9 avril 2014

[Nicolas Senèze - La Croix] De la difficulté de traduire la liturgie

SOURCE - Nicolas Senèze - La Croix - 9 avril 2014

L’historien Florian Michel revient sur les querelles qui ont traversé l’Église de France lors des premières traductions liturgiques, dans les années 1960.

Les récents débats autour de la traduction du Notre Père dans la nouvelle Bible liturgique catholique ont montré combien traduire la liturgie était sujet à polémique. Ces débats ne datent pas d’hier, et ont commencé dès les premiers essais de traduction consécutifs à la volonté du concile Vatican II d’autoriser les langues vernaculaires dans la liturgie. 

C’est ce que montre l’historien Florian Michel dans un remarquable essai. Et plutôt que de se perdre dans une infinité de débats, il a choisi de se concentrer sur quatre moments emblématiques : la traduction du «consubstantialem Patri» en «de même nature que le Père» dans le Credo (1964), la traduction œcuménique du Notre Père (1966), celle du «Mysterium fidei» dans le récit de l’institution (1967-1969) et celle du «catholicam Ecclesiam» (1970) aboutissant à l’échec de la tentative de Credo œcuménique.

«Les traductions ouvrent un débat passionné et complexe au sein de l’Église de France, où se mêlent attachement aux coutumes et à la beauté du latin, le souci de l’orthodoxie, la peur du changement», résume-t-il. 

Si, d’emblée, les traducteurs sont tiraillés entre l’exigence romaine de rester au plus près de l’original latin et les nécessaires adaptations pour que les traductions soient comprises du plus grand nombre, ils auront vite à gérer les réactions des «clercs» de tous bords qui entendent bien donner de la voix dans les débats. 

Si les grands théologiens français de l’époque (Congar, de Lubac…) tiennent à ne pas se faire mettre à l’écart par les liturgistes et les évêques, les intellectuels catholiques comme Maritain, Mauriac ou Guitton veulent aussi donner de la voix.

À cet égard, le parcours d’un Étienne Gilson est emblématique : le philosophe thomiste proteste énergiquement contre la traduction du «consubstantialem» en «de même nature», jugée plus compréhensible. 

On aura beau argumenter que saint Thomas lui-même défendait d’un trait l’équivalence entre nature et substance dans le Credo, le spécialiste de l’Aquinate n’en démordra pas. «Nous autres, laïcs de plat pays, nous n’avons qu’à suivre la liturgie simplifiée à notre usage», se lamentera celui qui dénoncera une «liturgie de masse» puis, amer et marginalisé, sera récupéré par les adversaires de la réforme liturgique.

Pour autant, il ne faudrait pas relire ces «batailles de tradition» qui ont déchiré l’Église de France dans les années 1960 à l’aune des déchirures des années 1970. Florian Michel s’y refuse, rejetant «un récit unilatéral de la réforme liturgique». «La lecture traditionaliste ou intégriste semble, dans ses postulats, erronée, affirme-t-il. Les années post-conciliaires ne furent pas cette grande braderie que certains ont décrite avec amertume.» Plus profondément, c’est plutôt le débat – toujours actuel – entre une liturgie élitiste et une volonté évangélisatrice qui est alors ouvert.

Nicolas Senèze
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TRADUIRE LA LITURGIE
de Florian Michel
Éditions CLD, 262 p., 18 €