SOURCE - Romano Libero - Golias - 10 mars 2011
Faut-il croire à un tournant dans l’actuel pontificat ? Un tournant qui en corrigerait l’orientation traditionaliste jusqu’alors dominante ou du moins émergente au profit d’un nouveau recentrage que l’on ne saurait certes qualifier de progressiste mais qui nous éloignerait en tout cas d’une restauration old style digne de ce titre. Beaucoup au sein de la galaxie traditionaliste en sont aujourd’hui convaincus. Ils sont déçus par un Benoît XVI hésitant à embrasser véritablement la cause de la tradition et multipliant les initiatives en sens inverse, soit par concession, soit - ce qui serait pire du point de vue tradi - par indécision de fond (ou fluctuation de conviction). En tout cas la béatification de Jean-Paul II, l’hypothèse d’un décret d’application limitant le retour à l’ancienne liturgie, et surtout Assise III ont fait déborder le vase. La confiance est désormais ébranlée.
S’ajoute à ces trois points essentiels le soupçon quant aux véritables intentions du cardinal Antonio Canizarès, préfet de la congrégation pour le culte divin, auquel on impute le sombre dessein de contenir le plus possible la parenthèse miséricordieuse (pour reprendre une expression de l’évêque français Pierre Raffin). Mgr Canizarès appartiendrait au courant dit des « conservateurs de Paul VI » : un courant foncièrement hostile aux « abus » liturgiques et à des adaptations trop libres mais refusant aussi le retour à large échelle de la liturgie d’avant le Concile. Ce courant préconise un respect plus strict de la discipline ecclésiale telle qu’elle existe actuellement mais sans retour en arrière.
On le sait, la Curie romaine et l’épiscopat universel sont en gros divisés en trois tendances, avec bien entendu beaucoup de nuances et des vases communicants. La première de ces tendances, en net recul, est celle du courant dit progressiste qui voit dans la réforme liturgique un point de départ à poursuivre. Certains évêques américains ou français campent encore sur cette ligne. Avec jadis le soutien discret de Mgr Piero Marini, le maître des cérémonies pontificales, évincé par Benoît XVI. La deuxième, largement majoritaire, regroupe tous les évêques attachés aux changements du Concile mais refusant d’autres innovations, surtout lancées à la base. Il faut reconnaître que certains prélats de cette tendance le sont surtout...par défaut, par intérêt personnel très limité pour les questions liturgiques, notamment en Espagne ou en Italie. Enfin, une troisième tendance a gagné du terrain ces dernières années, surtout depuis l’élection de Benoit XVI. Sans remettre en cause - au moins officiellement - la nouvelle liturgie, elle souhaite un certain retour à l’ancienne et à plus long terme une « réforme de la réforme », autrement dit une modification de la liturgie d’aujourd’hui en la rapprochant de l’ancienne, de ce que l’on appelle quelquefois la tradition. Relèvent de cette tendance les cardinaux Raymond L. Burke (USA, Curie) et Malcolm Ranjith (Colombo).
Jean-Paul II, apôtre dans l’âme et surtout soucieux de communication, ne se souciait pas beaucoup de la liturgie et faisait confiance à Mgr Marini. D’aucuns le situaient au croisement de la première et de la deuxième tendance. Par contre, Benoît XVI est très préoccupé de redonner toute sa sacralité au culte. On le classait volontiers comme l’un des tenants modérés de la troisième tendance. Et le motu proprio de 2007 légitimant largement le recours à la forme extraordinaire de la célébration de la messe (St Pie V) confirmait cette orientation de fond. Même si c’est avec une grande prudence que le nouveau Pape s’engageait en ce sens. En raison de l’opposition de très nombreux évêques, y compris modérés ou conservateurs par ailleurs (comme le français Vingt-Trois ou l’espagnol Rouco Varela). Et d’une fronde latente à la Curie menée, dit-on, par le cardinal Giovanni Battista Re et Mgr Fernando Filoni, Substitut (sorte de ministre de l’intérieur). A cela s’ajoute l’extrême réserve de prélats ratzingériens mais pas sur cette question comme le cardinal William Levada, le préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi.
