SOURCE - Rémi Lélian - Respublica Christiania - 23 mars 2011
Bien sûr, il y a la querelle théologique sur la validité des sacrements, et je n'ai pas la prétention de résoudre ici ce débat entre les tenants de la messe de toujours et les partisans de la messe ordinaire depuis le concile de Vatican II, chacun ayant ses arguments, et ces arguments, à quelque camp qu'ils appartiennent, quand ils ne sont pas la manifestation hystérique d'une idéologie stérile, sont souvent valables et méritent d'être entendus. Cependant, c'est par la superficie, comme Nietzsche disait des grecs qu'ils sont superficiels par profondeur, que j'aimerai à présent aborder cette grave question, puisqu'elle engage l'instant ultime, dans le monde et dans l'histoire, où le catholique s'exhausse hors le temps pour communier avec le Seigneur. Paradoxalement, si je désire me faire ici le modeste apologue de la messe en latin, c'est pour des raisons humaines et, bonnes ou mauvaise, des raisons d'abord esthétiques.
S'il est un fait du monde contemporain, c'est sa laideur et sa tristesse, qui nous obligent trop souvent à confondre la joie avec le mensonge, Dieu avec une idée de Dieu, et la vie avec le vide. Ce monde, placardé de facticité, où l'amour lui-même tourne systématiquement à la farce de la névrose, à l'intérieur duquel celui qui s'y livre entièrement ne souffre d'aucun autre secours que la main perpétuellement tendue de Celui qu'il ignore pourtant, ne peut attendre en guise de récompense que le salaire de son péché : la mort ! Et qu'importe l'argumentaire frelaté des athées en tous genres, des scientistes idolâtres ou des pécheurs malgré eux ravagés constamment par une faute, dont ils ont perdu le sens même, et qui les tue d'autant plus qu'ils ne croient pas à son existence, c'est avant tout par le beau que l'on combat la laideur, de la même manière que Dieu contrecarre la synergie implacable de la Chute par sa Grâce.
Le mystère de la messe en latin, c'est la beauté de son rite, le chant grégorien, et la langue de la Rome ancienne surmontée selon la puissance de l'Incarnation. En extension, c'est aussi la civilisation catholique occidentale qui, comme chaque chose qui naît un jour sur cette terre, si elle est amenée à disparaître, n'en finira néanmoins pas de dispenser aux générations à venir ces toiles du Titien ou ce magnificat de Monteverdi qui, l'espace d'un instant, ont condamné la barbarie à se taire et, le temps de quelques mesures, continuent dès qu'on les écoute de murmurer à nos tympans assourdis et soudain ressuscités : « Non ! L'ignoble n'est pas l'ordre du monde », « non ! la peine et le mensonge ne sont pas les seuls lots que nous soyons dignes de mériter ».
Le rite latin, c'est cela : un rite, donc une esthétique, donc un rempart derrière lequel chacun peut se réfugier, non pour s'isoler mais pour y être consolé ; non afin de s'améliorer seulement mais parce que la Parole, à laquelle il sert d'écrin, nous accueille tel qu'en nous-mêmes et que, malgré les blessures, Elle nous sait digne de son amour. Elle chante pour nous le prouver, elle sacralise le moindre de ses gestes pour nous en convaincre et nous dire « tes plaies filtrent la lumière », « ton être détruit ne sera pas réparé mais transformé », plus simplement, que Dieu nous aime et qu'il nous offre le recueillement dans la lumière en avant-goût du salut. Il faut avoir assisté une fois dans sa vie, une pauvre fois simplement, à une messe extraordinaire, sans idée préconçue dans un sens ou dans l'autre, sans comprendre le latin et en suivant son déroulé à tâtons pour sentir immédiatement qu'il s'y passe quelque chose, que la beauté, même dans une église modeste, peut se déployer en un faste étranger à l'atrocité du monde, en un faste qui rejoint la pauvreté en se faisant charité et qui nous sauve déjà... par son esthétique seulement…
Rémi Lélian
Bien sûr, il y a la querelle théologique sur la validité des sacrements, et je n'ai pas la prétention de résoudre ici ce débat entre les tenants de la messe de toujours et les partisans de la messe ordinaire depuis le concile de Vatican II, chacun ayant ses arguments, et ces arguments, à quelque camp qu'ils appartiennent, quand ils ne sont pas la manifestation hystérique d'une idéologie stérile, sont souvent valables et méritent d'être entendus. Cependant, c'est par la superficie, comme Nietzsche disait des grecs qu'ils sont superficiels par profondeur, que j'aimerai à présent aborder cette grave question, puisqu'elle engage l'instant ultime, dans le monde et dans l'histoire, où le catholique s'exhausse hors le temps pour communier avec le Seigneur. Paradoxalement, si je désire me faire ici le modeste apologue de la messe en latin, c'est pour des raisons humaines et, bonnes ou mauvaise, des raisons d'abord esthétiques.
