13 février 2009





Six enseignements à tirer de la crise intégriste
13/02/2009 - la-croix.com
Après la vague d’indignation suscitée par la levée de l’excommunication des quatre évêques intégristes et les propos négationnistes de l’un d’entre eux, « La Croix » examine les répercussions de cette affaire dans et hors l’Église. Des participants sortant des sessions du concile Vatican II, place Saint-Pierre (Photo d'archives du Ciric).

L’Église catholique vient de traverser une crise de grande ampleur. La levée des excommunications des quatre évêques intégristes, conjuguée aux propos négationnistes tenus – et confirmés – par l’un d’eux, a mis en évidence des enjeux essentiels, tant pastoraux que théologiques ou idéologiques, de fort impact médiatique.

Poser un regard lucide sur cette crise peut permettre d’envisager l’avenir. En toute hypothèse, contrairement à ce qu’affirment certains intégristes, un catholicisme qui n’aurait pas vécu Vatican II ne serait ni plus nombreux, ni plus fécond. L’unité de l’Église, sans cesse à construire, ne saurait faire abstraction des tensions réelles mises en évidence par cette crise. Conséquences en six points.
Une liberté de parole s’est manifestée à tous niveaux
Une avalanche de courrier reçu par La Croix, deux pétitions contradictoires – lancées l’une par l’hebdomadaire La Vie, l’autre par des sites traditionalistes – signées par des dizaines de milliers de personnes dont nombre d’intellectuels catholiques, des pics de connexions sur les blogs et forums…

La levée des excommunications, jointe aux propos négationnistes de Mgr Williamson, suscite une vague de réactions sans précédent. Des évêques du monde entier ont pris la parole, souvent agacés par l’absence de consultation de la part de Rome, avec une rare liberté de ton. Le cardinal Godfried Danneels, archevêque de Malines-Bruxelles, a ainsi déclaré le 8 février : « Si j’étais pape, je m’excuserais. »

Pour Jean-Marie Donegani, spécialiste de sociologie religieuse à Sciences-Po Paris, cette levée de boucliers n’a rien d’étonnant dans la mesure où, « depuis longtemps, les catholiques et tous ceux qui sont concernés par les positions de l’Église ne se sentent plus tenus à l’obéissance ».

Ce phénomène s’amplifie aujourd’hui via Internet, selon ce spécialiste qui ne peut que constater un « divorce entre le fonctionnement de l’Église et nos sociétés démocratiques ». Selon lui, si l’image de l’Église sort « brouillée », c’est que la décision du pape était « tout sauf claire » : « Il semble étonnant de poser un geste aussi manifeste, sans que celui-ci soit précédé de négociations qui laissent présager la possibilité d’une réintégration.

Or, on nous dit qu’il s’agit d’un préalable au dialogue. Si ce dialogue n’aboutit pas, le Vatican aura l’air d’avoir ouvert la porte pour rien. » Le retentissement symbolique de l’acte est très fort : les quatre évêques ont été, « qu’on le veuille ou non, symboliquement réintégrés dans la communion catholique ». Pour Jean-Marie Donegani, il s’agit d’une « faute politique » évidente : « L’Église donne ainsi le sentiment de se replier, favorisant des logiques internes au détriment du message qu’elle doit porter au monde. » La crainte de se figer dans un retour au passé
Pour Nicolas de Bremond d’Ars, prêtre du diocèse de Paris et chercheur associé au Centre d’études interdisciplinaires du fait religieux (CEIFR), cette crainte est justifiée. Selon lui, les enjeux dépassent largement la crise immédiate. Derrière, explique-t-il, c’est un modèle romain forgé au cours des siècles qui est en cause : « Ce modèle se pense comme unitaire. Il concède de la souplesse aux extrêmes de la communauté catholique romaine et maintient l’autorité du pape. S’il a relativement bien fonctionné, il est désormais mis à mal par l’évolution de la société. »

Selon le prêtre sociologue, cette crise va être « un facteur déclenchant » pour les catholiques qui « tiennent » les paroisses : ils s’entendent dire que Vatican II a conduit à la perte de la foi, et « on leur a envoyé dans la figure le motu proprio, le retour de traditions liturgiques préconciliaires, et maintenant cette histoire mal ficelée »… Du coup, « ils vont partir », prévoit le P. de Bremond d’Ars.

