9 février 2009





Prier, le dos tourné à Rome ?
09 fév 2009 - Jean-Pierre Mignard - mediapart.fr
L'épisode Williamson est le scandale de trop. Si l'on restitue ce mot dans son origine sémantique grecque d'obstacle -skandalon- il pourrait bien se révéler que ce fut l'obstacle mis en travers de la route de la restauration préconciliaire que, benoitement, le Pape faisait parcourir au peuple catholique. Le tabou a été brisé. Le retour sur l'existence de la Shoah par un cadre intégriste, jamais désavoué par la Fraternité, en dit long sur le processus qu'à doses homéopathiques on nous faisait avaler. Si des explications sont demandées et obtenues c'est de toute La Fraternité Saint Pie X qu'elle doit venir, puisque sa solidarité avec les propos abjects de Williamson est présumée du seul fait de son silence.
Il faut rappeler que la novation de la relation avec le peuple juif est un tournant majeur de l'Eglise et du Concile. Les intégristes ont dès l'origine refusé l'abandon de la conversion des juifs comme objectif de l'expansion catholique. Dès 1959 Jean XXIII supprimait par anticipation le passage relatif à la prière du vendredi saint sur les juifs perfides « Orémus pro perfidis judeis ». Pour Pie XII ce mot signifiait qu'ils n'avaient pas la foi( !)Mais leur conversion demeura l'objectif jusqu'à ce que le Concile en décidât autrement et que Paul VI en 1969 y mit définitivement un terme dans la traduction vernaculaire. Le texte latin perdura, seulement adouci par l'amendement de Jean XXIII.
La Déclaration conciliaire Nostra Aetate de 1965 bousculait littéralement le dogme ancien puisque le peuple juif était reconnu premier dans l'Alliance, peuple père en quelque sorte, toujours aimé de Dieu, et sur lequel la mort de Christ ne pouvait peser ni pour toutes ses générations ni indistinctement. Il était reconnu premier porteur de la promesse, celui à qui Dieu parla en premier, Il devait simplement lui être fidèle. Sa conversion n'était plus recherchée. Enfin, soupirèrent les juifs du monde entier, libérés de l'arrogance eschatologique catholique.
Dans un motu proprio « Summorum pontificum » de 2007 Benoit XVI a explicitement autorisé la prière du Missel latin de 1962, pas expurgé, qui plaide toujours pour la conversion des juifs. Certes il ne concernait qu'un rite extraordinaire et marginal mais il était bel et bien remis à l'ordre du jour. Telle n'était pas l'orientation du Concile et du paragraphe 4 de Nostra Aetate. Mais il s'agissait déjà d'un geste en direction des traditionnalistes. Face aux vents de la critique la Curie a promis une nouvelle rédaction...en latin ?
Ce choix du Concile Romain de considérer les juifs, non plus comme un peuple aveugle mais comme le peuple premier s'est traduit d'une manière magistrale dans le refus historique de Jean Paul II opposé à l'Eglise polonaise sur la construction d'un monastère carmélite à Auschwitz au nom du respect dû au martyr juif, non convertible à la présence d'un lieu de culte chrétien. Les cardinaux Decourtray et Lustiger furent déterminants dans son choix.
Le discours de Ratisbonne de Benoit XVI en septembre 2006 a marqué la même désinvolture à l'égard des musulmans. Dans son discours relatif à Manuel II Paléologue le Pape insiste lourdement sur la conversion prônée par le glaive dans la deuxième génération des sourates du Coran. Il omet que ce fut là aussi une pratique chrétienne. Il n'a pas un seul mot d'estime pour l'Islam, en contradiction, encore, avec Nostra Aetate, qui dit son estime à une religion abrahamique issue du Livre, qui institue Jésus porte de Dieu, quasi deuxième prophète de l'Islam, et qui réserve à sa mère Marie une vénération particulière, voire unique dans le Coran. Il n'est pas possible pour un chrétien de mépriser l'Islam. D'ailleurs c'est un roi copte chrétien qui sauva Mahomet des hommes de Médine lancés à sa poursuite, au nom de leur croyance commune en un même Dieu unique et miséricordieux. C'est une vieille histoire. De famille.
Il faut rendre à Jean Paul II ce qui lui est dû et d'abord cette extraordinaire conduite d'humilité dans le regard porté sur l'Eglise et son chemin de repentance. Se souvenir aussi que le dialogue inter religieux d'Assise c'est encore lui, et le choix de la ville le dallai lama en hommage à Saint François d'Assise, et que c'est encore l'héritage conciliaire qu'il y a fait fructifier. Sans doute le Christ a-t-il dit « Je suis le chemin, la vérité et la vie ». D'une certaine façon à Assise Jean Paul II signifiait que ce chemin les catholiques ne le feraient pas seuls, mieux ne pourraient pas le faire seuls, et ils proposaient aux autres de l'emprunter, sans conversion à la clé ni recours à la force. Mais Jean Paul II comme Jean XXIII étaient d'immenses pontifes, de grands leaders qui n'avaient pas peur des foules ni du monde. L'un et l'autre avaient compris à leur manière que le catholicisme ne se réduisait pas à son pré carré occidental. Anecdote : lorsque le Pape a de nouveau autorisé la messe en latin, l'ancien cardinal de Yokohama, Stefen Hamao, s'irritait de cette mesure et de cette dispute purement européennes, alors que les spiritualités asiatiques étaient niées par la Curie.
