SOURCE - Mgr Di Noia -
un article publié samedi 18 janvier à partir de la longue lettre envoyée par Mgr Di Noia à Mgr Fellay que je suis en mesure de vous communiquer ici. Elle mérite d'être versée à ce dossier comme l'une de ses pièces les plus importantes puisque ce prélat américain, dominicain, a précisément été nommé dans la commission Ecclesia Dei, par Benoît XVI pour tenter de sauver cet accord. [ ]La perspective d'un accord entre Rome et la Fraternité Saint Pie X semble s'éloigner. Ce dossier - l'un des plus symboliques du pontificat de Benoît XVI - fait pourtant l'objet d'un soin tout particulier de la part du Saint-Siège. J'ai tenté de l'expliquer dans
DOCUMENT
(Les paragraphes et intertitres figurent dans le texte original qui est publié ici dans son intégralité)
S.E. Monseigneur Bernard FELLAY Supérieur général
de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X
Avent 2012
Excellence, chers frères prêtres de la Fraternité sacerdotale saint Pie X,
C'est avec joie que j'ai appris la satisfaction que vous a
donnée notre dernière déclaration en date du 28 octobre. Il était
important d'affirmer de manière publique et autorisée que les relations
du Saint-Siège avec la Fraternité sacerdotale saint Pie X restent
ouvertes et pleines d'espérance. Jusqu'ici, à part ses décisions
officielles, le Saint-Siège s'est, pour différentes raisons, abstenu de
rectifier certaines affirmations inexactes au sujet de sa conduite et de
sa compétence dans ces relations. Quoi qu'il en soit, vient le moment
où, dans l'intérêt de la vérité, le Saint-Siège sera obligé de faire
état de certaines de ces indélicatesses. Particulièrement douloureuses
ont été les prises de position qui attaquent la mission et la personne
du Saint-Père: cela, désormais, demande une réponse.
De récentes prises de position de membres de la Fraternité qui y
occupent d'importants postes d'autorité ne peuvent que faire douter de
la possibilité effective d'une réconciliation. On pense, en particulier,
à des entretiens accordés par le Supérieur du district d'Allemagne,
ancien Supérieur général de la Fraternité (18 septembre 2012) et par le
premier Assistant général de la Fraternité (16 octobre 2012), ainsi qu'à
un récent sermon du Supérieur général (1er novembre 2012). Le ton et le
contenu de ces déclarations ont suscité une certaine perplexité sur le
sérieux et même sur la possibilité effective d'une poursuite de nos
relations. Tandis que le Saint-Siège attend patiemment une réponse
officielle de la Fraternité, certains de ses supérieurs tiennent, dans
des communications non officielles un langage qui, aux yeux du monde
entier, apparaît comme un rejet des dispositions requises pour la
réconciliation et la régularisation canonique de la Fraternité dans
l'Église catholique.
De
plus, en revoyant l'histoire de nos relations depuis les années 1970,
on est amené à faire le constat objectif que les termes de notre
désaccord au sujet du Concile Vatican II demeurent, en fait, inchangés.
Avec son autorité magistérielle, le Saint-Siège a toujours affirmé qu'il
fallait interpréter les textes du Concile à la lumière de la Tradition
et du Magistère, et non l'inverse, tandis que la Fraternité a insisté
pour dire que certains enseignements du Concile sont erronés et donc non
susceptibles de recevoir une interprétation en harmonie avec la
Tradition et le Magistère. Au fil des ans, cette impasse est restée plus
ou moins telle quelle. Tout en permettant un fructueux échange de vues
sur des thèmes précis, les trois années de colloques doctrinaux qui
viennent à peine de s'achever n'ont pas fondamentalement changé la
situation.
