Intégristes. La rébellion des cathos de Gironde - par Philippe Clanché |
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Les faits A la suite d’un décret papal du 8 septembre ( lire l’éditorial de TC n°3218), l’abbé Philippe Laguérie et quelques autres prêtres intégristes sont de retour dans l’église catholique romaine. Depuis 2001, l’homme occupait déjà Saint-Éloi, une église du centre-ville de Bordeaux inutilisée par le diocèse. L’abbé Laguérie jubile et annonce, conforté par le document romain, qu’il ne changera pas ses pratiques d’un pouce. De nombreux prêtres et laïcs crient à l’abandon du Concile et somment l’archevêque Jean-Pierre Ricard de demander des explications à Rome. L’analyse Que diriez-vos de devoir travailler côte à côte avec des personnes qui vous méprisent publiquement depuis des années ? Telle est la situation des prêtres et laïcs du diocèse de Bordeaux. Le vent de fronde mené par les catholiques de la génération du Concile n’est pas près de s’apaiser. La grande question est de savoir contre qui il convient de protester – l’archevêque ou Rome –, et comment. Le cardinal Jean-Pierre Ricard n’a jamais souhaité une réintégration des intégristes sans concessions sur leurs convictions et leurs pratiques. Le texte de l’homélie (plus politique que spirituelle) de l’abbé Laguérie le 10 septembre à Saint-Éloi laisse peu d’espoir de conversion : « Vous me direz… mais il y a eu des compromissions ? Eh bien non, vous avez bien vu : sur la liturgie, aucune, sur la doctrine, aucune. » Évoquant les invectives entre les deux clans, le disciple de Mgr Lefebvre est sûr de lui : « Tout cela va cesser. Et s’il y a quelques attardés, eh bien, il faudra qu’ils changent. Mais pas nous, c’est certain. » « C’est une déclaration de victoire et de guerre à la fois », résume Daniel Hamonic, laïc engagé. La responsabilité de Mgr Ricard divise le diocèse. Le père Jean Rouet, vicaire général, dénonce une « désinformation » dans le décret du Vatican concernant « l’accord présumé du cardinal ». « Jean-Pierre Ricard a été naïf. Il est dépassé », pensent beaucoup d’observateurs. « Ce n’est pas un pavé lancé dans une mer calme, note Jacques Faucher, prêtre et délégué diocésain pour le monde de la santé. La place des laïcs, l’œcuménisme, le dialogue avec les autres religions et avec le monde moderne sont de plus en plus remis en question par certains prêtres comme fruits amers d’un Concile influencé par le marxisme et les compromissions avec le monde. » La bataille des enfants de Vatican II est-elle perdue ? « Concernant la réintégration des intégristes, c’est rapé, pense Jean-Marie Roumégoux, prêtre à Bordeaux. Mais sur la forme, je proteste contre la méthode. Rome agit en méprisant le local. » Son collègue, Hugues Walser, est très re-monté. Dans un courrier signé par l’équipe du secteur rural dont il est prêtre responsable, il a carrément suggéré « une démission tactique de l’archevêque », à qui il demande de « ne pas signer de protocole qui permettrait à cet institut de s’établir en Gironde. Le nom même de Bon Pasteur (1) est une honte, un camouflet pour nous ! » Le même texte s’étonne que la Conférence des évêques de France, présidée par Jean-Pierre Ricard, demeure silencieuse. Le 22 septembre, deux cents laïcs ont participé à une réunion de protestation près de Bordeaux. Dans leur lettre ouverte à Mgr Ricard (voir ci-après), après avoir rappelé leur attachement au Concile et leur fidélité à l’archevêque, ils demandent à ce dernier de « convoquer un conseil pastoral diocésain exceptionnel pour aborder les questions soulevées par la création de cet institut » et de « tout mettre en œuvre pour rencontrer le Saint Père, dans un dialogue direct, ou de poser un geste significatif, afin de lui faire part de nos interrogations. » Pour l’heure, aucun déplacement