Le courrier d’un lecteur en vacances dans la
vallée de la Rance a attiré notre attention, une nouvelle fois, sur la
non-application du Motu Proprio Summorum Pontificum dans le diocèse de Rennes.
I – LE COURRIER DE NOTRE LECTEUR
« Lorsque nous allons en vacances en Bretagne, nous nous rendons d’habitude à la messe à la très accueillante chapelle Sainte-Anne (Saint-Malo). Ce lieu de culte est desservi par la Fraternité Saint-Pie X envers laquelle nous n’avons que de la sympathie.
Le climat un peu lourd qui entoure la FSSPX ces derniers temps nous a cependant conduits à chercher un autre lieu de culte traditionnel. C’est bien simple, en dehors de l’apostolat de l’Institut du Christ-Roi, à Rennes, il n’y a rien ! Pourtant, je peux vous assurer qu’il existe, notamment dans l’estuaire de la Rance, entre Dinard/Saint-Briac et Saint-Malo/Cancale, un fort potentiel de fidèles que l’offre de la FSSPX (à Rennes, Saint-Malo et à l’école Sainte-Marie de Saint-Père, sans oublier Lanvallay dans le diocèse voisin de Saint-Brieuc) ne suffit pas à satisfaire, en particulier l’été.
Bref, nous avons choisi de faire un peu de tourisme liturgique et d’alterner les messes des vacances entre l’apostolat de l’ICRSP à Rennes, la messe en grégorien de la cathédrale de Saint-Malo, héritage du merveilleux chanoine Orhant qui dirigea la maîtrise de la cathédrale de longues années durant, et probablement la FSSPX le 15 août.
Notre premier choix a été Rennes et là, quel choc ! Une chapelle dans un quartier excentré, dans un triste état et pleine à craquer même si des amis nous ont dit que, durant l’année scolaire, il y a encore plus de monde.
Je sais que vous avez déjà à plusieurs reprises abordé la question rennaise dans vos lettres mais je pense que vous devriez y revenir. Ne serait-ce que parce que les fidèles avec lesquels j’ai discuté à la sortie de la messe m’ont appris que la mairie de Rennes avait annoncé la construction d’une station de métro aux abords de la chapelle et qu’ils ne savaient pas ce qu’il allait advenir d’eux durant ce chantier qui devrait s’ouvrir à la rentrée et pourrait durer deux ans.
Avant les visites ad limina, je pense qu’une lettre de Paix liturgique expliquant qu’en définitive le Motu Proprio de Benoît XVI est toujours dépourvu d’application honnête dans un archidiocèse aussi important que celui de Rennes pourrait faire du bien aux fidèles de Mgr d’Ornellas comme à ceux des autres diocèses où les catholiques de sensibilité traditionnelle sont encore et toujours traités comme des catholiques de second rang. ».
II – LES COMMENTAIRES DE PAIX LITURGIQUE
C’est bien volontiers, hélas ! que nous répondons à la demande de notre lecteur et portons de nouveau notre attention sur le diocèse confié à Mgr d’Ornellas. En fait, nous pourrions reprendre presque mot pour mot notre Lettre 287 du 17 juin 2011 tant la situation y est figée.
1) Notre lecteur commence par souligner l’existence d’un fort potentiel de fidèles attachés à la forme extraordinaire du rite romain entre Dinard et Saint-Malo, notamment en période estivale. C’est si vrai qu’une demande d’application du Motu Proprio avait été faite au curé de Dinard en… 2009. Sans succès, puisque le curé avait souhaité solliciter un placet épiscopal – pourtant canoniquement inutile – qui ne vint jamais.
En fait, Mgr d’Ornellas régnant, il n’y a pas plus de possibilité de célébration régulière de la forme extraordinaire du rite romain à Dinard qu’il n’y en a à Redon, à Vitré ou à Châteaubourg, quand bien même, comme ce fut le cas pour cette dernière paroisse, le dossier de la demande finit par être transmis à Rome. Issu du moule parisien, Mgr d’Ornellas est par principe hostile à toute initiative, aussi bien liturgique que spirituelle ou doctrinale, de couleur traditionnelle. Le vaticaniste italien Sandro Magister associait d’ailleurs récemment le nom de Mgr d’Ornellas à celui du cardinal Vingt-Trois pour évoquer les prélats français refusant de considérer, à la différence du pape, « le monde traditionaliste – très vivace en France, y compris dans sa composante non lefebvriste – davantage comme une ressource que comme un problème ».
