4 mai 2012

[Mgr Bernard Fellay, fsspx - via Si Scires] Extrait de la conférence aux sœurs dominicaines de Saint-Pré et aux fidèles

SOURCE - Mgr Bernard Fellay, fsspx - 4 mai 2012

A propos de la réponse que j'ai envoyée juste après Quasimodo, le 17 avril, à Rome, je ne sais pas encore ce qu'en pense la Congrégation de la Foi. Tout simplement, je ne sais pas. D'après ce que je peux savoir de sources privées, j'ai l'impression que cela convient. Chez nous, je pense qu'il faudra l'expliquer comme il faut, parce qu'il y a (dans ce document) des expressions ou des déclarations qui sont tellement sur la ligne de crête que si vous êtes mal tourné ou selon que vous mettez des lunettes noires ou roses, vous les voyez comme ce-ci ou comme cela. Alors il faudra qu'on vous explique bien que cette lettre ne change absolument rien à notre position. Mais que, si on veut la lire de travers, on arrivera à la comprendre de travers.

En fait, on pourrait la résumer comme ceci : au moment où je l'ai rédigée, j'avais compris que Rome – lors des discussions doctrinales (en 2009-2011), et aussi à cause de certaines expressions que nous utilisons et qui sont quelque-fois un peu violentes ou trop générales –, Rome avait des doutes sérieux sur le fait de notre reconnaissance qu'il y a encore un pape, encore un Magistère aujourd'hui. Et donc, il y a eu une menace, je ne sais pas s'il faut dire une menace de déclaration de schisme, mais ce n'est pas loin de cela, à cause de ces expressions.

Quand j'ai saisi cela, j'ai compris ce que j'allais écrire et simplement montrer à Rome que, même si nous avons des réserves même sévères, cela ne veut pas dire qu'on ne reconnaît pas le pape. Cela ne veut pas dire que l'on ne reconnaît pas que le pape est capable de poser des actes, des actes qui ont leur valeur, c'est-à-dire des actes du Magistère, et j'ai dû donner des exemples concrets.
La ligne de crête fixée par Mgr Lefebvre
Bien sûr, dans cette lettre du 17 avril, j'ai repris la démarche que Mgr Lefebvre avait faite en 1988. Je ne sais pas si vous vous souvenez. Il s'agissait de déclaration de ce type : « Je reconnais que la nouvelle Messe est valide, si elle est célébrée avec l'intention de faire ce que fait l'Église. » Dans cette phrase, on ne dit pas qu'elle est mauvaise, puisque nous le disons tout le temps ! On dit en partant de l'autre versant de la ligne de crête : « Elle est mauvaise, mais si elle est célébrée correctement, elle reste valide. » C'est un exemple. Ou bien sur le Droit Canon. On dit : « L'Église peut quand même faire un Droit Canon. » Même si elle a repris des choses du Concile qui ne vont pas, comme le canon 844 qui parle de la communion donnée aux non-catholiques ou bien le canon qui ouvre la porte à la dissolution de tous les mariages sous prétexte d'immaturité. Au sujet de ce canon il est très intéressant de noter que le pape est déjà intervenu deux fois pour dire qu'on n'avait pas le droit de l'utiliser comme cela. Cela veut donc dire que l'on a raison de s'y opposer puisque le pape lui-même est contre, n'est-ce pas ? En bref, il fallait essayer de montrer qu'on ne rejetait pas tout. J'imagine alors que certains vont dire : « Donc, la Fraternité a tout accepté ». Et plus facilement encore : « Mgr Fellay accepte tout le Concile, etc. » Ce n'est pas ce que j'ai dit. Bien au contraire.

J'espère qu'un jour, et je pense que ce sera bientôt, ce texte sera publié. Vous verrez vous-mêmes. On verra s'il convient à Rome, s'il est accepté. Enfin, c'est ce que j'ai estimé devoir faire. Pourquoi ? Parce que c'est normal : si on est sommé de ré-pondre de notre foi, on répond correctement, n'est-ce pas ? Quand on dit qu'on rejette le Concile, en fait, on ne rejette pas tout le Concile. Monseigneur nous a toujours dit : « Ce qui est bon dans le Concile, on le garde. Ce qui est douteux, on le comprend comme on l'a toujours compris. Et sur ce qui ne va pas, sur ce qui est contraire à ce que l'Église a toujours enseigné, là on n'est pas d'accord. » Mais pour le reste, si le Concile parle de la Trinité, on ne va pas dire qu'on la rejette, cela n'a pas de sens ! Même si on dit après qu'il y a un mauvais esprit qui se trouve diffusé partout, un esprit mauvais qui, j'allais dire, pollue un peu tout. Mais il faut être précis. Et nous, très souvent par facilité et aussi par rhétorique, nous disons : « Tout le Concile. Ils sont tous modernistes, tous sont ainsi. » Évidemment, si on dit comme cela, Rome peut comprendre qu'on rejette tout. Cela n'a jamais été la position de Mgr Lefebvre. Jamais.

