24 avril 2014

[Abbé Grégoire Celier, fsspx] Un terreau fertile : La Tradition en France avant la Fraternité Saint-Pie X (1958-1976)

SOURCE - Abbé Grégoire Celier, fsspx - date non précisée

Le District de France de la Fraternité Saint-Pie X est fondé le 15 août 1976, et confié à l’abbé Paul Aulagnier (né en 1943), ordonné prêtre par Mgr Lefebvre en 1971. En 1974, Mgr Lefebvre a déjà acheté une maison rue des Carrières, à Suresnes (près de Paris), pour lui servir de tête de pont dans ses activités en France. Ce même 15 août 1976 est béni le prieuré Sainte-Anne à Lanvallay (Bretagne), prieuré tout juste acquis. Le lendemain, 16 août 1976, est signé l’acte d’achat du prieuré Notre-Dame du Pointet (Auvergne), qui sera durant deux ans la résidence du Supérieur de District, avant de devenir une maison d’exercices spirituels. Enfin, au même moment, est fondé le prieuré Saint-Michel à Saint-Michel en Brenne (Centre), qui deviendra l’année suivante la maisonmère des religieuses de la Fraternité Saint-Pie X. Bref, en cette première année 1976, le District de France rassemble au plus quatre maisons, dont une seule est sommairement aménagée.

Or, un peu plus de trente ans plus tard, le District de France comprend plus de quarante maisons où résident des prêtres (sans compter les aumôneries diverses). Il y regroupe 150 prêtres en activité. Le deuxième District en importance, celui des États-Unis, comprend moins de vingt maisons et environ soixante-quinze prêtres. Pour obtenir le même nombre de maisons et de prêtres que le District de France, il faut ajouter au District des États-Unis le troisième District en importance, celui d’Allemagne, ainsi que le quatrième District, celui d’Amérique du Sud.

Ces chiffres étonnants ne sont pas les seuls à considérer. Au sein de la Fraternité Saint-Pie X, on remarque que les prêtres de nationalité française représentent à eux seuls le tiers des membres prêtres. De plus, il faut noter que, dans la Tradition en général, la quasi totalité des congrégations masculines, et une bonne partie des congrégations féminines, sont d’origine française : monastères bénédictins de Santa Cruz, Our Lady of Guadalupe et Notre-Dame de Bellaigue (issus du monastère Sainte-Madeleine du Barroux, fondé par dom Gérard Calvet, 1927-2008) ; Fraternité de la Transfiguration de Mérigny (fondée par le père Bernard Lecareux, né en 1933) ; capucins de Morgon (fondé par le père Eugène de Villeurbanne, 1904-1990) ; dominicains d’Avrillé ; sœurs de la Fraternité Saint-Pie X, fondées par Mère Marie-Gabriel Lefebvre (1907-1987) ; carmels de Tradition, dont le premier fut fondé par Mère Marie-Christiane Lefebvre (1908-1996) ; dominicaines du Saint Nom de Jésus (Brignoles et Fanjeaux) ; Petites Soeurs de saint François du Trévoux ; bénédictines de Perdechat ; Petites Servantes de saint Jean-Baptiste du Rafflay ; clarisses de Morgon ; dominicaines d’Avrillé, etc.

Dans un registre différent, il faut noter aussi que les congrégations attachées à la messe traditionnelles (type Ecclesia Dei) sont en bonne partie elles aussi d’origine française ou liées à la France. Par exemple : monastère de Fontgombault et ses filles (Randol, etc.) ; Petits Frères du Sacré-Coeur de l’abbé de Nantes ; monastère Sainte-Madeleine du Barroux et sa fille (Sainte-Marie de la Garde) ; abbaye Notre-Dame de l’Annonciation ; Dominicaines du Saint-Esprit (fondées par l’abbé Victor-Alain Berto, 1900-1968) ; abbaye Saint-Joseph de Clairval à Flavigny (fondée par dom Augustin-Marie Joly, 1917-2006) ; Institut de la Sainte-Croix à Riaumont (fondé par le père Albert Revet, 1917-1986) ; Fraternité Saint-Vincent Ferrier à Chéméré ; Institut du Christ Roi Souverain Prêtre ; Fraternité Saint-Pierre (sur les douze prêtres fondateurs, sept étaient français) ; Chanoines de la Mère de Dieu, et les Chanoinesses ; Société des Missionnaires de la Miséricorde divine à Toulon ; Bénédictines de Jouques ; Religieuses Victimes du Sacré- Coeur à Marseille ; Institut du Bon Pasteur à Bordeaux, etc.

Comment expliquer, en France, ce développement rapide de la Fraternité Saint-Pie X et, plus généralement, de la Tradition catholique et de la messe traditionnelle ? « C’est dans notre cher pays de France que la résistance est la plus solidement opposée à la subversion dans l’Église », remarquait Mgr Lefebvre lors d’un sermon à l’école Saint-Michel de Niherne, le 2 octobre 1983. 

L’une des causes historiques consiste très certainement en un « terreau fertile » qui existait en France bien avant l’arrivée des premiers prêtres ordonnés par Mgr Lefebvre à Écône. C’est à raconter et à décrire (de façon très succincte) la période qui a précédé cette arrivée de la Fraternité Saint-Pie X que les lignes suivantes vont être consacrées. 

Les personnes et les institutions sont citées et décrites au moment où elles interviennent dans le combat de la Tradition catholique. Leur évolution ultérieure a été très diverse, mais il n’en sera pas parlé ici. Si beaucoup sont restés fidèles jusqu’au bout, quelques-uns ont pu abandonner le combat, ou se rallier au Concile, ou sombrer dans un sédévacantisme agressif. Ces errances postérieures (dont les prémisses ont cependant pu commencer à apparaître dès la période traitée ici) n’appartiennent pas à l’histoire racontée en ce texte. Sont donc citées exclusivement les interventions en faveur de la Tradition catholique, réalisées en France durant la période 1958-1976, sans préjuger des évolutions ultérieures.
La France, terre de révolution et de résistance
Pour comprendre l’émergence de la Résistance catholique en France à partir de la mort de Pie XII, il faut d’abord faire un bond dans le passé. En effet, les catholiques français ont été confrontés depuis plus de deux siècles à des assauts si violents et si nombreux qu’ils ont développé une capacité de résistance tout à fait particulière. Si les Français sont en pointe dans la résistance à la révolution religieuse et politique, c’est malheureusement parce que, trop souvent, la France a d’abord été le laboratoire de cette révolution.

Comme le remarque l’abbé Franz Schmidberger dans Fideliter de janvier 1984 : « Le fait que Mgr Lefebvre est français a provoqué beaucoup de résonance dans son propre pays. Et aussi depuis la séparation de l’Église et de l’État, c’est devenu une nécessité constante pour les Français de se battre, de prendre en mains la défense de leurs propres affaires. Depuis plusieurs générations, ils ont ainsi assumé l’entretien de leurs prêtres, de leurs églises et chapelles, de leurs écoles. Alors la crise dont l’Église souffre actuellement ne les a pas pris totalement au dépourvu. Les Français ont l’habitude du combat pour défendre leur foi ».
Révolution des Lumières et contre-révolution
Sur le plan intellectuel et politique, la France a connu très tôt la révolution, et donc a pu développer parallèlement une riche doctrine contre-révolutionnaire.

La première offensive se situe au XVIIIe siècle, le siècle des « Lumières », avec les prétendus « Philosophes ». Les noms de Rousseau, Voltaire, Diderot, Montesquieu, d’Alembert, d’Holbach, Helvétius, Condorcet, Condillac, etc. rappellent un assaut systématique et concerté contre l’ordre naturel et surnaturel, contre le Christ et l’Église. Face à ce déluge, se dressent des apologistes de la foi, de l’Église, de la société, du bon sens (Barruel, Fréron, Nonotte, Patouillet, Palissot, etc.). Même s’ils sont tournés en dérision par les « Philosophes » et leurs affidés, ils posent néanmoins les prémisses d’une réaction salutaire.

La fin du siècle voit la Révolution déferler sur la France. Essentiellement anticléricale, anticatholique et antireligieuse (selon ses diverses phases), elle va détruire la monarchie parce que celleci est liée à l’Église, et ravager le peuple français parce que celui-ci ne veut pas entrer dans le moule de « l’homme nouveau ». Face à ce cataclysme, se dresse une réaction politique et militaire (Vendée, Chouannerie), mais aussi une réaction intellectuelle (Burke, Clorivière, Bonald, Maistre, Rivarol, etc.) qui va constituer la matrice de la pensée « contre-révolutionnaire ». Deux phrases de Joseph de Maistre (lequel, rappelons-le toutefois, même s’il écrit en français, est Savoyard et non Français) peuvent en donner la tonalité : « Il y a donc dans la Révolution française un caractère satanique qui la distingue de tout ce qu’on a vu et peut-être de tout ce qu’on verra » ; « La contre-révolution n’est pas la révolution contraire, mais le contraire de la révolution ».
Libéralisme et antilibéralisme catholiques
Après la Révolution (et sa continuation, l’Empire napoléonien), la Restauration tente de renouer quelques fils politiques et religieux avec l’Ancien Régime, mais la machine est cassée, l’esprit est perdu. Toutefois, cette période voit une renaissance catholique en France, notamment sous l’influence littéraire de Chateaubriand qui inaugure une forme renouvelée d’apologétique (Génie du christianisme, Les Martyrs).

A la même époque, un prêtre, Lamennais, propose une attitude plus conquérante, plus audacieuse face à la modernité, appuyée sur une doctrine inédite du « sens commun » (Essai sur l’indifférence en matière de religion). Toutefois Lamennais, avec notamment ses amis Montalembert et Lacordaire, va évoluer d’une pensée fortement contre-révolutionnaire à une tentative d’union de l’Église et de la Révolution : autour du journal L’Avenir, il crée le « catholicisme libéral », dont la descendance sera prolifique. Lamennais rencontre évidemment des contradicteurs, des opposants et des critiques, y compris dans sa propre école (dom Guéranger). On peut dire qu’à partir de 1850, et jusqu’à la guerre de 1914, le catholicisme français se sépare en deux camps, qui s’opposent constamment : les libéraux et les antilibéraux, ces derniers élaborant un corpus doctrinal et polémique sans équivalent.
Du Ralliement au modernisme
Sous Léon XIII, cette querelle va reprendre de la vigueur à la suite de la politique de « Ralliement » à la République (anticléricale) lancée par le Souverain Pontife en 1892. Une nouvelle génération d’antilibéraux élabore une doctrine qui rappelle notamment que, dans les actes du Pape, certains touchent plus à la politique qu’à la religion, et n’ont donc pas droit à la même obéissance immédiate. Cette nuance apportée à un « ultramontanisme » souvent massif prendra plus d’importance lors de certains des épisodes suivants.