Dans ces circonstances, tandis que l'espérance
demeure, il est clair qu'un élément nouveau doit être introduit dans nos
échanges, si nous ne voulons pas apparaître à l'Église, au grand public
et, au fond, à nous-mêmes, comme engagés dans un échange courtois, mais
sans issue ni fruit. Il faut développer des considérations nouvelles,
de nature plus spirituelle et théologique, qui transcendent les
désaccords importants et apparemment insurmontables sur l'autorité et
l'interprétation du Concile Vatican II, objet de notre division
actuelle; ces considérations seront centrées sur notre devoir de
préserver et de chérir l'unité et la paix de l'Église, qui sont voulues
par Dieu.
Il me semble opportun d'introduire ces nouvelles
considérations sous la forme d'une lettre personnelle pour l'Avent,
adressée à vous-même ainsi qu'aux membres de la Fraternité sacerdotale.
Son enjeu n'est autre que l'unité de l'Église.
Le maintien de l'unité de l'Église
Dans
ce contexte, les mots de saint Paul reviennent à l'esprit: « Moi qui
suis en prison à cause du Seigneur, je vous encourage à vivre de manière
digne de l'appel que vous avez reçu, avec beaucoup d'humilité, de
douceur et de patience, en vous supportant les uns les autres avec
amour, en ayant à cœur de garder l'unité de l'Esprit par le lien de la
paix. De même que votre vocation vous a tous appelés à une seule
espérance, de même il n'y a qu'un seul Corps et un seul Esprit. Il n'y a
qu'un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et
Père de tous, qui règne au-dessus de tous, par tous, et en tous » (Ep 4,
1-6).
Par ces mots, l'apôtre Paul nous invite à garder l'unité
de l'Église, l'unité qui est donnée par l'Esprit et nous unit au Dieu
unique « qui règne au-dessus de tous, par tous, et en tous» (Ep 4, 6).
La véritable unité est un don de l'Esprit, et non le résultat de notre
action.
Toutefois, nos décisions et nos actions nous rendent
aptes à coopérer dans l'unité de l'Esprit ou à agir contre les motions
de l'Esprit. Par conséquent, saint Paul nous exhorte « à vivre de
manière digne de l'appel que nous avons reçu » (Ep 4, 1), à vivre en
gardant le don précieux de l'unité.
Afin de persévérer dans l'unité de l'Église, saint Thomas
d'Aquin remarque que, d'après saint Paul, « il faut cultiver quatre
vertus et proscrire les quatre vices qui leur sont opposés »
(Commentaire de la Lettre aux Éphésiens, § 191). Que faut-il éviter sur
la voie de l'unité?
L'orgueil, la colère, l'impatience et le zèle
désordonné. D'après l'Aquinate, « le premier vice rejeté par [saint
Paul] est l'orgueil. Quand une personne arrogante décide de diriger les
autres, alors que ces autres, dans leur fierté, refusent de se
soumettre, des désaccords surgissent dans la société, et la paix
disparaît... La colère est le deuxième vice. Car un colérique est porté à
l'injustice, verbale ou physique, ce qui provoque la confusion. .... Le
troisième est l'impatience. Parfois, un homme humble et doux, qui
s'interdit de provoquer le trouble, ne supporte pas avec patience les
attaques effectives ou projetées qu'on porte contre lui. ... Le
quatrième vice est le zèle désordonné. Le zèle désordonné peut porter
sur n'importe quoi; à cause de lui, les hommes vont juger de tout ce
qu'ils voient, sans attendre le bon moment ou le bon endroit, et c'est
une catastrophe pour la société» (ibid.).
Comment pouvons-nous agir contre ces vices? Saint Paul nous dit:
« Ayez beaucoup d'humilité, de douceur et de patience, supportez-vous
les uns les autres avec amour » (Ep 4, 2).
D'après l'Aquinate, en
nous faisant voir la bonté présente chez les autres et reconnaitre nos
propres forces et nos propres faiblesses, l'humilité nous aide à éviter
l'esprit de rivalité dans nos rapports avec autrui. La douceur « aplanit
les difficultés et préserve la paix » (Commentaire de la Lettre aux
Éphésiens, § 191). Elle nous aide à éviter les manifestations
désordonnées de colère en nous donnant la sérénité de faire notre devoir
avec égalité d'humeur et dans un esprit de paix. La patience nous rend
capables de supporter la souffrance pour obtenir le bien recherché,
surtout s'il est difficile à atteindre ou si des circonstances
extérieures militent contre la réalisation de l'objectif. La charité
fait éviter le zèle désordonné en nous donnant de nous soutenir les uns
les autres, « en portant les défauts des autres avec charité» (ibid.).
