SOURCE - Paix
Liturgique, lettre n°371 - 22 janvier 2013
Un courrier de lecteur nous fournit cette semaine
l’occasion de réfléchir sur ce que l’application, même partielle mais généreuse
et bienveillante, du Motu Proprio Summorum Pontificum peut apporter à
nos paroisses.
I – LE TÉMOIGNAGE DE NOTRE LECTRICE
Chère équipe de Paix liturgique
Habitant dans une ville où a été installée une paroisse
personnelle pour les fidèles liés à la forme extraordinaire du rite romain,
je bénéficie grâce à notre bien-aimé Pape (et à mon évêque, cela va
mieux en le disant) des meilleures conditions pour vivre ma foi catholique au
rythme d’une liturgie digne, christocentrée et immuable. Je suis consciente
de bénéficier d’une situation privilégiée et ai toujours quelque
angoisse à la veille de me déplacer, ne sachant à quoi m’attendre le
dimanche à la messe loin de ma paroisse.
Aussi ai-je été très favorablement surprise le jour de
l’Épiphanie en assistant à la messe à Senlis, alors que j’étais de
passage chez des amis et c’est de cette expérience dont je souhaite vous
faire part. D’ordinaire, lorsque je me déplace, j’essaie de trouver la
messe Summorum Pontificum la plus accessible en fonction de mes
obligations et des moyens de transport à ma disposition mais, comme vous le
savez mieux que moi, la forme extraordinaire du rite romain est encore
inaccessible dans plusieurs régions, " tous les dimanches et à
horaire familial " selon votre expression. J’avais vu, avant de me
rendre dans l’Oise, que les messes les plus proches de Senlis étaient
celles de Compiègne et de Belloy-en-France mais ne savais pas si mes amis
accepteraient de m’y accompagner (je n’ai pas le permis de conduire).
Je vous passe les détails mais j'ai dû finalement me plier
aux habitudes de mes amis qui sont paroissiens de la cathédrale où ils vont
à la messe du soir. Ils m’avaient assuré : " Tu vas voir,
on a un bon curé " et j’avais souri en me mordant la langue pour
éviter de leur dire que ce n’était pas le curé qui m’intéressait mais
la messe ! Et je dois dire que j’ai bien fait de me taire car si je
vous écris aujourd’hui c’est bien grâce au curé de Senlis. En effet, en
entrant dans la cathédrale, j’ai eu la surprise de découvrir un
arrangement d’autel tout ce qu’il y a de plus traditionnel et, avant la célébration,
le curé a prononcé quelques mots pour expliquer qu’il allait célébrer la
forme extraordinaire du rite romain " permise par notre pape Benoît XVI ".
Et mon amie de me glisser à l’oreille : " Je te promets que
je n'en savais rien. "
Rendant grâce à l’Enfant-Jésus pour cette belle
surprise, j’ai donc suivi la messe avec ferveur et curiosité, notant bien
ici et là quelques incongruités – surtout au moment de la communion, les
fidèles communiant comme à la forme ordinaire, debout, dans la main, etc.
– mais appréciant l’application du célébrant, le recueillement de
l’assemblée et la contribution de la chorale. Après la messe, j’ai
profité d’amis de mes amis pour satisfaire ma curiosité et apprendre que
cela fait près de deux ans que le curé de Senlis, en alternance avec celui
de Chantilly (du moins au début), célèbre tous les deux ou trois mois la
forme extraordinaire à la demande d’un groupe de fidèles. Surtout, m’ont
appris ces amis d’amis qui, eux, font partie de ce groupe, depuis qu’une
chorale grégorienne s’est mise en place sur la paroisse grâce à cette
ouverture à la liturgie traditionnelle, le curé a accepté le principe de célébrer
la forme extraordinaire de préférence les dimanches de fête, à l’heure
de la messe du soir. Ce qui explique cette messe de l’Épiphanie.
Voici tout ce que je souhaitais vous communiquer car je
pense qu’il y a là matière à réflexion : vous mettez souvent en
relief ce qui cloche dans nos diocèses et vous faites bien mais il y a aussi
des expériences positives, en parfaite communion avec le Saint-Père et sa
volonté de réhabilitation de la liturgie.
(J. S.) 1) De la célébration de la forme extraordinaire à Chantilly et Senlis, nous étions vaguement au courant mais sans plus, vu que celle-ci était irrégulière et semblait devoir le rester. Nous remercions donc notre lectrice pour cette première information. Nous avons contacté la paroisse Saint-Rieul qui nous a précisé que les prochaines messes dans la forme extraordinaire à Senlis auront lieu les dimanches 3 mars et 2 juin, à 18 heures, comme indiqué sur son site. Selon nos informations, le curé aurait décidé, dans la mesure du possible et par souci pédagogique, d’offrir les bienfaits du Motu Proprio à ses paroissiens lorsque le calendrier nouveau et le calendrier traditionnel concordent, comme ce fut le cas pour l’Épiphanie.II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
2) Du témoignage de notre
lectrice, des échanges que nous avons eus avec elle pour préciser certains
points de son courrier, et des renseignements complémentaires que nous avons
recueillis, il ressort la nette volonté du curé de mettre ses pas dans ceux
du Pape ou, plus justement, d’agir selon le cœur de Benoît XVI :
avec conviction mais aussi patience et bonté. Si la communion est encore donnée
comme elle se donne dans la forme ordinaire, c’est parce que 90 % des
fidèles sont des paroissiens habituels dont une grande partie – comme les
amis de notre lectrice – découvrent au dernier moment que la messe est célébrée
selon la forme extraordinaire du rite romain. On est tout simplement en présence
de fidèles qui vont à la messe du soir de leur curé dans leur paroisse et
qui, tous les deux ou trois mois, se rappellent que celui-ci a décidé
d’appliquer le Motu Proprio de Benoît XVI.
