29 avril 2014

[Paix Liturgique] Les vrais «signes des temps»: Quand la sociologie confirme le désir massif des fidèles d'assister à la messe "traditionnelle"

Jeudi-Saint à la basilique Notre-Dame de Fribourg
SOURCE - Paix Liturgique - Lettre 437 - 29 avril 2014

Le 26 février 2014, le décanat de Fribourg (diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg) rendait public les résultats d'une grande enquête sur la pratique religieuse des catholiques locaux :3 457 des 4 800 fidèles ayant assisté à l'une des 69 messes célébrées dans le décanat les samedi 15 et dimanche 16 juin 2013, ont en effet répondu à tout ou partie des 23 questions d'un questionnaire qui leur avait été distribué. Parmi ces interrogations, toute une série portait sur les préférences liturgiques des fidèles et, comme l'écrit sur son blog, l'abbé Dominique Rimaz, il apparaît que « les fidèles veulent la Messe du Christ, la Messe de l'Église ! Voilà sans doute la bonne surprise du sondage de Fribourg ». Mieux encore – mais, pour nous, ce n’est nullement une surprise – à la question de savoir ce que les catholiques fribourgeois pensaient de la « messe en latin (forme extraordinaire) », 2 sur 3 ont déclaré l'apprécier « assez » ou « beaucoup » !!! Un résultat qui confirme largement celui enregistré en 2011 par l'institut Démoscope pour le compte de Paix liturgique dans le cadre d'une enquête menée par téléphone auprès de 722 catholiques de Suisse romande et alémanique (voir notre lettre 280).
I – LES RÉSULTATS COMMENTÉS PAR LE DIRECTEUR DE L'INSTITUT RELIGIOSCOPE
Historien des religions, le Fribourgeois Jean-François Mayer a rendu compte des résultats d'ensemble de l'enquête du décanat sur le site Religioscope avant de s'arrêter plus en détail sur les aspects liturgiques sur le blog orbis.info. Avec son aimable autorisation, nous vous proposons un long extrait de ce dernier texte sur lequel nous appuierons nos réflexions de la semaine.
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Messe en latin et autres préférences liturgiques : à propos de l’enquête pastorale sur la pratique religieuse catholique à Fribourg

Des messes avec chœur mixte, orgue et au moins certaines parties en latin : tel est le modèle qui semble rencontrer l’accueil le plus favorable parmi les catholiques pratiquants de Fribourg, toutes catégories d’âge confondues, selon les résultats d’une enquête pastorale. Celle-ci révèle aussi le vieillissement du milieu pratiquant (une véritable pyramide des âges inversée) et offre d’autres enseignements utiles pour la réflexion pastorale de l’Église catholique locale. Il vaut la peine de revenir sur l’aspect liturgique, pour essayer de mieux saisir ce que nous enseigne cette recherche à propos de l’évolution des sensibilités liturgiques dans une ville suisse de tradition catholique. Car l’intérêt d’une telle enquête dépasse sans doute le cadre local.

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L'enquête comportait vingt-trois questions. La dixième demandait : « Comment appréciez-vous les différents types de célébration ? ». Il ne s’agissait donc pas de savoir quel type de célébration les fidèles préféreraient, mais d’avoir leur avis sur différents types de célébration. Pour chaque question, cinq choix étaient offerts : « Apprécie beaucoup », « Apprécie assez », « Apprécie peu », « N’apprécie pas », « Ne sais pas ».

Parmi les fidèles qui se prononcent, les taux les plus élevés d’appréciation vont à la messe avec chœur mixte, la messe avec orgue et la messe avec latin (je vais revenir sur la formulation de cette question). La messe avec chorale de jeunes suit d’assez près. Tout au bas de l’échelle viennent les assemblées en l’absence de prêtre (ou « en attente de prêtre », comme le disait l’un des intervenants).

La question sur la messe en latin était en fait formulée de façon beaucoup plus précise : « Messe en latin (forme extraordinaire) » : donc, ce qu’on appelle aussi « rite tridentin » ou « messe de saint Pie V », c’est-à-dire la pratique liturgique antérieure au concile Vatican II, dont le maintien fut l’un des étendards de la résistance de Mgr Marcel Lefebvre et de la Fraternité Saint-Pie X aux réformes qui accompagnèrent le concile Vatican II. Sous la dénomination de « forme extraordinaire du rite romain », la célébration de cette messe est autorisée aujourd’hui dans l’Église catholique romaine, s’il existe localement une demande d’un nombre suffisant de fidèles. En ville de Fribourg, l’évêque, Mgr Charles Morerod, a confié en 2012 à la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre, qui utilise la forme extraordinaire, la basilique Notre-Dame de Fribourg, la plus ancienne église de la ville, fraîchement rénovée et située dans le centre historique de la ville, à deux pas de la cathédrale Saint-Nicolas.

