8 avril 2014

[Paix Liturgique] 50 ans de Sacrosanctum Concilium et tout reste à faire

SOURCE - Paix Liturgique - Lettre 434 - 8 avril 2014

Dans le cadre du cinquantenaire de la Constitution conciliaire Sacrosanctum Concilium sur la Sainte Liturgie, promulguée le 4 décembre 1963 par Paul VI, l’Université pontificale du Latran a accueilli du 18 au 20 février 2014 un colloque organisé par la Congrégation pour le Culte divin.

Intitulé « Sacrosanctum Concilium : Gratitude et enseignement pour un grand mouvement de communion ecclésiale », cet événement a notamment accueilli le nouveau Cardinal Secrétaire d’État, Mgr Pietro Parolin. Celui-ci a célébré une messe pour les participants le mercredi 19 février, et leur a rappelé que la mission de la liturgie est de « protéger et ouvrir la porte de la grâce » qui, telle une « eau pure », jaillit du mystère pascal. Pour cette raison, la liturgie elle-même doit être « entretenue et préservée dans sa vérité et son authentique finalité ».

Dans un message adressé au cardinal Antonio Cañizares Llovera, Préfet du Culte divin et parrain de ce colloque, le Pape a expliqué que « célébrer le vrai culte spirituel, cela signifie s’offrir soi-même comme sacrifice vivant, saint et agréé de Dieu ». Citant son prédécesseur, le pape François a invité à son tour les catholiques, prêtres comme laïcs, « à être réellement pénétrés de la réalité de Dieu, afin que toute notre vie soit liturgie, soit adoration ». Rendant grâce à Dieu pour le travail des Pères conciliaires, le Pape n’a toutefois pas caché qu’il reste beaucoup à faire « pour une correcte et complète assimilation » deSacrosanctum Concilium. « Je me réfère en particulier, a-t-il précisé, à l’effort à accomplir pour une solide et organique initiation et formation à la liturgie, autant des laïcs que du clergé et des personnes consacrées. »

Pour sa part, le Secrétaire de la Congrégation, l’archevêque anglais Arthur Roche, interrogé par l’agence de presse CNA, a vanté les mérites de la « messe en latin » dans sa forme ordinaire comme dans sa forme extraordinaire. Selon lui, grâce à sa langue commune « qui nous réunit et nous unit », la célébration de la messe en latin manifeste particulièrement l’unité de l’Église. Mgr Roche, qui ne passe pas particulièrement pour un ami de la messe traditionnelle, a rapproché de l'essor de la forme extraordinaire le fait que, dans les grandes cérémonies romaines, les fidèles venus du monde entier chantent toujours plus volontiers à l’unisson l’ordinaire en latin et grégorien.

Commentant ces propos du premier adjoint du cardinal Cañizares Llovera, nos confrères de Riposte catholique ont voulu rappeler que Sacrosanctum Concilium ne s’oppose pas au rite de saint Pie V : « C’est même le contraire pour nombre d’aspects. La Constitution a en effet consacré le latin comme langue liturgique par excellence et élevé le chant grégorien à la qualité de chant ordinaire de l’Église. » Et si la Constitution sur la Sainte Liturgie a également donné la faculté de célébrer la messe dans les langues vernaculaires, nos confrères rappellent que cette possibilité n’était en réalité à l’origine qu’une dérogation qui, comme beaucoup d’autres options conciliaires, est bien vite devenue la règle…

D’une certaine façon, poursuit Riposte catholique, « la forme extraordinaire du rite romain est plus fidèle aux vœux du Concile Vatican II que la forme ordinaire, telle qu’elle est actuellement célébrée dans la majorité des paroisses de France ». Ce jugement ne plaira guère mais reflète, hélas, la grande misère liturgique qui sévit encore dans tant d’églises de nos villes et de nos campagnes.
LE COMMENTAIRE DE PAIX LITURGIQUE
L’usage du latin, la place faite au chant grégorien et enfin le mode de distribution de la Sainte Communion sont trois points sur lesquels la nouvelle messe, si l’on se réfère aux directives conciliaires et en particulier à Sacrosanctum Concilium, aurait dû afficher sa continuité avec l'ancienne (voir SC 36, si souvent commenté : « L’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins. Toutefois, soit dans la messe, soit dans l’administration des sacrements, soit dans les autres parties de la liturgie, l’emploi de la langue du pays peut être souvent très utile pour le peuple ; on pourra donc lui accorder une plus large place, surtout dans les lectures et les monitions, dans un certain nombre de prières et de chants »). Pourtant, la pratique qui s’est généralisée depuis le Concile a pris une tout autre direction. L’un des objets de la réforme liturgique voulue et esquissée par Benoît XVI, était précisément d’en finir avec les abus postconciliaires et de refaire de la célébration de la Sainte Eucharistie le lieu primordial de la rencontre entre le Créateur et ses créatures.