Semble certaines rumeurs récentes, le Pape aurait finalement consenti à une sorte de repli stratégique sur la position de fond de la deuxième, même si c’est sous la forme la plus traditionnelle possible. L’indice le plus concluant serait son renoncement à l’idée de célébrer publiquement la messe selon la forme extraordinaire. Et le cardinal Canizarès, jusqu’alors discret sur ses propres convictions, ferait tout à présent pour une clarification du Vatican au sujet de l’ancienne liturgie dans le sens de la restriction : au fond, il s’agirait d’un retour à la situation d’avant 2007. La forme extraordinaire serait tout juste tolérée mais l’idéal serait l’application stricte de la liturgie officiellement en vigueur, telle que codifiée dans les livres, et expurgée de certaines adaptations, et plus encore des improvisations jugées inacceptables. Au fond il s’agit d’une position « conservatrice » mais refusant le retour à St Pie V et même l’idée d’une nouvelle réforme de la réforme, dans un sens plus traditionnel cette fois. Position défendue par exemple à Bologne pendant de longues années par un Ratzingérien de fer le cardinal Giacomo Biffi.
Canizarès souhaiterait en quelque sorte remettre de l’ordre en liturgie. En sanctionnant les déviances de gauche mais en limitant aussi le plus possible les concessions en tradi. Son allié dans ce combat serait un prélat maltais de la Secrétairerie d’Etat, Mgr Charles Scicluna. Le même Scicluna qui jouit de toute la confiance de Benoît XVI pour son refus de tout compromis dans le dossier très explosif des moeurs du fondateur des Légionnaires du Christ, le Père Maciel. Scicluna deviendrait le nouveau secrétaire de la congrégation pour le culte divin en remplacement de l’archevêque américain Joseph Augustine Di Noia, un dominicain, qui deviendrait le nouveau Pénitencier Apostolique en attendant d’être créé cardinal lors du prochain consistoire. Mgr Scicluna, jeune (52 ans) et intrépide se ferait l’artisan d’une sorte de serrage de vis sans précédent...mais également au détriment des tenants de l’ancienne liturgie. Ce serait « toute la réforme liturgique et rien que la réforme liturgique ». De quoi inquiéter ceux qui demeurent attachés à le messe Pie ! Un repli au demeurant de Benoît XVI par rapport à tout ce qu’il écrit sur la question depuis plus d’un quart de siècle. Canizarès et Scicluna seraient décidés à imposer de toute manière aux prêtres et communautés qui restent attachés à l’ancienne liturgie de célébrer également la nouvelle. En commençant par concélébrer avec l’évêque du lieu.
Un indice vient d’être donné de la forte plausibilité d’un tel revirement - qui n’exclut pas un virage en sens inverse par la suite du même Benoît XVI - par le refus du cardinal de Madrid, le cardinal Antonio Maria Rouco Varela, d’accorder une messe en forme extraordinaire était prévue pour le 10 mars prochain, en l’église San Manuel y San Benito de Madrid. Cette messe n’aura finalement pas lieu alors que les organisateurs en avaient reçu l’assurance de la part du curé de la paroisse, le Père José Ignacio Alonso Martínez. En effet, l’archevêché de Madrid estimait que la messe traditionnelle ne pouvait être célébrée que dans un seul endroit, un monastère, et non pas ailleurs.
Beaucoup de traditionalistes, et bien entendu les intégristes de la Fraternité St Pie X se disent inquiet de ce tournant d’un Pontificat qui s’annonçait plus favorable. Mgr Bernard Fellay, évêque jadis sacré par Mgr Lefebvre et Supérieur de cette Fraternité part en croisade contre Assise III. Selon lui, la « vraie doctrine catholique » ne permettrtait pas une telle imposture. Selon Fellay, qui en est affligé, Benoît XVI « entend l’oecuménisme de la même manière » que Karol Wojtyla, ce qui dans sa bouche n’a rien d’un compliment. Mgr Fellay explique ce revirement par les pressions qiu’aurait subi le Pape. Selon nos sources, il s’agit plutôt d’un certain désarroi moral du Pontife (affaires de pédophilie, persécutions contre les chrétiens...) qui le fait à la fois se recentrer sur l’essentiel de l’annonce chrétienne (d’où le bémol sur la liturgie) et se rapprocher des choix de Karol Wojtyla.
Face à ces nuages qui ne sont pas encore noirs mais se rapprochent, le supérieur de l’Institut du Bon-Pasteur (IBP), l’abbé Philippe Laguérie propose sur son blog un long texte, bien dans sa manière, sur trois sujets importants : la béatification de Jean-Paul II, le décret d’application du Motu Proprio et Assise III. Plutôt que de reconnaître directement un certain revirement pontifical qui s’annonce, Laguérie, contrairement à ce qu’il avait voulu dire en qualifiant un peu rapidement Benoît XVI de « Pape traditionaliste » suggère que le Pontificat actuel n’a en fait jamais été celui du grand retour à la tradition :
Je veux bien négocier tous les tournants que vous voulez, dès lors que vous m’aurez convaincu qu’il y a bien un tournant. Ce qui supposerait que nous fussions en pleine ligne droite, n’est-ce pas ? Je conclurais plutôt qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, sauf à dire que, depuis le pontificat de Benoît XVI, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes. Allons donc, comme dit l’autre, ça se saurait.