Le dépouillement des réponses reçues a surpris les chercheurs : 45,2 % des fidèles disent apprécier « beaucoup » la messe en latin (forme extraordinaire), 21,6 % l’apprécient « assez », 23,8 % ne savent ou n’ont pas répondu à cette question, tandis que seulement 6,8 % l’apprécient « peu » et 2,7 % ne l’apprécient pas.

Les enquêteurs ont conclu que les fidèles pratiquants avaient voulu en majorité exprimer ici un goût pour l’usage du latin dans la liturgie, sans comprendre pour la plupart ce qui est associé à la notion de « forme extraordinaire ». Cette interprétation est-elle correcte ? Je pense que oui, au moins pour une partie des personnes ayant répondu à l’enquête. La notion (assez récente) de « forme extraordinaire » est loin d’être claire pour tous les catholiques de la ville (un certain nombre d’entre eux savent bel et bien de quoi il s’agit, mais il est impossible de savoir quel pourcentage ils représentent). Ce qui m’incite surtout à partager cette interprétation est le fait qu’une messe chantée dans la forme extraordinaire est célébrée chaque dimanche à 10 h (et chaque jour de semaine à d’autres heures) dans une église centrale de la ville, aisément accessible par les transports publics ; or, le jour de l’enquête, il y avait un peu moins de 100 fidèles dans cette église, révèlent les données de l’enquête. Une personne qui souhaite assister à une messe célébrée dans la « forme extraordinaire » peut le faire sans difficulté dans la ville de Fribourg.

Le résultat n’en reste pas moins intéressant, d’autant plus qu’il n’y a aucune différence entre les fidèles les plus jeunes et les plus âgés : une majorité d’entre eux déclarent apprécier « beaucoup » ou « assez » la messe célébrée en latin, ou, en tout cas, une messe avec des parties en latin. Ce qui apparaît dans l’enquête est qu’une messe assez « classique », si l’on peut dire, recueille le plus large agrément. Une grande majorité des fidèles se sentent à l’aise dans le cadre d’une célébration avec chœur mixte, orgue et au moins certains chants ou prière en latin. D’autre part, même si la notion de « forme extraordinaire » n’est pas toujours clairement comprise, rien n’indique une réaction de refus de ce type de célébration, au vu du très faible pourcentage d’appréciations négatives.

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La réflexion qui me vient, en lisant attentivement les résultats de cette enquête, confirme ce que j’observe dans d’autres domaines de la vie catholique : dans le domaine liturgique, l’attitude d’une grande partie des fidèles semble assez différente de celle qui marquait les débats dans les années 1960 et 1970. La question n’est plus d’être « pour » ou « contre » les réformes liturgiques, sauf dans certains milieux particulièrement sensibles à ces questions. Les résultats de l’enquête suggèrent que la tendance semble plutôt à l’acceptation de la coexistence de plusieurs modèles liturgiques : beaucoup ne voient pas d’inconvénient à s’adapter selon les circonstances. Cependant, des modèles plutôt « classiques » de célébration, avec des références familières, se révèlent les plus « rassembleurs » pour la majorité des pratiquants réguliers (sans exclusive cependant, si j’interprète bien ce que semblent indiquer ces résultats).
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(Jean-François Mayer, 1er mars 2014)
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1) Souvent, pour expliquer leur silence ou leur mépris pour les résultats de notre série de sondages sur les catholiques et le Motu Proprio Summorum Pontificum, hommes d'Église et journalistes nous ont expliqué que ceux-ci n'avaient pas de valeur scientifique. Gageons alors qu'ils accorderont plus de crédit à l'enquête grandeur nature menée à Fribourg à la demande de l'Église locale et dont la présentation des résultats a été confiée à deux universitaires suisses : l'un, laïc, le sociologue Christophe Monnot ; l'autre, ecclésiastique, le père François-Xavier Amherdt, professeur de Théologie pastorale. 

