29 mai 2012

[Louis-Marie Lamotte - blog Contre-Débat] La crise de l'Eglise vue par un journaliste chrétien

SOURCE - Louis-Marie Lamotte - blog Contre-Débat - 29 mai 2012

Le 22 mai 2012, Patrice de Plunkett réagissait sur son « bloc-notes d’un journaliste chrétien » à la publication d’une inquiétante enquête conduite par le diocèse de Moulins par un article intitulé « Crise du catholicisme en France : oui, elle est radicale. Mais qu’on ne se trompe pas de diagnostic[1] ! » L’auteur expose donc tout d’abord le diagnostic qu’il juge faux, puis celui qu’il juge vrai, avant de proposer à grands traits ce qui lui semble être la solution à la crise de l’Eglise.

Le refus du diagnostic « tradi » : catéchèse et liturgie
Le diagnostic que refuse Patrice de Plunkett est celui selon lequel l’effondrement contemporain du catholicisme français résulterait avant tout d’une rupture dans la transmission de la doctrine chrétienne. Il reconnaît sans contredit les dommages occasionnés par la nouvelle catéchèse, mais semble réduire les travers de celle-ci au choix d’une mauvaise pédagogie : « aligner l'enseignement de la foi sur les utopies de la pédagogie spontanéiste, c'était fabriquer une génération de catholiques ignorant le christianisme », écrit-il ainsi, à juste titre assurément, mais en négligeant peut-être un peu trop les omissions plus ou moins délibérées des programmes et manuels catéchétiques en question, alors que ces omissions n’ont pas une portée seulement pédagogique[2]
 
Quant aux évolutions de la liturgie, il nie catégoriquement qu’elles aient quelque part que ce soit à la crise actuelle : voir dans la « nouvelle liturgie » l’une des causes de la faillite pastorale de l’Eglise de France est ainsi une « illusion des tradis ». Une affirmation si péremptoire est surprenante, d’autant plus que sur le chapitre de la catéchèse, Patrice de Plunkett invoque l’autorité du cardinal Ratzinger, dont il mentionne les admonestations de 1983. Or le même cardinal Ratzinger n’hésitait pas à déclarer que « la crise ecclésiale dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui dépend en grande partie de l'effondrement de la liturgie, qui souvent est carrément comprise « comme si Dieu n'existait pas », comme si n'avait plus d'importance le fait que Dieu soit là, qu'il nous parle et nous écoute[3]. » Le cardinal Ratzinger était-il alors victime d’illusions de tradis ? Devenu Pape, il parlait encore de « déformations à la limite du supportable ». Si Benoît XVI ne met pas en cause le nouveau rite de la messe en tant que tel, il en réprouve sans équivoque la mise en œuvre telle qu’elle s’est effectuée en un certain nombre de paroisses. Le problème est ici que le journaliste, qui se veut particulièrement fidèle au Successeur de Pierre et ne manque jamais de le faire savoir, en parlant de « nouvelle liturgie », ne procède à aucune distinction et utilise une expression générale qui le conduit à nier l’existence de ce qui constitue pourtant le lot de bien des paroisses françaises et que les partisans de la célébration en latin de la messe de Paul VI appellent avec raison la « forme infra-ordinaire » d’un rite qui n’a plus grand-chose de romain. Or il paraît difficile de soutenir que les messes où les rubriques sont systématiquement bafouées, où chansonnettes et guitares remplacent les trésors du chant sacré catholique et la richesse du silence, et où surtout la Présence de Notre-Seigneur au Saint-Sacrement de l’autel est constamment traitée avec la plus scandaleuse désinvolture, n’ont pas lourdement contribué à ruiner la transmission de la doctrine chrétienne. Lex orandi, lex credendi, dit l’adage : la loi de la prière est la loi de la foi. Un tel silence conservé sur l’état réel de la liturgie dans les paroisses ou dans les aumôneries[4] est assez surprenant ; nous y reviendrons.
Le véritable mal et les vraies solutions
Ce n’est donc cependant pas là qu’il faut chercher selon Patrice de Plunkett les causes de la crise de l’Eglise. « La situation actuelle, nous dit-il, s'explique aussi par un phénomène de société. » On ne saurait lui donner tort, et il a vraisemblablement raison lorsqu’il écrit que les comportements sont aujourd’hui « formatés en profondeur » par le matérialisme mercantile, jusqu’à l’intérieur de l’Eglise. C’est  encore avec raison qu’il déclare qu’un tel matérialisme, qui détourne l’homme de la considération de la vérité et de sa fin tant naturelle que surnaturelle, constitue un obstacle à l’annonce de l’Evangile.
 