Certes il a eu certaines fois des paroles bien fortes, qu'il s'agisse du Concile, qu'il s'agisse de la Messe, etc. Mais il n'a jamais voulu couper avec Rome. Il a eu des propos qu'il importe de bien comprendre. Monseigneur a toujours voulu reconnaître que l'Eglise existe encore et que le pape existe encore. Une fois, en 1986 – la situation était très tendue –, il a dit dans un sermon : « Mais qui est cette personne qui est assise sur le Siège de saint Pierre ? » C'est aller très loin, n'est-ce pas ? Mais il a toujours refusé de dire : « Il n'est pas pape. » Cela, il l'a toujours refusé.

A un certain moment, cela devenait très fort. Rappelez-vous en 1987, c'est-à-dire après Assise et après la réponse romaine aux Dubia. Mgr Lefebvre considérera ces deux évènements comme le signe reçu du Ciel pour dire : « On peut sacrer. » C'est donc une année très importante. Eh bien ! en 1987, il écrit d'abord à Rome en disant : « Je vais sacrer des évêques. » A ce moment là, le cardinal Ratzinger l'appelle. Il y a une réunion au mois de juillet. Cette réunion est très tendue. C'est la réunion où ils vont parler de la Royauté sociale, où Monseigneur va être indigné et dira : « On ne peut pas travailler avec vous. Vous êtes contre la Royauté de Notre Seigneur. Nous, nous sommes pour. On ne peut pas travailler ensemble, etc. »

Lors de son jubilé épiscopal, en octobre 1987, dans la première partie du sermon il dit la même chose. Il rappelle cette réunion avec le cardinal Ratzinger où il a déclaré : « On ne peut pas travailler ensemble. » Ét dans la deuxième partie du même sermon, il dit en parlant du jour de cette rencontre : « Ce jour-là, on nous a fait à Rome des offres extraordinaires. Il faut bien prier. On va pouvoir travailler ensemble. » On a l'impression que c'est contradictoire. Non, ce n'est pas contradictoire ! L'une et l'autre partie de ce même sermon se situent chacune sur un des deux versants de la ligne de crête, la première partie est au niveau de la doctrine, la seconde est au niveau de la reconnaissance de l'Eglise. (cf. Nouvelles de Chrétienté n°131 p. 5)
Un indispensable discernement préalable
Monseigneur disait au sujet du libéral : « Il y a beaucoup de gens qui ne comprennent pas. Un libéral a deux aspects. Et nous, nous voulons qu'il n'en ait qu'un. » Un libéral énonce une phrase, et nous disons : il est tout entier comme cela. Mais, le libéral n'est pas tout comme cela. Prenez des exemples. C'est un peu délicat puisqu'il s'agit du pape. Il a des phrases, même dans les livres récents, où l'on se dit : « Mais est-ce qu'il croit en la divinité de Notre Seigneur, quand on lit ce qu'il écrit là ? » C'est tellement compliqué, mais on a l'impression que c'est la manifestation de l'homme tel qu'il est entièrement. Et puis, après ces déclarations, il pose des actes où il montre très clairement que Jésus est Dieu, absolument sans aucun doute. Ainsi il a fait un sermon à Cuba, le jour de l'Annonciation, qui parlait de la présence du Christ dans le monde, parce que l'Annonciation c'est l'Incarnation. C'était très habile, à Cuba, dans un pays communiste, d'insister pour dire que, dans la société, il faut que Notre Seigneur soit là, il faut qu'il soit présent dans la société. Et là il nous montre bien que Notre Seigneur est Dieu, il n'y a aucun doute. Vous lisez ce sermon, vous voyez très bien qu'il croit à la divinité. Voyez, il a deux aspects. La tendance que nous avons, c'est de dire qu'il n'y a qu'un côté. Eh bien ! non, il y a deux côtés. Pour nous, c'est un peu compliqué de comprendre comment on peut concilier ces deux aspects : lorsqu'on voit que le pape est pour l'ancienne Messe et qu'il fait motu proprio tout ce qu'il faut pour qu'on sache qu'elle n'a jamais été abrogée, mais qui après se manifeste pour l’œcuménisme à Assise. Nous, nous n'arrivons pas à mettre ensemble ces choses-là. Il est comme cela. Alors certains disent : « Mais les modernistes sont comme cela. Il y a une page qui est bonne, une page qui est mauvaise. Si c'est bien ainsi, c'est qu'il y a au moins une des pages qui n'est pas sincère. » Quand vous voyez que le pape est prêt à prendre des coups violents pour ces efforts – on peut utiliser ce mot – de restauration de l'Eglise, même si c'est de façon homéopathique, il est difficile de dire que ce n'est qu'une tromperie. Ce n'est même pas permis. Mais c'est difficile à concevoir parce qu'on n'arrive pas à mettre ensemble les deux aspects.

