25 mai 2012

[Paix Liturgique] Un cas typique d'application méfiante du Motu Proprio: la ville de Chartres. Pourquoi ne pas jouer le jeu de la confiance et de la concertation?

SOURCE - Paix Liturgique n°337 - 25 mai 2012

Dans le cadre de nos enquêtes pour étudier la situation concrète des fidèles attachés à la forme extraordinaire du rit romain dans nos diocèse de France, nous diffusons bien volontiers à la veille des pèlerinages de Chartres, la lettre qu’un fidèle de Chartres vient de nous faire parvenir suivie de nos réflexions. Elles sont tout à fait typiques d’une application dont, en soi, on ne peut que se réjouir mais qui est faite comme à regret, avec méfiance. On pourrait, on le sait, multiplier les exemples : à T., le prêtre chargé de la messe dans la forme extraordinaire, présent du vendredi au dimanche, n’a pas le droit à la messe de semaine, sauf le 1er vendredi du mois ; à L., la messe est dite, un dimanche dans une église, un dimanche dans une autre ; à P., on ne célèbre la messe dans la forme extraordinaire que trois dimanches sur quatre ; à A., l'église est si éloignée de la route que ni les enfants, ni les seniors ne peuvent y accéder ; à T., on concède une église désaffectée, le plus loin possible du centre ville ; etc. etc.
I – LES DOLÉANCES D’UN FIDÈLE DE CHARTRES
A la Pentecôte 2008, démarrait à Chartres l’application concrète du Motu Proprio Summorum Pontificum de Benoit XVI, par la mise en place d’une messe dominicale hebdomadaire qui faisait suite à la demande d’un groupe de familles.

Cette mise en place avait été précédée quelques jours plus tôt par une réunion d’information qui avait aussi des accents de mise en garde, comme relaté dans le journal diocésain
Église en Eure-et-Loir du 3 mai 2008 : « Mgr Pansard souhaite avant tout que ne soient pas mis en place des rails qui ne puissent jamais se rencontrer, c’est-à-dire des communautés qui n’aient jamais l’occasion de se parler ». La mise en place s’est donc faite dans le cadre d’une communauté paroissiale au sein de laquelle le dimanche sont pratiquées les deux formes du rite romain, extraordinaire à 9h puis ordinaire à 11h, dans la même église, Saint-Pierre l’été, et Saint-Aignan l’hiver.

Dans la joie de cette mise en place, la jeune communauté « extraordinaire » s’est employée à jouer le jeu et à donner des signes tangibles de bonne volonté et d’unité : rencontres avec « les fidèles de 11h », participation d’un fidèle « extraordinaire » aux réunions paroissiales, organisation de réunions de carême demandées par notre évêque, réunions festives en commun (rentrée paroissiale, apéritifs, galettes,…) mais aussi adorations et conférences communes.

Côté ministres des cultes, si l’Abbé Dominique Aubert (Curé de la Paroisse Notre Dame de Chartres) a été missionné par l’évêque pour mettre en place et assurer la messe selon le missel de 1962, l’Abbé Jacques Olivier de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre, appelé pour aider à sa mise en place, en est vite devenu le principal maître d’œuvre, faute de disponibilité du Chanoine Aubert, déjà surchargé par son activité de recteur de la cathédrale, et de curé de toute la ville de Chartres. Ainsi, aujourd’hui, l’abbé Olivier assure environ trois messes sur quatre par mois le dimanche, ainsi que la Semaine Sainte. A noter aussi sa participation bénévole au service de la catéchèse dans le diocèse, très appréciée des familles.

Quel bilan faire de ces quatre ans
ad experimentum ? Pourquoi aujourd’hui ce sentiment d’amertume et d’incompréhension chez les fidèles, alors que tout semblait parti pour le mieux ?

Du point de vue des chiffres, la messe dominicale affiche une assemblée de 70 à 150 personnes, avec une forte représentation de jeunes familles avec enfants, score très honorable à comparer avec d’autres assemblées paroissiales de Chartres.