De son côté, Guy Lescanne, prêtre dans le diocèse de Verdun et collaborateur du CNRS, rappelle que « la forme fait partie du fond » et déplore que l’image donnée ne soit « pas lisible, pas compréhensible », alors que l’attachement à l’unité aurait « pu passer ». « Ce qui est retenu, constate-t-il, c’est que Benoît XVI tend la main à des gens excommuniés et refuse de la tendre à ceux qui ne sont pas en règle avec tel ou tel aspect de la vie de l’Église. »

Pour autant, affirme-t-il, « depuis 2 000 ans, la Tradition nous presse d’annoncer l’Évangile dans les cultures telles qu’elles sont, et non telles qu’on les rêve. Cette Tradition ne peut en aucun cas être figée ! » Dans l’immédiat, le P. Lescanne s’inquiète pour les jeunes qui, « massivement », ne se sentent que peu ou pas du tout concernés par « l’affaire », mais dont les parents et les grands-parents sont blessés et se sentent, « à tort ou à raison, désavoués » : « Pour aller plus loin dans la foi, explique-t-il, ces jeunes ont besoin de gens paisiblement heureux d’être chrétiens. »
Le dialogue judéo-chrétien a été mis à l’épreuve Comme à Ratisbonne en 2006, lorsque Benoît XVI prononça un discours universitaire déclenchant une tempête dans le monde musulman, c’est à l’occasion d’une décision interne à l’Église que Rome a déclenché une crise dans ses relations avec le monde juif. Ce qui a été perçu comme la « réhabilitation par l’Église catholique d’un évêque négationniste » montre que le soupçon d’antijudaïsme pesant sur elle n’a pas disparu, et que quarante ans n’ont pas suffi à convaincre qu’elle a totalement rompu avec « l’enseignement du mépris » (selon la formule de Jules Isaac) qui prévalait jusque-là.

Aux yeux du pape allemand, ses multiples déclarations de solidarité à l’égard de « nos frères aînés dans l’Alliance », son passage à Auschwitz, sont autant de signes de cette amitié indéfectible.

Mais, côté juif, « en cas de problème, il y a au minimum la crainte que les acquis ne sont pas aussi solides qu’on voudrait l’espérer, qu’on parle de fraternité mais qu’au fond, on ne sait pas trop où on en est », résume l’historien Michel Gurfinkiel, chargé des relations avec les chrétiens au sein du Consistoire israélite central de France.

Or, ces derniers mois, des signaux ont été perçus comme inquiétants : nouvelle mouture de la « prière pour les juifs » selon le rite tridentin, projet de béatification de Pie XII… Les leçons à tirer aujourd’hui sont donc multiples : l’Église catholique doit combattre « le relativement grand sédiment d’antisémitisme et de xénophobie » qu’elle contient toujours, estimait la semaine dernière le cardinal Karl Lehman, ancien président de la Conférence épiscopale allemande. Et elle a besoin d’un geste fort – comme le voyage prévu du pape en Israël – qui marginalise les positions de l’évêque intégriste.
Un clivage des lectures de Vatican II apparaît au grand jour
«A quelque chose, malheur est bon ! », s’écrie le P. Gilles Routhier, professeur d’ecclésiologie à l’université Laval de Québec. Selon lui, « la crise actuelle va obliger bien des gens à prendre position par rapport à Vatican II ». Ce concile (1962-1965) a été qualifié en 2001 par Jean-Paul II de « boussole fiable pour nous orienter sur le chemin du XXIe siècle ». « Ses textes sont à prendre dans leur ensemble. On ne peut rien laisser de côté », insiste le P. Routhier.

