6 février 2009





Lettre de Mgr Kurt Koch aux croyants à propos de la situation difficile dans l’Eglise aujourd’hui
06.02.2009 - sbk-ces-cvs.ch
Lettre de Mgr Kurt Koch aux croyants à propos de la situation difficile dans l’Eglise aujourd’hui Lettre aux croyants à propos de la situation difficile dans l’Eglise aujourd’hui

Monseigneur Kurt Koch, Evêque

Chers Frères et Soeurs,

Ces derniers jours et ces dernières semaines, vous avez certainement vécu la même chose que moi : après communication de la levée de l’excommunication des quatre évêques de la fraternité Saint Pie X par le pape Benoît XVI le 24 janvier, nous avons été inondés d’un flot d’informations, annonces et contre-annonces, commentaires et prises de position, non seulement sur la levée de l’excommunication en elle-même, mais aussi et surtout sur l’effarante négation de l’Holocauste par l’évêque Williamson ; il n’était donc pas facile de s’y retrouver. Dans les jours qui se sont écoulés, la critique publique s’est de plus en plus concentrée sur la personne de notre pape. Même quelques théologiens ont adressé des reproches massifs au pape, laissant pour le moins entendre que cet acte était typique pour lui. L’intégrité du pape Benoît, la papauté et notre Eglise dans son ensemble ont subi un grave dommage qui vous a affectés, vous aussi, dans votre quotidien. Je tiens donc à vous dire personnellement que je souffre comme vous de cette situation et à vous faire savoir quel est mon point de vue aujourd’hui sur la situation. Je veux essayer simplement de replacer ce qui s’est passé dans un contexte plus large pour le comprendre.

1 . La levée de l’excommunication ne modifie en rien le statut juridique de la fraternité sacerdotale Saint Pie X

Le 27 janvier, je me suis très clairement distancé dans un communiqué, en tant que Président de la Conférence des Evêques suisses, des assertions stupides et offensantes de l’évêque William-son ; j’en ai demandé pardon à nos concitoyennes et concitoyens juifs et j’ai expliqué sans ambi-guïté aucune que la levée de l’excommunication ne signifiait nullement une réhabilitation ou une réconciliation avec les quatre évêques, mais ouvrait seulement une porte pour essayer de régler les questions ouvertes et litigieuses.

Malgré cela, différents médias ont continué à parler d’admission dans la communauté ecclésiale, de grâce et de réhabilitation. D’après le droit canon de l’Eglise catholique, la levée de l’excommunication n’implique encore rien de cela. Laissez-moi vous l’illustrer par un exemple historique : lorsque, le 7 décembre 1965, le Pape Paul VI a levé l’excommunication de 1054 à l’égard de l’Eglise orthodoxe de Constantinople, tandis que le Patriarche Athénagoras faisait de même de son côté à l’égard de l’Eglise catholique, la pleine communion n’en était nullement atteinte pour autant. Mais cette démarche a permis de mener pendant plus de quarante ans un intense dialogue oecuménique qui laisse entrevoir maintenant cette communion.

La levée de l’excommunication des quatre évêques ne signifie rien d’autre. Qu’y a-t-il eu avant cela ? Lorsque le cardinal Ratzinger a été élu pape, les évêques de la fraternité Saint Pie X lui ont demandé de pouvoir renouer le dialogue avec Rome ; ils ont posé comme conditions que le Pape autorise à plus large échelle le rite de la messe dans la forme de 1962 et qu’il lève l’excommunication prononcée en 1988. Le Pape Benoît XVI a maintenant rempli ces deux exi-gences. Il faut reconnaître qu’il est allé très loin. Mais je pense qu’il a pris pour exemple le père miséricordieux de la Parabole du Fils perdu. On sait bien que le père n’a pas commencé par poser des conditions, mais qu’il est allé à la rencontre de son fils perdu lorsque celui-ci a donné des signes qu’il voulait revenir. Le pape a agi de même en écartant l’immense obstacle de l’excommunication pour pouvoir entrer sur la voie du dialogue, comme l’a souligné le Vatican dans son explication du 4 février : « La levée de l’excommunication a libéré les quatre évêques 2 d’une lourde peine canonique, mais n’a pas changé le statut juridique de la fraternité sacerdotale Saint Pie X qui ne jouit pour le moment d’aucune reconnaissance canonique dans l’Eglise catho-lique. Les quatre évêques n’ont pas non plus, même si leur excommunication est levée, de fonc-tion canonique dans l’Eglise et n’y exercent aucun ministère reconnu. » La levée de l’excommunication n’est donc qu’un tout premier pas sur le chemin de la réconciliation, qui sera peut-être encore long.

