8 février 2009





"Tout ce qui ne repose pas sur la tradition n’a pas lieu d’être"
8 Fév 2009 - Sandra Weber - lesquotidiennes.com
Chez les Pedroni à Saxon, c’est Dominique, le père, qui expose les principes de la famille. Assis à la table de la cuisine, il est entouré de sa femme Patricia et sa fille Marie, l’aînée des huit enfants. Un discret crucifix veille sur les lieux. Dans le salon douillet, les deux cadettes jouent sagement. «Facile à résumer, lance ce médecin de formation sur le ton de la boutade. On est traditionalistes. Alors, tout ce qui ne repose pas sur la tradition n’a pas lieu d’être sous notre toit.» Dans cette commune située à trois kilomètres d’Ecône, le catholicisme dans sa version intégriste a fait des adeptes. Le grand-père paternel suivait déjà la messe auprès de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X dans les années 1970. «Nous y allons à notre tour, au moins tous les dimanches», poursuit Dominique. Sa famille a toujours refusé le tournant pris par l’église avec le concile Vatican II. L’anthropocentrisme et l’idée que toutes les religions se valent ne lui conviennent pas du tout. «A la base du catholicisme, il y a une religion révélée.»
Peu bavarde, son épouse Patricia, issue d’une famille catholique «moderniste», confesse s’être convertie sur le tard. «J’étais déjà bien pratiquante durant ma jeunesse. Mais le relâchement de la morale des prêtres m’a déçue.» Le Vatican n’a pourtant jamais cédé sur certains principes moraux comme le refus de l’avortement, du concubinage, du divorce et de la contraception… «Oui, mais sans suffisamment de conviction», déplore Madame Pedroni d’une voix décidée. Elle enchaîne en fustigeant le manque d’engagement des évêques suisses durant la campagne anti-avortement il y a quelques années.
Dans la modeste villa familiale entourée de hauts sommets enneigés, la place des femmes ne fait pas débat. «Il ne faut pas tomber dans les clichés non plus, tempère madame. Je travaille, nos filles font des études et sortent avec leurs copines.» Le couple ne se définit pas pour autant comme égalitaire. «Il est le chef de la famille, lâche Patricia, désignant son mari. J’ai bien sûr mon mot à dire, même si nous avons en général les mêmes objectifs.» Dominique ne tarde pas à reprendre la parole. «Nous sommes égaux devant Dieu: deux âmes à sauver. Mais la femme, qui met les enfants au monde, reste la personne la mieux adaptée pour s’en occuper.» Les traditionalistes sont «favorables aux familles nombreuses», afin de transmettre leur religion au plus grand nombre. La contraception ne se conçoit dès lors que de façon «naturelle». Patricia Pedroni a ainsi fait une longue pause dans sa vie professionnelle d’infirmière. «Nos enfants ont entre 11 et 23 ans. J’ai l’impression d’avoir été enceinte pendant douze ans.» Aujourd’hui, son travail à 40%, avec horaire nocturne, lui permet une grande disponibilité pour la famille.
Ces principes semblent tout naturellement convenir à la jeune génération. «Nos parents nous ont montré la voie par l’exemple, témoigne Marie, qui suit la conversation avec intérêt. Et puis, on vit comme tout le monde. La foi nous accompagne simplement dans tout ce qu’on fait.» La remarque fait sourire Patricia: «Nous ne sommes tout de même pas des Amish!», renchérit-elle, complice. Comme ses frères et sœurs, Marie a suivi toute sa scolarité dans des établissements privés traditionalistes. «La différence avec l’enseignement public, c’est que la religion n’est pas traitée comme une matière à option, précise le papa. Et on ne s’attarde pas sur les autres confessions.» Avant l’Université de Lausanne, Marie a passé son bac dans un internat français pour jeunes filles.
«Pour moi, c’était une école de féministes. Les sœurs nous ont appris le respect de nous-mêmes. Elles nous ont poussées à poursuivre nos études et à travailler.» Le thème de l’ordination des femmes? «Il n’est pas évoqué dans nos milieux», objecte Patricia, soudain redevenue sérieuse. Marie avoue, quant à elle, ne s’être jamais posé la question. «Les femmes ont déjà un grand choix au sein de nos ordres religieux.» Dans la cuisine des Pedroni, un ange passe. «Et puis, les prêtres ont toujours été des hommes», coupe enfin le père. La mère et la fille posent sur lui un regard bienveillant. Son ton à lui est sans appel. «Il ne faut pas oublier que ce sont eux qui nous ouvrent sur l’au-delà.»
