SOURCE - FSSPX Actualités - 14 juin 2017
Le 25 mai 2017, la chaîne EWTN a diffusé un entretien avec le cardinal Gerhard Ludwig Müller, Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, à l’occasion de la sortie de son dernier livre aux éditions Ignatius « Le Rapport du cardinal Müller : entretien exclusif sur l’état actuel de l’Eglise ». Dans cet entretien, le cardinal allemand aborde plusieurs sujets sensibles de la vie de l’Eglise.
Un sujet sur lequel le prélat en charge de la doctrine à Rome était particulièrement attendu, fut celui de l’Exhortation post-synodale Amoris lætitia . Interrogé sur la confusion issue d’un document qui semble autoriser dans certains cas la communion sacramentelle aux couples « divorcés-remariés », le cardinal Müller répond qu’il est « absolument impossible que le pape, successeur de saint Pierre, Vicaire de Jésus-Christ pour l'Eglise universelle, enseigne une doctrine qui irait manifestement à l’encontre des paroles de Jésus-Christ ». Le pape et le Magistère sont, poursuit-il, « simplement les interprètes des paroles du Christ », et la « doctrine de l'indissolubilité du mariage reste quant à elle absolument claire ».
Le ton semble donné, et le haut prélat, tout en rappelant la doctrine traditionnelle du mariage, s'efforce de défendre une autorité pontificale mise à mal depuis plus d’un an maintenant. Ainsi, à ses yeux, Amoris lætitia entendait avant tout rappeler l’unité du mariage chrétien, et - dans les points controversés - le Saint-Père souhaitait en premier lieu « aider tous ceux qui vivent dans un monde sécularisé, et qui n'ont pas une compréhension complète de ce qu'est la vie chrétienne ».
Dans la pensée du prélat, ce qui est considéré comme une ambiguïté vient du fait que le pape ne voulait pas tenir un discours sur le mariage en forme de dilemme : « Ou vous acceptez absolument tout, dès le début, ou vous êtes absolument dehors ». Le but de l’exhortation aurait été de convaincre ceux qui ne vivent pas en règle avec les principes du Magistère : « nous devons les conduire comme de bons pasteurs jusqu’au point où ils pourront accepter complètement la doctrine chrétienne et la vie chrétienne ».
En ce qui concerne le passage le plus contestable d'Amoris lætitia concernant l’accès à la communion sacramentelle des couples « divorcés-remariés », le prélat balaye l’objection d’un revers de main : « cela ne s'applique qu'à ceux qui vivent comme frère et sœur après une conversion du cœur, la pénitence et l'intention de ne pas pécher à nouveau ». « Il est impossible de vivre avec deux femmes (successivement) de façon légale : nous ne saurions accepter la polygamie », ajoute-t-il. Pourtant le texte signé par le pape semble moins catégorique…
C'est dans ce contexte — et après avoir expliqué que la doctrine et la pastorale sont les deux faces d’une seule et même médaille, et que l’une ne saurait contredire l’autre — que le cardinal Müller pointe du doigt un récent commentaire du Père Antonio Spadaro s.j - un religieux ne cachant pas sa proximité de vue avec le pape -, qui avait enflammé les réseaux sociaux. Selon le jésuite, en théologie, « 2 et 2 ne font pas forcément 4, mais peuvent faire 5 ». Contre cette assertion, le prélat allemand martèle : « cela n’est pas possible, parce que nous avons la théologie ».
Vient alors une question plus embarrassante sur la récente prise de position des évêques argentins optant pour une application très large des dispositions de l’Exhortation Amoris lætitia, - option que le pape a lui-même encouragée. Sortant de sa réserve, le cardinal souligne qu'il n'est pas satisfait de voir « que les évêques interprètent le pape, et que le pape interprète les évêques », en précisant : « nous avons des règles sur la façon d'agir dans l'Eglise ».
Au sujet des « dubia » soumis au pape par quatre cardinaux, le cardinal Müller souligne que, sur le fond, les questions posées sont légitimes, bien qu'il regrette sur la forme que tout « soit sorti dans le public », provoquant ainsi « des tensions entre le pape et certains cardinaux ». « Tout cela n'est pas bon dans un monde polarisé sur les médias », déclare-t-il, ajoutant que « nos ennemis sont heureux de voir notre Eglise gagnée par une certaine forme de confusion ».
A propos de la Fraternité Saint-Pie X
Interrogé sur la possibilité d’une reconnaissance officielle de la Fraternité Saint-Pie X, le cardinal Müller répond : « Il faut prendre le temps d’une réconciliation plus profonde, car il ne s'agit pas seulement de signer un document, mais de réaliser une conversion ».
Le prélat déplore une attitude où « certains membres de la Fraternité prétendent être les seuls vrais catholiques ». Selon lui, la Fraternité doit « reconnaître la communion hiérarchique de l'Eglise, ainsi que le Credo, l'autorité du pape et les conciles ». - Du côté des supérieurs de la Fraternité, fidèles à l’analyse de leur fondateur Mgr Marcel Lefebvre, cela n’est pas, dans l’état, envisageable de façon absolue et sans les distinctions nécessaires. Il n'y a bien sûr jamais eu aucune difficulté à reconnaître la hiérarchie de l'Eglise fondée sur Pierre, la profession de foi contenue dans le Credo et l'autorité des papes et des conciles. Le problème se pose avec Vatican II, concile atypique et singulier, qui a introduit dans l'Eglise des doctrines nouvelles déjà condamnées par le magistère antérieur (liberté religieuse, faux œcuménisme, relativisme doctrinal et moral du fait de l'exaltation de la dignité de l'homme et d'une vision personnaliste de la conscience individuelle et de la vie en société...). Ce problème se pose aussi face aux réformes issues du Concile (nouvelle messe, nouveau catéchisme, nouveau droit, nouveau rapport au monde sécularisé...), qui sont la cause, de l'aveu même des papes, de "l'autodestruction de l'Eglise" et de "l'apostasie silencieuse" répandue parmi les sociétés naguère chrétiennes.
Interrogé sur le problème liturgique, le cardinal Müller dit être d’accord avec l'affirmation du cardinal Robert Sarah selon laquelle nous vivons une « crise de la liturgie ». Néanmoins, il insiste sur le fait que cette crise trouve son origine avant le concile Vatican II. La perte du sens du « mystère » de la Messe était un problème déjà évoqué par Romano Guardini, affirme-t-il. Le prélat allemand ajoute que, même avec le rit latin traditionnel, on pourrait bâcler la messe en dix minutes, sans entrer dans le mystère qu’elle signifie.
À l'issue de cet entretien, le Préfet de la Doctrine de la foi a confié son désir de « contribuer à dépasser la sécularisation », qui se traduit par une « vie sans Dieu ». - C’est justement ce à quoi s'emploie la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X lorsqu’elle travaille à rendre à l’Eglise la splendeur de sa Tradition.