Pourtant on voit très bien que Mgr Lefebvre avait ce souci de l'Église. Le problème, c'est que, trop facilement, quand on parle de toutes ces choses, on ne voit que le côté humain, et on oublie que l'Église n'est pas n'importe quoi. Ce n'est pas juste une société d'hommes. L'Eglise de Notre-Seigneur Jésus-Christ est essentiellement surnaturelle. La tête de l'Eglise, c'est Notre Seigneur lui-même. Le vicaire visible n'est que le chef visible. Le chef invisible, mais le vrai chef, c'est Notre Seigneur. Et Notre Seigneur n'est pas près de laisser choir son Église, même si actuellement elle est dans des souffrances terribles, qui posent vraiment beaucoup de questions : c'est un grand mystère. Mais il ne faut pas oublier cela. Il ne faut pas l'oublier. Il y a de grandes interrogations, c'est vrai. Il y a un grand mystère, et ceux qui veulent trop le simplifier se réfugient dans des solutions beaucoup trop humaines et qui ne sont pas justes.

Qu'est-ce qui va se passer pour nous ? Il y a évidemment du danger. Et même les dangers sont multiples. Un danger, c'est de voir que les autorités maintiennent la ligne moderne du Concile. On le constate, on n'a jamais entendu une quelconque déclaration disant : « L’œcuménisme, c'est raté. » Ou : « Il faut corriger cela. » J'ai entendu quelqu'un me le dire, mais c'était en privé... Il m'a donné une définition de l’œcuménisme: « C'est un discours courtois qui ne produira jamais l'unité des chrétiens. » Et c'est une autorité à Rome qui m'a donné cette définition de l’œcuménisme. Je ne suis pas sûr que ce soit la définition officielle... Mais cela vous montre que même à Rome il y en a qui pensent comme cela. Le danger, c'est de voir que cette ligne se poursuit. Cependant maintenant l'on nous dit que l'on peut en discuter... Qu'est-ce que cela veut dire discuter ? Est-ce qu'on peut encore protester ? Est-ce qu'on peut encore protester publiquement ? La légitime discussion, c'est public. Alors, est-ce qu'il faut s'entendre sur le mot discuter ? Ce sont là des questions importantes... Je pense qu'il y a un danger qui reste. Il faut faire attention certainement. Il faut avoir des garanties. C'est ce que j'ai toujours dit. Avant de se lancer, il faut qu'on ait vraiment l'assurance – comme Monseigneur l'a toujours dit – l'assurance qu'on peut continuer comme on est. Tout simplement.
Qu'est-ce qui change à Rome ?
Mais il y a quand même des éléments qui donnent des espoirs. Ces éléments, c'est justement ce mouvement, on peut dire, qui vient d'en bas, de la base, qui grandit, qui croît, qui manifeste un désir de retour. On en voit un début de réalisation. Je vais vous donner quelques exemples, car il y en a plusieurs. C'est certain qu'il y a un désir, une volonté de reprise en main dans l'Église, mais c'est encore sur le mode homéopathique et avec une résistance assez farouche d'un bon nombre d'épiscopats. C'est donc tout à fait mélangé.