Du point de vue de la vitalité, les paroissiens font cause commune pour faire avancer des projets importants au service du culte, chorale, enfants de chœur, réunions diverses de formation… ou hors du périmètre paroissial, création d’un collège et d’une école primaire hors contrat, réunions mensuelles pour adolescents…

Malgré cela, Mgr Pansard et le Chanoine Aubert entretiennent à notre égard des dispositions très étranges et qui nous semblent toutefois inexplicables :

- Après quatre ans de mise en place du Motu Proprio, notre évêque semble vouloir en effet nous garder sous tutelle, comme si nous risquions de nuire à l’unité paroissiale, en exigeant que le Recteur de la Cathédrale célèbre au moins une fois par mois en alternance avec l’Abbé Olivier, « prêtre VRP » sans aucun statut mais qui assure pourtant l’essentiel des messes Motu Proprio. Ce traitement est contraire à ce qui était prévu initialement (réunion de coup d’envoi de mai 2008) : « La nouvelle communauté qui se constituera, à partir de la forme extraordinaire du rite romain, sera sous la responsabilité du curé, comme le sont toutes les autres communautés (N-D. de la Brèche, Sainte Jeanne d’Arc, Sainte Thérèse… ) ». Or, aucune autre communauté paroissiale n’est ainsi « tenue en laisse » par le Recteur de la Cathédrale. Même si nous nous réjouissons de l’implication du clergé local, nous ne comprenons pas ce qui ressemble fortement à de la méfiance à notre égard. Après tout, si des prêtres diocésains souhaitent célébrer selon la forme extraordinaire, le Motu Proprio leur en donnant le droit, pourquoi ne pas multiplier les lieux de célébration de cette forme liturgique ?

- Célébrant depuis quatre ans et bien intégré, l’Abbé Olivier est connu et reconnu de ses confrères prêtres et des paroissiens, très largement au-delà de la communauté qu’il anime. Malheureusement il ne peut aujourd’hui résider dans le diocèse de Chartres. Sur KTO (émission : « La vie des Diocèses »), Mgr Pansard décrivait le 30 mars 2012 la situation rapidement déclinante du nombre des prêtres dans le diocèse de Chartres : « 23 paroisses, 70 prêtres en activité, 38 de moins de 75 ans, dont 20 du diocèse et 18 qui sont soit d’une congrégation, soit des prêtres étrangers assurant un service pastoral tout en étant étudiants dans le diocèse. » Et le même refuse de donner un statut clair à un prêtre « Ecclesia Dei » disponible. Comment comprendre ?

- Les familles qui assistent à la messe dans la forme extraordinaire à Chartres viennent des nombreuses communes avoisinantes mais parfois éloignées, et une messe à 9h (aujourd’hui 9h15 !) est un effort qu’on ne peut tenir longtemps avec de jeunes enfants. Mgr Pansard s’était engagé lors de la réunion initiale de mai 2008 à revoir les horaires et l’organisation : « Après un temps
ad experimentum des aménagements pourront être faits tant en ce qui concerne les horaires que le lieu si c’était nécessaire » (in Église en Eure-et-Loir, du 3 mai 2008). Ainsi, après une période de mise en place légitime, nous avons demandé à de multiples reprises un horaire plus familial : 10h ou 10h30. Déjà plusieurs familles, à bout de souffle, ont jeté l’éponge et sont parties à la Chapelle de la Fraternité Saint-Pie X ou au Bon Pasteur, à 45 km.