Le réveil, qui vient d'avoir lieu, s'imposait. La réintégration d'un culte schismatique dans l'Eglise peut se comprendre à la condition que le tribut payé à l'unité ne se fasse au détriment de l'acquis conciliaire et au seul bénéfice du dogme schismatique. C'est bien ce qui se profilait par une série de touches impressionnistes, certes, mais envahissantes. Ce débat reste d'ailleurs entier avec le procès en béatification de Pie XII dont le silence durant la 2e guerre mondiale et la Shoah continue de frapper de stupeur.
La loi de l'Eglise c'est Vatican II, c'est-à-dire le dernier Concile. L'Encyclique Pacem in Terris donnée le 11 avril 1963 l'illustre mieux que n'importe quel autre texte. Elle y énonce 27 séries de droits répartis en 7 catégories. C'est le grand point de rencontre avec les droits de l'homme et la Déclaration universelle à laquelle elle fait explicitement référence. Y sont proclamés le droit à la vie, à une existence décente, au logement, à la sécurité sociale, à l'indemnisation du chômage, avec le droit à la libre expression et à la libre création, à celui de fonder une famille. Le droit au travail et celui de la propriété, de se réunir, de s'associer ou de se syndiquer-déjà affirmé par Mater et Magista le 15 mai 1961- se conjuguent au droit d'émigrer et d'immigrer. La promotion civique est au service de l'homme « sujet, fondement et fin » de toute vie sociale.
On le voit, le chemin conciliaire c'est d'abord une dynamique. Le Père Yves Congar, si présent dans les travaux du Concile écrivait « Le monde avec son histoire est engagé dans un processus de libération. L'Eglise s'accomplit grâce au Souffle qui la pousse et la conduit Veni creator spiritus.».On ne saurait mieux traduire que c'est un mouvement inspiré qui la soulève et la dépasse... Fermer subrepticement une à une les portes et les fenêtres du Concile, au crépuscule ou à potron minet, c'est assécher et la parole et le souffle.
Il faut se remettre en marche. L'épisode Williamson montre là ou sournoisement nous en étions rendus. La question n'est pas l'unité statique voire régressive de l'Eglise, c'est d'abord celle de sa remise en mouvement. La crise des vocations, la place des femmes et des laïcs dans l'Eglise sont des questions liées. Il faut poser la question du magistère. Un terme doit être mis aux délires sur la sexualité et à l'homophobie qui s'échappe du nouveau catéchisme romain alors que dans de nombreuses sociétés les homosexuels sont persécutés, ce qui constitue une véritable complicité morale. Les divorcés doivent pouvoir communier. Que l'on s'inspire de l'Eglise orthodoxe à ce propos. Rappelons l'inquiétante myopie sur les nécessités sanitaires de l'épidémie de Sida qui doit être dite pour ce qu'elle est, une irresponsabilité majeure. Mettons tout cela en chantier et sans tarder.
Beaucoup y sont prêts jusque dans les prélatures les plus hautes. Hier l'ancien cardinal archevêque de Milan, Paolo Maria Martini demandait une fois pour toutes que le préservatif ne soit plus rejeté par l'Eglise. Sur l'affaire Williamson le cardinal primat de Lyon, Philippe Barbarin a exprimé en des mots justes d'une sainte colère la tristesse et l'indignation et celle de millions de catholiques français. Mais Lyon, c'est vrai, a des devoirs, c'est la ville de Chaillet, des jésuites de Fourvière et des cahiers clandestins du Témoignage chrétien.
Alors que la crise mondiale du capitalisme bouleverse les sociétés et sépare économiquement les hommes, au point de douter de leur appartenance à une même espèce, véritable secousse anthropologique, que la crise écologique fait chaque jour sentir sa pression, et que les grands flux migratoires se préparent, il n'est pas négligeable que cette grande Eglise d'un milliard de fidèles, membre à part entière de « la famille humaine universelle » fasse définitivement le choix de l'être humain, personne unique, sujet de droits et de devoirs selon les mots du Préambule de Pacem in terris. Elle doit le faire avec tous les membres de la famille chrétienne, ses Eglises sœurs orthodoxes et protestantes. Elle doit le faire en harmonie avec toutes les religions et spiritualités, et d'abord celles du Livre, le Judaïsme et l'Islam. Elle doit le faire avec tous les humains, agnostiques ou athées. Puisque nous, catholiques, prétendons porter témoignage, leur opinion sur la valeur de ce dont nous témoignons est irremplaçable. La laïcité c'est aussi le fait pour les croyants de solliciter l'avis de ceux qui ne croient pas ou qui croient différemment. Et d'admettre que raison peut leur être donnée.
A l'aube de la seconde guerre mondiale le pape Pie XI prenant conscience de l'immensité des dangers avait commandé une Encyclique. Les jésuites y travaillèrent. Il mourut. Elle ne vit jamais le jour. Son titre provisoire, tragique et prémonitoire, en 1938, était « L'unité du genre humain ». Il faut s'y remettre. Ce n'est pas de Rome, de la Rome actuelle, dont viendra le signe. C'est du peuple catholique, de ses réseaux associatifs et de ses ordres, de ses prêtres de paroisse, évêques et théologiens, de ses monastères, et au-delà du concours de tous, croyants ou incroyants, en partage commun de la même espérance. Un vieux cantique l'exprime, il le dit en latin, qui peut être progressiste quand il exprime la force de la volonté et de l'Esprit : Veni creator spiritus.
Jean Pierre MIGNARD
Avocat