Si vous voulez, c'est un petit peu comme au début du printemps où vous avez quelques éléments qui vous montrent : « Ah ! Les bourgeons sont là et veulent sortir ! » Et puis, en même temps, il fait froid, il neige. Il y a ceux qui vous disent : « Mais non ! C'est l'hiver, il neige, etc... » Ils ont raison aussi. Les deux ont raison. Ceux qui disent : « Le printemps arrive. » Et ceux qui disent : « C'est encore l'hiver. » C'est un peu cela ce qui se passe. Peut-être avez-vous vu récemment que le pape est en train de rappeler à l'ordre les religieuses américaines. C'est un exemple. Les néo-catéchuménaux aussi en ont pris pour leur grade. Et ce sont les évêques allemands maintenant.

Cela fait quand même pas mal de choses. Les autorités romaines viennent de publier un Examen de conscience pour les prêtres et on se demande s'ils ne sont pas allés le chercher dans la bibliothèque d'Ecône. J'en lis quelques extraits pour vous montrer qu'il n'est plus possible de dire que l'Église en est toujours au même stade, qu'il n'y a rien de changé depuis 1970. Vous avez cela devant les yeux, et vous vous dites : c'est vrai, ce n'est pas la même chose. On pourrait dire : ce n'est qu'un acte, mais c'est un acte qui vient de sortir maintenant. Je le prends précisément parce qu'il est arrivé maintenant : Examen de conscience pour les prêtres, à l'occasion de la journée de sanctification des prêtres – d'ailleurs, depuis quand est-ce qu'on parle de la sanctification des prêtres ? - en la fête du Sacré-Cœur, le 15 juin prochain. La Congrégation pour le Clergé publie cet examen de conscience pour les prêtres qui commence comme cela : « Est-ce que j'envisage sérieusement la sainteté dans mon sacerdoce ? Suis-je convaincu que la fécondité de mon ministère sacerdotal vient de Dieu et que, avec la grâce du Saint-Esprit, je dois m'identifier au Christ et donner ma vie pour le salut du monde ? » On pourrait dire, « Bon, cela, c'est encore assez vague. »

Deuxième point : « Le Saint Sacrifice de la Messe – ce n'est pas écrit l'Eucharistie, c'est bien le Saint Sacrifice de la Messe – est-il le centre de ma vie intérieure ? » On croirait vraiment qu'ils sont allés chercher cela à Ecône. « Est-ce que je me prépare bien ? Est-ce que je célèbre avec dévotion ? Et après, est-ce que je me recueille pour rendre grâces ? La Messe constitue-t-elle le point de référence habituel dans ma journée pour louer Dieu, le remercier de ses bienfaits, recourir à sa bienveillance et réparer pour mes péchés et pour ceux de tous les hommes ? » Cela fait longtemps qu'on n'a pas entendu des choses comme cela ! C'est pour les prêtres aujourd'hui. Voyez, avec cela, c'est une manière très habile de rappeler, de ramener la foi tout simplement, la foi. Il y a là quantité de rappels, ainsi celui des fins dernières. Il y a beaucoup de choses dans cet examen de conscience qui remettent la foi en place... On a vraiment l'impression qu'ils sont allés chercher cela dans un livre du XIXe siècle. « Est-ce que je trouve ma joie à rester devant Jésus-Christ présent au Très Saint-Sacrement ? Ou dans ma méditation et mon adoration silencieuse ? Suis-je fidèle à la visite quotidienne au Très Saint-Sacrement ? Mon trésor est-il dans le tabernacle ? » Regardez certaines églises aujourd'hui ; vous vous demandez où est passé le tabernacle. Voyez, avec cet examen, ils rappellent les choses, les choses justes, les choses vraies. « Suis-je prompt à assister et à administrer les sacrements aux moribonds ? Est-ce que je considère dans ma méditation personnelle, dans ma catéchèse et ma prédication ordinaire la doctrine de l'Église sur les fins dernières ? Est-ce que je demande la grâce de la persévérance finale et invite les fidèles à en faire autant ? Est-ce que j'offre fréquemment et avec dévotion les suffrages pour les âmes des défunts ? »

Ce sont des exemples qui montrent un changement. Et l'on peut dire : « cela vient de sortir. » Oui, cela vient de sortir cette année. Je ne suis pas sûr qu'on aurait vu cela il y a dix ans en arrière – pour moi c'est clair. Encore une fois, on pourrait dire qu'une hirondelle ne fait pas le printemps, mais il y a aussi des bourgeons. Je commence maintenant à voir des évêques – les prêtres, cela fait un moment déjà – des évêques qui sont avec nous. Ils n'osent pas trop se montrer parce qu'ils se feront tout de suite repérer. Mais il y en a. Il y en a un cette semaine qui est venu assister à une réunion de nos prêtres, des prêtres de la Fraternité. Il a dit : « Vous comprenez, moi aussi, de temps en temps, j'ai besoin de souffler.»

