12 février 2009

[Carlo Marroni - Il Sole-24 Ore] Vatican • Les choix du Saint-Siège sont impénétrables

SOURCE - Carlo Marroni - Il Sole-24 Ore / Courrier international - 12 février 2009

Les choix du Saint-Siège sont impénétrables - La levée de l’excommunication des intégristes lefebvristes – dont l’évêque négationniste Robert Williamson – illustre les cafouillages du pouvoir au Vatican.

Les tempêtes extérieures auxquelles est de plus en plus souvent soumise l’Eglise de Benoît XVI font apparaître clairement un problème de gestion de plus en plus évident aux yeux de nombreux prélats. Alors que, pendant les dernières années du pontificat de Jean-Paul II, on constatait des lacunes dans la chaîne de commandement, aujourd’hui, le problème semble être l’inverse. Les chaînes qui s’entrecroisent sous le Saint-Siège, trop nombreuses, créent parfois une confusion qui pourrait bien déboucher sur des crises extérieures. Le cas des lefebvristes en est la parfaite illustration, faisant surgir les critiques au grand jour. Si Walter Kasper, le cardinal délégué à l’unité des chrétiens et aux relations avec les juifs – qui n’a jamais été un ratzingérien pur jus, mais qui reste un Allemand –, dénonce la mauvaise gestion de l’affaire de l’évêque négationniste Robert Williamson de la part de la Curie (mais ne critique pas la décision du pape), cela veut dire qu’il y a vraiment un problème au Vatican.

Mais, alors, qui tient les commandes ? Première remarque : ce pontificat a, pour la première fois depuis un siècle et demi, un pape et un secrétaire d’Etat (le “Premier ministre” qui dirige le gouvernement) qui n’ont pas derrière eux une carrière diplomatique. Joseph Ratzinger est un théologien et le cardinal Tarcisio Bertone un expert du droit canon. Le premier n’aime pas la gestion et il la délègue autant que possible à son très actif second. Depuis que Bertone a été nommé, le 15 septembre 2006, à la place d’Angelo Sodano, il a entrepris de vastes changements au sommet de la Curie. Salésien de formation, il en a largement ouvert les portes à ceux qui, comme lui, proviennent du monde des juristes.
Dichotomie historique entre progressistes et intégristes
En somme, les diplomates se sont trouvés mis à l’écart et les nouveaux “numéro deux” du secrétariat d’Etat, le substitut Fernando Filoni et le “ministre des Affaires étrangères”, Dominique Mamberti, bien qu’ils soient des personnages clés, restent dans l’ombre par rapport à leurs prédécesseurs. Au niveau inférieur, les éléments moteurs sont Mgr Gabriele Caccia et Mgr Pier Parolin ; les deux sous-secrétaires ont en main les principaux dossiers et ce sont des diplomates extrêmement habiles. Tarcisio Bertone s’appuie donc sur des compétences diversifiées, mais ses mé­thodes de décision tranchent avec les habitudes de ses prédécesseurs. Dans l’affaire Williamson, on a remarqué son détachement supérieur et certes habile (ces derniers jours, il était en Espagne et à Mexico). Tout s’est donc déroulé à des niveaux de décision inférieurs.

Le pape n’avait pas été d’accord avec l’excommunication de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, préconisée en 1988 par les cardinaux Angelo Sodano et Achille Silvestrini, à l’époque ministre des Affaires étrangères. Avec la lettre apostolique Summorum Pontificum, de 2007, sur la messe en latin, il préparait le rapprochement avec les lefebvristes. Il voulait arriver à une pleine réconciliation formelle et voulait faire coïncider l’événement avec la journée de l’unité des chrétiens. C’est surtout le cardinal colombien Dario Castrillón Hoyos, qui dirige depuis 2006 l’Ecclesia Dei, l’organisme créé par Jean-Paul II au lendemain de l’excommunication pour chercher le chemin vers le pardon, qui a poussé vers une décision rapide. Castrillón a ainsi rédigé en bonne partie le décret réadmettant les lefebvristes au sein de l’Eglise. Celui-ci a ensuite été signé – sans enthousiasme, semble-t-il – par Giovanni Battista Re, chef de la Congrégation pour les évêques [le “ministère” en charge des Eglises particulières et du rôle des évêques], qui fut sous Jean-Paul II un membre éminent du secrétariat d’Etat, sans passer par le chef du Conseil pontifical pour les textes législatifs [qui supervise l’interprétation des textes de loi], l’archevêque Francesco Coccopalmerio, un Milanais considéré comme faisant partie de la vieille garde progressiste. Celle-ci était plus que réticente à l’idée de réadmettre les lefebvristes, en raison de leurs positions connues, tant vis-à-vis du concile que sur d’autres fronts, à commencer par la question du dialogue avec les juifs.

Ensuite, il y a eu l’incident de l’interview de Williamson. Depuis quelques jours, des indiscrétions circulent à propos d’un dossier qui passerait de main en main au Vatican et selon lequel la diffusion de l’interview déconcertante dans laquelle l’archevêque britannique nie la réalité de la Shoah aurait en fait été pilotée par des milieux (on évoque même la franc-maçonnerie française) qui voulaient mettre Benoît XVI en difficulté. Une source affirme qu’au Vatican personne n’était au courant de cette interview. Elle aurait été gardée dans ses tiroirs par une organisation juive qui, légitimement, collecte tout ce qui est publié dans la presse mondiale et qui l’a ressortie la veille du décret.
 
Quoi qu’il en soit, l’affaire Williamson est la preuve que nombreux sont ceux qui pensent que la gouvernance vaticane a besoin d’être rééquilibrée. En définitive, l’Eglise tout entière, au-delà des appartenances aux divers courants (canonistes ou diplomates), continue à être marquée par l’historique dichotomie entre progressistes et conservateurs, avec, au centre, le débat sur le concile revenu au cœur de l’actualité après l’affaire des lefebvristes.