Comme le disait justement Mgr Pansard sur KTO le 30 mars 2012 dans lors de l’émission « La vie des Diocèses » : « ...Et puis comment nous sommes attentifs, comment nous faisons des propositions au rythme de vie des actifs, si on ne veut pas s’adresser qu’à des retraités. [...] Le dimanche matin c’est le seul moment où vous pouvez dormir un peu plus longtemps. [...] Il faut aussi que la proposition que nous faisons ne soit pas réservée à des forts, mais qu’elle soit humainement vivable par des hommes et des femmes qui ont des vies compliquées, des familles qui ont des vies compliquées. »

- Notre communauté est constamment déstabilisée par des changements injustifiés de lieux et d’horaires… Les deux premières années nous avons suivi la curieuse coutume de la paroisse à laquelle nous sommes rattachés, d’alterner église d’été (Saint-Pierre non chauffée) et église d’hiver (Saint-Aignan, chauffée). Lassés, nous avons souhaité nous fixer à Saint-Pierre toute l’année, avec l’impératif de laisser la plage horaire familial à la communauté de 11h dans sa phase été ! Un système très compliqué et des changements problématiques jusqu’au dernier moment.

- Plus incompréhensible, alors que nous avions entamé de bonnes relations avec les autres fidèles de la paroisse (notamment ceux qui assistent à la messe selon la forme ordinaire de 11h) nous ne pouvons pas nous retrouver autour d’un pot en fin de célébration, ou autres activités communes, du fait des horaires de messes décalés. Tout semble organisé au plus haut pour mettre en place « des rails qui ne se croisent jamais », contrairement là encore aux intentions initiales.

A toute nos demandes – souhait d’un horaire familial, d’une église fixe toute l’année (même non chauffée !), possibilité de résider dans le diocèse pour notre prêtre, le Père Olivier, célébrant de la FSSP – nous est opposée la langue de buis (« Ce n’est pas de mon ressort ; c’est compliqué », etc.) ou un NON caractérisé.

Nous avons manifesté notre fidélité, et notre volonté de vivre comme n’importe quel autre paroissien notre vie spirituelle au rythme de la forme extraordinaire du rite. Mais nous récoltons fin de non recevoir, blocages stériles, sentiments pesants d’antipathie et de soupçon. En parallèle les appels à projet du diocèse pour promouvoir la nouvelle évangélisation ou les vocations sacerdotales prennent des allures de science fiction…

L’application du Motu Proprio à Chartres est-il sincère et charitable ? Ou le fruit d’un pis aller à contenir autant qu’on le peut ?
Cette instabilité est-elle entretenue, et promise à durer ?
A l’heure où l’on ferme les églises, ne peut-on pas encourager et soutenir la création d’une nouvelle paroisse ?
A l’heure où l’on organise des chaînes de prières pour les vocations et où l’on déplore le manque de prêtre (- 10% de prêtres en Eure-et-Loir en 2011), pourquoi faire tant de difficultés quand un jeune prêtre de moins de 40 ans frappe à la porte depuis quatre ans pour se fixer à Chartres où il exerce de fait un ministère en accord avec notre évêque ?
Une telle attitude n’est-elle pas un encouragement à développer la stratégie de guérilla et de désobéissance de la Fraternité Saint-Pie X pour obtenir statut et reconnaissance ?

Nous demandons la mise en acte de la très belle déclaration du Chanoine Dominique Aubert (feuille paroissiale du 15 mars 2009) : citant le Pape, « conduire les hommes vers Dieu… en ayant à cœur l’unité des croyants. En effet, leur discorde, leur opposition interne met en doute la crédibilité de qu’ils disent de Dieu », il déclare « Puisse cet humble témoignage de notre Pape Benoît nous donner à tous par delà nos idées, nos méthodes, les moyens humains que nous nous donnons pour travailler à la mission du Seigneur, le désir d’être habité d’abord par le sentiment même qui est dans le cœur du Christ : l’Amour et celui qui se trouve dans le cœur de sa Mère : la Confiance. »

Amour, confiance, Charité. Y avons-nous droit aussi ?
II - LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1 – Nous n’oublions bien sûr pas que le diocèse de Chartres est mieux pourvu que certains autres diocèses en messes dans la forme extraordinaire : outre la messe à Chartres, dont il est ici question, messe dominicale à 10h30 dans l’église paroissiale de Courtalain et messe dominicale à 10h30 dans l’église paroissiale de Manou, assurées par des prêtres de l’Institut du Bon Pasteur (et bientôt, l’officialisation de la messe célébrée par les prêtres de la nouvelle structure Saint-Pie X).