Si l’on ajoute à cela que Mgr d’Ornellas est de réputation en tous domaines, et envers tout le monde, tout le contraire de dialoguant, pour le dire faiblement (1), peu de fidèles se risquent à lui demander audience… d’où l’arrêt des demandes (exprimées formellement) dans le diocèse. De toute façon, comme il le dit et le fait répéter par un clergé plus soumis que complice, la ligne épiscopale est que la demande est satisfaite puisqu’il y a la chapelle Saint-François.
2) La chapelle Saint-François est le lieu historique de l’application du Motu Proprio Ecclesia Dei de 1988 dans le diocèse de Rennes. Pendant une douzaine d’années, l’un des célébrants en a été le Père Antoine Perrero, missionnaire de La Salette rappelé à Dieu en 2010. C’est lui qui a peu à peu passé le flambeau à l’Institut du Christ-Roi, nouant au fil du temps des relations étroites avec l’Institut.
Dans ses dernières volontés, le Père Perrero avait exprimé son souhait que ses obsèques soient célébrées à Saint-François selon la liturgie traditionnelle. Un vœu auquel Mgr d’Ornellas répondit de fort mauvaise grâce, célébrant une messe Paul VI en latin, maladroite – lisant notamment les rubriques à voix haute – et prêchant contre la forme extraordinaire qui priverait les fidèles de la récitation du Pater… Une attitude blessante et choquante non seulement pour les fidèles de Saint-François mais aussi pour les pèlerins ayant découvert La Salette grâce au Père Perrero, souvent étrangers à la forme extraordinaire, et pour ses confrères prêtres venus l’accompagner dans sa dernière demeure.
3) Pendant ce temps, comme l’a relevé notre confrère de Riposte catholique, le diocèse de Rennes pratique le dialogue interreligieux à un niveau rarement vu. Du 17 au 22 juillet dernier, une session interdiocésaine consacrée au judaïsme a été organisée afin de faire « découvrir aux chrétiens la richesse spirituelle inépuisable » de celui-ci. Oui, vous lisez bien, la cible de ces journées étaient en priorité les chrétiens, « jeunes et moins jeunes, prêtres, religieux, séminaristes, catéchistes, enseignants d’établissements catholiques, laïcs en responsabilité dans l’Église ». On est là bien au-delà de ce qui se fait d’ordinaire dans les diocèses au nom de la déclaration Nostra Ætate, d’autant plus que le formulaire d’inscription précise que « tous les repas seront cachère » (et pourquoi donc la viande halal n’était-elle pas prévue ?).
Sans examiner le mérite même d’une telle initiative, nous ne pouvons que froncer les sourcils à la lecture des maîtres-mots de cette manifestation – « Distinguer sans séparer et unir sans confondre » – tant ils sont en opposition criante avec l’ostracisme dont sont victimes, dans le diocèse de Rennes, les catholiques attachés à la liturgie traditionnelle.
Dans sa lettre aux évêques du 7 juillet 2007 accompagnant la promulgation de Summorum Pontificum, Benoît XVI n’appelait-il pas tous ses frères dans l’épiscopat, y compris donc Mgr d’Ornellas, à « faire tous les efforts afin que tous ceux qui désirent réellement l’unité aient la possibilité de rester dans cette unité » et à laisser entrer dans leur cœur « tout ce à quoi la foi elle-même fait place » ?