Sous saint Pie X, une nouvelle bataille s’engage autour de la question moderniste, où la France est aux premières loges : Loisy, Hébert, Blondel, Le Roy, Houtin, Laberthonnière, Turmel, beaucoup des principaux modernistes et modernisants sont français. Cette offensive suscite l’entrée en lice de la troisième génération d’antilibéraux.

Ces derniers ont à combattre sur deux fronts : le front ecclésiastique, contre les modernistes et les semi-modernistes ; le front politique, contre la destruction de ce qui reste de la France chrétienne. En effet, depuis 1879, les républicains anticléricaux concentrent tous les pouvoirs et mènent une politique systématique de déchristianisation, qui entraîne d’abord l’exil de dizaines de milliers de religieux, la mise en civil des religieux qui restent en France (les religieuses dominicaines du Saint Nom de Jésus, par exemple, ne portent pas l’habit religieux durant les quarante premières années du XXe siècle), enfin en 1905 une séparation à la fois radicale et brutale de l’Église et de l’État mise en route par un ancien séminariste devenu franc-maçon, Émile Combes : confiscation de toutes les églises, de tous les presbytères, de tous les évêchés, de tous les séminaires, suppression de tout financement de l’Église, etc. Grâce à la vigilance et à l’énergie de saint Pie X, les catholiques français réagissent de façon unanime et se mobilisent pour leur Église, apprenant à vivre par eux-mêmes et à soutenir de leurs deniers leurs prêtres et leurs clochers, expérience qui sera précieuse plus tard.
Le drame de la condamnation de l’Action Française
En 1926, nouveau drame dans l’Église de France : de façon brutale et maladroite, le pape Pie XI condamne l’Action Française, mouvement contre-révolutionnaire en soi laïc, mais où les catholiques militants les plus antilibéraux sont nombreux. Estimant cette condamnation injustifiée (avec certains arguments fondés), la majorité des dirigeants et des membres la refusent : ils seront frappés de l’excommunication (dont ils contestent la validité et l’existence), peine qui ne sera levée qu’en 1939 par Pie XII, au début de la Seconde Guerre mondiale. A la suite de cette condamnation, l’épiscopat français et les autres instances de l’Église de France (presse, Action catholique, etc.) sont épurés méthodiquement en faveur des catholiques plus libéraux et plus à gauche.
Naissance du progressisme, après la Seconde Guerre mondiale
En 1940, l’armée française est écrasée en quelques semaines par l’armée allemande. Un héros de la Première Guerre mondiale environné d’un immense prestige, le maréchal Pétain, est désigné par la Chambre des députés (eux-mêmes majoritairement de gauche, à la suite du Front Populaire) pour conclure un armistice avec l’Allemagne. Les évêques français se rallient massivement et publiquement au gouvernement du maréchal Pétain, incitant les catholiques à soutenir son action. Mais le gouvernement Pétain se retrouve en 1944-1945 dans le « camp des vaincus », et ceux qui l’ont soutenu sont victimes d’une « Épuration » sanglante. Entretemps, pour un certain nombre de raisons pas toutes injustifiées, les évêques ont subtilement changé de camp, et les catholiques qui ont obéi à leur voix quatre ans plus tôt se retrouvent seuls à assumer les conséquences de leurs actes. Une méfiance durable s’installe chez une partie des catholiques français vis-à-vis de la hiérarchie, au moins sur le plan politique. Par ailleurs, la tête de l’Église de France est de nouveau épurée au profit d’un catholicisme situé plus à gauche.

Les conséquences de ces événements sont dramatiques après la Seconde Guerre mondiale. Sur le plan théologique, la France est au coeur de la « Nouvelle Théologie », avec les pères Jean Daniélou, Henri de Lubac, Yves Congar, Marie-Dominique Chenu, Henri Bouillard, Gaston Fessard, Yves de Montcheuil, sans oublier le déferlement clandestin, notamment dans les séminaires, de l’oeuvre du jésuite Pierre Teilhard de Chardin. Sur le plan politique et social, la France connaît une forte poussée des institutions catholiques vers la gauche, qui aboutit dans beaucoup de cas à une « déconfessionnalisation » (un syndicat chrétien, par exemple, devient un syndicat simplement « démocratique »). Sur le plan religieux, l’Église de France choisit « l’option missionnaire », qui consiste essentiellement à négliger les catholiques pratiquants (considérés comme des « obstacles à la mission » par leurs « habitudes routinières et petites-bourgeoises ») pour aller vers les non-pratiquants, les non-croyants et les non-religieux : ce qui implique évidemment de réduire le message chrétien à sa dimension humanitaire. Sur le plan liturgique, enfin, la France est à la pointe des « expérimentations liturgiques » et popularise le concept (qui se révélera ravageur) de « pastorale liturgique » avec le Centre National de Pastorale Liturgique (CNPL).
Le traumatisme de la guerre d’Algérie
A partir de 1954 se noue en France un nouveau drame qui va avoir des répercussions importantes sur son évolution religieuse : la guerre d’Algérie. L’Algérie est un territoire français depuis plus de 120 ans, où cohabitent des « Pieds noirs » (de diverses origines européennes, Français, Italiens, Espagnols, notamment), des Juifs et des indigènes. La guerre est menée par les « nationalistes algériens » du Front de Libération Nationale (FLN) selon les méthodes du terrorisme (bombes dans les lieux publics, égorgement des otages, massacres de civils), tandis que la population algérienne, consultée démocratiquement, privilégie nettement une évolution politique pacifique en union avec la France. La lutte contre le FLN apparaît donc comme parfaitement légitime : elle est d’ailleurs conduite par un gouvernement français alors socialiste, et c’est le contingent (c’est-à-dire tous les jeunes Français) qui est sur le terrain. Or la presse catholique, en même temps que les organisations d’Action catholique, prend parti assez massivement pour le FLN et contre l’Armée française. Bien plus, un certain nombre de catholiques progressistes vont même soutenir activement le terrorisme, devenant « porteurs de valises » (impliqués dans la logistique) du FLN. Cette attitude de « trahison » scandalise un certain nombre de catholiques plus traditionnels. Mais l’évolution des mentalités en France, et finalement l’indépendance de l’Algérie en 1962 (validée par un référendum massif des Français en sa faveur), donnent politiquement tort à ces catholiques traditionnels qui, une nouvelle fois, ont fait confiance à la parole de leurs gouvernants (le général de Gaulle, par exemple, chef du gouvernement, a déclaré en 1959 : « Moi vivant, jamais le drapeau du FLN ne flottera sur l’Algérie ») et qui se sentent trahis par les hommes d’Église.
La révolution conciliaire en France, et Mai 1968
Dans ces conditions, la période qui s’ouvre en France à partir de la mort de Pie XII, et surtout après l’ouverture du concile Vatican II, constitue un désastre. Un véritable raz de marée, une sorte de vent de folie balaye tout ce qui peut rester de traditionnel dans l’Église de France. La soutane disparaît en quelques mois, au profit de l’habit civil. Les églises sont vidées de leurs confessionnaux, chemins de croix, statues, reliquaires, ex-voto, tables de communion, ornements liturgiques, prie-dieu, etc. qui sont jetés aux ordures ou, dans le meilleur des cas, bradés aux antiquaires. Les expérimentations liturgiques les plus insensées deviennent monnaie courante. L’enseignement du catéchisme est dévasté, les catéchismes traditionnels étant bannis au profit d’un « Fonds obligatoire » qui n’enseigne plus les connaissances nécessaires au salut. Les options politiques les plus hasardeuses (et les plus à gauche) sont soutenues par le clergé. Par milliers, des prêtres abandonnent le sacerdoce et se marient.

Le sommet est atteint durant les événements révolutionnaires de Mai 1968, au cours desquels le cardinal François Marty, archevêque de Paris et président de la Conférence épiscopale française, déclare : « Dieu n’est pas conservateur ». La décennie qui suit, jusqu’à la mort de Paul VI, est calamiteuse pour l’Église de France, qui se vide de sa substance (chute de la pratique, raréfaction du clergé et des vocations, effondrement de la vie religieuse, début des problèmes financiers qui ne vont cesser de s’accroître). Les expériences les plus folles sont poursuivies, les affirmations les plus hétérodoxes et les plus absurdes sont soutenues et diffusées partout.
Un clergé et un laïcat riches d’expérience pour faire face à la crise
Face à cette crise qui met chaque catholique dans « la tragique nécessité de choisir », les catholiques français attachés à la tradition (prêtres comme laïcs) vont être moins démunis que beaucoup d’autres. Ils bénéficient d’une littérature contrerévolutionnaire et antilibérale de qualité, abondante et facilement accessible. Ils savent, après le Ralliement, que Rome peut se tromper en certaines matières. Ils ont constaté, depuis la condamnation de l’Action Française, que des sanctions ecclésiastiques pouvaient être infondées et injustes. Ils ont vécu durant la Seconde Guerre mondiale le lâche retournement de leurs évêques, ce qui les a mis en garde. Le récent traumatisme d’Algérie leur a ouvert les yeux sur la subversion qui règne dans la presse dite catholique, dans l’Action catholique et dans une bonne partie du clergé. La « déconfessionnalisation » massive les a alertés sur le risque prochain de voir disparaître la chrétienté la plus concrète, la plus immédiate. La tempête qui s’abat sur l’Église de France à partir de 1962, et qui les touche dans leur vie religieuse personnelle et immédiate (liturgie, catéchisme, habit sacerdotal, vie des prêtres, prédication, enseignement catholique, etc.), leur montre qu’ils ne peuvent se soustraire à des choix cruciaux. Enfin, depuis soixante ans, les laïcs français sont habitués à soutenir de leur argent (le « denier du culte ») leurs prêtres et leurs églises. Ils sont donc riches d’expérience pour faire face à la crise qui commence à déferler.
Deux institutions-clés après la Seconde Guerre mondiale
Cependant, ces conditions historiques générales ne sont pas suffisantes pour expliquer une Résistance catholique aussi massive en France. Des dispositions plus immédiates contribuent à la préparer juste après la Seconde Guerre mondiale, notamment à travers deux oeuvres emblématiques, la Cité catholique et Chabeuil.
Jean Ousset et la Cité catholique
Il est, en effet, presque impossible de comprendre la vitalité de la Résistance catholique en France sans étudier d’abord la Cité catholique. Une partie très importante de ceux qui réagissent à la fin des années 60 en France se sont formés durant les deux décennies précédentes au sein de cette organisation.