Saint Thomas donne ce conseil: « Quand quelqu'un tombe, il ne faudrait
pas immédiatement le corriger, à moins qu'il y ait un temps et un lieu
pour cela. Il faudrait attendre avec compassion, puisque la charité
supporte tout (1 Co 13, 7). Il ne s'agit pas de tolérer par négligence
ou complicité, par familiarité ou amitié charnelle, mais par charité.
... Nous qui sommes forts, nous devons porter les infirmités des faibles
(Rm 15, 1)) (ibid.).
Le prudent conseil de saint Thomas peut nous être utile, si nous
acceptons d'être formés par sa sagesse. Au cours des quarante dernières
années, nos relations n'ont-elles pas parfois manqué d'humilité. de
douceur, de patience et de charité?
Souvenons-nous
de ce qu'a écrit le pape Benoît XVI à ses frères dans l'épiscopat pour
expliquer la promulgation du motu proprio Summorum Poniificum : « En
regardant le passé, les divisions qui ont lacéré le corps du Christ au
cours des siècles, on a continuellement l'impression qu'aux moments
critiques où la division commençait à naître, les responsables de
l'Église n'ont pas fait suffisamment pour conserver ou conquérir la
réconciliation et l'unité; on a l'impression que les omissions dans
l'Église ont eu leur part de culpabilité dans le fait que ces divisions
aient réussi à se consolider. Ce regard vers le passé nous impose
aujourd'hui une obligation: faire tous les efforts afin que tous ceux
qui désirent réellement l'unité aient la possibilité de rester dans
cette unité ou de la retrouver à nouveau» (Lettre du 7 juillet 2007).
Comment
les vertus d'humilité, de douceur, de patience et de charité peuvent
modeler nos pensées et nos actions. D'abord, si nous cherchons
humblement à reconnaitre la bonté qui existe chez ceux avec qui nous
pouvons être en désaccord sur des points même apparemment fondamentaux,
nous sommes capables d'examiner des questions disputées dans un esprit
d'ouverture et en toute bonne foi. Deuxièmement, si nous avons une
véritable douceur, nous pouvons garder un esprit de sérénité, en évitant
de parler sur un ton qui divise ou de développer des considérations
imprudentes qui offenseront au lieu de favoriser la paix et la
compréhension mutuelle. Troisièmement, si nous gardons une vraie
patience, nous reconnaitrons que, dans la recherche du bien précieux que
nous poursuivons, nous devons vouloir, si nécessaire, accepter la
souffrance de l'attente. Enfin, si nous sentons encore le besoin de
corriger nos frères, ce doit être avec charité, au bon moment et au bon
endroit.
Dans la vie de l'Église, toutes ces vertus visent à préserver «
l'unité de l'Esprit par le lien de la paix » (Ep 4, 3). Si nos rapports
sont marqués par l'orgueil, la colère, l'impatience et le zèle
désordonné, notre recherche inquiète du bien de l'Église ne nous
conduira qu'à l'amertume. Si, d'autre part, la grâce de Dieu nous fait
grandir en vérité dans l'humilité, la douceur, la patience et la
charité, notre unité dans l'Esprit sera maintenue et nous grandirons
plus profondément dans l'amour de Dieu et du prochain, en accomplissant
toute la loi que Dieu nous a donnée.
Si nous insistons tant sur
l'unité de l'Église, c'est qu'elle reflète la communion de la sainte
Trinité et s'opère par elle. Comme nous le lisons dans un sermon de
saint Augustin: cc Le Père et le Fils nous ont souhaité d'être en
communion avec eux et entre nous; par ce don, qu'ils possèdent tous deux
comme s'ils ne faisaient qu'un, ils ont souhaité nous unir à eux et
nous unir entre nous par l'Esprit saint qui est Dieu et le don de Dieu »
(Sermon 71, 18).
