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Obéir, désobéir, critiquer, débattre |
5 février 2009 - Nicolas Senèze - la-croix.com |
« Vous n’avez pas le droit de critiquer le pape ! » La phrase revient dans certains mails ou courriers de lecteurs pour nous signifier que la décision de Benoît XVI de lever les excommunications de quatre évêques intégristes ne devrait souffrir aucune critique. « Il faut accepter la décision du pape, explique un autre lecteur. Et obéir. »
Que signifie obéir dans l’Eglise ?
Pour tout ce qui concerne « la foi et les mœurs », l’Église demande aux fidèles « une soumission religieuse de la volonté et de l’intelligence » aux enseignements du magistère, que celui-ci ait, ou non, engagé son infaillibilité (Lumen gentium n° 25). C’est ainsi que de grands théologiens, comme Yves Congar ou Henri de Lubac, ont pu voir un jour leur thèses mises en doute par le magistère et se sont soumis. Cela ne les a pas empêchés, par la suite, de recevoir le chapeau de cardinal.
Car l’Eglise n’est pas une secte qui demanderait à ses adeptes une soumission totale. Au contraire, elle répugne à se mettre à la place de la conscience des personnes, et se contente de demander leur obéissance.
Mais l’obéissance n’empêche pas de débattre. C’est même nécessaire : c’est le débat sur l’interprétation de Vatican II qui fera avancer sa réception dans l’Église.
Vis-à-vis de l’extérieur, l’existence d’un débat dans l’Eglise est même important : encore une fois, elle montre ainsi qu’elle n’est pas une secte et que, comme toute société, elle est dotée d’une opinion publique. C’est ce que rappelait Pie XII aux journalistes catholiques le 17 février 1950 : « L’opinion publique, est l’apanage de toute société normale composée d’hommes qui, conscients de leur conduite personnelle et sociale, sont intimement engagés dans la communauté dont ils sont membres….. Là où n’apparaîtrait aucune manifestation de l’opinion publique, là surtout où il faudrait en constater la réelle inexistence, par quelque raison que s’exprime son mutisme ou son absence, on devrait y voir un vice, une infirmité, une maladie de la vie sociale. »
L’Église catholique a même traduit cela dans son droit : les fidèles « ont le droit et même parfois le devoir de donner aux Pasteurs sacrés leur opinion sur ce qui touche le bien de l’Église et de la faire connaître aux autres fidèles, restant sauves l’intégrité de la foi et des mœurs et la révérence due aux pasteurs », précise le Code de droit canonique (canon 212 §3).
Ne pas être d’accord avec certaines décisions de l’Église ne signifie donc pas manquer à « la révérence due aux pasteurs ». À condition, évidemment, de rester dans certaines limites : pas question de s’attaquer aux dogmes de la foi. Impossible de remettre en cause, par exemple, la divinité du Christ (définie par le concile de Nicée) ou la présence réelle dans l’Eucharistie (définie à Trente). On tomberait ici dans l’hérésie.
L’affaire qui nous occupe en ce moment est évidemment différente. Si les quatre évêques ont été excommuniés en 1988, c’est à cause d’un acte schismatique, c’est-à-dire une grave désobéissance à la discipline de l’Église. Même si des questions doctrinales en étaient à l’origine, et si les décisions de Vatican II en cause requièrent « une soumission religieuse de la volonté et de l’intelligence », on ne peut taxer les intégristes d’hérésie !
Il est d’ailleurs piquant de constater que ce sont ceux qui désobéissent depuis 30 ou 40 ans – parfois en manquant gravement à cette révérence due aux pasteurs – qui intiment aujourd’hui d’obéir au pape. Paul VI relevait cette contradiction le 29 juin 1975 dans une lettre à Mgr Lefebvre. Ce dernier aimait alors à se comparer à saint Athanase défendant autrefois la foi du concile de Nicée. « Il est vrai que ce grand évêque demeura pratiquement seul à défendre la vraie foi, dans les contradictions qui lui venaient de toute part, soulignait Paul VI. Mais, précisément, il s’agissait de la défense de la foi du récent concile de Nicée. Le concile fut la norme qui inspira sa fidélité, comme du reste chez saint Ambroise. Comment aujourd’hui quelqu’un pourrait-il se comparer à saint Athanase, en osant combattre un concile comme le deuxième concile du Vatican, qui ne fait pas moins autorité, qui est même sous certains aspects plus important encore que celui de Nicée ? ».
Paul VI fut d’ailleurs critiqué pour cette comparaison de Vatican II et de Nicée (on dit qu’il la regretta par la suite). Reste que ces mots de Paul VI soulignent toute la différence entre obéir et critiquer, entre critiquer et remettre en cause.
Il semble qu’aujourd’hui, la Fraternité Saint-Pie-X (ou au moins une partie) n’en soit plus forcément à remettre en cause l’autorité du concile et du pape et semble prête à entrer dans le débat sur l’interprétation du concile. Dans son récent billet “Visite à Mgr Fellay”, Gérard Leclerc constatait que, sur Vatican II le supérieur de la FSPX « se voulait en tout positif, délaissant le style souvent agressif de certains de ses fidèles ». Il faut en prendre acte. Et surtout espérer que prêtres et fidèles de la Fraternité le suivront sur cette ligne de crête.
Nicolas Senèze |
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