30 juin 2017

[Paix Liturgique] Les fruits du motu proprio en Angleterre

SOURCE - Paix Liturgique - Lettre n°600 - 30 juin 2017

C'est un événement historique qui s'est déroulé samedi 17 juin 2017 dans l'archidiocèse de Liverpool : pour la première fois depuis la réforme liturgique, des ordinations ont été célébrées selon la forme extraordinaire du rite romain en Grande-Bretagne. Deux prêtres de la Fraternité Saint-Pierre, les abbés Alex Stewart et Krzysztof Sanetra – un Anglais et un Polonais – ont reçu le sacerdoce des mains de Mgr McMahon, archevêque de Liverpool, au sanctuaire Sainte-Marie de Warrington.

Pour mieux comprendre l'extraordinaire attrait de la forme extraordinaire de la messe sur les jeunes britanniques, nous vous proposons un entretien publié le 16 mai 2017 sur le portail américain catholic365.com. Un jeune Anglais de 23 ans, Michael, y raconte à une jeune blogueuse texane les raisons de son attachement à la liturgie latine et grégorienne.

Enfin, pour nourrir nos réflexions, nous avons aussi demandé à la Latin Mass Society de nous communiquer les chiffres officiels du motu proprio pour l'Angleterre et le Pays de Galles.
I – « DANS LA JOIE ET LA FIDÉLITÉ »
Extraits de l'entretien donné à Noelia Collins pour la série « Iuvenes pro Traditione »

1) Michael, es-tu catholique de naissance ou par conversion ?
Michael : Je suis né catholique. Ma famille est catholique depuis que les premiers saints ont débarqué pour évangéliser les îles britanniques.

2) Quelques mots sur le catholicisme de ta famille ?
Michael : Ma famille est très dévote et ne craint pas d'afficher sa foi ouvertement : il y a des crucifix dans chaque pièce de la maison, des tableaux représentant des scènes des Écritures un peu partout, de l'eau bénite à l'entrée, nous disons le bénédicité à chaque repas, etc. Mes parents sont tous les deux tertiaires d'ordres religieux et travaillent dans le secteur de l'éducation religieuse. Ils comptent de nombreux amis ecclésiastiques qu'il n'est pas rare de croiser à la maison. Pour nous, la foi est quelque chose de naturel et de normal, quelque chose de familier.

3) Étaient-ils traditionalistes ? Modernistes ? Indifférents ?
Michael : Je dirais que la culture familiale dans laquelle j'ai grandi est traditionnelle mais pas traditionaliste. Nous allions à la nouvelle messe mais chantée en grégorien, avec encens et clochettes ! . Les paroissiens les plus âgés parlaient volontiers de tout ce qui s'était perdu dans l'Église mais mes parents ont toujours manifesté une grande méfiance envers la liturgie traditionnelle, associée dans leur esprit à une tendance schismatique.
Summorum Pontificum a aidé significativement à changer cette perception mais cela a pris du temps et a nécessité beaucoup d'explications. Je dirais qu'aujourd'hui ils sont à l'aise avec la forme extraordinaire même si ce n'est pas leur tasse de thé.

4) Qu'est-ce qui t'a attiré vers la tradition ?
Michael : J'ai eu un parcours graduel vers la tradition. Mon intérêt pour elle grandissait à mesure qu'augmentaient ma compréhension et ma pratique de la foi. Ma spiritualité est profondément enracinée dans l'adoration de la Sainte Eucharistie. Le fait d'avoir été intimement associé à la liturgie comme enfant de chœur, dans une église où la messe était toujours offerte avec révérence, m'a bien aidé. Ma spiritualité y a fait un vrai bond en avant et je garde une grande dévotion pour saint Étienne, le patron des enfants de chœur. Plus je grandissais plus la liturgie de ma paroisse semblait renouer avec la tradition, par la musique comme par les gestes rituels, et cela me convenait parfaitement. À mon adolescence, un nouveau prêtre arriva et il était évident, de ses homélies comme de son attitude, qu'il était du genre soixante-huitard, détestant la tradition et ne croyant pas vraiment dans l'enseignement de l'Église, y compris, semblait-il, dans la transsubstantiation.
Scandalisé, je me mis dès que je le pus en quête de la forme extraordinaire, célébrée dans une ville voisine. De façon étrange je m'y sentis tout à la fois immédiatement chez moi et quelque peu déboussolé : j'en connaissais bien des mots, des musiques et des gestes mais en ignorais à peu près autant !

[...]

5) Comme jeune fidèle attaché à la tradition de l'Église, que dirais-tu à quelqu'un de suspicieux envers le monde traditionnel ?
Michael : Que nous n'entendons pas revenir aux années 50 ou à la Contre-Réforme pas plus qu'à quelque autre époque du passé ! Nous ne regardons pas le passé avec des lunettes roses. Nous nous efforçons simplement de répondre à notre vocation à la sainteté en vivant notre foi honnêtement, dans la joie et la fidélité, au contact de ces grands trésors de la Tradition – toujours anciens et toujours jeunes, à l'image de l'Église elle-même – que l'Église nous a transmis et que nous avons eu la chance de pouvoir découvrir. Rien de plus, rien de moins.
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1) Souvent les témoignages de jeunes attachés à la forme extraordinaire du rite romain sont le fait, en particulier dans le monde anglophone, de convertis ou de « recommençants ». Ce n'est pas le cas de Michael, issu de ce que l'on comprend être une vieille famille catholique anglaise et éduqué dans un catholicisme des plus classiques. Pourtant, comme tant de jeunes de son âge, Michael a fini par faire le choix de la forme extraordinaire à mesure qu'il découvrait ce qu'il appelle les « grands trésors de la Tradition », rejoignant ainsi l'invitation lancée par Benoît XVI dans sa lettre aux évêques accompagnant le motu proprio : « Il est bon pour nous tous, de conserver les richesses qui ont grandi dans la foi et dans la prière de l’Église, et de leur donner leur juste place. » En fait, la trajectoire de Michael illustre celle de la liturgie réformée qui, même quand elle est célébrée dignement, est invariablement en proie aux interprétations du premier prêtre de passage.