La suite de la réflexion, en revanche, se révèle beaucoup plus critiquable. L’auteur s’emploie en effet à dénoncer les formations proposées par les traditionalistes, imités, nous dit-il, par les « classiques », qui ne débouchent que sur le « rabâchage des fausses vérités poussiéreuses de la Cité catholique des années 1960. Ou sur de laborieuses dissertations où l'on justifie le néolibéralisme par la scolastique médiévale... » Quelles sont ces « fausses vérités poussiéreuses », qui s’est rendu l’auteur de laborieuses justifications du néolibéralisme par la scolastique médiévale, Patrice de Plunkett ne nous le dit pas ; il ne cite aucun discours précis et ne donne aucune référence. Le problème tient à ce que les travers dénoncés sont certes, surtout dans le second cas, objectivement condamnables, mais que le discours échappe en fait à toute contestation, de même qu’il échappe à toute vérification : le lecteur est tenu de croire que les traditionalistes, suivis par les classiques, sont d’acharnés partisans du néolibéralisme économique le plus sauvage, « visiblement branchés sur autre chose que sur le Magistère », ajoute Patrice de Plunkett en note. Dans le cas même où cela serait vrai, ce qui reste douteux cela demanderait au moins d’être démontré : or l’on ne trouve là que des accusations générales.
 
« Dans ces conditions, dit encore le journaliste, « se former » signifie se saturer l'esprit de fables du XIXe siècle. » Là encore, le lecteur ne saura pas quelles sont ces fameuses fables, et surtout l’on voit mal quel est leur rapport avec le néolibéralisme dénoncé plus haut – à juste titre du reste. En effet, puisque l’auteur s’en prend ici aux traditionalistes, il est probable qu’il fasse allusion au courant intransigeant : or ce dernier se caractérisait précisément par son refus du libéralisme sous toutes ses formes. La « contre-révolution irréconciliable » d’Albert de Mun est aussi celle qui s’est efforcée de secourir les ouvriers et de leur apporter l’Evangile, en un mot celle du catholicisme social qu’invoque à la fin de son texte Patrice de Plunkett. L’historien Yvon Tranvouez rappelle ainsi c’est dans le Syllabus de Pie IX, « fable » par excellence du catholicisme intransigeant du XIXe siècle, si l’on peut dire, qu’il faut chercher les origines de la doctrine sociale de l’Eglise[5].
 
Le journaliste propose de mettre en cause le système économique néolibéral. C’est une ambition louable et que nous partageons sans peine. Mais la partager interdit précisément d’approuver certains passages de l’article. « On ne touche le cœur de l'homme que si l'on partage ses soucis et ses angoisses », déclare par exemple l’auteur. Une telle affirmation est déjà contestable du point de vue de l’Evangile, car, si le Verbe de Dieu a bel et bien assumé toute notre condition excepté le péché, le Christ a déclaré aux apôtres : « Vous pleurerez et vous vous lamenterez, tandis que le monde se réjouira ; vous serez affligés, mais votre affliction se changera en joie » (Jn XVI, 20). Le chrétien, parce qu’il n’est pas du monde, ne peut donc en partager toutes les préoccupations. Mais au-delà du caractère discutable de l’affirmation du journaliste du point de vue de l’enseignement du Christ, de tels propos devraient précisément nous amener, non pas seulement à remettre en cause le système économique actuel, mais aussi à l’approuver, car il se trouve bien des hommes dont le plus grand souci est de le maintenir, et de vivre dans le matérialisme mercantile que Patrice de Plunkett a raison de dénoncer.
La restauration, voilà l’ennemie
L’article se rend en fait irréfutable à force d’imprécision et semble témoigner ainsi de ce mépris dans lequel l’on tient ordinairement les « tradis » : que la Cité catholique n’a produit que des vérités poussiéreuses, cela ne se démontre pas ; il suffit de l’affirmer pour que cela soit vrai. Le « tradi » est celui avec qui l’on ne discute pas, tout simplement parce qu’il ne mérite pas même que l’on discute avec lui ; c’est un attardé dont les idées sont fausses par définition ; d’autres ajouteront très doctement qu’il est demeuré à l’écart du renouveau biblique et patristique du milieu du XXe siècle – ce qui ne se discute pas non plus : car c’est bien connu. Les intransigeants du XIXe siècle, la Cité catholique des années 1960 avaient tort, la cause est donc finie avant même d’avoir été entendue ; point n’est besoin d’arguments pour le prouver – c’est évident, ou du moins cela doit l’être. Celui qui ne l’a pas compris est non moins évidemment borné dans sa nostalgie du XIXe siècle et dans sa volonté de restauration de l’Eglise et de la société chrétienne. 
 