Évidemment, je ne vous dis pas où, – c'est normal. Je rencontre des évêques ou des nonces, plusieurs, qui me disent : « Vous savez, je suis allé voir à Saint-Nicolas. » Ou d'autres qui disent – et cela, je l'ai déjà entendu d'un cardinal, non, de deux cardinaux : « L'Église a besoin de la Fraternité. » Il y en a pas mal, au Vatican même qui disent cela : « On a besoin de vous. » Il ne s'agit pas de nous mettre des auréoles ou de nous encenser, ce n'est pas cela. Il faut savoir que dans l'Église officielle, vous avez, même au Vatican et pas seulement au Vatican, des autorités qui commencent à vous dire : « On est dans une mauvaise posture. Il faut s'en sortir. Venez nous aider. » Je connais un cardinal et un évêque qui m'ont déclaré : « Regardez le geste du pape envers vous comme une demande d'aide, un appel au secours. » C'est nouveau, tout cela. On ne peut pas dire que c'est ce qu'on a toujours entendu.
Une situation nouvelle
Evidemment, on est obligé d'y réfléchir, parce que c'est un tel changement de paramètres qu'on n'est pas habitué à cela. Et bien sûr il y a la question : « Est-ce que c'est le moment ? Est-ce que ce n'est pas trop dangereux d'aller se mettre là-dedans ? » Je n'ai pas encore toutes les réponses. On dit : « Mgr Fellay a signé, Monseigneur a fait ceci, Monseigneur a fait cela. » Non. Je n'ai pas encore toutes les réponses. Je vois des lignes dans certaines directions. Pour moi, la seule chose qui compte, c'est de faire la Volonté du Bon Dieu. C'est tout ! Je devine une ligne. J'attends qu'elle soit suffisamment claire. Je pense que cela viendra. Pour l'instant, j'en suis là. Je sais – peut-être que vous le savez aussi –, je sais bien que cette question cause du trouble, ne serait-ce qu'à cause de l'interrogation « mais après ? ». Alors, on se pose toutes sortes de questions.

C'est une situation tellement nouvelle qu'elle fait un peu peur. Il est tout à fait normal qu'on ait un peu peur devant une telle situation. Il faut qu'on ait des garanties, c'est tout ! On va voir si on les a ou pas, parce que s'il s'agit d'aller au suicide, non ! Il faut qu'on ait raisonnable-ment la perspective que notre statut canonique peut tenir la route. Cela ne sera pas facile, imaginez un peu ! Il y a certains pays où cela sera plus facile. Là où se trouvent des évêques compréhensifs. Mais là où toute une Conférence épiscopale est opposée ! D'ailleurs on entend dire déjà aujourd'hui qu'il y a des Conférences épiscopales entières qui insinuent du bout des lèvres : « Non, quand même, recevoir la Fraternité dans l'Église, non, cela ne va pas. » C'est évident qu'avec certains on pourra travailler, avec d'autres pas. Mais encore une fois, cela ouvre tellement de perspectives d'apostolat tout d'un coup, et cela vient tellement vite qu'on a envie de dire : « On marque une pause ! On arrête ! »

Le problème est que c'est de Rome que cela vient. Et en plus de cela – pour moi maintenant c'est clair – cette action de Rome en notre faveur a pour conséquence immédiate que la situation dans laquelle on s'est trouvé jusqu'à maintenant, est terminée. Cette situation que j'ai appelée intermédiaire, où l'on n'est plus « excommuniés », donc sans censure canonique, mais où l'on n'est pas totalement reconnus, une sorte d'entre-deux. C'est évidemment une situation canoniquement irrégulière, très clairement irrégulière, et on a l'impression que Rome a de la peine à supporter cette irrégularité canonique. Le pape, je crois qu'il la comprend lorsqu'il reconnaît : « il est plus facile et pour eux et pour moi de laisser les choses comme elles sont », mais ce n'est pas ce qu'il veut. Et face à cette volonté de nous offrir un statut qui revient à nous dire : « Je veux vous reconnaître », on se trouve dans la situation où soit on accepte, soit on refuse. Mais il n'y a plus de place pour une situation intermédiaire. Si on refuse, ce n'est pas le pape, mais ce sont ceux qui sont autour de lui, ceux qui ne nous aiment pas, qui vont sauter sur l'occasion pour dire : « Alors cette fois-ci, vous voyez bien qu'ils sont schismatiques. Parce que refuser une chose tellement importante qui vient du pape, alors là, c'est clair qu'ils sont schismatiques. »