L'unité de l'Église n'est pas une chose que nous obtiendrions
pour nous- mêmes par notre propre pouvoir, mais c'est un don de la grâce
divine. C'est en reconnaissant ce don qu'Augustin peut dire: « Un
ennemi de l'unité n'a pas de part à l'amour de Dieu. Par conséquent,
ceux qui sont en dehors de l'Église n'ont pas l'Esprit saint » (Lettre
185, § 50). Voilà des mots qui glacent: un ennemi de l'unité devient
ennemi de Dieu, car il rejette le don que Dieu nous a fait. « Comment
prouver que nous aimons notre prochain? » demande saint Augustin. « En
ne brisant pas son unité, car nous observons la charité» (Homélies sur
la première lettre de saint Jean 2, 3). Écoutons ce que dit saint
Augustin à ceux qui divisent l'Église: « Vous n'avez pas la charité,
parce que, au nom de votre honneur, vous provoquez des divisions dans
l'unité. Comprenez donc par là que l'Esprit vient de Dieu .... Vous vous
écartez vous-mêmes de l'unité du monde, vous divisez l'Église par des
schismes, vous lacérez le corps du Christ. Il est venu dans la chair
pour le rassembler ; vous, vous criez pour le déchirer » (ibid.. 6, 13).
Comment pouvons-nous éviter de devenir des ennemis de Dieu? «
Que chacun interroge son cœur. Si quelqu'un aime son frère, l'Esprit de
Dieu habite en lui. Qu'il regarde, qu'il s'éprouve lui-même sous le
regard de Dieu! Qu'il voie s'il existe en lui un amour de la paix et de
l'unité, un amour de l'Église répandue sur toute la terre! » (ibid. 6,
10). Comment donc nous comporter avec ceux dont il nous est difficile
d'être les amis? Écoutons saint Augustin: « Aimez vos ennemis de manière
à souhaiter les avoir pour amis ; aimez vos ennemis de manière à en
faire des compagnons» (ibid. 1, 9). Pour Augustin, la forme authentique
de l'amour ne peut être qu'un don de Dieu: « Demandez à Dieu de pouvoir
vous aimer les uns les autres. Vous devriez aimer tous les hommes, même
vos ennemis, non parce qu'ils sont vos frères, mais parce qu'ils peuvent
le devenir, de manière à pouvoir être toujours embrasés de l'amour
fraternel, soit pour celui qui est devenu votre frère, soit pour votre
ennemi, si bien qu'en l'aimant, il puisse devenir votre frère» (ibid.
10,7).
L'exemple de l'amour qui transforme nos ennemis en amis nous
vient, en dernière analyse, du Christ lui-même: « Aimons-nous, car il
nous a aimés le premier (4, 19). Comment aimerions-nous, s'il ne nous
avait aimés le premier? Par son amour, nous sommes devenus ses amis,
mais il nous a aimés comme ennemis, de manière à faire de nous ses amis.
Il nous a aimés le premier et nous a accordé les moyens de l'aimer »
(ibid. 9, 9).
Pour saint Augustin, l'unité de l'Église vient donc
de la communion de la Bienheureuse Trinité et doit être maintenue, si
nous voulons rester en communion avec Dieu même. Par la grâce de Dieu,
nous devons préserver cette unité avec une grande détermination, même si
cela implique des souffrances et une patiente
endurance: « Supportons le monde, supportons les tribulations,
supportons le scandale des procès. Ne rebroussons pas chemin. Tenons bon
dans l'unité de l'Église, tenons bon dans le Christ, tenons bon dans
l'amour. N'abandonnons pas les membres de son épouse, n'abandonnons pas
la foi, de manière à pouvoir être glorifiés en sa présence, et nous
serons en sûreté en lui, dès maintenant par la foi, et plus tard par la
vision, dont l'Esprit saint nous a donné le gage » (ibid. 9, 11).
