5 février 2009





L’Allemagne révoltée contre son pape
5 février 2009 - Yves Petignat - liberation.fr
Croyants et hommes politiques s’élèvent contre la levée de l’excommunication qui frappait un évêque négationniste.

«Wir sind Papst», «Nous sommes pape». Le tabloïd allemand Bild avait éclaté de fierté nationale au lendemain de l’élection du bavarois Joseph Ratzinger au Saint-Siège. C’était il y a quatre ans, le 19 avril 2005. «Nous étions pape», a corrigé en début de semaine le Süddeutsche Zeitung de Munich, ville dont Benoît XVI fut archevêque. On ne peut mieux résumer la déception et l’irritation qui montent en Allemagne envers Benoît XVI depuis la levée de l’excommunication qui frappait les quatre évêques de la confrérie traditionaliste Saint-Pie-X, et notamment l’évêque négationniste Richard Williamson. Et, selon Bild,«les catholiques rappellent le pape à l’ordre».
«Ironie de l’Histoire». Incompréhension, faute grave, consternation, et même appel à la démission, l’onde de choc a atteint la hiérarchie de l’Eglise allemande et l’ensemble de la société. Fait exceptionnel dans les relations entre l’Etat et les Eglises, mardi, la chancelière elle-même a estimé «insuffisantes» les explications du pape. «Si à travers une décision du Vatican naît le sentiment que l’on peut nier l’Holocauste, cela ne peut pas rester sans suite», a-t-elle prévenu en souhaitant «des clarifications».
Dans cette Allemagne qui a fait un très profond examen de conscience sur sa responsabilité dans l’extermination de 6 millions de Juifs, la réintégration d’un évêque coupable d’avoir nié la Shoah et l’existence de chambres à gaz a provoqué amertume et colère. Que ce soit précisément un pape allemand qui meurtrisse ainsi l’Eglise et les relations avec les juifs est d’autant plus mal ressenti. «Il en va de l’image de notre pays», a assuré une porte-parole de la CDU pour justifier l’intervention d’Angela Merkel. «Ce n’est peut-être pas un hasard, mais une ironie de l’Histoire que ce soit précisément l’ancien membre embrigadé dans les Jeunesses hitlériennes, Joseph Ratzinger, qui doit de nouveau et toujours assumer le poids de cette Histoire», rappelle l’hebdomadaire Der Spiegel.
«Catastrophe». Il est loin le temps où Benoît XVI était fêté dans sa patrie comme une pop star pour les Journées mondiales de la jeunesse à Cologne. Le théologien de Tübingen (Bade-Wurtemberg) Hermann Häring est même allé jusqu’à réclamer la démission du pape. «S’il veut rendre service à l’Eglise, il doit se retirer», juge-t-il en expliquant qu’après tout les évêques quittent bien leurs fonctions à 75 ans et que les cardinaux perdent leurs droits électoraux à 80 ans. Or, Benoît XVI est âgé de 81 ans. Ancien président de la Conférence des évêques allemands, le cardinal de Mayence, Karl Lehmann, a aussi exigé des excuses claires «du plus haut niveau». «La décision de Benoît XVI est une catastrophe pour les survivants de l’Holocauste», a-t-il regretté. L’archevêque de Mayence s’était, il est vrai, longtemps frotté au cardinal Ratzinger qui, lorsqu’il dirigeait la congrégation pour la doctrine de la foi, jugeait l’Eglise allemande trop libérale et abandonnée au relativisme.
D’autres voix, comme l’archevêque de Hambourg, Werner Thissen, ont regretté une décision «qui se traduit désormais par une nette perte de confiance».
Troublées par la réhabilitation d’un évêque négationniste, les organisations laïques craignent qu’une fois oubliée cette affaire, la réadmission des quatre évêques intégristes se traduise par un virage de l’Eglise à droite. L’ancien président du Comité central des catholiques allemands, l’ex-ministre bavarois, Hans Maier, a ainsi exprimé ses doutes sur la volonté de Benoît XVI de défendre les réformes de Vatican II, notamment sur la liberté religieuse et l’élimination des textes antisémites dans la liturgie, car «mots et actes vont en sens contraire».
La grande association Wir sind die Kirche («Nous sommes l’Eglise») qui regroupe 1,8 million de croyants très engagés dans les nombreuses œuvres caritatives, hospitalières ou éducatives, a lancé une pétition en ligne pour exiger «la reconnaissance absolue des décisions arrêtées au concile Vatican II». En Allemagne, les communautés religieuses ont une grande importance dans la vie quotidienne. Le trouble est profond. De nombreux fidèles qui, en même temps que leurs impôts, versent l’obole à la confession de leur choix, pourraient en tirer toutes les conséquences.