S'il est un fait du monde contemporain, c'est sa laideur et sa tristesse, qui nous obligent trop souvent à confondre la joie avec le mensonge, Dieu avec une idée de Dieu, et la vie avec le vide. Ce monde, placardé de facticité, où l'amour lui-même tourne systématiquement à la farce de la névrose, à l'intérieur duquel celui qui s'y livre entièrement ne souffre d'aucun autre secours que la main perpétuellement tendue de Celui qu'il ignore pourtant, ne peut attendre en guise de récompense que le salaire de son péché : la mort ! Et qu'importe l'argumentaire frelaté des athées en tous genres, des scientistes idolâtres ou des pécheurs malgré eux ravagés constamment par une faute, dont ils ont perdu le sens même, et qui les tue d'autant plus qu'ils ne croient pas à son existence, c'est avant tout par le beau que l'on combat la laideur, de la même manière que Dieu contrecarre la synergie implacable de la Chute par sa Grâce.
Le mystère de la messe en latin, c'est la beauté de son rite, le chant grégorien, et la langue de la Rome ancienne surmontée selon la puissance de l'Incarnation. En extension, c'est aussi la civilisation catholique occidentale qui, comme chaque chose qui naît un jour sur cette terre, si elle est amenée à disparaître, n'en finira néanmoins pas de dispenser aux générations à venir ces toiles du Titien ou ce magnificat de Monteverdi qui, l'espace d'un instant, ont condamné la barbarie à se taire et, le temps de quelques mesures, continuent dès qu'on les écoute de murmurer à nos tympans assourdis et soudain ressuscités : « Non ! L'ignoble n'est pas l'ordre du monde », « non ! la peine et le mensonge ne sont pas les seuls lots que nous soyons dignes de mériter ».
Le rite latin, c'est cela : un rite, donc une esthétique, donc un rempart derrière lequel chacun peut se réfugier, non pour s'isoler mais pour y être consolé ; non afin de s'améliorer seulement mais parce que la Parole, à laquelle il sert d'écrin, nous accueille tel qu'en nous-mêmes et que, malgré les blessures, Elle nous sait digne de son amour. Elle chante pour nous le prouver, elle sacralise le moindre de ses gestes pour nous en convaincre et nous dire « tes plaies filtrent la lumière », « ton être détruit ne sera pas réparé mais transformé », plus simplement, que Dieu nous aime et qu'il nous offre le recueillement dans la lumière en avant-goût du salut. Il faut avoir assisté une fois dans sa vie, une pauvre fois simplement, à une messe extraordinaire, sans idée préconçue dans un sens ou dans l'autre, sans comprendre le latin et en suivant son déroulé à tâtons pour sentir immédiatement qu'il s'y passe quelque chose, que la beauté, même dans une église modeste, peut se déployer en un faste étranger à l'atrocité du monde, en un faste qui rejoint la pauvreté en se faisant charité et qui nous sauve déjà... par son esthétique seulement…
Rémi Lélian