2. Le Concile Vatican II n’est pas en jeu

Lors de l’audience générale du 28 janvier, déjà, le Pape Benoît XVI a exigé des évêques « une vraie fidélité et une vraie reconnaissance de l’enseignement et de l’autorité du Pape et du Concile Vatican II ». Et, dans sa prise de position du 4 février, le Vatican a souligné à nouveau que: « la reconnaissance complète par la fraternité sacerdotale Saint Pie X du Concile Vatican II et de l’enseignement des papes Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul Ier, Jean-Paul II et Benoît XVI était une condition sine qua non de leur reconnaissance future ».

Qui connaît le pape Benoît, sa pensée théologique et les annonces qu’il a faites jusqu’à présent en tant que pape, ne sera pas étonné de la conséquence de son attitude. Il est en effet absolument indubitable qu’il ne remet pas en question ou en jeu le Concile Vatican II, qui lui sert, à lui aussi, de point de référence. Lorsqu’il était cardinal, il a déjà été chargé de négocier avec l’Archevêque Mgr Lefebvre et a déjà exigé alors que celui-ci reconnaisse le Concile Vatican II. En tant que pape également, il a donné des signes clairs dans ce sens. Ceux-ci ont cependant souvent été interprétés à l’inverse dans l’opinion publique.

Avec sa Lettre apostolique „Summorum pontificum" de l’année 2007, il a autorisé la célébration de la Sainte Messe sous la forme de 1962 et a rempli ainsi la première exigence des évêques de la fraternité. Il leur a, du même coup, enlevé l’argument principal qu’avançait déjà Mgr Lefebvre, à savoir que la réforme de la messe après le Concile a donné naissance à une nouvelle Eglise avec une nouvelle messe. Le Pape a réfuté catégoriquement cet argument en proclamant qu’il n’y avait pas deux rites dans l’Eglise catholique, mais deux formes d’un même rite et que les prêtres qui célèbrent sous la forme du rite de 1962 ne peuvent « bien sûr pas exclure la célébration selon les nouveaux livres liturgiques »1 et que, par conséquent, l’autorisation des deux formes ne remet nullement en question l’autorité du Concile Vatican II2.

Lors de sa première allocution de Noël aux membres de la Curie romaine, qui présentait son programme, le 22 décembre 2005, le pape a déjà établi une distinction fondamentale entre deux lectures différentes du Concile. Il a qualifié l’une d’entre elles d’interprétation dans le sens de la discontinuité et de la fracture, selon laquelle on va sciemment plus loin que les textes du Concile pour prolonger dans l’avenir ce qu’on a appelé l’ « esprit du Concile ». Il a appelé la deuxième une interprétation au sens de la réforme, du renouvellement de l’Eglise dans la tradition. Pour le pape Benoît, il est bien évident que le Concile Vatican II ne représente pas une fracture dans l’histoire de l’Eglise, qu’il s’agit bien plus d’un renouvellement de l’Eglise dans la continuité avec la tradition. Cette association sans ambiguïté entre fidélité et dynamisme dans l’interprétation du Concile constituait un message clair au courant progressiste mais aussi au courant traditionnaliste, lesquels ne sont, dans leur considération du Concile comme une fracture, pas aussi éloignés l’un de l’autre qu’il n’y paraît à première vue.

Finalement, la date de la levée de l’excommunication constitue à mes yeux le signe que la recon-naissance du Concile est une condition indispensable à l’accueil dans la communauté ecclésiale.

C’était le dernier jour de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens et celui qui précédait le 50e anniversaire de l’annonce du Concile Vatican II ; cela signifie pour moi que la levée de cette excommunication ouvrait une voie vers l’unité, mais que la fraternité Saint Pie X ne pourrait l’emprunter qu’avec le Concile Vatican II.