Dans le " Projet liturgique paroissial "
pour 2012-2014, le curé de Senlis explique bien sa démarche : " Cette
forme dite aujourd’hui ‘extraordinaire’, n’a jamais été abrogée et
continue à être célébrée ici ou là. Notre Pape nous encourage à la découvrir
ou à la redécouvrir et à honorer, autant que possible, les demandes des
'groupes stables' de fidèles qui aiment cette liturgie. Cela se fait chez
nous en bonne intelligence, certes modestement, humblement et paisiblement, grâce
à la bonne volonté des uns et des autres, aux encouragements mutuels, et en
tenant compte de la disponibilité des prêtres pour se former et officier.
Nous voulons poursuivre en ce sens en partageant la conviction de Benoît XVI
que les deux formes de l’unique rite romain peuvent s’enrichir
mutuellement. " Que dire de mieux ?
3) Nous sommes souvent réservés
devant les applications injustes, partielles et partiales du Motu
Proprio. Certains lecteurs s’étonneront alors de nous voir saluer une
application qui n’est que bi ou trimestrielle. Tout tient en fait à
l’intention du curé : s’il accorde un peu en affichant le désir de
satisfaire progressivement ses paroissiens, c’est bien ; mais s’il
n’accorde un peu que dans l'idée de voir le groupe de demandeurs se décourager,
c’est totalement différent. Ici, il est clair que ce curé fait
avancer les choses : d’abord il disait la messe traditionnelle
certains dimanches, puis il commence à la dire lors des dimanches où les
calendriers coïncident. Remarquons au passage que la « pédagogie »
des curés qui « y vont doucement » vise tout autant leurs autorités
diocésaines que leurs paroissiens : il importe donc d’aider ces curés progressants, à
bien distinguer des curés régressifs ou restrictifs.
Comment faire la part des choses ? À l'épreuve des faits bien entendu,
mais aussi en voyant si le curé impose le secret à ses ouailles (mauvais
signe) ou accepte en revanche de donner une large publicité à sa démarche
(attitude encourageante).
À Senlis, comme les lignes ci-dessus le laissent deviner et
comme le confirment les témoignages que nous avons recueillis, cette
application partielle se fait pour agir progressivement, " en esprit
de vérité et de charité " : pas de brimades infligées aux
demandeurs, pas de dispositions liturgiques aberrantes, pas de chantage à
l’obéissance et au silence. Au contraire, la naissance d’une chorale grégorienne
(avec la participation ponctuelle de fidèles de la Fraternité Saint-Pie X
de Compiègne !) – qui chante, de fait, plus souvent la forme ordinaire
qu’extraordinaire – a facilité l’acceptation de la demande par les
paroissiens non demandeurs. Selon nos échos, à Senlis, tout le monde vit
cette introduction " modeste, humble et paisible " de la
liturgie traditionnelle comme un enrichissement. Nous ne pouvons que nous en réjouir
et inviter le curé et ses équipes, demandeurs compris, à en faire un peu
plus. Par exemple en ouvrant une réflexion sur la communion :
s’agissant d’enrichissement, l’invitation à communier à genoux sur la
langue pourrait être conseillée lors de la messe en forme ordinaire. Ce qui
pourrait passer par la réintroduction de l’usage du banc, si ce n’est du
rail, de communion, à l'image de ce que fait le Saint-Père dans ses propres
messes.
4) Nos sondages nationaux sur
la réception du Motu Proprio font apparaître, de façon constante, qu’au
moins 34 % des pratiquants assisteraient à la forme extraordinaire au
moins une fois par mois si celle-ci était célébrée DANS LEUR PAROISSE.
Dans le diocèse de Pontoise, voisin de celui de Beauvais auquel appartient la
paroisse de Senlis, ce chiffre grimpe jusqu’à 62 % (voir notre lettre
361). Il y avait plus de 150 fidèles à Senlis le soir de l’Épiphanie :
quasiment tous les paroissiens habituels, ne voyant à l'évidence aucun
inconvénient au fait que ce soir-là se célébrait la liturgie
traditionnelle. Aucun n’a quitté la célébration. Plusieurs ont remercié
voire félicité par la suite le curé et les membres de la chorale ou du
groupe de demandeurs. Voilà la réalité du projet de réforme liturgique
voulu par Benoît XVI. Ceux de nos évêques qui continuent d’ignorer
les résultats de nos sondages et d’affirmer que le Motu Proprio ne les
concerne pas feraient bien d’aller faire un tour à Senlis.
5) En fait, à Senlis, cette
interprétation modérée de Summorum Pontificum dépasse la
lettre du Motu Proprio sous un certain aspect, puisque ce n’est pas
seulement au « groupe stable de fidèles attachés à la tradition
liturgique antérieure » que le curé propose la Messe selon le rite du
Missel romain édité en 1962, mais à tous les fidèles qui viennent à la
messe du soir. Mais d’autre part, ce n’est pas encore la pleine
application du Motu Proprio : on peut penser que le curé souhaite
parvenir en douceur à célébrer tous les dimanches cette messe en forme
extraordinaire, et on doit l’y aider. Il est d’ailleurs plus que probable
que le nombre global des assistants sera plus important.