C’est en 1946, à la basilique du Sacré-Coeur de Montmartre, que trois hommes fondent la future Cité catholique, sous le nom provisoire de Centre d’études critiques et de synthèse. Il s’agit pour eux de créer un organisme de laïcs agissant sous leur responsabilité civique à l’avènement d’un ordre social chrétien. Cette oeuvre laïque doit professer et diffuser la doctrine sociale de l’Église catholique plutôt qu’une doctrine personnelle. C’est grâce au droit que reconnaît l’Église à tout catholique de prendre des positions politiques particulières que la Cité catholique exerce cette liberté afin de répandre sa méthode et son action. Le principal dirigeant et animateur de la Cité catholique est Jean Ousset (1914-1994).

La méthode de base de la Cité catholique est la « cellule », petit groupe de militants qui se réunissent régulièrement et qui étudient de façon méthodique la doctrine, principalement celle des encycliques pontificales, soit directement, soit à travers les livres publiés par Jean Ousset, dont le principal et le plus connu s’intitule Pour qu’Il règne, synthèse méthodique d’une « Contre-Révolution catholique », et dont la caractéristique est d’être extrêmement riche en citations variées.

En 1963, alors que la Cité catholique subit (déjà) les attaques virulentes des progressistes, ses dirigeants décident de changer de nom. Ils optent pour le titre d’Office international des oeuvres de formation civique et d’action doctrinale selon le droit naturel et chrétien, nom volontairement imprononçable (on dira couramment « l’Office »). Ils modifient également les structures, créant une multitude d’associations annexes gravitant autour d’un centre, afin d’adapter leur stratégie aux évolutions du combat.

L’Office connaît alors un grand rayonnement, tant en France qu’au niveau international. Le premier congrès a lieu en 1964 à Sion, dans le Valais suisse. De 1965 à 1977, les congrès se déroulent à Lausanne. Deux mille cinq cents à quatre mille personnes, toutes nationalités confondues, se retrouvent trois jours durant : occasion pour des animateurs d’oeuvres très variées d’harmoniser et de concerter leurs actions (les mouvements, associations, journaux catholiques et plutôt traditionnels sont représentés par un stand). A ce rassemblement international annuel, on peut entendre une élite intellectuelle catholique : Marcel De Corte, Jean Madiran, Marcel Clément, Louis Salleron, Gustave Thibon, etc. En 1977, le journaliste du quotidien Le Monde constate encore : « Trois jours durant, le palais Beaulieu de Lausanne a sans doute renfermé la documentation contrerévolutionnaire la plus importante d’Europe ».

La Cité catholique (ou Office) possède une revue : d’abord Verbe, plus orientée vers la doctrine pure (la plupart des grands livres de la Cité catholique y paraissent en « feuilleton ») ; puis Permanences, qui fait une place plus grande à l’analyse critique de l’actualité.

La Cité catholique va permettre à des milliers de catholiques français de prendre une connaissance approfondie de la doctrine sociale de l’Église (avec tous ses présupposés et toutes ses conséquences), d’entrer en contact avec le corpus doctrinal contre13 révolutionnaire et d’être sensibilisés à la subversion progressiste sans cesse grandissante.
Le père Vallet (CPCR) et les Exercices de saint Ignace à Chabeuil
Mais derrière l’organisation doctrinale, militante et laïque de la Cité catholique (ou Office), existe une réalité spirituelle tout à fait essentielle pour comprendre le terreau fertile sur lequel est née et s’est développée la Résistance catholique en France : les Exercices spirituels de saint Ignace réduits en cinq jours par le père Vallet et prêchés par les CPCR à Chabeuil.

L’Espagnol François de Paule Vallet (1883-1947) entre chez les Jésuites en 1907, à la suite d’une retraite selon les Exercices spirituels de saint Ignace qui l’a bouleversé. A partir de 1923, il adapte ces Exercices aux circonstances de la vie moderne en les réduisant à cinq jours et, sur cette base, lance un plan apostolique de grande envergure dans toute la Catalogne. Pendant cinq ans, plus de 12 500 hommes vivent l’expérience de la retraite ignatienne.

Toutefois, la but du père Vallet n’est pas exclusivement « spirituel », dans un sens étroit et restreint. Il veut en réalité étendre le Règne du Christ en évangélisant l’homme adulte, afin que celui-ci devienne un ferment dans sa communauté paroissiale. Il fonde donc l’OEuvre des Exercices Paroissiaux (OEP) qui stimule la persévérance et l’esprit apostolique des retraitants, engagés dans leurs paroisses respectives.

En 1927, brûlé par son zèle évangélisateur, le père Vallet voit sa santé chanceler. Ses supérieurs lui imposent un temps de repos prolongé, pendant lequel il a l’inspiration de fonder la congrégation des Coopérateurs Paroissiaux du Christ-Roi (CPCR).

Le 3 mai 1928, le père Vallet sort de la Compagnie de Jésus, afin d’entreprendre sa nouvelle fondation. Il la commence en Uruguay mais, bientôt, rejoint la France où il ouvre à Chabeuil (diocèse de Valence) la « Maison Nazareth ». A partir de ce moment, des retraites en cinq jours selon les Exercices de saint Ignace sont données sans discontinuer, notamment par le père Ludovic-Marie Barrielle (1897-1983), ancien curé de Marseille (et qui finira ses jours à Écône). Pour prolonger en paroisse l’action des Exercices est fondée l’oeuvre des Anciens Retraitants Paroissiaux (ARP).

Jean Ousset et son équipe ont découvert l’oeuvre du père Vallet et y sont attachés. Car les CPCR diffusent une doctrine et une spiritualité solidement catholiques et contre-révolutionnaires. Et, tout naturellement, ils encouragent leurs retraitants à s’affilier à la Cité catholique, seule organisation franchement contrerévolutionnaire de laïcs catholiques en France. Les dirigeants de la Cité catholique prennent donc l’habitude de faire retraite à Chabeuil, et incitent leurs militants à faire de même. C’est ainsi que des milliers de catholiques français vont désormais se retremper régulièrement dans les fortes vérités spirituelles des Exercices, et se protéger grâce à elles des miasmes mortels du progressisme.
Un monde de revues dès avant le Concile
Cependant, tous les catholiques plutôt traditionnels ne sont pas forcément membres de la Cité catholique ni adeptes des Exercices à Chabeuil. Et même pour ceux qui le sont, il est nécessaire de se nourrir et de se prémunir intellectuellement entre deux retraites ou deux réunions de cellule. C’est dire l’importance d’une presse vraiment catholique et contre-révolutionnaire.

Or, ce qui caractérise la France au début des années 60 est que la grande presse catholique, représentée principalement par deux groupes (Bayard Presse et le groupe La Vie catholique), est tombée entre les mains des progressistes. Les revues catholiques « conservatrices », « traditionnelles », « intégristes », etc. sont déjà en opposition à la pensée dominante, en lutte, en dissidence. Elles forment donc chez leurs lecteurs un esprit critique, réactif, attentif aux menées subversives à l’intérieur même de l’Église : ce qui prépare les esprits à réagir face à la grande révolution ecclésiastique qui ne tardera pas. Voici les principales revues lues par les catholiques traditionnels avant même l’ouverture du concile Vatican II.
La Pensée catholique
La Pensée catholique est fondée à l’automne 1946 par quatre prêtres, les abbés Lucien (Luc) Lefèvre (1895-1987), Henri Lusseau (1896-1973), Victor Berto (1900-1968) et Alphonse Roul (1901- 1969). Il s’agit d’une revue théologique bimestrielle qui représente la tradition du Séminaire français de Rome (dont les quatre fondateurs sont issus) et du père Henri Le Floch (1862-1950). On peut résumer ses principes en trois mots : romanité, thomisme et antilibéralisme. Cette revue mène le bon combat doctrinal mais, par son caractère essentiellement théologique, touche surtout les ecclésiastiques.
Dom Édouard Guillou et Nouvelles de Chrétienté
C’est en 1954 que deux laïcs férus des bonnes doctrines, Charles-Pierre Doazan et Lucien Garrido, fondent un bulletin, d’abord polycopié, ensuite imprimé, Nouvelles de Chrétienté, au départ consacré à des sujets religieux généraux : documents pontificaux, informations diverses, commentaires, histoire religieuse, etc. Mais un homme dont le nom n’apparaît jamais (pour des raisons compréhensibles de discrétion) va animer de son souffle et de sa plume cette publication à partir des débuts du Concile : dom Édouard Guillou (1911-1991), moine à l’abbaye bénédictine de la Source (fondée par Solesmes), à Paris. Dom Guillou comprend dès les prémisses de Vatican II la révolution qui commence. Il analyse jour après jour dans Nouvelles de Chrétienté le déroulement du Concile. Le caractère hebdomadaire de la revue est précieux pour réagir avec rapidité et ne pas laisser les esprits sans munition. La plume érudite et argumentée, fine et lucide, ironique et polémique de dom Guillou fait merveille pour éclairer les lecteurs. Il reste de lui, par exemple, enfouis dans les numéros poussiéreux de la revue, des textes encore aujourd’hui remarquables sur la question de la liberté religieuse ou sur la révolution liturgique.
Jean Madiran et Itinéraires
En mars 1956, Jean Madiran, philosophe et journaliste né en 1920, fonde la revue mensuelle Itinéraires. Au départ, il s’agit d’une revue, certes catholique et traditionnelle, mais orientée surtout vers la culture et l’analyse. Jean Madiran en fait progressivement un carrefour de la pensée catholique française, avec la collaboration (notamment) de l’abbé Berto, des frères Charlier, du père de Chivré, de Gustave Corcao, de Marcel De Corte, de l’abbé Dulac, du père Guérard des Lauriers, de dom Guillou, de Louis Jugnet, de Charles de Koninck, de Mgr Lefebvre, d’Henri Massis, de Thomas Molnar, de Jean Ousset, de Jacques Perret, de Luce Quenette, de Michel de Saint Pierre, de Gustave Thibon, etc. Au cours du Concile, la revue s’efforce d’éclairer les catholiques afin de les aider à « raison garder », mais reste relativement en retrait. En revanche, à partir de septembre 1967 (réédition du Catéchisme de saint Pie X), Itinéraires s’engage successivement dans la bataille du catéchisme face au « Fonds obligatoire » des évêques français, puis dans la bataille de la messe traditionnelle (janvier 1970), enfin dans le soutien ardent à Mgr Lefebvre et à Écône (La condamnation sauvage de Mgr Lefebvre, 1975). La revue est durant toutes ces années un guide et une lumière pour les traditionalistes. Mgr Lefebvre écrit ainsi à Jean Madiran le 1er décembre 1985 pour le remercier de « la revue Itinéraires que vous avez fondée et qui est devenue le symbole de la fidélité à la foi catholique ». Et, le 19 août 1988, dans la dernière lettre qu’il lui envoie, il lui redit : « Votre opinion et votre jugement au cours des vingt années de combat ont eu une grande importance pour soutenir et orienter les combattants».