La place de la Fraternité sacerdotale dans l'Église
Que vous est-il donc demandé dans la situation présente? Non pas
de perdre le zèle de votre fondateur, Monseigneur Lefebvre. Loin de là!
Au contraire, il vous est demandé de raviver la flamme de son zèle
ardent pour la formation des hommes au sacerdoce de Jésus-Christ. Le
moment est sûrement venu d'abandonner la rhétorique âpre et
contre-productive qui a surgi au cours des années passées.
Retourner au charisme jadis confié à Monseigneur Lefebvre, le
charisme de la formation des prêtres dans la plénitude de la Tradition
catholique pour entreprendre auprès des fidèles un apostolat qui
jaillisse de cette formation sacerdotale. Voilà le charisme que l'Église
discerna lorsque la Fraternité sacerdotale saint Pie X fut approuvée en
1970. Nous n'avons pas oublié le jugement élogieux porté par le
Cardinal Gagnon sur le séminaire d'Écône en 1987.
Le charisme
authentique de la Fraternité consiste à former des prêtres pour le
service du peuple de Dieu, non à se donner la mission de juger et de
corriger la théologie ou la discipline d'autrui dans l'Église. Vous
aurez à vous centrer sur la transmission d'une formation philosophique,
théologique, pastorale, spirituelle et humaine à vos candidats, pour
qu'ils puissent prêcher la parole du Christ et agir comme des
instruments de la grâce de Dieu dans le monde, en particulier par la
célébration solennelle du saint Sacrifice de la Messe. Il faudra
certainement prêter attention aux passages du Magistère qui vous
semblent difficiles à concilier avec l'enseignement magistériel, mais
ces questions théologiques ne devraient pas constituer le centre de
votre prédication ou de votre formation.
Sur la question de savoir qui est compétent pour corriger un
abus, nous pouvons considérer le cas de saint Pie X et de ses
interventions dans le domaine de la musique sacrée. En 1903, saint Pie X
promulgua le célèbre motu proprio Tra le sollecitudini, qui promouvait
dans toute l'Église une réforme de la musique sacrée. Ce document
marquait l'aboutissement de deux initiatives antérieures de Giuseppe
Sarto: un votum sur la musique sacrée écrit à la demande de la Sacrée
Congrégation des Rites en 1893, et une lettre pastorale sur la réforme
de la musique sacrée dans l'Église de Venise publiée en 1895.
Ces
trois documents avaient substantiellement le même contenu. Pourtant, le
premier était une liste de suggestions pour la Curie romaine, le
deuxième une instruction pour les croyants placés sous la juridiction du
Patriarche de Venise, et le troisième une série de dispositions
valables pour l'Église universelle. En tant que Pape, saint Pie X avait
l'autorité nécessaire pour signaler les abus en matière de musique
sacrée dans le monde entier, tandis que, comme évêque, il ne pouvait
intervenir que dans son diocèse. Par ses prescriptions disciplinaires et
doctrinales, saint Pie X pouvait traiter les problèmes dans l'Église
sur un plan universel, précisément à cause de son autorité universelle.
Même
si nous sommes convaincus que notre point de vue sur une question
particulière disputée est le bon, nous ne pouvons pas usurper la mission
du Souverain Pontife en nous arrogeant le droit de corriger
publiquement les autres dans l'Église. Nous pouvons proposer et chercher
à influer, mais non pas manquer de respect à l'égard des autorités
locales légitimes ou agir contre elles. Nous devons respecter le genre
propre de différentes sortes d'instances: c'est la foi qu'il faudrait
prêcher dans nos chaires, et non la dernière interprétation de ce que
nous croyons problématique dans un document magistériel. Ce fut une
erreur de faire de tout point difficile de l'interprétation théologique
de Vatican II la matière d'une controverse publique, en cherchant à
pousser ceux qui ne sont pas compétents en théologie à adopter notre
point de vue au sujet de points théologiques délicats.
