À bien regarder, il est une chose que nous avons tous en commun, tous, intégristes, progressistes, et « centristes », tous, y compris le pape, c’est la peur. Oui, nous avons peur. Cette peur qui nous tourmente n’est pas seulement un sentiment que nous partageons, elle est notre péché commun. Péché contre la foi, péché contre la confiance, péché contre l’espérance, péché contre la fraternité.
De quoi avons-nous peur ? De l’avenir, du monde, de nous-même. Nous avons peur du monde qui change trop vite. À mesure que notre regard s’élargit, notre horizon se rétrécit ; la Terre n’est plus qu’un gros village. Nous pouvons communiquer avec tous, mais qu’avons-nous à nous dire ? Nous avons peur d’avoir un destin commun, nous avons peur que l’autre nous vole notre avenir, notre air, notre eau, nos racines, notre Dieu. Nous avons peur de nous dissoudre dans un grand pot commun – melting pot.
Alors, nous dressons des murailles autour de nous-mêmes, pour ne pas nous perdre, des remparts contre les autres, ces étrangers pourtant si semblables. Avez-vous vu comme ces Chinois qui font la queue devant les guichets d’embauche nous ressemblent ? Ils affrontent la même crise, ont les mêmes angoisses que nous, nos fils ou nos nièces. À Paris, l’exposition « 6 milliards d’autres » du photographe Yann Arthus-Bertrand nous révèle les visages et les rêves de milliers d’être humains, tous uniques, tous différents avec lesquels nous avons une étonnante communauté de joies, d’inquiétudes et d’espoirs. Nous pourrions nous en réjouir, mais pas du tout. Nous nous crispons sur notre identité.
La question de l’identité est le poison de notre temps, comme le nationalisme fut celui du siècle précédent. Car par malheur, au lieu de chercher notre identité dans des buts et des projets communs, un avenir qui nous ferait frères, nous la cherchons dans le passé. Nous extirpons les oripeaux des greniers de nos ancêtres pour nous en draper. Et comme tous les êtres qui ont peur, bêtes ou gens, nous nous sentons agressés et nous sommes agressifs.
Faut-il nous battre pour Trente, Vatican I ou même Vatican II ? C’est « Vatican III » qui devrait nous passionner ; un concile pour le monde qui vient, pour l’humanité de demain. Nous sommes riches d’une promesse universelle et nous nous abîmons dans des guerres picrocholines.
Nous sommes tous peureux et passéistes.
Qu’importe que la messe soit dite en araméen, grec, latin ou chinois, si du même mouvement, elle nous tourne vers Dieu et nos frères. Qu’importent les dentelles, les guipures, les broderies, le tam-tam, l’orgue ou la guitare si c’est la louange qui s’élève, si c’est la joie qui se répand.
Nos frères intégristes ont peur de perdre leur intégrité. Nous avons peur qu’ils veuillent nous imposer leur vérité. Le pape tremble d’être jugé sur le schisme qu’il n’a pas réussi à éviter.
Et Dieu, dans tout ça ? Dieu, comme disait ma grand-mère, il pleure. Il pleure comme un père prodigue qui inlassablement répèterait à chacun de ses fils « N’aie pas peur, tout ce qui est à moi est à toi ».
Pietro De Paoli |