Parmi les collaborateurs d’Itinéraires, il convient d’en citer particulièrement deux en rapport avec la réaction face à la nouvelle messe. Tout d’abord le père Roger-Thomas Calmel (1914-1975), dominicain, auteur de la vibrante « Déclaration » de fidélité à la messe traditionnelle par laquelle la revue concrétise son engagement dans le combat en janvier 1970. Le père Calmel développe, en des articles magnifiques de doctrine, de clarté et de souffle littéraire, son « apologie du Canon romain » et sa dénonciation argumentée de la « révolution liturgique ». Ce vrai dominicain reste l’une des plus belles figures de la Résistance catholique, et ses écrits demeurent d’une étonnante actualité.

Il faut noter ensuite le nom de Louis Salleron (1905-1992), juriste, économiste et écrivain. Dès le 24 septembre 1969, dans l’hebdomadaire grand public d’information Carrefour, il prend nettement position contre le Novus ordo missæ. Dans ce périodique et dans Itinéraires, il développe notamment des arguments canoniques et dialectiques de belle facture, aboutissant dès décembre 1970 à un ouvrage qui marque les esprits et lance une expression, La nouvelle messe (ce livre connaîtra plusieurs éditions successives régulièrement enrichies).
L’abbé Georges de Nantes et La Contre-Réforme catholique
La réaction française à la crise de l’Église ne s’expliquerait pas sans l’action multiforme d’un prêtre, l’abbé Georges de Nantes (1924-1910). En octobre 1956, il commence à faire paraître chaque mois sa Lettre à mes amis, qui dénonce le progressisme et, notamment, va procéder à chaud à une analyse critique du concile Vatican II et de ses textes. Cette revue est remplacée en octobre 1967 par La Contre-Réforme catholique au XXe siècle. Cette dernière aura jusqu’à 30 000 destinataires, ce qui est considérable. L’abbé de Nantes complète son action de journaliste et d’écrivain par des conférences et des réunions publiques qui drainent un public important. Même si ses interventions sont souvent gâchées par des outrances liées à sa personnalité, même si sa position pratique sur la nouvelle messe est restée finalement ambiguë (puisqu’il conseille à ses fidèles, en réalité, d’assister de façon habituelle à la messe dans leur paroisse), il faut reconnaître à l’abbé de Nantes, à cette époque, le mérite d’intuitions fulgurantes sur le processus révolutionnaire qui se met en place. Il dit haut et fort, très tôt, ce qui convient pour mettre les catholiques en garde et les éclairer sur leur devoir.
Les revues « conservatrices »
Il faut ne pas oublier, dans cette période qui précède la réforme liturgique conciliaire au sens propre, l’influence des revues catholiques que les Anglo-saxons qualifient de « conservatrices ». Décidées par principe à se soumettre à la hiérarchie, elles s’inscrivent néanmoins dans une ambiance de réaction contre les erreurs et impostures qui commencent à se diffuser massivement dans le catholicisme français.

On peut citer parmi celle-ci la revue Défense du foyer dirigée par Pierre Lemaire, qui mène une virulente campagne, d’une part contre les errements du nouveau catéchisme, d’autre part contre les déviances morales de la presse progressiste. Il faut rappeler aussi France catholique-Ecclesia, créée en 1924, ancienne revue de la Fédération Nationale Catholique fondée par le général de Castelnau. On peut noter encore L’Homme nouveau, créé en 1946 par le père Fillère et l’abbé Richard dans un sens nettement anticommuniste, et alors dirigé par Marcel Clément (1921-2005), ancien rédacteur d’Itinéraires.

Il n’est pas déplacé non plus de rappeler l’action de Jean Daujat (1906-1998), collaborateur de France catholique et de L’Homme nouveau, qui a fondé en 1925 à Paris le Centre d’études religieuses, où auront été formés des milliers de catholiques dans une saine doctrine thomiste.
La Résistance catholique après le Concile
Le moment est désormais arrivé d’une crise massive de l’Église en France. Le terreau est certes préparé, mais va-t-il être capable de produire les fruits attendus ? D’autres pays à cette époque (pensons simplement ici à l’Italie) possèdent apparemment un terreau fertile, qui n’a pourtant pas produit les fruits espérés. Or, effectivement, le terreau français va être fertile durant toute cette période.

Si les institutions et revues existant avant le Concile continuent leur action (sous des formes diverses), de nouveaux personnages font leur apparition, qui réagissent spécifiquement à la crise qui commence à déferler. Sont recensés ici les plus notables, sans s’astreindre toutefois à suivre strictement l’ordre chronologique ou honorifique, étant donné l’enchevêtrement des interventions des uns et des autres.
Michel de Saint Pierre et Les nouveaux prêtres
Dans le panorama des grands résistants, il convient de citer quelqu’un qu’on n’attendrait pas forcément et qui pourtant joue un rôle fondamental : un écrivain, un romancier, Michel de Saint Pierre (1916-1987). Cousin de l’écrivain Henry de Montherlant, résistant (décoré de la Légion d’Honneur, de la Médaille Militaire, de la Rosette de la Résistance Française, de la Croix de Guerre avec étoile de vermeil 1939-1945 et de la Croix du Combattant Volontaire), Michel de Saint Pierre a produit une oeuvre déjà abondante et couronnée de succès (en 1954, son roman Les aristocrates se vend à 250 000 exemplaires ; en 1955, il reçoit le Grand Prix du Roman de l’Académie française) quand, en 1964, il publie sous le titre Les nouveaux prêtres un roman qui « met en scène » la crise de l’Église. Ce livre rencontre un véritable « succès de scandale », car il pose le doigt sur les fondements mêmes de la crise qui commence à déferler. Les progressistes sont furieux d’avoir été percés à jour, les catholiques désemparés se trouvent éclairés et encouragés à résister, et le grand public est informé de la situation réelle de l’Église. L’auteur complète ce roman par d’autres ouvrages sur la crise de l’Église, tels que Sainte colère en 1965, Ces prêtres qui souffrent en 1966, Église en ruine, Église en péril en 1971, Les fumées de Satan en 1976 (en collaboration avec André Mignot), Le ver est dans le fruit en 1978, etc. Michel de Saint Pierre soutient sans défaillance Mgr Lefebvre et Écône : il fonde notamment en 1975 l’association Credo pour organiser le pèlerinage de la Fraternité Saint-Pie X à Rome à l’occasion de l’Année sainte.
L’abbé Louis Coache et le Vade mecum
Il est presque impossible de comprendre la vitalité du traditionalisme en France sans évoquer la figure de l’abbé Louis Coache (1920-1994), qui est au coeur des principales initiatives de résistance face au raz de marée de la révolution conciliaire. Ordonné en 1943 pour le diocèse de Beauvais, docteur en droit canonique, l’abbé Coache est nommé en 1958 curé de Montjavoult (près de Gisors, à l’extrême sud-ouest du département de l’Oise). Depuis 1955, devant les ravages grandissants du progressisme, il prend des notes en vue d’un ouvrage sur ce sujet. Mais le déferlement de « l’esprit du Concile » rend cet ouvrage beaucoup plus urgent, en sorte qu’à Noël 1964, l’abbé Coache envoie à ses confrères du diocèse de Beauvais une Lettre d’un curé de campagne à ses confrères. Le 8 septembre 1965, paraît une Nouvelle lettre d’un curé de campagne, qui connaît une diffusion beaucoup plus importante. La même année est publié à la Table ronde, sous le pseudonyme de Jean-Marie Reusson, un ouvrage intitulé La foi au goût du jour.

En juin 1966 paraît, dans le mensuel Le Monde et la Vie (un magazine illustré de grand format faisant concurrence à Paris Match) un article de l’abbé Coache intitulé « La nouvelle religion ». Cet article de quatre grandes pages a l’honneur de faire la couverture du numéro (avec une saisissante photographie de Paul VI) et d’être introduit par un éditorial du rédacteur en chef, André Giovanni. Il a un si considérable retentissement qu’il vaut à l’auteur un blâme de son évêque et à la revue une condamnation par le Conseil permanent de la Conférence épiscopale de France (en même temps que Défense du Foyer, Lumière et Itinéraires). En juin 1967 paraît une Dernière lettre d’un curé de campagne, dont le tirage total sera de 150 000 exemplaires, preuve de la notoriété acquise par l’auteur en quelques années.

