1 février 2009

[Koz - La Croix] Et si on faisait de la limonade ?

SOURCE - Koz - La Croix - 1 février 2009

Nous vivons une époque formidable. Des crises à la pelle. Crise économique, crise écologique, crise financière, crise immobilière. Autant d’occasions de redécouverte. Al Gore, en tournée mondiale, usait de deux images. Toujours utiles, les images. Dans des cas approchants, certains ont théorisé cela sous le terme de storytelling, comme si cela ne faisait pas déjà 2000 ans qu’on avait perçu l’intérêt de parler en paraboles. Al, lui, raconte qu’en chinois, crise et opportunité sont représentés par le même idéogramme. Manière de signifier que la crise est le moment opportun pour prendre des décisions. J’ai décidé de lui faire confiance. Pour moi, de toutes façons, le chinois, c’est de l’hébreu. Sous mon précédent billet, Stef m’interpellait : “les traditionalistes ont étudié en profondeur ce Concile et le connaissent bien, les catholiques dits “pro-conciliaires” peuvent-ils tous en dire autant ?“.
 
A son interpellation, je répondrai : probablement pas. Le grand peuple des catholiques fidèles à Rome connaît très mal le Concile Vatican II. Pour beaucoup, Vatican II n’est qu’une affaire de rite. Et je peux le dire avec assurance, puisque je parle notamment de moi. Ce n’est en effet que récemment que, cherchant des sources pour asseoir mes assertions, sur mon blog, je suis tombé sur des développements lumineux. Avec l’enthousiasme de celui qui découvre, il m’est arrivé plus d’une fois d’interpeller ma femme : “Tu imaginais toi, qu’ils disaient déjà ça dans Vatican II ?
 
Bon, je vous passe un petit laïus tout prêt de sociologie empirique : serait-il si étonnant que les intégristes connaissent mieux les actes du Concile que nous ? Vous, si vous vouliez faire un schisme, ne liriez-vous pas la doc avant ? Et puis, entre nous soit dit, mais à voix basse : est-on vraiment certain qu’ils les connaissent si bien, les actes du Concile ?
Quelle attitude adopter, alors ? Faut-il “accepter la discussion sur leur terrain“, comme le recommande Stef ? Oui, parce que le dialogue est une vertu catholique. Sous la réserve toutefois que Vatican II, c’est tout de même un peu notre terrain et qu’il ne s’agit pas de s’engager dans une confrontation quelconque. Comme le disait justement un connaisseur de ce milieu, pour certains d’entre eux, tout est combat, “combat mené tambour battant, avec ses manifestations de rue où la messe devient un acte revendicatif, et surtout sa littérature pamphlétaire plus que scolastique…“. Je n’ai pas envie de faire de ma foi un sujet de polémique, un sujet d’aigreur, d’accusations réciproques.
 
A dire vrai, je n’entends pas justifier de ma foi ou, à tout le moins, me justifier. Justifie-t-on du caractère vivant de la Tradition ? Justifie-t-on du dialogue judéo-chrétien ? Témoigner, en revanche… Témoigner aux yeux des intégristes, d’une part, mais surtout mettre à profit les circonstances présentes pour témoigner de notre foi aux yeux du monde. Tout ceci me fait penser à ce qu’avait mis en oeuvre l’Opus Dei face à la sortie en salles du Da Vinci Code : la tactique de la limonade. La tactique de la limonade ? “Transformer l’amertume du citron en boisson sucrée“.
 
Alors, redécouvrons les actes du Concile, redécouvrons ce que l’Eglise catholique a réaffirmé solennellement.
Redécouvrons le sens de la Tradition, grâce à Ecclesia Dei Adflicti :
“A la racine de cet acte schismatique, on trouve une notion incomplète et contradictoire de la Tradition. Incomplète parce qu’elle ne tient pas suffisamment compte du caractère vivant de la Tradition qui, comme l’a enseigné clairement le Concile Vatican II, «tire son origine des apôtres, se poursuit dans l’Eglise sous l’assistance de l’Esprit-Saint: en effet, la perception des choses aussi bien que des paroles transmises s’accroît, soit par la contemplation et l’étude des croyants qui les méditent en leur cœur, soit par l’intelligence intérieure qu’ils éprouvent des choses spirituelles, soit par la prédication de ceux qui, avec la succession épiscopale, reçurent un charisme certain de vérité».”
Redécouvrons la déclaration Nostra Aetate sur l’Eglise et les religions non chrétiennes, et le respect qu’elle a affirmé, à son plus haut niveau, pour les autres religions, quand on nous ressasse tellement que les religions sont des facteurs de guerre.
 
Redécouvrons, spécialement maintenant, ce que l’Eglise réunie en Concile, réprouvant tout antijudaïsme, a solennellement déclaré, en commençant par rappeler “le lien qui relie spirituellement le peuple du Nouveau Testament avec la lignée Abraham” :
“Encore que des autorités juives, avec leurs partisans, aient poussé à la mort du Christ, ce qui a été commis durant sa passion ne peut être imputé ni indistinctement à tous les Juifs vivant alors, ni aux Juifs de notre temps. S’il est vrai que l’Eglise est le nouveau peuple de Dieu, les Juifs ne doivent pas, pour autant, être présentés comme réprouvés par Dieu ni maudits, comme si cela découlait de la Sainte Ecriture. Que tous donc aient soin, dans la catéchèse et la prédication de la parole de Dieu, de n’enseigner quoi que ce soit qui ne soit conforme à la vérité de l’Evangile et à l’esprit du Christ. “
Redécouvrons Dignitatis Humanae, sur la liberté religieuse, qui affirme :
“que la personne humaine a droit à la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte de la part soit des individus, soit des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience, ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres.”
“c’est par la médiation de sa conscience que l’homme perçoit les injonctions de la loi divine; c’est elle qu’il est tenu de suivre fidèlement en toutes ses activités pour parvenir à sa fin qui est Dieu. Il ne doit donc pas être contraint d’agir contre sa conscience. Mais il ne doit pas être empêché non plus d’agir selon sa conscience, surtout en matière religieuse.”
Redécouvrons ceci :
“comme la société civile a le droit de se protéger contre les abus qui pourraient naître sous prétexte de liberté religieuse, c’est surtout au pouvoir civil qu’il revient d’assurer cette protection; ce qui ne doit pas se faire arbitrairement et à l’injuste faveur d’un parti mais selon des normes juridiques, conformes à l’ordre moral objectif, requises par l’efficace sauvegarde des droits de tous les citoyens et de leur pacifique accord, et par un souci adéquat de cette authentique paix publique qui consiste dans une vie vécue en commun sur la base d’une vraie justice, ainsi que par le maintien, qui se doit, de la moralité publique. Tout cela fait fondamentalement partie du bien commun et entre dans la définition de l’ordre public.”
De tout ceci, je n’entends pas me justifier, mais en témoigner.
Koz