En effet, écrit Patrice de Plunkett, il s’agit pour lui non d’aider le catholicisme français « non à « survivre », encore moins à se « restaurer », mais à se réinventer à travers l'Evangile ». La restauration, voilà l’ennemie, et voilà qui explique peut-être l’indulgence du journaliste pour la « nouvelle liturgie », dont la mise en cause est si souvent la marque des restaurationnistes.  
 
C’était pourtant Notre-Seigneur lui-même, comme le rappelait le Saint-Père lors de l’audience générale du 27 janvier 2010, qui demandait à saint François d’Assise : « Va, et répare mon église qui est en ruine. »  « Immédiatement, commente Benoît XVI, saint François est appelé à réparer cette petite église, mais l'état de délabrement de cet édifice est le symbole de la situation dramatique et préoccupante de l'Eglise elle-même à cette époque, avec une foi superficielle qui ne forme ni ne transforme la vie, avec un clergé peu zélé, avec un refroidissement de l'amour ; une destruction intérieure de l'Eglise qui comporte également une décomposition de l'unité, avec la naissance de mouvements hérétiques[6]. » 
 
On aurait donc certainement grand tort d’opposer restauration et renouveau de l’Eglise. « Et Dieu donnera la victoire », disait sainte Jeanne d’Arc, patronne secondaire de la France. Si les enfants de l’Eglise s’efforcent de la réparer comme saint François, de la restaurer fidèlement lorsqu’ils la trouvent en ruine, le Saint-Esprit saura bien insuffler dans leurs petites œuvres le vrai renouvellement selon l’Evangile, bien mieux sans doute que la dénonciation plus que rabâchée du rabâchage.

Louis-Marie Lamotte

[1] plunkett.hautetfort.com
[2] Par exemple, dans le catéchisme Pierres vivantes, approuvé par l’épiscopat français, la messe est ainsi définie : « Les chrétiens se rassemblent pour célébrer l’Eucharistie. C’est la messe… Ils proclament la foi de l’Église, ils prient pour le monde entier, ils offrent le pain et le vin… Le prêtre qui préside l’assemblée dit la grande prière d’action de grâces… » Dans une telle définition, le saint sacrifice et la transsubstantiation ne sont pas seulement mal expliqués, mais ils sont passés sous silence de telle sorte qu’il est difficile de ne pas y voir une omission volontaire.
De plus, la pédagogie spontanéiste a probablement en elle-même une portée doctrinale, en tant qu’elle fait la chasse aux certitudes et consacre le primat de l’expérience personnelle sur la Révélation et l’enseignement de l’Eglise.
[4] Lorsque l’on envisage le rôle des pratiques liturgiques dans la transmission de la foi, on néglige trop souvent les aumôneries des collèges et des lycées ; or les messes qui y sont célébrées, même dans les diocèses où la liturgie paroissiale, quoique éloignée des prescriptions romaines, conserve une relative tenue, sont souvent l’occasion de débordements en tous genres.
[5] Yvon TRANVOUEZ, Catholiques d’abord. Approches du mouvement catholique en France (XIXe-XXe siècle), 1988, p. 16
[6] vatican.va