Cette période est celle où l’abbé Coache agit par l’écrit, afin de s’opposer au déferlement du modernisme. Le curé de Montjavoult ne se voulant pas un écrivain, ses brochures auraient dû trouver un écho limité. Mais, dans la débâcle de la foi, les catholiques fidèles donnent un retentissement très important à ces modestes écrits. Encouragés par cette voix audacieuse, des prêtres se ressaisissent, entrent en contact, des laïcs se regroupent, bref, la résistance traditionnelle commence à se mettre en place.

A cette époque, si l’abbé Coache est déjà très mal vu par son évêque, sa situation canonique est parfaitement régulière et il n’a encore entrepris, en dehors de ses écrits, aucune action susceptible de la mettre en cause. La situation va changer radicalement le 28 février 1968. Ce jour-là, l’abbé Coache, qui a prévu dans sa paroisse une manifestation eucharistique solennelle à l’occasion de la Fête-Dieu, pour la clôture de l’Année de la Foi, envoie à Mgr Desmazières une invitation à venir présider cette cérémonie. L’évêque de Beauvais, qui n’attend qu’une occasion pour faire barrage à l’abbé Coache, engage immédiatement les hostilités. Il lui répond deux jours plus tard en lui demandant un acte explicite de soumission. La réponse de l’abbé Coache ne l’ayant pas satisfait, il lui intime le 19 mars l’ordre de cesser toutes ses publications et de décommander la manifestation eucharistique. 

Devant cette attitude, l’abbé Coache décide de saisir les tribunaux romains pour obtenir justice. C’est le début d’une longue et tortueuse procédure : pas moins de 80 lettres seront échangées entre l’abbé Coache, Mgr Desmazières et les autorités romaines (cardinal Wright, Mgr Palazzini, cardinal Seper, cardinal Villot, etc.). C’est seulement le 10 juin 1975 qu’une commission cardinalice approuve officiellement la destitution de l’abbé Coache par l’évêque de Beauvais. Le curé accepte de se soumettre à la décision romaine, comme il l’a proclamé par avance, et quitte le presbytère de Montjavoult où il continuait à résider, pour se retirer à la maison Lacordaire, à Flavigny, qu’il a acquise entre-temps. Mais, durant toutes ces années, les processions de la Fête- Dieu à Montjavoult ont été l’un des grands rendez-vous annuels du traditionalisme.

En février 1968, l’abbé Coache fonde le Combat de la Foi, un bulletin mensuel destiné à relayer son action. Mais surtout, il rédige, avec l’aide du père Noël Barbara, l’oeuvre qui va avoir la plus grande influence dans la constitution du traditionalisme : le très célèbre Vade mecum du catholique fidèle. Cette courte brochure, qui rappelle les points essentiels concernant la prière, la confession, la communion, la messe, les lectures, le catéchisme, la presse catholique, la morale, est un véritable raz de marée. Publié à la fin de 1968 par l’imprimerie Ferrey, il s’en est déjà écoulé 150 000 exemplaires à la fin de janvier 1969. En 1975, la quatrième édition (toujours disponible aux Éditions de Chiré) porte le chiffre total du tirage à 360 000 exemplaires, chiffre énorme si l’on y prête attention.

Ce qui fait la valeur de ce Vade mecum, outre les précieux conseils qu’il contient, ce sont les noms des 400 prêtres qui ont signé la première édition (d’autres les rejoindront ensuite), dessinant ainsi la carte de France de la fidélité catholique. Il prend toute sa mesure surtout à partir de l’introduction, en 1969, de la « Nouvelle messe », que l’abbé Coache rejette sans retard et publiquement. Les catholiques désorientés par la débâcle liturgique n’ont qu’à consulter le Vade mecum pour connaître à proximité de leur domicile le prêtre qui garde la vraie messe. De plus, afin de soutenir le Vade mecum, l’abbé Coache se dépense sans compter : réunions publiques à la Mutualité et à la salle Wagram (de l’une d’elles sort la brochure Évêques, restez catholiques, tirée à 120 000 exemplaires) et pèlerinages. Les plus importants de ces derniers sont évidemment les « Marches vers Rome » de 1970, 1971 et 1973. Pèlerinages internationaux au coeur de la catholicité pour obtenir la restauration de la foi, de la liturgie et de l’Église, ces marches manifestent la vitalité de la Tradition. Elles se concluent en 1975 par un grand pèlerinage, sous la présidence de Mgr Lefebvre, à l’occasion de l’Année sainte. Un peu plus tard, l’abbé Coache crée les pèlerinages à Lourdes, dans une ambiance de combativité spirituelle.

Toutes ces initiatives ont une importance primordiale pour encourager les catholiques fidèles, les soutenir, enflammer leur zèle. L’abbé Coache est au coeur de ce combat héroïque des débuts.

De l’abbé Coache, il faut encore citer de nombreuses actions. Il y a la campagne de destruction des mauvais journaux dans les églises, qui aboutit à plusieurs procès. Il y a certaines actions de « commando », notamment contre des emblèmes sacrilèges. Il y a des luttes diverses contre les modernistes, soit à l’occasion de cérémonies scandaleuses, soit pour des congrès de prêtres contestataires. Il y a des interventions dans les médias, par exemple la Radioscopie du 5 mai 1975 avec Jacques Chancel. Mais surtout, l’abbé Coache est un élément capital (sous la direction de Mgr Ducaud Bourget) de la reprise et du maintien dans la Tradition de l’église Saint-Nicolas du Chardonnet.

En quelque sorte, l’abbé Coache est un de ces soldats de première ligne qui se sacrifient pour tenir coûte que coûte la ligne de front, pendant qu’à l’arrière se forment les jeunes recrues. Comment ne pas attribuer en bonne partie au difficile combat de l’abbé Coache pendant les « années terribles » la magnifique floraison religieuse qui s’observe aujourd’hui dans la Tradition ?
L’abbé Raymond Dulac et le Courrier de Rome
C’est en 1967 qu’est créé un bulletin bimensuel ronéotypé intitulé Courrier de Rome, alors que la liturgie est en train de se déliter, en France notamment. Son principal animateur est l’abbé Raymond Dulac (1903-1987), ancien élève du Séminaire français de Rome, docteur en théologie et en droit canonique. Le Courrier de Rome, sous la plume très claire et incisive de l’abbé Dulac, va illustrer notamment les aspects juridiques et canoniques de la nouvelle liturgie, démontrant d’une part que la messe traditionnelle n’a jamais été interdite et ne peut l’être (l’abbé Dulac traduit et présente au public la bulle Quo primum) ; d’autre part, que la nouvelle messe n’a pas valeur obligatoire, les textes apportés en ce sens étant soit inexistants, soit falsifiés, soit sans force obligatoire. L’abbé Dulac ajoute à ces considérations canoniques d’autres observations pertinentes, tant théologiques qu’historiques et liturgiques. La caractéristique de l’action du Courrier de Rome est d’intervenir très tôt, avec une vigueur et une clarté sans équivalent. Il contribue à éclairer, à rassembler et à galvaniser les prêtres et les fidèles qui veulent conserver la Tradition, mais qui à cette époque se sentent perdus et isolés.
Le père Noël Barbara et Forts dans la Foi
Le père Noël Barbara (1910-2002), prêtre rapatrié d’Algérie, joue un rôle certain dans la Résistance, principalement par ses talents de catéchiste et de vulgarisateur. Ayant appartenu aux Coopérateurs Paroissiaux du Christ-Roi (qu’il quitte avant ses voeux définitifs), il a reçu notamment du père André Romagnan la tradition des Exercices spirituels selon la méthode et l’esprit du père Vallet. Il en garde une force de doctrine et une clarté d’exposition qui caractérisent son apostolat dans la crise.

En 1963, il se fait connaître en publiant une remarquable Catéchèse catholique du mariage. Puis, devant la crise doctrinale et catéchétique, il multiplie les conférences à travers la France pour éclairer, mettre en garde et encourager à conserver la foi. En 1967, afin d’amplifier son action, il fonde Forts dans la Foi, revue bimestrielle de catéchèse catholique, où sa limpidité de style et son sens du concret font merveille. En 1968, il est avec l’abbé Coache à l’origine de ce monument du traditionalisme français qu’est le Vade mecum du catholique fidèle.
Le père Michel Guérard des Lauriers et le Bref examen critique
La nouvelle messe est promulguée le 3 avril 1969. Immédiatement, Cristina Campo (1923-1977), écrivain et poète, inspiratrice d’Una Voce Roma, et son amie Emilia Pediconi, réunissent cinq ou six ecclésiastiques afin de préparer une étude critique à présenter au pape Paul VI avant le 30 novembre, date fatidique de la mise en application de cette nouvelle messe. En avril et mai, au local d’Una Voce, souvent en séances nocturnes, Mgr Renato Pozzi (membre de la Congrégation des Études, ancien expert au Concile), Mgr Gerrino Milani (également membre de la Congrégation des Études), Mgr Domenico Celada (liturgiste de renom) et quelques autres élaborent un projet. La rédaction est confié au père Michel Louis Guérard des Lauriers (1898-1988), dominicain, professeur à l’Université pontificale du Latran. A partir de ses notes en français, le père Guérard dicte un texte à Cristina Campo, qui le traduit en italien et le complète avec minutie sous le titre Breve esame critico del Novus Ordo Missæ, le datant du 5 juin 1969, jour de la Fête-Dieu. 

Campo et Pediconi ayant leurs entrées dans des cercles ecclésiastiques influents, notamment chez le cardinal Ottaviani, il est décidé de rechercher des « signatures » prestigieuses pour ce document. Mais l’affaire traîne en longueur, les prélats se défilant les uns après les autres. Finalement, seuls les cardinaux Ottaviani et Bacci signent la lettre de présentation du texte. De guerre lasse, l’abbé de Nantes publie le 15 octobre 1969 dans la Contre-Réforme catholique la lettre signée du seul Ottaviani. L’affaire est éventée, on ne peut donc attendre davantage. La lettre des cardinaux est alors datée du 3 septembre, fête de saint Pie X, et remise avec le Breve esame à Paul VI le 21 octobre 1969.