En fait, l’abbé Laguérie nous fait une belle pirouette. Que nous nous permettons d’interpréter paradoxalement comme une reconnaissance qui n’ose se dire de la déception de plus en plus massive du camp traditionaliste. Et de son inquiétude croissante alors que se prépare Assise III.
S’ajoute à ces trois points essentiels le soupçon quant aux véritables intentions du cardinal Antonio Canizarès, préfet de la congrégation pour le culte divin, auquel on impute le sombre dessein de contenir le plus possible la parenthèse miséricordieuse (pour reprendre une expression de l’évêque français Pierre Raffin). Mgr Canizarès appartiendrait au courant dit des « conservateurs de Paul VI » : un courant foncièrement hostile aux « abus » liturgiques et à des adaptations trop libres mais refusant aussi le retour à large échelle de la liturgie d’avant le Concile. Ce courant préconise un respect plus strict de la discipline ecclésiale telle qu’elle existe actuellement mais sans retour en arrière.
On le sait, la Curie romaine et l’épiscopat universel sont en gros divisés en trois tendances, avec bien entendu beaucoup de nuances et des vases communicants. La première de ces tendances, en net recul, est celle du courant dit progressiste qui voit dans la réforme liturgique un point de départ à poursuivre. Certains évêques américains ou français campent encore sur cette ligne. Avec jadis le soutien discret de Mgr Piero Marini, le maître des cérémonies pontificales, évincé par Benoît XVI. La deuxième, largement majoritaire, regroupe tous les évêques attachés aux changements du Concile mais refusant d’autres innovations, surtout lancées à la base. Il faut reconnaître que certains prélats de cette tendance le sont surtout...par défaut, par intérêt personnel très limité pour les questions liturgiques, notamment en Espagne ou en Italie. Enfin, une troisième tendance a gagné du terrain ces dernières années, surtout depuis l’élection de Benoit XVI. Sans remettre en cause - au moins officiellement - la nouvelle liturgie, elle souhaite un certain retour à l’ancienne et à plus long terme une « réforme de la réforme », autrement dit une modification de la liturgie d’aujourd’hui en la rapprochant de l’ancienne, de ce que l’on appelle quelquefois la tradition. Relèvent de cette tendance les cardinaux Raymond L. Burke (USA, Curie) et Malcolm Ranjith (Colombo).
Jean-Paul II, apôtre dans l’âme et surtout soucieux de communication, ne se souciait pas beaucoup de la liturgie et faisait confiance à Mgr Marini. D’aucuns le situaient au croisement de la première et de la deuxième tendance. Par contre, Benoît XVI est très préoccupé de redonner toute sa sacralité au culte. On le classait volontiers comme l’un des tenants modérés de la troisième tendance. Et le motu proprio de 2007 légitimant largement le recours à la forme extraordinaire de la célébration de la messe (St Pie V) confirmait cette orientation de fond. Même si c’est avec une grande prudence que le nouveau Pape s’engageait en ce sens. En raison de l’opposition de très nombreux évêques, y compris modérés ou conservateurs par ailleurs (comme le français Vingt-Trois ou l’espagnol Rouco Varela). Et d’une fronde latente à la Curie menée, dit-on, par le cardinal Giovanni Battista Re et Mgr Fernando Filoni, Substitut (sorte de ministre de l’intérieur). A cela s’ajoute l’extrême réserve de prélats ratzingériens mais pas sur cette question comme le cardinal William Levada, le préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi.
Semble certaines rumeurs récentes, le Pape aurait finalement consenti à une sorte de repli stratégique sur la position de fond de la deuxième, même si c’est sous la forme la plus traditionnelle possible. L’indice le plus concluant serait son renoncement à l’idée de célébrer publiquement la messe selon la forme extraordinaire. Et le cardinal Canizarès, jusqu’alors discret sur ses propres convictions, ferait tout à présent pour une clarification du Vatican au sujet de l’ancienne liturgie dans le sens de la restriction : au fond, il s’agirait d’un retour à la situation d’avant 2007. La forme extraordinaire serait tout juste tolérée mais l’idéal serait l’application stricte de la liturgie officiellement en vigueur, telle que codifiée dans les livres, et expurgée de certaines adaptations, et plus encore des improvisations jugées inacceptables. Au fond il s’agit d’une position « conservatrice » mais refusant le retour à St Pie V et même l’idée d’une nouvelle réforme de la réforme, dans un sens plus traditionnel cette fois. Position défendue par exemple à Bologne pendant de longues années par un Ratzingérien de fer le cardinal Giacomo Biffi.