2) En 2011, l'institut Démoscope avait enregistré que 35 % des pratiquants de Suisse alémanique et romande assisteraient au moins une fois par mois, dans leur paroisse, à la forme extraordinaire du rite romain, en latin, si celle-ci leur était proposée. Aujourd'hui, dans le décanat de Fribourg (55 000 habitants), 66,8 % des pratiquants déclarent apprécier « assez » ou « beaucoup » la messe en latin. Bien que la question posée mentionne explicitement la « forme extraordinaire », Jean-François Mayer partage l'avis des enquêteurs qui « ont conclu que les fidèles pratiquants avaient voulu en majorité exprimer ici un goût pour l’usage du latin dans la liturgie » et non un quelconque plébiscite en faveur de la forme extraordinaire. Certes, nous convenons de ce que la notion de « forme extraordinaire » n'est pas claire pour de nombreux catholiques, d’autant que nos sondages ont souvent montré que près d'un catholique sur deux n'avait pas eu connaissance du Motu Proprio de Benoît XVI rappelant à tous que la messe traditionnelle n'avait jamais été interdite et la qualifiant de « forme extraordinaire » du rite romain. Toutefois, l'empressement de scientifiques à signifier que les résultats d'une enquête qu'ils ont eux-mêmes pilotée ne signifient pas ce qu'ils signifient est assez troublant. Le fait que la messe traditionnelle à Fribourg ne soit suivie que par une centaine de fidèles n’est nullement significatif : ce que désirent les fidèles, c’est la célébration de la messe traditionnelle dans leur paroisse. Sur le blog de Jean-François Mayer, le professeur Monnot va jusqu'à préciser que la « seule interprétation solide des réponses est bien la messe avec des parties latines (ordinaire) et non la messe de rite extraordinaire » alors que la question est explicitement en contradiction avec cette explication...

3) D'ailleurs, dans les premières orientations pastorales annoncées par le décanat à l'issue de cette enquête (essentiellement des suppressions de messes !), la prise en compte de l'attachement des fidèles à ce que les enquêteurs appellent une « messe classique » ne transparaît pas. De quoi donner raison au Suisse Rom@in, alias l'abbé Rimaz, qui écrit les lignes suivantes sur son blog : « Je retiens surtout qu'il y a un décalage entre la réalité pastorale – la sensibilité des croyants – et la volonté majoritaire d'imposer des Messes sans latin, car selon une vision devenue minoritaire (mais fortement ancrée dans le milieu clérical), cela ne passerait plus aujourd'hui. En ce sens, l'enquête révèle que les fidèles pratiquants veulent des Messes justement fidèles avec une liturgie soignée. Ce furent bien des catholiques pratiquants qui ont été sondés. Le risque est grand de parler au nom du Peuple de Dieu sans l'écouter. Sachons nous ouvrir à sa voix lorsqu'elle s'exprime. »

4) Selon Karl Rahner, l’hyper-théologien conciliaire, la question des signes des temps est « l’une des trois ou quatre formules les plus significatives du Concile, au cœur de ses démarches comme à l’initiative de son inspiration ». Et si, depuis 50 ans, on avait tout faux ? Et si, depuis 50 ans, on avait refusé de les voir et de les lire, ces signes des temps ?

5) De les voir ou de les entendre. S'ouvrir à la voix du Peuple de Dieu, dit l’abbé Rimaz : c'est là tout le sens de la longue campagne de sondages que, grâce à nos généreux donateurs, nous avons pu conduire et que nous allons poursuivre. Nous ne prétendons pas soumettre l'Église à la dictature de l'opinion publique mais simplement concourir à la paix en fournissant aux hommes de bonne volonté, et au futur, des éléments concrets pour essayer de mieux comprendre la crise de la pratique religieuse qui frappe nos vieux pays de catholicisme, et attirer l'attention des responsables – curés et évêques – sur le fait que ce n'est pas en réduisant l'offre liturgique mais en l'élargissant et en l'enrichissant qu'une nouvelle évangélisation sera possible. Toujours selon l'abbé Rimaz, « le Peuple de Dieu possède (expression du Pape François) un flair ou le sensus fidei pour rechercher le Seigneur ». Or la messe, « expression de la foi, n'appartient pas aux prêtres, mais à toute l'Église » et l'enquête de Fribourg « a le mérite de donner un message des catholiques à leurs Pasteurs : célébrez la Messe selon la liturgie de l’Église, avec du latin (et d'autres beaux chants) et aussi, pourquoi pas car l’Église le souhaite, selon la forme extraordinaire. » Ainsi soit-il.