Le
22 mai 2012, Patrice de Plunkett réagissait sur son « bloc-notes d’un
journaliste chrétien » à la publication d’une inquiétante enquête
conduite par le diocèse de Moulins par un article intitulé « Crise du
catholicisme en France : oui, elle est radicale. Mais qu’on ne se trompe
pas de diagnostic[1] ! »
L’auteur expose donc tout d’abord le diagnostic qu’il juge faux, puis
celui qu’il juge vrai, avant de proposer à grands traits ce qui lui
semble être la solution à la crise de l’Eglise.
Le refus du diagnostic « tradi » : catéchèse et liturgie
Le
diagnostic que refuse Patrice de Plunkett est celui selon lequel
l’effondrement contemporain du catholicisme français résulterait avant
tout d’une rupture dans la transmission de la doctrine chrétienne. Il
reconnaît sans contredit les dommages occasionnés par la nouvelle
catéchèse, mais semble réduire les travers de celle-ci au choix d’une
mauvaise pédagogie : « aligner
l'enseignement de la foi sur les utopies de la pédagogie spontanéiste,
c'était fabriquer une génération de catholiques ignorant le
christianisme », écrit-il ainsi, à juste titre assurément, mais
en négligeant peut-être un peu trop les omissions plus ou moins
délibérées des programmes et manuels catéchétiques en question, alors
que ces omissions n’ont pas une portée seulement pédagogique[2].
Quant
aux évolutions de la liturgie, il nie catégoriquement qu’elles aient
quelque part que ce soit à la crise actuelle : voir dans la « nouvelle
liturgie » l’une des causes de la faillite pastorale de l’Eglise de
France est ainsi une « illusion des tradis ». Une affirmation si
péremptoire est surprenante, d’autant plus que sur le chapitre de la
catéchèse, Patrice de Plunkett invoque l’autorité du cardinal Ratzinger,
dont il mentionne les admonestations de 1983. Or le même cardinal
Ratzinger n’hésitait pas à déclarer que « la crise ecclésiale dans
laquelle nous nous trouvons aujourd'hui dépend en grande partie de
l'effondrement de la liturgie, qui souvent est carrément comprise «
comme si Dieu n'existait pas », comme si n'avait plus d'importance le
fait que Dieu soit là, qu'il nous parle et nous écoute[3]. » Le cardinal Ratzinger était-il alors victime d’illusions de tradis ?
Devenu Pape, il parlait encore de « déformations à la limite du
supportable ». Si Benoît XVI ne met pas en cause le nouveau rite de la
messe en tant que tel, il en réprouve sans équivoque la mise en œuvre
telle qu’elle s’est effectuée en un certain nombre de paroisses. Le
problème est ici que le journaliste, qui se veut particulièrement fidèle
au Successeur de Pierre et ne manque jamais de le faire savoir, en
parlant de « nouvelle liturgie », ne procède à aucune distinction et
utilise une expression générale qui le conduit à nier l’existence de ce
qui constitue pourtant le lot de bien des paroisses françaises et que
les partisans de la célébration en latin de la messe de Paul VI
appellent avec raison la « forme infra-ordinaire » d’un rite qui n’a
plus grand-chose de romain. Or il paraît difficile de soutenir que les
messes où les rubriques sont systématiquement bafouées, où chansonnettes
et guitares remplacent les trésors du chant sacré catholique et la
richesse du silence, et où surtout la Présence de Notre-Seigneur au
Saint-Sacrement de l’autel est constamment traitée avec la plus
scandaleuse désinvolture, n’ont pas lourdement contribué à ruiner la
transmission de la doctrine chrétienne. Lex orandi, lex credendi,
dit l’adage : la loi de la prière est la loi de la foi. Un tel silence
conservé sur l’état réel de la liturgie dans les paroisses ou dans les
aumôneries[4] est assez surprenant ; nous y reviendrons.
Le véritable mal et les vraies solutions
Ce n’est donc cependant pas là qu’il faut chercher selon Patrice de Plunkett les causes de la crise de l’Eglise. « La situation actuelle, nous dit-il, s'explique aussi par un phénomène de société. »
On ne saurait lui donner tort, et il a vraisemblablement raison
lorsqu’il écrit que les comportements sont aujourd’hui « formatés en
profondeur » par le matérialisme mercantile, jusqu’à l’intérieur de
l’Eglise. C’est encore avec
raison qu’il déclare qu’un tel matérialisme, qui détourne l’homme de la
considération de la vérité et de sa fin tant naturelle que surnaturelle,
constitue un obstacle à l’annonce de l’Evangile.