La reconnaissance de ce Concile par les évêques de la fraternité Saint Pie X porte surtout sur les enseignements qu’ils rejettent et que le Pape Benoît XVI défend avec conviction : l’affirmation de la liberté religieuse, que le théologien Joseph Ratzinger déjà qualifiait de « fin du Moyen-Age, ou fin de l’ère constantinienne dans l’Eglise de Pierre »3, l’option oecuménique de l’Eglise catho-lique que le Pape a qualifiée de voeu tout particulier de son pontificat ; et, surtout, la vision du judaïsme inscrite dans l’histoire du salut, exprimée dans la déclaration conciliaire sur les reli-gions non-chrétiennes, vision que le Pape a saluée dans différentes rencontres avec les autorités juives comme « une pierre miliaire sur la voie vers la réconciliation des chrétiens avec le peuple juif »4.

3. L’antisémitisme n’a pas sa place dans l’Eglise

Je suis donc profondément triste que l’opinion publique ait pu avoir l’impression que le pape ne prenait pas suffisamment de distance face aux propos antisémites venus des rangs de la fraternité Saint Pie X ou que la négation de l’Holocauste avait une place légitime dans l’Eglise catholique. Cette malheureuse impression est contredite par les nombreux propos positifs du pape sur le judaïsme – il avait déjà justifié sur le plan théologique5 la sympathie du pape Jean-Paul II à l’égard de nos frères et soeurs juifs –, ainsi que par les nombreux signes qu’il a donnés d’une estime particulière pour les Juifs : il a écrit sa première lettre en tant que pape au rabbin de Rome ; il a rencontré les Juifs dans la synagogue de Cologne, si chargée d’histoire et, l’automne dernier, il a convié pour la première fois un rabbin à parler devant le synode des évêques. Le pape ne pourrait signifier plus clairement son amitié pour les juifs.

Lors de l’audience générale du 28 janvier, le pape Benoît a pris clairement ses distances de toute négation ou minimisation de l’horreur de l’Holocauste et, le 4 février, le Vatican a déclaré sans ambiguïté que « les positions de Mgr Williamson sur la Shoah sont absolument inacceptables et elles sont fermement refusées par le Saint-Père… Pour être admis à des fonctions épiscopales dans l’Eglise, Mgr Williamson devra aussi prendre ses distances de façon absolument sans équi-voque et publiquement par rapport à ses positions sur la Shoah, qui n’étaient pas connues du Saint-Père au moment de la levée de l’excommunication. »

Certains théologiens ont pensé devoir dire, ces derniers jours, que les rapports du pape aux autres religions et au judaïsme étaient crispés et confus sur le plan théologique ; ce sont des questions qui peuvent faire l’objet d’une discussion scientifique. Mais lorsqu’elles sont avancées comme arguments, elles laissent entendre – qu’on le veuille ou non – que le pape n’assume pas ses propos ni les signes qu’il donne. Une telle insinuation est aussi catastrophique dans la situation actuelle que la coïncidence de la levée de l’excommunication avec la publication des propos indéfendables de Williamson. J’estime blessant que des journalistes rappellent sans cesse la participation du jeune Ratzinger aux jeunesses hitlériennes. Ceux qui ont lu les souvenirs du pape Benoît savent qu’il a grandi dans une famille qui avait percé à jour dès le début l’idéologie na-zie : « Mon père souffrait de devoir servir un Etat dont ils considéraient les dirigeants comme des criminels ». Son père a vu donc avec une lucidité sans faille « qu’une victoire d’Hitler ne serait pas une victoire de l’Allemagne, mais une victoire de l’Antéchrist qui engendrerait des temps apocalyptiques pour tous les croyants et pas seulement pour eux. »6 Le pape Benoît n’a jamais4 caché non plus qu’il doit sa vocation sacerdotale à son opposition au nihilisme national-socialiste. Je me demande pourquoi c’est précisément un tel homme et un tel catholique qui doit subir des insinuations d’antisémitisme.