Canizarès souhaiterait en quelque sorte remettre de l’ordre en liturgie. En sanctionnant les déviances de gauche mais en limitant aussi le plus possible les concessions en tradi. Son allié dans ce combat serait un prélat maltais de la Secrétairerie d’Etat, Mgr Charles Scicluna. Le même Scicluna qui jouit de toute la confiance de Benoît XVI pour son refus de tout compromis dans le dossier très explosif des moeurs du fondateur des Légionnaires du Christ, le Père Maciel. Scicluna deviendrait le nouveau secrétaire de la congrégation pour le culte divin en remplacement de l’archevêque américain Joseph Augustine Di Noia, un dominicain, qui deviendrait le nouveau Pénitencier Apostolique en attendant d’être créé cardinal lors du prochain consistoire. Mgr Scicluna, jeune (52 ans) et intrépide se ferait l’artisan d’une sorte de serrage de vis sans précédent...mais également au détriment des tenants de l’ancienne liturgie. Ce serait « toute la réforme liturgique et rien que la réforme liturgique ». De quoi inquiéter ceux qui demeurent attachés à le messe Pie ! Un repli au demeurant de Benoît XVI par rapport à tout ce qu’il écrit sur la question depuis plus d’un quart de siècle. Canizarès et Scicluna seraient décidés à imposer de toute manière aux prêtres et communautés qui restent attachés à l’ancienne liturgie de célébrer également la nouvelle. En commençant par concélébrer avec l’évêque du lieu.
Un indice vient d’être donné de la forte plausibilité d’un tel revirement - qui n’exclut pas un virage en sens inverse par la suite du même Benoît XVI - par le refus du cardinal de Madrid, le cardinal Antonio Maria Rouco Varela, d’accorder une messe en forme extraordinaire était prévue pour le 10 mars prochain, en l’église San Manuel y San Benito de Madrid. Cette messe n’aura finalement pas lieu alors que les organisateurs en avaient reçu l’assurance de la part du curé de la paroisse, le Père José Ignacio Alonso Martínez. En effet, l’archevêché de Madrid estimait que la messe traditionnelle ne pouvait être célébrée que dans un seul endroit, un monastère, et non pas ailleurs.
Beaucoup de traditionalistes, et bien entendu les intégristes de la Fraternité St Pie X se disent inquiet de ce tournant d’un Pontificat qui s’annonçait plus favorable. Mgr Bernard Fellay, évêque jadis sacré par Mgr Lefebvre et Supérieur de cette Fraternité part en croisade contre Assise III. Selon lui, la « vraie doctrine catholique » ne permettrtait pas une telle imposture. Selon Fellay, qui en est affligé, Benoît XVI « entend l’oecuménisme de la même manière » que Karol Wojtyla, ce qui dans sa bouche n’a rien d’un compliment. Mgr Fellay explique ce revirement par les pressions qiu’aurait subi le Pape. Selon nos sources, il s’agit plutôt d’un certain désarroi moral du Pontife (affaires de pédophilie, persécutions contre les chrétiens...) qui le fait à la fois se recentrer sur l’essentiel de l’annonce chrétienne (d’où le bémol sur la liturgie) et se rapprocher des choix de Karol Wojtyla.
Face à ces nuages qui ne sont pas encore noirs mais se rapprochent, le supérieur de l’Institut du Bon-Pasteur (IBP), l’abbé Philippe Laguérie propose sur son blog un long texte, bien dans sa manière, sur trois sujets importants : la béatification de Jean-Paul II, le décret d’application du Motu Proprio et Assise III. Plutôt que de reconnaître directement un certain revirement pontifical qui s’annonce, Laguérie, contrairement à ce qu’il avait voulu dire en qualifiant un peu rapidement Benoît XVI de « Pape traditionaliste » suggère que le Pontificat actuel n’a en fait jamais été celui du grand retour à la tradition :
Je veux bien négocier tous les tournants que vous voulez, dès lors que vous m’aurez convaincu qu’il y a bien un tournant. Ce qui supposerait que nous fussions en pleine ligne droite, n’est-ce pas ? Je conclurais plutôt qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, sauf à dire que, depuis le pontificat de Benoît XVI, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes. Allons donc, comme dit l’autre, ça se saurait.
En fait, l’abbé Laguérie nous fait une belle pirouette. Que nous nous permettons d’interpréter paradoxalement comme une reconnaissance qui n’ose se dire de la déception de plus en plus massive du camp traditionaliste. Et de son inquiétude croissante alors que se prépare Assise III.