Durant ce temps, le Breve esame a été traduit en français par le père Guérard, en allemand par Elisabeth Gerstner, en espagnol par don Luigi Severini, en anglais par le professeur Anderson (sous le titre The Ottaviani intervention). Il est très largement diffusé, notamment en France, et demeure une pierre milliaire de la Résistance catholique.

Comme l’écrit dans une lettre publique du 27 novembre 2004 le cardinal Alfons Maria Stickler (1910-2007), qui lui-même est resté attaché à la messe traditionnelle, « les résultats de la réforme [liturgique] sont jugés dévastateurs par beaucoup aujourd’hui. Ce fut le mérite des cardinaux Ottaviani et Bacci de découvrir très vite que la modification des rites aboutissait à un changement fondamental de la doctrine. (…) L’analyse du Novus Ordo faite par ces deux cardinaux n’a rien perdu de sa valeur ni, malheureusement, de son actualité ».
Mgr François Ducaud Bourget et Saint-Nicolas du Chardonnet
L’abbé Germain Ducaud (1897-1984), décoré à la Libération en raison de son aide aux Juifs persécutés, écrivain et poète ayant pris le nom de plume de François Ducaud Bourget, a fondé en 1936 la revue littéraire Matines. Bénéficiant du titre de Monseigneur du fait de sa fonction d’aumônier général de l’ordre de Malte (titre qu’on continue couramment à lui attribuer, même lorsqu’il a quitté cette fonction), ce prêtre du diocèse de Paris est aumônier de l’hôpital Laennec lorsque survient la nouvelle messe. Il continue à célébrer la messe traditionnelle à la chapelle de l’hôpital, ce qui lui amène au fil des semaines des fidèles de plus en plus nombreux. Expulsé de Laennec en 1971 à la suite de pressions politico-syndicales, il erre avec la communauté rassemblée autour de lui dans diverses salles, notamment en 1972 dans un ancien entrepôt du quartier des Halles, rue de la Cossonnerie, ou encore au Musée social, rue Las Cases. Il trouve finalement refuge à la salle Wagram le dimanche, et dans une annexe de ladite salle en semaine, annexe devenue la chapelle Sainte-Germaine. Entouré d’une petite équipe de prêtres attachés à la Tradition, Mgr Ducaud Bourget dirige de par les circonstances la plus importante communauté traditionnelle française, sur le plan numérique. A de nombreuses reprises, il sollicite respectueusement de l’archevêque de Paris, le cardinal François Marty, un lieu de culte pour cette communauté, mais n’essuie que des refus et des rebuffades.

C’est en désespoir de cause qu’il se décide à prendre une initiative qui va le faire entrer dans l’Histoire : celle d’offrir à la Tradition une magnifique église au coeur de Paris, Saint-Nicolas du Chardonnet.

L’habitude s’est prise de se rencontrer régulièrement, Mgr Ducaud Bourget, l’abbé Coache, madame Buisson (une fidèle très active, pivot de toute les oeuvres traditionnelles à Paris) et quelques amis au restaurant Le Tourville, tout près du domicile de Mgr Ducaud Bourget. Dès 1974, l’abbé Coache y évoque la possibilité de prendre une église à Paris. Mgr Ducaud Bourget, plus tempéré que le bouillant curé de Montjavoult, retarde toujours l’exécution. Le 20 octobre 1976, une réunion organisée par l’abbé Coache sous la présidence de Mgr Ducaud Bourget a lieu à la Mutualité devant 3 000 personnes. Avec la permission de Mgr Ducaud Bourget, l’abbé Coache annonce qu’avant six mois, une église parisienne sera prise. La foule s’enthousiasme pour un tel projet.

Cinq personnes sont du secret : Mgr Ducaud Bourget, l’abbé Vincent Serralda (1904-1998), l’abbé Coache, madame Buisson et Monsieur Ducaud (neveu de Mgr Ducaud Bourget). Chacun des trois prêtres apporte au projet sa contribution spécifique : Mgr Ducaud Bourget est le « patron », la figure de proue parisienne qui donne sa caution morale ; l’abbé Serralda désigne l’église, Saint-Nicolas du Chardonnet où il a été vicaire et qui se trouve située juste à côté de la salle de la Mutualité ; l’abbé Coache apporte son audace, son sens de l’organisation, ses équipes bien rodées par de nombreuses opérations antérieures.

La suite est bien connue : elle a été abondamment racontée en plusieurs ouvrages. Il y a la grande réunion prévue à la salle de la Mutualité, mais d’où le peuple fidèle est détourné vers l’église proche. Cet envahissement pacifique mais ferme aboutit à la célébration de la messe traditionnelle, la première dans cet édifice après de trop longues années. Et depuis ce temps-là, « l’admirable église de Saint-Nicolas du Chardonnet » est, selon le mot de Mgr Lefebvre, « célèbre dans le monde entier ». Mgr Ducaud Bourget y est enterré dans le déambulatoire.
Le père Michel André et l’Association Noël Pinot
Le père Michel André (1915-2000) doit être cité dans cette galerie des grands résistants, même si son action publique en France est un peu plus tardive. Prêtre des Pères du Saint-Esprit (spiritains), il est missionnaire en Argentine de 1962 à 1971. Face à la crise de l’Église, il commence par faire imprimer à 10 000 exemplaires le Bref examen critique en espagnol et circule à travers toute l’Amérique du Sud pour le répandre.

Sur les conseils notamment de Mgr Lefebvre, son ancien Supérieur général, il quitte l’Argentine en avril 1971 et revient en France. En 1972, il crée, à Angers, l’Association Noël Pinot (du nom d’un prêtre guillotiné en habits sacerdotaux durant la Révolution française), pour la défense de la messe traditionnelle et pour l’aide aux prêtres fidèles à cette messe, aide même matérielle : chaque année, l’Association Noël Pinot reçoit environ 15 000 intentions de messe, qu’elle redistribue à des prêtres qui s’engagent à célébrer exclusivement dans le rite traditionnel. Depuis sa création, plus de 2 000 prêtres ont appartenu à l’A.N.P.

En juin 1973, le père André fonde un bulletin trimestriel, Introibo. Cette publication de doctrine et d’informations connaît une belle diffusion, puisque son tirage atteint jusqu’à 6 000 exemplaires.
Luce Quenette et La Péraudière
En 1946, Luce Quenette (1904-1977), qui a « la passion de l’éducation catholique » (selon le mot de Mgr Lefebvre), achète une ferme sur la commune de Montrottier, dans les monts du Lyonnais, afin d’y fonder une école de garçons. Elle veut donner aux enfants le goût de la civilisation chrétienne et française par l’étude des lettres classiques, dans un cadre familial et campagnard, et déjà avec un esprit de réaction contre le progressisme. En 1954, elle achète des bâtiments au lieu-dit La Péraudière. En 1969, elle fonde une école de filles à Malvières, dans la Haute-Loire (transférée à Saint-Franc, en Savoie, en 1994).

Luce Quenette réagit très tôt face à la subversion, d’abord en raison de la déliquescence du catéchisme, ensuite à cause du cataclysme liturgique. « Tout au long de l’année 1969, écrit Jean Madiran dans son hommage mortuaire, avec une terrible impatience, Luce Quenette nous pressait de faire le possible et l’impossible pour écarter la menace de la nouvelle messe annoncée. On verra, lui disions-nous, attendez (…). Je ne peux pas attendre, répondait-elle ; les enfants ne peuvent pas attendre : c’est maintenant, c’est aujourd’hui qu’il faut leur dire, pour la vie entière, où est la vraie messe ». Et Jean Madiran n’hésite pas à déclarer, le 19 mars 1974, lors d’une conférence à Écône : « Sans elle, la revue Itinéraires, sur la messe, n’aurait peut-être pas pris si vite une position aussi ferme ». Luce Quenette rencontre pour la première fois Mgr Lefebvre en 1970 à Fribourg, et l’archevêque vient à l’école de La Péraudière dès l’année suivante, pour la Fête- Dieu.

Luce Quenette se fait d’abord connaître littérairement dans une petite revue professionnelle intitulée Entre paysans. En 1967, elle commence à collaborer à Itinéraires. En 1968, elle fonde la Lettre de la Péraudière, qui devient l’une des premières revues traditionalistes en France et éclaire beaucoup de personnes dans la crise de l’Eglise. En 1974, ses textes relatifs à l’éducation sont regroupés et harmonisés aux éditions Dominique Martin Morin dans un ouvrage intitulé L’éducation de la pureté.

Son testament exprime clairement le combat qu’elle a mené : « Seule la Tradition de l’Église fondée par Notre Seigneur Jésus-Christ il y a deux mille ans et parvenue jusqu’à nous représente la religion catholique dans laquelle nous avons été baptisés et dans laquelle nous pouvons faire notre salut : avec la messe traditionnelle en latin, le catéchisme authentique transmis aux enfants et la sainte Écriture sans les falsifications d’aujourd’hui ».

Dans les années de la révolution conciliaire, l’école de La Péraudière est « l’école de la tradition » pour les garçons en France, donne beaucoup de vocations, et constitue un modèle et un exemple pour les écoles traditionnelles de garçons qui commencent à être fondées à la fin des années 1970 (beaucoup des premiers prêtres travaillant dans ces écoles sont issus de l’école de La Péraudière).

Dans le même temps, la renaissance de l’éducation traditionnelle des jeunes filles se prépare à Toulouse, au sein de la congrégation des Dominicaines enseignantes du Saint Nom de Jésus, en particulier sous l’influence de leur aumônier, le père Calmel. Après de longues réflexions et de douloureuses discussions, un premier essaim de 26 religieuses, sous la conduite de Mère Hélène Jamet, ancienne Supérieure générale, s’installe à Brignoles en juillet 1974. Un an plus tard, en juillet 1975, un deuxième essaim de 21 religieuses, sous la direction de Mère Anne-Marie Simoulin, Supérieure générale en titre, quitte Toulouse pour rejoindre Fanjeaux. 
Les « conservateurs »
Parmi ceux qui agissent contre la subversion généralisée dans l’Église en ces années-là, il faut également parler de ceux que l’on peut appeler les « conservateurs », parce qu’ils n’ont pas pris entièrement le parti de la Tradition.