Riposte catholique reprend prudemment en filigrane la thèse de la continuité entre Sacrosanctum Concilium et les réformes antérieures de saint Pie X et de Pie XII. Une double question se pose cependant depuis le Concile : Pouvait-il naître de Sacrosanctum Concilium une simple réforme liturgique, dans la ligne des « retoilettages » de Pie XII ? Et, la réforme de Paul VI est-elle fidèle à la Constitution conciliaire ? (avec une sous-question : les « abus » de l’application de la réforme de Paul VI ne sont-ils pas inévitables, compte tenu de la nature de cette réforme ?) Vaste débat, auquel Alcuin Reid, dans The Organic Development of the Liturgy (Saint Michael’s Abbey Press, Londres, 2004 – livre issu d’une thèse de doctorat sur « Nature du Mouvement liturgique et principes de la réforme liturgique »), apporte une réponse nuancée. Ce livre, dont la préface est la dernière signée de la main du Cardinal Ratzinger, dénonçait la réforme de Paul VI dirigée par les experts du Mouvement liturgique, au nom d’une autre réforme, organique celle-là, qui n’a pas eu lieu. Mais qui aurait pu avoir lieu, ou pourrait avoir lieu.

Que l’on discute de ces thèmes à Rome, ou qu’on donne les éléments pour en discuter, est une bonne chose mais n’a guère de retombées dans les églises locales, comme l’expérience le prouve. Récemment, la blogosphère anglo-saxonne (New Liturgical Movement et Rorate Cæli notamment) a débattu, sereinement mais avec insistance, pour savoir si la « réforme de la réforme » était morte avec Benoît XVI. Certains ont même tranché en expliquant qu’elle était tout simplement impossible parce que la réforme de Paul VI était, hormis quelques détails, irréformable tout comme l'est d'ailleurs la forme extraordinaire. D’où la dangereuse utopie d'une fusion, ou d'une troisième voie, là où le pape Benoit n'avait envisagé qu'un enrichissement mutuel.

Nous ne trancherons pas la question mais rappellerons ce vœu formulé par le pape François dans son message à la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre pour ses 25 ans : « Qu’en célébrant les Mystères sacrés selon la forme extraordinaire du rite romain et les orientations de la Constitution sur la LiturgieSacrosanctum Concilium, ainsi qu’en transmettant la foi apostolique telle qu’elle est présentée dans le Catéchisme de l’Église catholique, ils [les prêtres de la FSSP] contribuent, dans la fidélité à la Tradition vivante de l’Église, à une meilleure compréhension et mise en œuvre du Concile Vatican II. »

Ce que dit le Pape peut être compris comme montrant que les orientations de Sacrosanctum Concilium ne sont pas incompatibles avec la célébration de la forme extraordinaire (et vice-versa) – la messe traditionnelle ne saurait donc être cantonnée au pré-concile – car la célébration de la liturgie traditionnelle peut contribuer « à une meilleure compréhension et mise en œuvre du Concile Vatican II ». Ces mots de François nous apparaissent en fait comme le reflet exact des intentions qui ont motivé Benoît XVI dans sa publication du Motu Proprio Summorum Pontificum : favoriser la redécouverte d’un trésor liturgique caché pour permettre l’enrichissement réel de la liturgie renouvelée.

Pour cela, et c’était l’un des objectifs du colloque romain, il convient de mieux utiliser le contenu de la Constitution conciliaire sur la Sainte Liturgie afin qu’une meilleure connaissance produise une meilleure pratique de l’ars celebrandi. Pour la plus grande gloire de Dieu et le salut de nos âmes.