De même, si Vatican II opérait une certaine césure par rapport à un catholicisme fondé sur la lutte contre la modernité et le protestantisme, il s’inscrit dans la Tradition de l’Église, selon la formule de Jean-Paul II en 1985 : « L’Église est elle-même et la même dans tous les conciles. » Ce que contestent les intégristes, qui écrivent sur leurs sites Web : « Notre manière de voir le concile Vatican II ne correspond pas à celle de Rome actuellement. Et c’est pourquoi l’on ne peut pas rester dans des formules d’accord superficielles. »

Trois apports du Concile semblent incontournables pour l’Église au XXIe siècle : le dialogue œcuménique et interreligieux, la liberté religieuse, l’inculturation. « Ce n’est pas le Concile qui a fait venir des millions de musulmans en Europe, poursuit le P. Routhier. Or, si nous n’avions pas la déclaration Nostra ætate (NDLR : sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes), nous serions dans l’incapacité de dialoguer avec eux. » Quant à l’activité missionnaire, qui était pensée avant Vatican II sur un mode colonial, elle permet à l’Église de s’inscrire désormais avec respect dans les cultures africaines, latino-américaines ou asiatiques.
Une vraie concertation s’impose avec les conférences épiscopales
«On vient de voir ce que donne un exercice très personnel, pour ne pas dire monarchique, du ministère papal », analyse le P. Joseph Famerée, professeur d’ecclésiologie à l’Université catholique de Louvain (Belgique). À l’unisson de nombreux théologiens et évêques, il regrette qu’il n’y ait pas eu une consultation des épiscopats concernés, ni même un travail concerté au sein de la Curie.

« Juridiquement, comme disent les Italiens, il papa decide da solo (le pape décide seul) », pointe le P. Hervé Legrand, théologien dominicain, mais, souligne-t-il, « une chose est de décider en dernier ressort, autre chose est de décider solitairement, comme ce fut, semble-t-il, le cas ». Résultat : aucun filet n’a permis d’anticiper la crise.

« Il faut probablement remonter à 1968 et à l’encyclique Humanæ vitæ (NDLR : sur la contraception) pour trouver un précédent à cette crise de confiance entre le peuple catholique et le pape », estime le P. Famerée. « Nous avons cruellement besoin de procédures de nature collégiale, insiste le P. Laurent Villemin, professeur d’ecclésiologie à l’Institut catholique de Paris. La manière d’exercer l’autorité pontificale ne peut plus être uniquement descendante. »

Depuis le Concile, les théologiens ont esquissé des pistes pour favoriser un vrai dialogue et une véritable communion dans l’Église : installer un synode permanent d’évêques auprès du pape, promouvoir des conciles régionaux où évêques, prêtres et laïcs puissent débattre, inscrire dans le droit canonique des règles de consultation s’imposant au pape… « L’ensemble du peuple catholique a le désir d’être davantage associé au débat et à la prise de décision dans l’Église, insiste Joseph Famerée. Il serait inquiétant de ne pas en tenir compte. » L’intégration dans les paroisses n’ira pas de soi
Si elle devait avoir lieu, l’intégration progressive des membres, tant clercs que laïcs, de la Fraternité Saint-Pie-X dans les communautés paroissiales françaises n’irait pas sans problème. Le danger d’incompatibilité dépasse largement la « simple » question de la liturgie.

Dans le domaine de la catéchèse ou des sacrements, et plus généralement quant aux attitudes face au monde environnant, ces baptisés risquent de ne pas être sur la même longueur d’onde. Certes, les appels à l’unité sont pressants.

Mais la culture pastorale, les modes de relation à l’autorité du prêtre, les modalités de la prise de décision, etc., ne sont pas fondées sur les mêmes principes. Comment ces paroisses pourront-elles accueillir par exemple les demandes, désormais courantes, de mariage entre fiancés déjà parents, ou de funérailles réunissant des familles n’ayant plus qu’un lien ténu avec l’Église ? Anne-Bénédicte HOFFNER, Claire LESEGRETAIN, François-Xavier MAIGRE, Élodie MAUROT, Frédéric MOUNIER et Martine DE SAUTO