Et pour moi, il est évident que ce qui se passe aujourd'hui n'offre pas trois issues, il n'y en a plus que deux : soit nous sommes reconnus, soit c'est la guerre. C'est la déclaration de schisme, avec ensuite l'accélération des deux côtés. Cela élimine la situation assez confortable dans laquelle nous nous trouvons actuellement. Mais encore une fois, ce n'est pas nous qui sommes la cause de cette précipitation. Parfois l'on me dit : « Pourquoi vous presser ? » Mais je ne me presse pas ! Je ne suis pas pressé moi-même !

D'un côté vous avez le pape qui sent ses forces diminuer, sans qu'il ait une maladie particulière. Non, il n'est pas malade, c'est le poids de l'âge. Il a confié le soin de régler notre cas à un cardinal qui doit partir en retraite. Voilà comment les choses se passent. Tels sont les éléments, qui ne sont pas de foi évidemment, mais c'est avec eux que le Bon Dieu écrit l'histoire de l'Église.
Prier et ne pas céder à la peur
La conclusion, vous le comprenez tous et je n'ai pas besoin de vous faire un dessin, c'est que, s'il y a un moment où il faut prier, c'est maintenant. Parce que il est évident que, cette fois-ci, l'on n'est plus très loin d'une décision et il faut prendre la bonne. Parce que manifestement, là, il ne faut pas se tromper. Les conséquences seront graves et sérieuses, dans tous les cas de figure. On ne peut pas penser qu'on peut prendre cela à la légère. Donc il faut vraiment bien prier. Vous priez, on a prié ; nous sommes bientôt à la fin de notre Croisade du Rosaire. Il faut simplement l'intensifier. C'est le mois de mai. Nous sommes consacrés à la Sainte Vierge. C'est donc le moment de renouveler notre consécration, de nous mettre sous le manteau de la Sainte Vierge, avec confiance.

Paniquer ne sert à rien. Si on a peur, on fait des bêtises, il ne faut donc pas avoir peur. Mais il faut bien faire ce que le Bon Dieu veut ; c'est tout. Cela suffit amplement.

Il faut lui demander la grâce de reconnaître sa Volonté – qu'il l'ex-prime clairement –, puis la grâce d'agir en conséquence. C'est ce qu'on vous demande depuis main-tenant un bon laps de temps, et de-puis plus d'un mois l'on ne vous dit que cela. Vous avez certainement des questions du genre : « Mais alors, quand est-ce que cela va se produire ? » Je n'en sais rien moi-même ! Cela fait un moment que j'essaie de demander aux autorités romaines : « Mais alors, qu'est-ce que vous faites ? » On voit qu'elles veulent, qu'elles sont pressées. Moi je trouve qu'elles sont trop pressées. On voudrait atteindre la pédale de frein, mais on ne sait pas trop où elle est. Il y a des choses qui ne sont vraiment pas sous notre contrôle.

Mais il faut aussi faire confiance, qu'est-ce que vous voulez... Quand on voit que pendant des années, des dizaines d'années maintenant, le Bon Dieu nous a conduits avec une telle simplicité, une telle facilité. Il nous a conduits jusqu'ici, et puis, là, tout d'un coup, il nous laisserait en plan, il nous laisserait tomber... Cela n'a pas de sens.