4) Pour revenir au courrier de notre lecteur, nous pouvons confirmer, à la lecture du site Internet de la ville de Rennes, qu’en 2019, du moins si les travaux ne connaissent pas de délai, la station Mabilais de la ligne B du métro local ouvrira ses portes juste en face du parvis de Saint-François. D’après les documents consultables en ligne, le début des travaux de gros-œuvre ne devrait pas intervenir avant 2013. Il n’y a donc pas encore d’urgence mais il est légitime que l’on se pose la question de la continuité du culte à Saint-François durant ce long chantier. Cette question du lieu de culte n’est pas un problème en elle-même, toutes les églises de Rennes, autrefois très catholique, sont bien loin d’être remplies (d’où la conséquence : cette année il n’y a eu aucune ordination sacerdotale dans le diocèse, dont le clergé est en voie de disparition) mais pourrait s’avérer compliquée dans un contexte global d’opposition épiscopale au Motu Proprio Summorum Pontificum. Ce ne serait pas la première fois qu’on verrait des ennemis de la paix profiter de problématiques matérielles pour casser ce qui s’est développé parfois dans des conditions héroïques…
5) Quoi qu’il en soit, travaux du métro ou pas, la question de l’application du Motu Proprio dans le diocèse de Rennes dépasse, et de loin, le simple cas des fidèles de la chapelle Saint-François. Le sondage (voir notre Lettre 289) réalisé pour notre compte par l’institut JLM Études en mai 2011 l’a révélé : deux pratiquants sur trois du diocèse assisteraient, au moins mensuellement, à la forme extraordinaire de la messe si celle-ci était proposée dans leur paroisse. Pour satisfaire cette demande il n’y a toujours qu’un seul lieu de messe Summorum Pontificum et pas un seul curé dans tout le diocèse de Rennes n’applique (même timidement : une messe par mois ou une messe par semaine) ou ne peut appliquer le Motu Proprio…
La FSSPX offre, quant à elle, trois lieux de culte, et en outre le prieuré de Lanvallay qui rayonne sur le diocèse. Et, preuve d’une situation décidément loin d’être apaisée, Rennes abrite le plus important centre sédévacantiste de France : trois célébrations dominicales y sont offertes dans une chapelle pouvant contenir jusqu’à 400 personnes.
De toute évidence, il y a de nombreuses brebis dans le diocèse de Rennes, la question est : y a-t-il un pasteur désireux de les accueillir ?
(1) Dans notre Lettre 287, « Aucune avancée dans le diocèse de Rennes », nous disions à propos de l’archevêque : L’intellectuel Pierre d’Ornellas, appartenant – comme d’autres hauts cadres ecclésiastiques parisiens, tel Antoine Guggenheim – à l’Institut Notre-Dame de Vie, à Vénasque, a été l’un des nombreux secrétaires particuliers qui se sont succédés auprès du cardinal Lustiger. Il a ensuite été directeur de l’École cathédrale, poste d’extrême confiance, et enfin évêque auxiliaire en 1997. Dans la politique parisienne de « recentrage » de l’époque, il fut un des bras les plus puissants, spécialement le plus attentif à préserver les jeunes clercs de la capitale de tout virus intégriste. Les prêtres formés par Mgr d’Ornellas étaient destinés à devenir exemplairement, comme le cardinal Lustiger aimait à le leur dire, « la première génération qui aurait enfin compris le Concile ».
II devint ainsi, avec Mgr Vingt-Trois, le plus proche collaborateur de l’archevêque, mais dans un style très différent, peu amène, au point de réussir à faire l’unanimité, ce qui est rare dans le clergé, mais… contre lui. Son importance dans le haut clergé de France lui vaudra d’être nommé directement à un siège métropolitain, Rennes.
À son honneur, doit être relevé le fait que Mgr d’Ornellas a pris des positions morales fortes et publiques, qui constituent un progrès substantiel par rapport à la stratégie de « l’enfouissement » qui prévalait dans les années 1970 et qui a fait que la loi Veil a pu passer sans la moindre mobilisation épiscopale.
Au total, homme de fort (et mauvais) caractère, Mgr d’Ornellas entend faire de Rennes, à l'heure où se profile dans l'Eglise une indispensable réconciliation bâtie sur une charité vraie et pragmatique, un pôle militant et combatif de la « troisième voie », ni progressiste, ni – au grand jamais ! – traditionaliste.