8 février 2009





La vérité et mes vieux démons... métaphysiques
8 février 2009 - abbé Guillaume de Tanoüarn - ab2t
Antoine, dans le poste consacré à la prochaine livraison du Spiegel, me demande de vous parler de la vérité. Il rejoint sans le vouloir les vieux démons de l'analogie qui sommeillent en moi.

Analogie ? Qu'est-ce à dire ?

Le mot se trouve chez Aristote, qui, au Livre XII de sa Métaphysique (chapitre 5) définit l'analogie en cinq mots : "Autre dans les choses autres". Cette formule vaut particulièrement pour ce que les logiciens médiévaux appellent les Transcendantaux : l'être, l'un, le vrai, le bien.
Exemple d'application : la bonté. On emploie le même mot remarquait déjà Platon, misogyne à ses heures comme chacun sait, pour parler d'une belle femme et d'une belle casserole (voir Hippias majeur). On dit aussi bien : une bonne casserole, une bonne femme, un bon homme, le bon Dieu. C'est le même mot, "autre dans les choses autres". Il est impossible de donner une définition une du bien. Contre Platon, il n'y a pas d'idée du Bien. Ou bien encore : le bien (divin) est toujours un autre.

Cela vaut aussi pour l'être (il n'y a pas d'idée de l'être) pour l'un ou pour le vrai.

Mais dans le cas du vrai (celui que vous me mettez sous les yeux, Antoine), les choses se compliquent encore.

On peut en effet dire que telle ou telle chose est vrai, mais, explique mon cher Cajétan, dans ce cas, on n'emploie pas le mot 'vrai' au sens propre. La relation de vérité se termine toujours dans un esprit (cf. aussi, saint Thomas De Veritate, Q1 a2). Au sens propre, c'est l'esprit qui est vrai, lorsqu'il entre en relation avec tel ou tel objet.

On voit dès lors se dessiner le paradoxe : au sens propre, seuls les esprits sont vrais. Je ne connais que des esprits humains, et je peux mesurer chez les autres ce que je constate chez moi, avec quelle fragilité notre esprit s'attache à ce qui est. La relation de vérité est fragile : essentiellement subjective, elle suppose toujours d'abord l'expérience sensible, ensuite l'abstraction, la formalisation, le jugement, le raisonnement, autant d'opérations qui sont de nature à masquer au moins autant qu'à montrer la vérité. Chacune est en même temps l'instrument de la vérité et l'occasion de l'erreur.

Ces approximations successives supposent néanmoins quelque chose dont on s'approche, une vérité absolue, semblmance de toutes les ressemblances, qui ne soit pas un objet (puisque l'objet en lui-même n'est ni vrai ni faux comme nous venons de le dire), qui soit donc un sujet, le Sujet absolu : une vérité qui dit Je et qui soit totalement une autre par rapport à tous les esprits vrais que je peux croiser et qui sont tous dans l'effort d'approximation que je viens de décrire.

Cette vérité qui dit Je et qui se présente comme vraie absolument ("Je suis la vérité"), historiquement c'est le Verbe fait chair, à la fois semblable à nous et absolument un Autre, à la fois créature et Créateur, connaissant "les choses cachées depuis la fondation du monde", esprit vrai par antonomase, puisqu'il connaît cette vérité - qui est autre par rapport à toutes les approximations humaines et qui, en même temps contient le destin de l'humanité.

Cette vérité absolue, qui nous offre la clef de notre destinée, en proférant la parole qui nous fait échapper à la vanité essentielle de notre nature d'animaux pas très raisonnables, cette vérité qui est le Christ périme toutes les autres. Elle n'interdit rien cependant. A sa lumière, la recherche humaine visant toutes les vérités partielles, reste indéfiniment libre. Mais par rapport à ces vérités partielles, parce qu'elle est posée dans une Altérité irréductible à un concept humain (ce que l'on appelle la vie éternelle), cette vérité qui dit Je est toujours nouvelle.

Lorsque, comme prêtre ou comme évêque, on se met au service de cette vérité de manière irrévocable, comment peut-on comparer ce service, merveilleusement transcendant, toujours nouveau, avec une recherche humaine quelle qu'elle soit ?

Approximations que les vérités humaines, toujours défaillantes étant donné les esprits qui les portent.

Servir Dieu, c'est avant tout comprendre que sa vérité ne fait nombre avec aucune autre, qu'elle ne peut se comparer à aucune autre. C'est comprendre également que cette vérité qui dit Je n'est pas réductible à la représentation que nous pourrions nous en faire.

Pour cette raison, on peut dire que la Vérité divine, toujours une Autre, ne s'oppose pas aux vérités partielles et autres approximations que sont les représentations scientifiques humaines. Elle est d'un autre ordre. Ainsi la science, en régime chrétien, même à l'époque de Galilée, a toujours été parfaitement laïque.

Dans cette perspective, il n'est pas permis de dire : en cherchant la vérité botanique, archéologique, historique etc. c'est directement le Dieu vrai que je cherche. Non ! Pas immédiatement Lui (sur ce point je ne serais pas tout à fait en accord avec certains accents du discours des Bernardins, malgré la beauté et l'audace de ce discours).

Mgr W., qui s'est établi pour longtemps précise-t-il, dans la recherche de la vérité concernant les chambres à gaz n'a pas le droit de dire que, vérité pour vérité, il est dans son office. La vérité divine périme toutes les autres. Qui veut la servir comme prêtre ou comme évêque est tenu de la préférer à toute autre. Ou alors il abandonne ce service. Lorsqu'une recherche humaine met en danger le service divin, il n'y a pas à balancer, il faut choisir. Mgr W. ne veut pas choisir ? Il est en train de choisir sa recherche plutôt que son ministère.

Dans le spectre de l'analogie, il me semble que l'on peut aller jusque là. S'adressant au Spiegel, Mgr Williamson le fait avec préméditation. Il cherche le scandale le plus grand. Il me semble donc qu'il a passé les bornes de l'admissible pour un évêque. Se prévaloir d'une comparaison en acte entre sa "vérité recherchée" et la vérité divine, pour se croire autorisé à ce scandale, cela signifie concrètement avoir troqué l'une pour l'autre.

Mais si l'on se détourne de ce spectacle navrant, pour contempler le spectre étincelant de l'analogie, on doit constater la puissance de ce modèle logique et métaphysique, qui est capable de nous dire, en toute rigueur intellectuelle, deux choses apparemment antithétiques :
1- la recherche de la vérité, dans l'ordre humain, est absolument laïque, puisque chaque réalité se donne à l'esprit qui la pense par le truchement de l'abstraction, de la formalisation, du jugement, du raisonnement, sans qu'interfère aucune forme d'absorption dans une vérité majusculaire, qui serait cannibale. ("la vérité est autre dans les choses autres").
2- L'irruption de la vérité divine dans le langage humain par le truchement de la Révélation périme toutes les vérités approximatives issues de la recherche humaine et les équipare en quelque sorte à des non-vérités. (Parce qu'elle se tient dans le champ de l'Autre, la vérité qui dit Je est proprement in-comparable).

Cette défense simultanée de l'immanence (position 1) et de la transcendance (position 2) a pour beaucoup quelque chose que Cajétan lui-même appelait ironiquement "un blasphème".
Mais en réalité, le blasphème consiste à refuser le champ de l'Autre et à mettre sur le même plan toutes les vérités divines et humaines, au risque de confondre les genres en un cocktail dégueulatoire, que l'on se paiera le luxe d'appeler : le vrai.

Je m'excuse auprès de mes lecteurs de cette fantaisie métaphysique inaboutie...