L'Instruction Donum Veritatis sur la vocation ecclésiale du
théologien (Congrégation pour la Doctrine de la Foi, 1990) affirme qu'un
théologien peut « se poser des questions portant, selon les cas, sur
1'opportunité, sur la forme ou même le contenu d'une intervention du
Magistère », bien que « la volonté d'acquiescement loyal à cet
enseignement du Magistère en matière de soi non irréformable doive être
la règle » (§ 24). Toutefois, un théologien « ne présentera pas ses
opinions ou ses hypothèses divergentes comme s'il s'agissait de
conclusions indiscutables. Cette discrétion est commandée par le respect
de la vérité ainsi que par le respect du Peuple de Dieu (cf. Rm 14,
1-15; 1 Co 8 ; 10, 23-33). Pour les mêmes raisons, le théologien
renoncera à leur expression publique intempestive » (§ 27).
Si,
après une intense, patiente et loyale réflexion de sa part, des
difficultés demeurent, « c'est un devoir /pour le théologien de faire
connaître aux autorités magistérielles les problèmes que soulève un
enseignement en lui-même, dans les justifications qui eI1 sont proposées
ou encore dans la manière selon laquelle il est présenté, Il le fera
dans un esprit évangélique, avec le désir profond de résoudre les
difficultés. Ses objections pourront alors contribuer à un réel progrès,
en stimulant le Magistère à proposer 1'enseignement de l'Église d'une
manière plus approfondie et mieux argumentée. -Dans ces cas, le
théologien évitera de recourir aux mass-media plutôt que de s'adresser à
l'autorité responsable, car ce n'est pas en exerçant ainsi une pression
sur 1'opinion publique que 1'on peut contribuer à la clarification des
problèmes doctrinaux et servir la vérité » (§ 30).
Cette partie de la tâche du théologien menée dans un esprit
loyal et animée par l'amour de l'Église, peut parfois être difficile. cc
Ce peut être un appel à souffrir dans le silence et la prière, avec la
certitude que si la vérité est vraiment en cause, elle finira
nécessairement par s'imposer » (§ 31).
Toutefois, un examen critique des actes du Magistère ne doit
jamais devenir une sorte de « magistère parallèle » des théologiens (cf.
§ 34), car il doit être soumis au jugement du Souverain Pontife, qui a «
la tâche de préserver l'unité de l'Église, avec la sollicitude d'offrir
à tous l'assistance pour répondre avec les moyens opportuns à cette
vocation et grâce divine » (Lettre apostolique Ecclesiae unitatem § 1).
Nous voyons donc que, pour ceux qui, dans l'Église, ont le devoir ou la
mission canonique d'enseigner, il y a place pour un engagement vraiment
théologique et non polémique avec le Magistère. Intellectuellement
parlant, de toute façon, nous ne pouvons pas nous centrer uniquement sur
la controverse. Les problèmes théologiques difficiles ne peuvent être
adéquatement traités que par l'analogie de la foi, c'est-à-dire la
synthèse de tout ce que le Seigneur nous a révélé. Nous verrons chaque
doctrine et article de foi comme soutenant les autres et apprendre à
comprendre les liens internes qui existent entre chacun des éléments de
notre foi.
Pour
entreprendre des études de théologie, nous devons avoir une expérience
culturelle, biblique et philosophique adéquate. Je pense, par exemple, à
un passage du Code de Droit canonique de 1917 reproduit dans
l'introduction de Benziger à l'édition anglaise de la Somme Théologique:
« Les religieux qui ont déjà fait leurs humanités devront étudier la
philosophie pendant au moins deux ans, et la théologie pendant quatre
ans, en suivant l'enseignement de saint Thomas et en accord avec les
instructions du Siège apostolique» (CIC 1917, can. 589). Considérons la
sagesse de cette directive: la théologie doit être entreprise par ceux
qui ont été formés aussi bien dans les humanités qu'en philosophie. La
Congrégation pour l'Éducation catholique a récemment demandé que l'étude
de la philosophie dure trois ans pendant la formation au sacerdoce.