Il est difficile de savoir si la situation dans la ville de Chartres est le fruit d’une gestion suspicieuse de la pastorale « extraordinaire », mais elle dénote au moins un manque de souplesse, de dialogue, de concertation et surtout de confiance. A ceux qui s’offusqueraient que nous puissions ne serait-ce qu’imaginer « une gestion suspicieuse de la pastorale extraordinaire » nous répondrons que les cas patents et avérés d’une telle gestion sont hélas nombreux. Évoquons l’exemple de la chapelle du Braou dans le diocèse de Bayonne où le curé chargé de la célébration (une fois par mois, dans des conditions effroyables où tout était organisé volontairement pour que cette célébration soit un échec...) a reconnu devant son évêque l’avoir fait à la demande... de ses supérieurs (sic !). On pourra évoquer ici aussi l'ancien curé de Sainte Marie des Fontenelles (Nanterre) déclarant publiquement à un groupe de demandeurs : « On va vous proposer quelque chose mais vous ne serez pas contents et vous refuserez »... Nous évoquerons prochainement d’autres cas semblables et malheureusement actuels qui illustrent tristement la préméditation de certains clercs pour faire échec a l'application du Motu Proprio (non pas frontalement mais en créant des conditions impossibles).

2 – Dans un pareil contexte, comment ne pas comprendre que des fidèles préfèrent pratiquer ordinairement dans des prieurés de la Fraternité Saint-Pie X ? Mais au fond, de nombreux évêques ne pensent-ils pas ainsi anticiper la décision du Saint-Père d’ériger une structure autonome en faveur de cette Fraternité… La question quoi que surprenante mérite en tout état de cause d'être posée.

3 – Bien sûr il appartient à l’évêque d’agir avec prudence… de laisser du temps au temps… de tenter des expériences, mais n’est-il pas légitime cependant qu’une fois la turbulence apaisée et les situations installées, l’on puisse établir des liens normaux et de confiances avec des communautés fidèles et obéissantes ? A moins que pour certains évêques, les fidèles et les prêtres attachés à la forme extraordinaire du rit romain aient vocation à rester des fidèles de seconde catégorie, des lépreux dont il convient de se méfier.

4 – Enfin évoquons la question des prêtres : bien évidement l’évêque doit être maître dans son diocèse et choisir les prêtres qui animeront telle ou telle communautés mais l’on ne peut pas refuser éternellement tel ou tel prêtre qui par ailleurs fait le réel travail pastoral au nom… du manque de prêtres ! Et par ailleurs ne pas hésiter à faire venir en grand nombre des prêtres étrangers africains, espagnols ou polonais. Mais certains se souviennent que dans certains cas l’on préférait une église murée à une église où serait célébrée la liturgie traditionnelle qui, comme l'a rappelé clairement le Motu Proprio de 2007, n’avait jamais été interdite…

5 – Terminons par la question des horaires : un immense merci à Mgr Pansard qui fut en son temps l’un des rares prêtres du diocèse de Nanterre à accepter de converser avec des fidèles de Paix liturgique pour évoquer notamment l’importante question de l’horaire des messes ! Combien de fois n’avons-nous pas évoqué dans nos lettres la question des « horaires familiaux » en rappelant qu’il était discriminatoire d’imposer aux demandeurs de messes selon la forme extraordinaire des horaires parfois indécents (7h ou 8h le matin) ou irrespectueux du rythme des familles avec jeunes enfants (9h ou 9h30 ou pire 18h ou 18h30) une fois les périodes probatoires passés.

Rappelons que dans une enquête que nous avions publiée il y a quelques années, nous rappelions qu’à Paris (et donc probablement ailleurs), plus de 80 % des fidèles du dimanche pratiquaient entre 10h et 12h… Une solution respectueuse de tous n'est elle vraiment pas envisageable dans la ville de Chartres ?