensibilité traditionnelle – qu’ils célèbrent ou non la forme extraordinaire – viennent volontiers se retirer, se recueillir et se ressourcer. En plus de cela, les instituts Ecclesia Dei et la Fraternité Saint-Pie X organisent eux aussi des retraites sacerdotales ouvertes au clergé diocésain. La France est cependant très privilégiée car ces îlots spirituels traditionnels sont bien répartis sur le territoire et chaque prêtre peut en trouver un à portée de voiture. Ailleurs, la situation est plus compliquée même si, comme l’illustre l’Amitié sacerdotale du RP Nuara, des fraternités sacerdotales se sont constituées ou renforcées grâce à Summorum Pontificum.

2) Renouer avec son identité sacerdotale, raviver la grâce sacramentelle de l’ordination, faire provision de silence : les raisons qui attirent les prêtres dans les retraites du Père Nuara sont celles qui motivent également de nombreux fidèles, souvent en rupture de pratique religieuse, à embrasser la forme extraordinaire du rite romain. Pour nous, laïcs, le silence des saints mystères tels qu’ils ont été célébrés par l’Église durant les siècles nous aide à retrouver le sens de notre foi, à renouveler les promesses de notre baptême, en une image, à abandonner notre dépouille de vieil homme pour mieux nous revêtir du Christ. Bien sûr, cette quête de transcendance, de nourriture spirituelle dénote dans une société, y compris catholique, toujours plus horizontale, matérialiste et immédiate. D’où la nécessité de pouvoir profiter de moments pour recharger notre âme : pèlerinages, exercices spirituels, dévotions privées ou publiques qui, d’ailleurs, foisonnent parmi tout le peuple Summorum Pontificum.

3) Quant aux prêtres, ils sont tenus à poursuivre la sainteté, « puisque consacrés à Dieu à un titre nouveau par le sacrement de l’ordre, ils sont les dispensateurs des mystères de Dieu au service de son peuple », dit le canon 276. Plus encore que les fidèles, ils sont tenus de se livrer régulièrement à des « exercices » qui leur permettent de mieux examiner leur conscience, de faire le bilan devant Dieu de leur vie sacerdotale, de raviver leur pratique de l’oraison, de se fortifier dans l’ascèse et la vie vertueuse. Sans doute le peuvent-ils dans divers lieux et au moyen de diverses retraites proposées, mais le cadre de la liturgie traditionnelle est, selon ce qu’enseigne l’expérience, particulièrement propre à ce ressourcement de leur existence.

4) La liturgie traditionnelle a, en dehors de ses qualités spirituelles et doctrinales ad extra, c’est-à-dire en direction des fidèles, une puissante « valeur nutritive » ascétique et mystique pour les prêtres qui la célèbrent. Cet appel à la sainteté, et à la piété du ministre qui offre les saints mystères, est inscrit avec une très grande force dans l'usus antiquior au moyen des nombreuses prières qui encadrent les grands moments du sacrifice (prières de préparation des ministres, prières d’application du sacrifice à l’offertoire, prières de préparation à la communion et prières d’action de grâces). D’ailleurs, de l’aveu du principal réformateur de la liturgie, Monseigneur Annibale Bugnini, lorsque la messe nouvelle en gestation fut présentée pour la première fois à des évêques, à savoir à ceux de l’assemblée du Synode de 1967, leur impression fut très négative notamment parce que beaucoup la trouvaient « appauvrie », précisément en raison de la suppression de tout ce magnifique corpus de prières (Annibale Bugnini, La réforme de la liturgie (1948-1975), Desclée de Brouwer, 2015, pp. 375).

5) Enfin, en arrière-fond de l’œuvre du RP Nuara et d’autres œuvres semblables (nous pensons par exemple à l’Opus sacerdotale, aujourd'hui dirigée par l’abbé François Scrive, dont une des activités est précisément d’organiser des exercices spirituels dans des monastères traditionnels), se trouve le thème crucial de la nécessaire réforme du clergé diocésain. Historiquement, les grands relèvements de l’Église – la réforme grégorienne, la contre-réforme du Concile de Trente – ont été structurés par un exigeant renouveau spirituel, ascétique et doctrinal du clergé, en particulier du clergé diocésain, avec l’aide d’instituts fondés pour fournir cette aide aux clercs « de terrain » ou qui se sont eux-mêmes réformés en ce sens (voir les innombrables fondations de séminaires par la Compagnie de Saint-Sulpice, les Eudistes, les Lazaristes, etc., ou les exercices spirituels organisés par la Compagnie de Jésus pour les prêtres). Aujourd'hui, alors que la crise libérale née du concile Vatican II poursuit ses ravages, ce schéma vertueux se retrouve dans ce que l’on pourrait qualifier de « réforme par la messe traditionnelle », l'invitation au renouveau venant des communautés et instituts vivant au rythme de la forme extraordinaire du rite romain.