2) Portail grand public dédié à la nouvelle évangélisation, le site catholic365.com accueille de nombreux articles favorables à la forme extraordinaire du rite romain. Parmi eux, ceux de Noelia Collins, 18 ans, étudiante en sciences politiques à El Paso, au Texas. Noelia s'est lancée dans une série de portraits de jeunes qui, comme elle, appartiennent au peuple Summorum Pontificum : Iuvenes pro Traditione. 10 ans après le motu proprio de Benoît XVI, il est significatif de voir combien la jeunesse s'est approprié ce texte. Surtout, comme le manifestent bien les réponses de Michael, il est frappant de constater la « force tranquille » avec laquelle ces jeunes parlent de leur attachement à la liturgie antique. Pour eux, la liturgie n'est ni un ferment de division ou un sujet de polémique mais bien un instrument d'unité et de sanctification.

3) En ordonnant au sacerdoce, selon l'usus antiquior, deux séminaristes de la Fraternité Saint-Pierre l'archevêque dominicain de Liverpool, Mgr McMahon a probablement signé le premier acte d'une longue série.Le bilan de ces 10 ans de motu proprio outre-Manche est en effet très encourageant. Non seulement de nombreux curés ont introduit la forme extraordinaire dans leur paroisse mais, ces dernières années, plusieurs évêques ont ouvert en grand les portes de leur diocèse aux instituts Ecclesia Dei : l'Institut du Christ-Roi s'est vu confié des sanctuaires importants dans les diocèses de Shrewsbury et de Lancaster, la Fraternité Saint-Pierre fête ses 20 ans de présence en Grande-Bretagne et de nombreux autres communautés y célèbrent la forme extraordinaire (prémontrés, oratoriens, franciscains, dominicains...) et de nombreux séminaristes s'y forment. Du coup, de plus en plus de prélats britanniques se familiarisent avec le missel de saint Jean XXIII et il est probable que d'autres ordinations aient lieu dans les années à venir. Soulignons qu'en Grande-Bretagne, où les catholiques furent si longtemps persécutés, l’animosité entre catholiques est moins grande que sur le continent. De fait, les évêques y sont enclins à un sain libéralisme – au bon sens du terme – vis-à-vis des minorités y compris celle, très active, des fidèles traditionnels.

4) Parmi les raisons de ce dynamisme sacerdotal et épiscopal en Grande-Bretagne, il faut citer en premier lieu l'action de la Latin Mass Society qui, chaque année, forme de nouveaux prêtres à la célébration de la forme extraordinaire et accompagne et soutient ceux qui la célèbrent déjà. Joseph Shaw, son Président, nous a aimablement communiqué en avant-première les statistiques officielles de cette première décennie d'application de Summorum Pontificum, basées sur l'annuaire des messes que l'association met à jour en continu.
Ainsi, en 2006, l'Angleterre et le Pays de Galles comptaient 18 lieux de culte offrant au moins une messe dominicale et hebdomadaire. Ils sont 40 aujourd'hui. En 2006, 10 messes de Noël selon le missel traditionnel ont été célébrées contre 71 en 2016. En juillet 2007, il y avait 26 lieux de culte offrant au moins de façon mensuelle la forme extraordinaire en Angleterre et au Pays de Galles : il y en a aujourd'hui 147.
« Les progrès depuis 2007 sont évidents, explique Joseph Shaw, et ils sont confirmés si l'on s'intéresse à l'assistance totale à ces messes. Nous n'avons pas de statistiques à ce sujet mais il est notoire que la plupart des communautés ont grossi au fil des ans, en particulier lorsque la forme extraordinaire fait partie de la vie normale de la paroisse comme chez les oratoriens ou dans les instituts Ecclesia Dei. »

5) Sans rappeler une nouvelle fois que, dès 1971, les catholiques d'Angleterre et de Galles voyaient leur fidélité à la « messe en latin » récompensée par l'indult Agatha Christie qui ouvrait la voie aux documents romains postérieurs de tolérance puis de liberté (voir notre lettre 548 par exemple), il est bon de rappeler le résultat éclatant du sondage réalisé à notre demande en juin 2010 par Harris Interactive auprès de 800 catholiques britanniques :
43% des catholiques pratiquants se déclaraient prêts à assister chaque dimanche à la forme extraordinaire au cas où celle-ci vienne célébrée dans leur paroisse.
Si l'on ajoute à ces 43% les 23,4% qui se déclaraient prêts à y assister au moins une fois par mois, cela faisait 2 pratiquants réguliers sur 3 (66,4%) prêts à profiter des bienfaits du motu proprio de Benoît XVI. On en est pas encore là dans les faits mais la tendance indiquée par les données de la Latin Mass Society et confirmée par les ordinations de Warrington et les propos de Michael est bien celle-ci.