Au premier rang de ceux-ci, on doit citer l’association Una Voce, fondée en France en 1964, et d’où est issue en 1966 la Fédération internationale Una Voce et ses sections en de nombreux pays. L’initiative de la fondation d’Una Voce revient à Georges Cerbelaud–Salagnac (1906-1999) et à sa femme Bernadette Lécureux (1913-2011, archiviste-paléographe, auteur de l’ouvrage Le latin, langue de l’Église). Elle est présidée durant vingt ans, en particulier, par Henri Sauguet (1901-1989), de l’Institut, musicien réputé.

Fondée avant même la fin du Concile, Una Voce n’a pas pour objet la nouvelle messe (qui n’est promulguée que cinq ans plus tard). Ses buts sont clairement définis : défendre et promouvoir le latin, le chant grégorien et la polyphonie sacrée dans la liturgie catholique romaine occidentale, ainsi que l’art sacré.

Mais l’arrivée de la nouvelle messe oblige Una Voce à prendre position. Alors que la plupart des associations nationales (juridiquement indépendantes) de la Fédération internationale optent clairement pour la seule liturgie traditionnelle, l’association française reste plus réservée, parce que ses membres et ses responsables sont divisés sur l’attitude à adopter. Marquant une nette préférence pour la liturgie traditionnelle, Una Voce France accepte pourtant la liturgie de Paul VI, s’efforçant de la faire célébrer en latin et grégorien. Elle publie une revue bimestrielle, édite des ouvrages, dirige une émission de radio dédiée au grégorien et possède un site internet.

Au plus fort du combat, la plupart des défenseurs de la Tradition en France sont membres d’Una Voce ou lecteurs de sa revue, car chaque munition est alors précieuse. L’Opus sacerdotale, association de prêtres se soutenant dans leur vie sacerdotale, fondée également en 1964 par le chanoine Étienne Catta (1901-1974), travaille dans un esprit analogue à celui d’Una Voce.

Il faut encore signaler l’existence de groupes non négligeables qui, acceptant le Concile ainsi que la réforme liturgique, travaillent cependant à dénoncer et à combattre les dérives doctrinales et liturgiques qui se multiplient. Parmi les plus actifs, le Rassemblement des Silencieux de l’Église, fondé en 1969 par Pierre Debray (1922-1999), agit au sein des paroisses, action que Pierre Debray prolonge par la fondation en 1972 d’un Courrier hebdomadaire, puis par un nouveau groupe intitulé Chrétiens pour un monde nouveau. Dans le même ordre, l’association Fidélité et Ouverture, fondée en 1971 par Gérard Soulages (1912-2005), cible, elle, d’abord les milieux plus intellectuels.
Les « caisses de résonance »
Comme il a été dit, la grande presse, laïque comme catholique, est alors aux mains des progressistes et de ceux qui leur sont favorables. Les initiatives des catholiques traditionnels sont donc souvent étouffées. Il existe toutefois quelques « caisses de résonance » qui permettent d’atteindre un plus vaste public. En voici quelques exemples caractéristiques parmi d’autres possibles.

Dans les années 60 paraît un magazine très grand public (fondé au début des années 50), intitulé Le Monde et la Vie, dont le sous-titre, « Tout savoir par le texte et l’image », est explicite. Ce magazine, sorte de Paris Match mensuel, sous l’impulsion de son rédacteur en chef, André Giovanni (lequel, en 1976, fondera Santé Magazine, promis à un bel avenir), consacre à partir de 1962 plusieurs dossiers aux problèmes religieux, donnant volontiers la parole aux « traditionalistes ». Par exemple, en décembre 1962, « Où va l’Église de France ? », dont voici le sommaire : « L’Évangile trahi », « L’Église en danger », « Teilhard de Chardin, jésuite maudit ou futur Père de l’Église », « La bataille des intégristes et des progressistes », « Après l’abandon de la soutane », « Pourquoi la messe à l’envers ? », « Un ancien prêtre-ouvrier parle ». Mais on peut relever aussi au hasard, au fil des numéros, en février 1964 « Les démagogues de l’art sacré », en juin 1964 « Les infiltrations communistes par l’intermédiaire du mouvement Pax », en août 1964 « Vernet contre Teilhard », en janvier 1965 « Dossier des nouveaux prêtres », en février 1966 « L’abbé de Nantes », etc. Le Monde et la Vie disparaît à la fin des années 60 pour renaître comme bimensuel en 1972, sous le titre Monde et Vie, en un sens ouvertement « traditionaliste ».

Dans l’hebdomadaire politique Rivarol, Édith Delamare (1921-1993) tient une chronique religieuse fort lue et clairement favorable à la Résistance traditionnelle. En 1967, elle bataille Contre la liturgie d’après Concile et s’oppose à l’abbé Georges Michonneau (1899-1983), l’un des précurseurs de la révolution conciliaire, qui proclame son engagement Pour la liturgie d’après Concile (Berger- Levrault). Avec Léon de Poncins, Jacques Bordiot, Gilles de Couessin et Georges Virebeau (Henry Coston), Édith Delamare participe en 1969 au livre collectif intitulé sans ambiguïté Infiltrations ennemies dans l’Église (La Librairie Française). Dans le même hebdomadaire Rivarol, durant les années 60, sous le pseudonyme transparent de « Civis Romanus », écrit en faveur de la Tradition un Monsignore français résidant à Rome, Mgr Carbonnel.

Quelques courageux petits éditeurs à contre-courant s’efforcent de soutenir la Résistance catholique, comme les Nouvelles Éditions Latines, Dominique Martin Morin, La Librairie Française, les éditions du Cèdre, etc.

La Résistance catholique peut difficilement s’appuyer sur le réseau des librairies classiques, commercialement liées aux grandes maisons d’édition, elles-mêmes largement acquises aux idées progressistes. C’est pourquoi se développe à cette époque en France la pratique de la vente des livres par correspondance. Plusieurs maisons se fondent pour cela, mais parmi celles-ci il convient de distinguer particulièrement Diffusion de la Pensée Française (DPF). Créée en 1966 par un étudiant à l’université de Poitiers, Jean Auguy (né en 1942), cette librairie par correspondance s’installe rapidement dans le petit village poitevin de Chiré en Montreuil, et ne tarde pas à s’adjoindre un département éditorial sous le nom d’éditions de Chiré. DPF remplit un rôle majeur au long de ces années de combat, principalement en diffusant de nombreux ouvrages sur la doctrine et la liturgie. L’orientation de la maison de Jean Auguy peut facilement être caractérisée en rappelant trois livres des éditions de Chiré. Dès 1971, Jean Vaquié y publie un remarquable ouvrage intitulé La révolution liturgique, qui analyse d’une part la constitution conciliaire sur la liturgie, d’autre part le Novus ordo missæ. En 1975, Jacques Ploncard d’Assac y fait paraître L’Église occupée, analyse historique de la pénétration révolutionnaire dans le monde ecclésiastique. Enfin, toujours en 1975, y sort la traduction française (par Cerbelaud-Salagnac, fondateur d’Una Voce) de l’ouvrage du Brésilien Arnaldo Xavier Da Silveira, La nouvelle messe de Paul VI, qu’en penser ?

Dans les années 70, le quotidien l’Aurore, aujourd’hui disparu, joue un rôle non négligeable dans le réveil des catholiques français, en raison d’une chronique religieuse tenue successivement par deux dominicains « de choc ». Le père Maurice Lelong (1900-1981) est un prédicateur assez connu (différent du père Michel Lelong, père blanc, né en 1925 et toujours vivant) : il assure notamment la prédication chaque dimanche sur la radio d’État France Culture. Mais en 1971, il publie aux éditions Robert Morel le Lexicon de l’Église nouvelle, pastiche sous forme de dictionnaire du « nouveau langage ecclésiastique ». Il récidive l’année suivante avec Le livre blanc et noir de la Communion solennelle (Mame, 1972), critique de la destruction programmée de cette cérémonie religieuse capitale dans la formation religieuse des jeunes catholiques français. Ceci, conjugué à la saine doctrine de ses sermons radiodiffusés, lui vaut la disgrâce de ses supérieurs et la fin brutale de son poste à France Culture. Il est donc accueilli en 1972 à l’Aurore où il tient une chronique religieuse hebdomadaire (recueillie dans Les feux de l’Aurore, Robert Morel, 1973) qu’il prolonge en 1973 (Puisqu’il fait encore jour, Robert Morel, 1974) et en 1974 (Les jeudis de l’Aurore, Robert Morel, 1975). Appuyé sur une théologie très solide et traditionnelle, le père Lelong n’hésite pas, au fil de ses chroniques, à prendre à partie les massacreurs de l’Église, notamment les journalistes religieux, les prêtres en goguette et les évêques lâches et irresponsables. Le père Lelong préface encore en 1976 Un nouveau piège de la subversion : l’expression corporelle, publié par Dominique François aux éditions du Cèdre (liées à La Pensée catholique).

A cette chronique religieuse de l’Aurore, le père Lelong a pour successeur le père Raymond-Léopold Bruckberger (1907- 1998), dominicain résolument inclassable. Ancien résistant, homme de lettres et de cinéma, ami des artistes, menant une vie pour le moins non conventionnelle, il a toutefois, par attachement sincère à la bonne doctrine, participé à l’ouvrage Dialogue théologique, publié en 1947 par les pères Labourdette et Nicolas, qui proposait une critique argumentée de la « Nouvelle Théologie » en ses premiers feux. Dans la période de l’après- Concile, il commence à exprimer avec une grande liberté de ton et un vrai style littéraire ses interrogations et ses surprises face à l’évolution inquiétante de l’Église (Lettre ouverte à Jésus-Christ, Albin Michel, 1973). Les dirigeants de l’Aurore (et ceux du Journal du Dimanche) lui offrent alors une tribune. Ses réflexions critiques sur la situation dramatique de l’Église, qui ont un formidable retentissement, sont recueillies dans L’âne et le boeuf, publié par Plon en 1976 avec une introduction de Jean Dutourd, et surtout dans Toute l’Église en clameurs, publié par Flammarion en 1977, ouvrage que le père Bruckberger n’hésite pas à dédier à Louis Salleron et à Michel de Saint Pierre. Chaque jeudi de ces années (celles de la condamnation de Mgr Lefebvre et de la prise de Saint- Nicolas du Chardonnet), la chronique du « père Bruck » est attendue avec impatience par les catholiques inquiets et désemparés.
La résistance des prêtres et des laïcs
Grâce à tout cet héritage, à cette formation largement diffusée, aux encouragements venus de tous ces « ténors », les catholiques français vont entrer en résistance de façon certes modeste en soi, mais cependant réellement massive au regard de l’Église universelle.