La
suite de la réflexion, en revanche, se révèle beaucoup plus
critiquable. L’auteur s’emploie en effet à dénoncer les formations
proposées par les traditionalistes, imités, nous dit-il, par les
« classiques », qui ne débouchent que sur le « rabâchage des fausses vérités poussiéreuses de la Cité catholique
des années 1960. Ou sur de laborieuses dissertations où l'on justifie
le néolibéralisme par la scolastique médiévale... » Quelles sont ces
« fausses vérités poussiéreuses », qui s’est rendu l’auteur de
laborieuses justifications du néolibéralisme par la scolastique
médiévale, Patrice de Plunkett ne nous le dit pas ; il ne cite aucun
discours précis et ne donne aucune référence. Le problème tient à ce que
les travers dénoncés sont certes, surtout dans le second cas,
objectivement condamnables, mais que le discours échappe en fait à toute
contestation, de même qu’il échappe à toute vérification : le lecteur
est tenu de croire que les traditionalistes, suivis par les classiques,
sont d’acharnés partisans du néolibéralisme économique le plus sauvage,
« visiblement branchés sur autre chose que sur le Magistère », ajoute
Patrice de Plunkett en note. Dans le cas même où cela serait vrai, ce
qui reste douteux cela demanderait au moins d’être démontré : or l’on ne
trouve là que des accusations générales.
« Dans ces conditions, dit encore le journaliste, « se former
» signifie se saturer l'esprit de fables du XIXe siècle. » Là encore,
le lecteur ne saura pas quelles sont ces fameuses fables, et surtout
l’on voit mal quel est leur rapport avec le néolibéralisme dénoncé plus
haut – à juste titre du reste. En effet, puisque l’auteur s’en prend ici
aux traditionalistes, il est probable qu’il fasse allusion au courant
intransigeant : or ce dernier se caractérisait précisément par son refus
du libéralisme sous toutes ses formes. La « contre-révolution
irréconciliable » d’Albert de Mun est aussi celle qui s’est efforcée de
secourir les ouvriers et de leur apporter l’Evangile, en un mot celle du
catholicisme social qu’invoque à la fin de son texte Patrice de
Plunkett. L’historien Yvon Tranvouez rappelle ainsi c’est dans le Syllabus
de Pie IX, « fable » par excellence du catholicisme intransigeant du
XIXe siècle, si l’on peut dire, qu’il faut chercher les origines de la
doctrine sociale de l’Eglise[5].
Le
journaliste propose de mettre en cause le système économique
néolibéral. C’est une ambition louable et que nous partageons sans
peine. Mais la partager interdit précisément d’approuver certains
passages de l’article. « On ne touche le cœur de l'homme que si l'on
partage ses soucis et ses angoisses », déclare par exemple l’auteur. Une
telle affirmation est déjà contestable du point de vue de l’Evangile,
car, si le Verbe de Dieu a bel et bien assumé toute notre condition
excepté le péché, le Christ a déclaré aux apôtres : « Vous
pleurerez et vous vous lamenterez, tandis que le monde se réjouira ;
vous serez affligés, mais votre affliction se changera en joie » (Jn
XVI, 20). Le chrétien, parce qu’il n’est pas du monde, ne peut donc en
partager toutes les préoccupations. Mais au-delà du caractère discutable
de l’affirmation du journaliste du point de vue de l’enseignement du
Christ, de tels propos devraient précisément nous amener, non pas
seulement à remettre en cause le système économique actuel, mais aussi à
l’approuver, car il se trouve bien des hommes dont le plus grand souci
est de le maintenir, et de vivre dans le matérialisme mercantile que
Patrice de Plunkett a raison de dénoncer.
La restauration, voilà l’ennemie
L’article
se rend en fait irréfutable à force d’imprécision et semble témoigner
ainsi de ce mépris dans lequel l’on tient ordinairement les « tradis » :
que la Cité catholique n’a
produit que des vérités poussiéreuses, cela ne se démontre pas ; il
suffit de l’affirmer pour que cela soit vrai. Le « tradi » est celui
avec qui l’on ne discute pas, tout simplement parce qu’il ne mérite pas
même que l’on discute avec lui ; c’est un attardé dont les idées sont
fausses par définition ; d’autres ajouteront très doctement qu’il est demeuré à l’écart du renouveau biblique et patristique du milieu du XXe siècle – ce qui ne se discute pas non plus : car c’est bien connu. Les intransigeants du XIXe siècle, la Cité catholique
des années 1960 avaient tort, la cause est donc finie avant même
d’avoir été entendue ; point n’est besoin d’arguments pour le prouver –
c’est évident, ou du moins
cela doit l’être. Celui qui ne l’a pas compris est non moins évidemment
borné dans sa nostalgie du XIXe siècle et dans sa volonté de
restauration de l’Eglise et de la société chrétienne.
