SOURCE - Abbé Laguérie, ibp - 21 mars 2011
Monsieur l’abbé, pourriez-vous me donner votre avis sur la question de la prière des Juifs et des Musulmans, qui est au coeur du problème du dialogue inter-religieux. Ma question suppose la véracité de deux prémisses (pourriez-vous me la confirmer ?) :Les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans se réclament tous de fait d’un même Dieu (le Dieu d’Abraham)Seulement ils ne le conçoivent ou ne le reconnaissent pas de la même manière (Les Juifs et les Musulmans ayant refusé de recevoir sa Révélation chacun pour des raisons diverses qui sont toujours des torts)Si ces deux prémisses sont vraies, il faut en conclure que les Chrétiens, les Juifs et les Musulmans adressent tous leurs prières à un seul et même Dieu, ce qui pose beaucoup de questions.Il me semble inconcevable que Dieu reçoive de la même façon la prière des Juifs, des Chrétiens et des Musulmans, sinon, il y aurait évidemment un salut hors de l’Eglise et, en dernière analyse, celle-ci n’aurait pas de raison d’être. Ou alors, si Dieu recevait les prières des Juifs et des Musulmans, comment se pourrait-il qu’ils ne finissent pas tous par se convertir à la vraie religion ? Pourquoi, s’il les entendait et recevait leurs prières, Dieu les laisserait-ils dans l’erreur ?Faut-il donc penser que, bien qu’elles lui soient aussi adressées, Dieu ne reçoit pas les prières des Juifs et des Musulmans comme celles des Chrétiens parce qu’ils ne le reconnaissent pas comme il convient et notamment parce qu’ils ne reconnaissent pas Jésus-Christ et on dit que toute prière passe par le Christ ?Faut-il faire des distinctions entre de bonnes et de mauvaises prières des Juifs et des Musulmans ?S’il y a des prières de Juifs et de Musulmans mal adressées, faut-il considérer qu’elle sont comme du vent ou qu’elles sont sacrilèges commes des prières adressées à d’autres divinités ?Je vous remercie d’avance pour vos réponses si vous avez le temps.
La question du chapeau introductif m’a été posée sur le forum de mon article « Un tournant ». Elle est tellement importante que j’en fais un autre article, ne pouvant la traiter d’une simple réponse forumesque. Je remercie cet intervenant de sa pertinence comme de sa précision. Tâchons d’y voir clair.
Qu’il n’y ait dans le ciel qu’un seul Dieu, comme réalité extra-mentale objective, qui a créé le ciel et la terre, est une évidence pour tous les monothéistes, qu’ils soient juifs, chrétiens musulmans ou autres. Autres ? Oui, si l’on considère qu’il peut y avoir des monothéistes qui n’adhèrent à aucune des trois religions qui s’affirment « révélées ». La description, la représentation, la conception qu’on peut s’en faire, vraie ou fausse, ne change rien à la réalité divine et il faudrait être complètement idéaliste pour n’en convenir point. Dieu « est » tel qu’Il est, quelles que soient les représentations que s’en peuvent faire les hommes. Ces derniers n’ont pas le pouvoir de changer quoi que ce soit, un seul trait ou un seul iota, de la réalité divine qui les précède, les crée, et peut se passer de leur reconnaissance, culte etc.
En ce sens qu’il n’y a qu’un seul Dieu, sur Lequel les hommes n’ont aucune prise, on peut dire que les hommes ont tous le même Dieu…puisqu’il n’y en a qu’un !
Mais attention ! Cela ne veut pas dire que les religions ont le même Dieu, comme on va le voir. On se limitera volontairement aux religions monothéistes, mais les arguments valent a fortiori pour « celles » qui auraient réduit Dieu à une créature, une idole, un fantasme, une idée, comme au panthéisme d’ailleurs…
La religion ne dit pas seulement l’existence de Dieu mais lien, liaison, rapport à Dieu, ce qui est tout autre chose. Comme le mot l’indique, la religion (Re-ligare) consiste à lier, relier la créature à Dieu. Elle commence avec cette liaison, comme l’indique l’Apôtre en Heb 11, 6 : « Il faut que celui qui s’approche de Dieu croit qu’Il existe (1) et qu’Il est le rémunérateur de ceux qui le cherchent (2) ». La religion commence avec cette deuxième exigence et on le voit bien chez les théistes qui reconnaissent l’existence de Dieu sans pour autant concevoir ou pratiquer la moindre religion.
Attention encore ! Lorsque l’on commence un discours sur Dieu qui dépasse la seule affirmation brutale de son existence, on met un pas dans la religion, on y est, on passe de 1 à 2. Dès lors que l’on « affirme » sur Dieu, on détermine nécessairement un visage de Dieu qui comporte inéluctablement un type de comportement de Lui à nous et de nous à Lui. Toute conception de l’essence divine, au-delà de son existence et même si nous savons qu’en Lui les deux ne font qu’un, véhicule un visage divin tel que notre positionnement par rapport à Lui n’est pas neutre. Dire quelque chose de Dieu, c’est rentrer résolument en religion. Il n’y a pas de neutralité par rapport à Dieu.