La levée de l’excommunication : un soulagement
Un seul sujet est susceptible de perturber la tranquille assurance de la famille Pedroni: la polémique soulevée par la levée de l’excommunication de quatre évêques de la Fraternité. «C’est pompant! Les propos non pas révisionnistes mais réductionnistes de l’un d’entre eux n’engagent que cette personne, insiste le père de famille. Le supérieur Mgr Fellay s’est excusé et l’a interdit de parole.» Quant aux réactions d’inquiétude face à la doctrine de la communauté, Dominique Pedroni les trouve plutôt injustes. «Si l’on part du principe moderniste selon lequel toutes les croyances se valent, alors pourquoi pas la nôtre? Ici en Valais, les églises acceptent les messes avec guitare, mais pas les traditionnelles! Et on nous traite de coincés?»
La levée de l’excommunication est vécue comme un soulagement. «Après 20 ans de mise à l’écart, la reconnaissance morale arrive enfin. Cela enlève un sacré argument à ceux qui nous critiquaient.» Son épouse précise cependant que la position traditionaliste de la famille a toujours bien été comprise par l’entourage. Les seules réactions d’exclusion ont été celles de l’église officielle.
Comment peuvent se poursuivre les relations avec l’Eglise de Rome? «Un terrain d’entente peut-être trouvé», augure Dominique Pedroni. Les avis diamétralement opposés sur Vatican II ne lui semblent pas un obstacle insurmontable. «Il faudra du temps. Mais le concile peut être réinterprété à la lumière de la tradition.» Une réorientation qui, selon lui, attirera davantage de fidèles à l’église. «Certains pensent que la désertions des bancs est due à une église trop conservatrice». Pour les Pedroni, c’est tout le contraire.
«Nous ne vivons pas dans un cercle fermé»
Les familles traditionalistes se mêlent-elles aux autres? «Bien sûr, on ne vit pas dans un cercle fermé», répond le père de famille. Les Pedroni se rendent parfois à l’église «conventionnelle», par exemple pour des mariages. Mais la messe «moderne» ne leur plaît pas. «L’hostie est pour les catholiques la présence réelle du Christ, insiste le patriarche. Et les modernistes ne font pas de génuflexion!» Placer la rondelle sacrée dans la main des fidèles lui semble un sacrilège. «Le prêtre doit la disposer directement dans la bouche. D’ailleurs c’est ainsi que procède Benoît XVI.» La messe en français lui semble superficielle. «Prétendre qu’on ne comprend rien au latin revient à prendre nos ancêtres pour des débiles.»
Quant aux mariages c’est une autre paire de manche. «C’est toujours mieux d’avoir les mêmes idées.» Dans ce milieu, des noces mixtes sont entendues comme l’union de deux fiancés catholiques, l’un – ou l’une - conservateur, l’autre moderniste. «Il y a souvent des cas de conversions», se réjouit Dominique. Et s’il y avait un ou une protestante dans le couple? Vous n’y pensez pas. D’ailleurs, l’œcuménisme ne fait pas partie du vocabulaire familial. Quel intérêt à «chercher le plus petit dénominateur commun»?

La Fraternité en bref
1970: Mgr Lefebvre fonde la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X à Fribourg. Un séminaire de formation de prêtres est basé à Ecône en Valais. La communauté refuse de reconnaître le renouveau apporté par le concile Vatican II dans les années 1960, comme l’œcuménisme, la liberté religieuse et l’abandon de la messe en latin.
1988: Malgré la non reconnaissance de la communauté par l’église officielle, Mgr Lefèbvre ordonne quatre évêques. Ceux-ci sont excommuniés.
2009: Le pape Benoît XVI lève l’excommunication des quatre évêques fin janvier. Il prendra tardivement ses distances avec les déclarations négationnistes de l’un d’entre eux, Mgr Richard Williamson. Ce mercredi, il lui demande de renier ses déclarations sur la Shoah avant d’être admis aux fonctions épiscopales.
La Fraternité compte quelque 150'000 fidèles dans le monde entier.