En
effet, écrit Patrice de Plunkett, il s’agit pour lui non d’aider le
catholicisme français « non à « survivre », encore moins à se «
restaurer », mais à se réinventer à travers l'Evangile ». La
restauration, voilà l’ennemie, et voilà qui explique peut-être
l’indulgence du journaliste pour la « nouvelle liturgie », dont la mise
en cause est si souvent la marque des restaurationnistes.
C’était
pourtant Notre-Seigneur lui-même, comme le rappelait le Saint-Père lors
de l’audience générale du 27 janvier 2010, qui demandait à saint
François d’Assise : « Va, et répare mon église qui est en ruine. » « Immédiatement,
commente Benoît XVI, saint François est appelé à réparer cette petite
église, mais l'état de délabrement de cet édifice est le symbole de la
situation dramatique et préoccupante de l'Eglise elle-même à cette
époque, avec une foi superficielle qui ne forme ni ne transforme la vie,
avec un clergé peu zélé, avec un refroidissement de l'amour ; une
destruction intérieure de l'Eglise qui comporte également une
décomposition de l'unité, avec la naissance de mouvements hérétiques[6]. »
On
aurait donc certainement grand tort d’opposer restauration et renouveau
de l’Eglise. « Et Dieu donnera la victoire », disait sainte Jeanne
d’Arc, patronne secondaire de la France. Si les enfants de l’Eglise
s’efforcent de la réparer comme saint François, de la restaurer
fidèlement lorsqu’ils la trouvent en ruine, le Saint-Esprit saura bien
insuffler dans leurs petites œuvres le vrai renouvellement selon
l’Evangile, bien mieux sans doute que la dénonciation plus que rabâchée
du rabâchage.
Louis-Marie Lamotte
[1] plunkett.hautetfort.com
[2] Par exemple, dans le catéchisme Pierres vivantes, approuvé par l’épiscopat français, la messe est ainsi définie : « Les chrétiens se rassemblent pour célébrer l’Eucharistie. C’est la messe… Ils proclament la foi de l’Église, ils prient pour le monde entier, ils offrent le pain et le vin… Le prêtre qui préside l’assemblée dit la grande prière d’action de grâces… » Dans une telle définition, le saint sacrifice et la transsubstantiation ne sont pas seulement mal expliqués, mais ils sont passés sous silence de telle sorte qu’il est difficile de ne pas y voir une omission volontaire.
[1] plunkett.hautetfort.com
[2] Par exemple, dans le catéchisme Pierres vivantes, approuvé par l’épiscopat français, la messe est ainsi définie : « Les chrétiens se rassemblent pour célébrer l’Eucharistie. C’est la messe… Ils proclament la foi de l’Église, ils prient pour le monde entier, ils offrent le pain et le vin… Le prêtre qui préside l’assemblée dit la grande prière d’action de grâces… » Dans une telle définition, le saint sacrifice et la transsubstantiation ne sont pas seulement mal expliqués, mais ils sont passés sous silence de telle sorte qu’il est difficile de ne pas y voir une omission volontaire.
De
plus, la pédagogie spontanéiste a probablement en elle-même une portée
doctrinale, en tant qu’elle fait la chasse aux certitudes et consacre le
primat de l’expérience personnelle sur la Révélation et l’enseignement
de l’Eglise.
[4] Lorsque l’on envisage le rôle des pratiques liturgiques dans la
transmission de la foi, on néglige trop souvent les aumôneries des
collèges et des lycées ; or les messes qui y sont célébrées, même dans
les diocèses où la liturgie paroissiale, quoique éloignée des
prescriptions romaines, conserve une relative tenue, sont souvent
l’occasion de débordements en tous genres.
[5] Yvon TRANVOUEZ, Catholiques d’abord. Approches du mouvement catholique en France (XIXe-XXe siècle), 1988, p. 16
[6] vatican.va
[6] vatican.va