Nous en arrivons donc à un paradoxe étonnant : alors que Dieu est le même pour tous, la religion est différente en chacun, selon la conception que chacun se fait de Dieu. C’est même vrai en ceux qui se reconnaissent de la même religion. Le rapport à Dieu est tellement intime et personnifié (existentiel) que chacun se situe uniquement en rapport à l’Unique. De sorte que Dieu, Tout en tous, est différent en chacun. Dès lors que la religion est un rapport, il est modifié par l’un de ses constitutifs. Le problème ce n’est pas Dieu, semper Idem, c’est nous.
Mais alors, pourquoi les religions ? Plutôt celle-ci que celle-là ? Pourquoi imposer une vision de Dieu plutôt qu’un autre ?
La réponse est simple et définitive : pour ne pas abandonner Dieu, seule réalité incontournable, aux caprices des hommes, justement. Cette réalité extra-mentale qui fonde l’homme et sa destinée ne saurait être livrée aux fantasmes et à l’arbitraire des hommes ou du diable. Pour tenir sur Dieu un discours qui mérite notre confiance et notre adhésion, nous ne pouvons nous en remettre à qui que ce soit : c’est trop risqué ! Le seul discours sur Dieu qui puisse fonder le nôtre n’est pas de l’homme mais de Dieu. Là commence la religion parce que là commence la Révélation. Nous en remettre à l’homme d’une affirmation aussi déterminante serait folie et suicide. Que savons-nous sur Dieu qui soit garanti ? Les élucubrations humaines sont terribles ; songez que les plus géniaux de tous les hommes, les grecs, qui donnaient Dieu pour le plus désirable des êtres (Proton-erotikon) n’ont pas su imaginer que Lui-même soit capable d’amour !
Et voilà pourquoi les seules religions qui « marchent » sont révélées. Elles parlent « Au nom de Dieu » tandis que personne n’acquiesce au discours de l’homme. Un reste de bon sens des hommes sur le mensonge des hommes : « Omnis homo mendax ». Quel homme peut nous dire la vérité de Dieu sans risque de nous trahir ? Qu’en sait-il, le bougre ? Mais si Dieu vient à parler, quel homme aurait l’audace d’y contrevenir ?
Trois religions se disent révélées, la juive, la chrétienne et l’islamique. Les autres ne comportent même pas cette prétention et s’avouent elles-mêmes des sagesses acquises. Passons.
Que le Dieu des juifs soit le même que le nôtre est une simple évidence. Il le fut durant plus de six mille ans, avant l’incarnation du Fils, et qui peut modifier cette réalité massive de « Jahvé » ? On peut dire la même chose du dieu de l’islam, simple reprint de Jahvé à destination des saracènes et des naziréens (Cf. l’ouvrage définitif du Père Marie-Edouard Gallez : « Mahomet et son Messie ». Cette secte chrétienne a son messie qui n’est autre que Jésus de Nazareth, comme en témoigne le Coran). Comme réalité extra-mentale, encore une fois, il n’y a qu’un Dieu, qui est le même pour tous ceux qui ne nous font pas sortir de chez les batraciens de lagunes.
Mais dire qu’il n’y a qu’un Dieu, qui a créé le ciel et la terre, n’est évidemment pas dire que les religions ont le même Dieu. Voilà l’erreur funeste et mortelle que répètent, imbéciles, les œcuménistes de tout poil depuis quarante ans. Dieu, son essence, ses attributs, son visage, son comportement est si différent d’une religion à l’autre qu’évidemment nous n’avons pas du tout le même Dieu. Halte-là !
Pourquoi le dieu du Coran méprise-t-il tant les juifs et les chrétiens, jusqu’à devoir les éliminer en toute bonne vertu et logique ? Les juifs y sont de sinistres « Réducteurs » et les chrétiens de viles « Associateurs ». Les uns trafiquent les Ecritures et en éliminent le messie et les autres osent égaler un fils et un esprit au Très-Haut. Entre ces dieux-là, il faut choisir !
Les juifs, quant à eux, se sont arrêtés en chemin et s’éclairent encore à la bougie en plein soleil de midi. Ils prient devant un mur.
Le culte que l’on rend à Dieu comme les espoirs qu’on nourrit d’en être exaucé sont à l’avenant. Telle conception de Dieu, tel rapport qu’on en soutient, déterminent le culte, la prière et la morale. Encore une fois le problème n’est pas le Dieu unique mais la religion. Je crois plus en la prière d’un ignorant, d’un analphabète, d’un pauvre, qui ignorent tout de Dieu qu’à celle d’un embrigadé des fausses religions qui le dévisage, l’altère et le corromp.
Le grand problème d’Assise n’est pas de faire prier tous ceux qui veulent bien, aux quatre coins du monde, pour la paix. On pourrait, on devrait organiser un super Assise ! C’est d’y convoquer les religions en tant que telles. On peut trouver partout des petits et des humbles dont la prière est précieuse aux yeux du Seigneur, certes. Mais c’est précisément qu’elle n’a pas été dévoyée par une religion des hommes ou du diable. Depuis 2000 ans nous savons, nous chrétiens, que c’est « Par Lui, avec Lui et en Lui que sont rendus au Père tout honneur et toute gloire ». Laisser croire le contraire aux petits ou aux hypocrites est une trahison.
Je réponds donc clairement à votre question : il peut y avoir une bonne prière d’un juif ou d’un musulman (à supposer leur bonne foi...) Il n’y a pas pas de bonne prière juive ou musulmane...