Un peu partout, des prêtres gardent la soutane, conservent l’enseignement du catéchisme, célèbrent la liturgie traditionnelle, maintiennent les formes reçues de la piété catholique. Ils sont plusieurs centaines certainement, dépassent même peut-être le millier. Ce qui signifie qu’ils représentent entre 2 % et 3 % du clergé français (qui compte à l’époque entre 40 000 et 35 000 prêtres) : dans l’état de cataclysme où est alors l’Église, ce chiffre est loin d’être négligeable, et doit être comparé à celui de tant d’autres lieux où il n’y a aucune réaction ou presque.

Dans chaque diocèse (la France en comprend une petite centaine), des prêtres (et notamment des curés de paroisse rurale) gardent donc la Tradition. Dans tel diocèse, c’est un seul. Dans un autre, ce sont deux ou trois. Mais dans certains diocèses, ce sont six, sept, voir dix prêtres ou plus qui maintiennent. Ce qui représente un maillage, certes inégal et irrégulier, mais finalement assez dense. En gros, tout catholique français peut trouver la messe traditionnelle à moins de cent kilomètres de chez lui. Il est évidemment impossible de citer ici les centaines de noms de ces prêtres résistants. D’une part, ce serait long et fastidieux. D’autre part, pour proposer un « livre d’or » exhaustif des diverses résistances locales, il faudrait réaliser un travail de recherche minutieux et complexe. En effet, les situations sont très variées, dans des laps de temps différents, avec des lieux qui parfois varient d’une semaine sur l’autre, des prêtres qui se croisent ou se succèdent, des revirements et des retours.

Pour exprimer toutefois reconnaissance et piété envers ces courageux combattants qui ont permis à la Tradition de survivre en France malgré la tempête, citons presque au hasard quelques noms (qui seront ainsi sauvés d’un oubli complet) : le père Avril, le père Aymard, l’abbé de Bailliencourt, le père Baillif, le père Barcelonne, l’abbé Bayot, l’abbé Bénéfice, l’abbé Bertrand, l’abbé Bouteille, l’abbé Bovadilla, l’abbé Burdin, le père de Chivré, l’abbé Choulot, l’abbé Claisse, le chanoine Cousseran, le père Crespel, l’abbé Dirat, l’abbé Duboscq, l’abbé Dupanloup, l’abbé Ehanno, l’abbé Emmanuelli, le père Étienne de Sainte-Madeleine, l’abbé Fellich, le père Gérentet de Saluneaux, le père Givry, Mgr Gillet, l’abbé Goyenetche, Mgr Grasselly, l’abbé des Graviers, le père Grymonpré, l’abbé Guerle, l’abbé Houghton, l’abbé Jamin, l’abbé Juan, l’abbé Lagarde, le chanoine Lavigne, le père Le Boulc’h, l’abbé Le Perderel, le père Londos, l’abbé Lourdelet, le père Magentis, l’abbé Mazué, l’abbé Montgomery-Wright, le père Morandi, l’abbé Mouraux, le chanoine Poncelet, le chanoine Porta, le père Pozzéra, le père Reynaud, le chanoine Robin, le père Rohmer, le père Rousseau, le chanoine Roussel, le père Sausin, le père Simon, l’abbé Son, l’abbé Sulmont, le père Vermeille, le père Vinson, le père Zucchelli, etc.

Cette énumération est partielle, voire partiale en oubliant tant et tant de noms qui mériteraient d’être sortis de l’oubli : aussi n’est-elle proposée que comme la composante d’un hommage global à tous ces prêtres redevenus anonymes et souvent injustement oubliés.

Ces prêtres résistants sont, dans la plupart des cas, persécutés (souvent de façon ignoble) par leur évêque et par beaucoup de leurs confrères qui ont « pris le virage ». Menacés, moqués, attaqués publiquement, privés de ressources, destitués, chassés, ils doivent souvent faire face à des situations dramatiques. Beaucoup meurent de chagrin, de souffrance, de misère.

Certains « hauts lieux » spirituels permettent toutefois de se ressourcer. A Bédoin, par exemple, dans le Vaucluse, existe depuis août 1970 une communauté bénédictine fervente sous la direction du père Gérard Calvet, moine issu de Tournay. A Pontcallec, les Dominicaines du Saint-Esprit gardent l’esprit de leur fondateur, l’abbé Berto, théologien de Mgr Lefebvre durant le Concile. Mais surtout, en ces années-là, c’est l’abbaye Notre-Dame de Fontgombault qui constitue en France l’un des principaux centres de résistance, sous la direction de son père abbé, dom Jean Roy (1921-1977), « ami et confident » de Mgr Lefebvre, comme le rappelle Mgr Tissier de Mallerais dans sa biographie du fondateur de la Fraternité Saint-Pie X. En 1973, Mgr Lefebvre ordonne ainsi prêtre à Fontgombault l’abbé Jean-Yves Cottard, de la Fraternité Saint-Pie X.

Inquiet de ce pôle traditionnel, Rome dépêche expressément le Nonce apostolique afin d’influencer dom Roy. En janvier 1973, Mgr Lefebvre s’efforce encore de relever son courage : « Gardons la messe, notre but commun. Nous sommes de plus en plus poursuivis depuis quelques semaines à cause de la liturgie ; pas question d’abandonner ! » Malheureusement, en 1974, dom Roy cède aux pressions, et l’abbaye de Fontgombault abandonne en public la messe traditionnelle (tandis que le desservant de la paroisse de Fontgombault à l’époque, l’abbé Lecareux, y reste fidèle). Cette défection majeure affaiblit considérablement la Résistance catholique.

Les laïcs, de leur côté, se mobilisent par dizaines de milliers. Certains font de nombreux kilomètres chaque dimanche pour assister à une messe célébrée selon le rite traditionnel (guidés en cela par le célèbre Vade mecum de l’abbé Coache). D’autres, résidant à côté d’une paroisse où vit un prêtre attaché à la Tradition, apportent à ce dernier aide, secours et protection face aux persécutions cléricales. D’autres enfin, éloignés géographiquement d’un prêtre traditionnel, se regroupent, s’organisent, créent une association (les célèbres « Associations Saint-Pie V », qui fleurissent sous divers noms à travers tout le territoire français), et se mobilisent pour aller chercher un prêtre disponible à des centaines de kilomètres, s’il le faut. Ils lui proposent un lieu de célébration de fortune (les « centres de messes »), lui offrent gîte et couvert, et enfin le ramènent chez lui dans les mêmes conditions rocambolesques. Ces groupes assurent également souvent le catéchisme des enfants, dans le désert catéchétique qu’est devenue la France à cette époque.

Des dizaines de bulletins locaux font leur apparition, rédigés soit par des ecclésiastiques soit par de simples fidèles, bulletins qui s’efforcent, selon leurs moyens, de défendre la foi, la Tradition, la liturgie de toujours. Ces écrits font flèche de tout bois, car chacun s’est improvisé apologète, liturgiste, théologien ou historien : la cité sainte est menacée, et il faut tenir le créneau, même si l’on n’a pas forcément été formé pour cela. Dans la tourmente du moment, ces bulletins encouragent, éclairent, raffermissent les bonnes volontés.

Tous ces résistants correspondent, se rencontrent, se rassemblent. Un laïc, Gérard Saclier de la Batie, essaie même de créer une fédération des Associations Saint-Pie V. Le mouvement n’aboutit pas complètement, mais il aide certains inorganisés à se prendre en main, et fortifie les associations déjà existantes.

La France est ainsi quadrillée par un réseau de prêtres, de groupes de laïcs, de revues, de bulletins, de « centres de messes » qui constituent la Résistance catholique. C’est sur ce terreau fertile que les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X vont missionner à partir de 1976, date de la fondation du District de France, c’est ce terreau fertile qui explique pour une grande part l’expansion étonnante de ce District au cours des plus de trente ans écoulés.

C’est grâce à ces premiers résistants, à ces héros, que la tradition n’a pas purement et simplement disparu. Pensons au prêtre qui garde la soutane quand tous ses confrères prennent l’habit civil, et qui essuie les moqueries desdits confrères sur la « défroque » qu’il porte encore ! Il y a de quoi voir sa raison vaciller, se demander si l’on n’est pas fou de conserver un mode de vie que tous ses amis, tous ses confrères de séminaire, tous ses supérieurs ont joyeusement abandonné au nom des temps nouveaux qui commencent.

Quant aux fidèles, ils sont expulsés sans ménagement des associations catholiques, avant d’être carrément jetés hors de leurs paroisses. Et tout cela pour le crime d’attachement à la tradition catholique la plus évidente, celle que ces mêmes prêtres qui les persécutent désormais leur enseignaient quelques années auparavant sous la menace des châtiments du Ciel.

Ces hommes, ces femmes, en restant fidèles au milieu de la tourmente, ont sauvé l’essentiel. Ils ont préservé des pans entiers de la tradition catholique qui, sans eux, se seraient engloutis sans retour.

Il ne faut pas oublier de rendre hommage à tous ceux-là, clercs et laïcs qui, par leur foi, leur courage, leur enthousiasme, leurs sacrifices énormes, ont permis que la messe traditionnelle vive et survive, que la doctrine catholique soit toujours enseignée et transmise au milieu de la plus formidable tempête que l’Église aura jamais connue.