Sans cette ouverture, notre recherche théologique n'aura pas le riche
terreau de culture sur lequel la foi s'enracine et qui est indispensable
pour une pleine compréhension des concepts et des termes philosophiques
qui sous-tendent les formulations doctrinales de l'Église.
Si
nous nous centrons seulement sur les questions les plus difficiles et
les plus controversées, - qui doivent, certes, faire l'objet d'une
grande attention - nous pouvons finir par perdre le sens de l'analogie
de la foi et nous mettre à voir la théologie surtout comme une sorte de
dialectique intellectuelle sur des sujets conflictuels plus que comme un
engagement de la sagesse avec le Dieu vivant qui s'est révélé à nous en
Jésus Christ et qui, par l'Esprit saint, inspire notre travail, notre
prédication et notre action pastorale.
Conclusion
Avec sa façon magnanime d'exercer le munus Petrinum, le pape
Benoît XVI est extrêmement désireux de surmonter les tensions qui ont
existé entre l'Église et votre Fraternité. Une réconciliation ecclésiale
immédiate et totale mettra-t-elle fin aux soupçons et à la méfiance qui
ont surgi de part et d'autre? Sans doute pas si facilement.
Mais ce que nous cherchons n'est pas une œuvre humaine: nous
cherchons la réconciliation et la guérison par la grâce de Dieu, sous la
conduite aimante du Saint-Esprit. Rappelons-nous les effets de la grâce
articulés par saint Thomas: guérir l'âme, désirer le bien, réaliser le
bien qu'on s'est proposé, persévérer dans le bien et, pour finir,
obtenir la gloire (cf. Somme Théologique la Irae, 111, 3).
Nos
âmes ont d'abord besoin d'être guéries, purifiées de l'amertume et du
ressentiment nés de trente ans de soupçons et de tourments de part et
d'autre. Nous devons prier le Seigneur de nous guérir de toutes les
imperfections qui sont venues précisément à cause des difficultés,
surtout du désir d'autonomie qui est, en fait, étranger aux formes
traditionnelles de gouvernement dans l'Église. Le Seigneur nous donne la
grâce de désirer certains biens: en ce cas, le bien d'une unité et
d'une communion ecclésiales totales. C'est un désir que bon nombre
d'entre nous partagent, humainement parlant, mais ce que nous avons
besoin de recevoir du Seigneur, c'est la communication de ce désir à nos
âmes, de manière à nous faire désirer le ut unum sint avec le désir
même du Christ.
C'est seulement alors que la grâce de Dieu nous permettra de réaliser le
bien que nous nous proposons. C'est Lui qui nous pousse à chercher une
réconciliation et la porte à son achèvement.
Voici venu le moment d'une grâce extraordinaire: saisissons-le
de tout notre cœur et de tout notre esprit. En nous préparant â la venue
du Sauveur du monde au cours de cet Avent de l'Année de la Foi, prions
et espérons avec confiance: ne pouvons-nous pas aussi espérer la
réconciliation, attendue depuis longtemps, de la Fraternité sacerdotale
saint Pie X avec le Siège de Pierre?
Le seul avenir imaginable pour la Fraternité sacerdotale saint Pie X se
trouve sur le chemin d'une pleine communion avec le Saint-Siège, dans
l'acceptation d'une profession de foi inconditionnelle en sa plénitude,
et donc avec une vie sacramentelle, ecclésiale et pastorale
convenablement ordonnée.
Ayant reçu de Pierre la charge d'être
un instrument de réconciliation de la Fraternité sacerdotale, j'ose
faire miennes les paroles de Paul en nous exhortant à « vivre fidèlement
1'appel reçu, avec beaucoup d'humilité, de douceur et de patience, en
nous supportant les uns les autres avec amour, en ayant à cœur de garder
l'unité de l'Esprit par le lien de la paix ».
Sincèrement vôtre dans le Christ,
+ J. Augustine Di Noia, O.P.