à Rome de l’archevêque de Bordeaux n’est prévu. « Il apprécie la situation et attend que l’abbé Laguérie le contacte pour négocier concrètement l’intégration de l’Institut dans le diocèse », précise Jean Rouet, qui ajoute que « Mgr Ricard n’a pas donné son accord pour les ordinations de prêtres que souhaite l’abbé Laguérie. » Un (petit) geste de fermeté qui décevra sans doute les catholiques conciliaires, pourtant habitués à avaler des couleuvres. Celle-ci apparaît de trop grande taille et certains prêtres n’excluent pas la démission, tandis que d’autres considèrent que l’annonce de l’Évangile est au-dessus de cette guerre. L’apaisement est encore loin. 1. Nom donné à l’institut créé par le Vatican pour accueillir les intégristes. Lettre ouverte de laïcs girondins Le Bouscat, le 22 Septembre 2006 à Monseigneur Jean-Pierre Ricard, cardinal, archevêque de Bordeaux et Evêque de Bazas Père, Notre constat Nous avons compris que la décision prise par le cardinal Dario Castrillon Hoyos, président de la Commission Ecclesia Dei, n’avait pas été précédée de consultation et de concertation mais plutôt d’une désinformation. C’est ainsi que la création de l'Institut pontifical du Bon Pasteur, qui aura son siège à Bordeaux "en la paroisse Saint-Eloi" nous stupéfie et nous inquiète. Elle ne tient pas compte de l’autorité de la chose jugée par la justice française, en donnant pour siège, à une société de vie apostolique, une église que les responsables de cet institut occupent illégalement depuis 2001. Le contenu et le ton des récents communiqués de l'Institut du Bon Pasteur nous alarment. Notre attachement à l’Église de Gironde, à l’église universelle Laïcs de l’Église, nous affirmons notre confiance en vous, notre pasteur, en votre auxiliaire Jacques Blaquart, en votre presbyterium et en votre conseil pastoral. Nous voulons continuer de servir avec vous et avec eux l’annonce de l’Évangile en terre de Gironde pour que la Parole y prenne chair. Nous nous reconnaissons de l’Église guidée par le pape, avec les évêques du monde entier unis à lui. Nous désirons être de fidèles artisans d’unité et de paix. Nous espérons recevoir dans l’Esprit le don de la communion.Nous savons que la communion est le fruit de la vérité et de l’amour. Nous voulons faire grandir l’une et l’autre. Notre attachement à une Église ouverte au monde L’Église, fidèle à la tradition des conciles et en particulier de celui de Vatican II, nous invite à partager les peines, les joies et les espoirs des hommes de notre temps, à persévérer dans le dialogue avec les autres communautés chrétiennes, à respecter les valeurs des religions non chrétiennes. Nous souhaitons que les orientations conciliaires ne soient pas remises en cause au prétexte d’une réinterprétation des textes de Vatican II. Nous vous demandons de poursuivre la mise en oeuvre des décisions prises par les évêques du monde entier, réunis autour des papes Jean XXIII puis Paul VI, pour que l’Eglise continue à s’ouvrir aux cultures de ce temps et annonce au monde la Bonne Nouvelle de Jésus Christ. Notre souhait d’un geste stratégique Nous vous demandons de convoquer un conseil pastoral diocésain exceptionnel pour aborder les questions soulevées par la création de cet institut. Nous vous demandons de tout mettre en oeuvre pour rencontrer le Saint-Père, dans un dialogue direct ou de poser un geste significatif, afin de lui faire part de nos interrogations. Nous vous demandons de lui dire notre conviction qu’il n’est possible d’œuvrer à la construction du Corps du Christ qu'en associant les Églises diocésaines aux décisions qui les concernent Nous restons à votre disposition et vous assurons, Père, de notre fidélité et de nos prières. Des laïcs du diocèse de Bordeaux et Bazas On peut signer ce texte auprès de Milène et Daniel Hamonic. |