Seulement voilà, il donne sa grâce ni avant, ni après, mais au moment où cela est nécessaire. C'est comme le martyre : penser au martyre avant, c'est dangereux, parce qu'on n'a pas encore la grâce. Quand ce-la arrive, c'est prêt. Bien sûr, il y a aussi la vertu de prudence. On doit tout analyser, analyser les dangers, les possibilités : est-ce que c'est possible, est-ce qu'on arrive à passer, etc... ?
Des garanties protectrices
Je pense que si on a des garanties, cela veut dire une structure canonique suffisamment solide. Voyez par exemple, si l'on compare avec la Fraternité Saint-Pierre ou les communautés Ecclesia Dei : dans l'apostolat, ils sont complètement sous le pouvoir des évêques. Ils n'ont donc aucune liberté. S'ils essaient d'ouvrir la bouche, immédiatement ils n'ont plus d'apostolat, c'est fini... Ce n'est pas ce genre de solution qu'il faut pour nous. Quand on dit qu'il faut qu'on ait la possibilité de vivre, il faut qu'on ait une véritable autonomie, on signifie qu'il faut que les fidèles puis-sent vraiment bénéficier de tous les sacrements, qu'il faut que les communautés religieuses puissent aussi être sous cette garantie protectrice. Et j'ai suffisamment de paroles du pape qui montrent que c'est bel et bien sa volonté. Dès 2005, à l'audience de Castel Gandolfo, une de ses dernières paroles était : « Je comprends bien que la Fraternité a besoin de protections. » Il sait donc très bien que dans l'Église cela va mal. Voyez-vous, c'est cela qui a changé et qu'on a beaucoup de peine à comprendre. Les autorités à Rome, au moins certaines d'entre elles, comprennent qu'il y a une crise dans l'Église et elles essaient d'y remédier, mais la crise est tellement grande, tellement profonde qu'elles n'arrivent pas à faire grand-chose de visible. Mais elles font des choses. Elles essaient petit à petit de sortir l'Église de cette situation. Pas complètement, à doses homéopathiques. Mais elles ne peuvent pas faire mieux.

Quand vous êtes dans un TGV qui va à 300 à l'heure, vous ne lui demandez pas de faire un virage à 90°. Sinon, on part en morceaux, et c'est fini. Ou si vous avez un bateau, un paquebot, vous ne lui demandez pas de faire un virage comme cela. Ce sont de grandes courbes lentes. Si vous avez un malade, quelqu'un qui est en hypothermie, c'est-à-dire qui a une température trop basse, on le met dans l'eau à la même température que son corps. Et l'on monte d'un degré la température de l'eau pour faire remonter celle du corps, pas plus vite qu'un degré par heure. Si on va plus vite, on tue la personne. Malgré cela, il y a encore une période critique où il risque de perdre la vie. C'est un peu l'état de l'Église. Cet état est tellement bas qu'on ne peut pas attendre qu'il y ait une restauration de l'Église immédiate. On aimerait bien cela : « Allez ! Tout est en ordre ». Mais cela ne peut pas se passer ainsi. Ce n'est pas possible.

Je peux vous rappeler cette parole d'un prélat romain qui me disait : « Il n'est pas possible de se débarrasser de la nouvelle messe en un seul coup. Il faut plusieurs étapes. Cela prendra au moins une génération. » Une gé-né-ra-tion ! Ils ne vont pas dire cela au début, mais ils vont faire un petit quelque chose et puis après un autre petit quelque chose, une petite correction ici, puis après là. On va parler de la réforme de la réforme. Bien sûr, on se dit : « Mais qu'est-ce que c'est que cette affaire ? » Ce sont de petits actes, l'un après l'autre. Cela demande une perspective à long terme qui dépasse un pontificat. Cela veut dire qu'il faut espérer que le prochain fasse aussi bien que le précédent ou mieux, en se souvenant que chacun est homme et qu'il a sa liberté. Ce n'est pas évident ! Mais on voit que les réformes dans l'Église prennent du temps. Celles qui réussissent sont celles qui sont lentes ; celles où les papes ont voulu être énergiques en s'attaquant aux grandes difficultés, eh bien ! elles ont échoué. Cela n'a pas marché. L'histoire de l'Église est là pour nous le dire. Ce genre de choses, c'est lent. Il faut le sa-voir. Il faut être patient. Il ne faut pas lâcher, il faut maintenir, mais il faut être patient.

Alors, encore une fois, la grande question est : « Est-ce que c'est le moment ? » Je répondrai: « On se tourne vers le Bon Dieu ». Ce n'est pas nous qui allons décider de ce-la. Il faut donc prier pour bien voir ce que veut le Bon Dieu, où est sa Volonté. Vous voyez, je ne vous donne pas beaucoup de nouvelles. Je vous donne beaucoup à réfléchir, et beaucoup à prier. Je vous laisse dans les bras, sous le manteau de la Sainte Vierge.