Le pape Benoît a montré très clairement, durant ses bientôt quatre ans de pontificat, que l’antisémitisme n’était strictement pas compatible avec la foi chrétienne. Il ne faut pas oublier non plus que cette attitude positive à l’égard du judaïsme avait déjà été préparée par le pontificat de Pie XI qui a condamné l’antisémitisme comme étant un « mouvement rebutant auquel nous ne devons absolument pas adhérer, nous chrétiens » et qui, lorsqu’Hitler est venu à Rome en 1938, a quitté la ville et s’est retiré à Castelgandolfo, prétextant qu’il était « très triste » que, dans la ville des martyrs et des papes et précisément le jour de la fête de la Sainte Croix, « on voit le signe d’une croix » qui ne soit « pas la croix de Jésus-Christ ». Rappelons aussi le pontificat du pape Pie XII qui était convaincu que la haine du national-socialisme à l’égard des Juifs n’avait rien de chrétien et a confessé que, selon l’esprit, nous les chrétiens étions tous des Sémites. Vu sous cet angle, certains évêques et autres représentants de la fraternité Saint Pie X ne prennent même pas au sérieux leur propre principe selon lequel ils sont fidèles à l’enseignement de l’Eglise catholi-que jusqu’au Concile Vatican II.

4. Le prix à payer pour l’unité n’est-il pas trop lourd ?

Reste la question que vous vous posez peut-être aussi : n’aurait-il pas été mieux que le pape excommunie à nouveau immédiatement l’évêque Williamson ? Cela ne nous aurait-il pas épar-gné bien des ennuis ? Je n’ai pas plus d’informations que vous à ce propos, chers Frères et Soeurs. Je ne peux que formuler des suppositions. Je suppose que le Pape est persuadé qu’alors l’acte de la levée de l’excommunication aurait pris a posteriori une importance qu’il ne lui a pas donnée et que le droit canon catholique ne lui accorde pas et qu’il aurait alors pris ses responsabi-lités trop à la légère. Après les nombreuses autres stupidités que se sont permises certains évê-ques et autres représentants de la Fraternité Saint Pie X même après la levée de l’excommunication – que le pape leur en était redevable encore avant sa mort, que la fraternité représentait la véritable Eglise catholique et qu’elle allait convertir le pape – qui ne peuvent être interprétées que comme des gifles à son égard, le pape aurait eu toutes les raisons du monde de prendre de nouveau ses distances par rapport à cette communauté.

Mais le problème en aurait-il été vraiment résolu pour autant? Malgré toute la tragédie qui en a découlé et le grand tort causé à notre Eglise, je suppose que le pape pourrait avoir agi sur la base des réflexions suivantes : premièrement, parce que la psychologie nous enseigne que le fonda-mentalisme est un phénomène profondément réactif qui se sent confirmé par le rejet ; de nombreuses tendances fondamentalistes de la fraternité Saint Pie X s’en seraient alors trouvées renforcées. Elles sont maintenant devenues publiques et le pape a obligé l’évêque Williamson à renier publiquement la stupidité la plus grande ; cela a au moins l’avantage que maintenant la fraternité doit dire très clairement si elle reconnaît le Concile Vatican II et est prête à reconnaître publiquement que l’antisémitisme est un péché grave.

Le chemin risque d’être ardu – si la fraternité ne l’a pas déjà bouché elle-même. On peut avoir une idée de sa longueur dans le fait que la fraternité Saint Pie X a encore pris longuement position sur internet en octobre 2008 sur le Concile Vatican II, sommant Rome « d’en désamorcer et éliminer complètement les bombes à retardement dévastatrices. Tout vrai chrétien a le devoir d’y travailler et de prier pour cela. L’esprit calamiteux du Concile doit être combattu jusqu’à sa défaite, la fissure par laquelle la fumée satanique est entrée dans l’Eglise doit être bouchée immédiatement. Dans l’intervalle, il faut continuer à porter héroïquement la croix de l’exclusion. »

A cela s’ajoute une deuxième réflexion. Je suppose que le Pape, en levant l’excommunication, n’a pas pensé seulement aux quatre évêques, mais aussi aux 600'000 fidèles et aux 400 prêtres 5

qui se déclarent membres de la fraternité et qu’il s’est senti la responsabilité du Bon Pasteur de retrouver la brebis perdue. Le Pape Benoît s’est certainement laissé guider par la conviction qu’il a exprimée ainsi dans sa lettre d’accompagnement au Motu proprio : « En regardant le passé, les divisions qui ont lacéré le corps du Christ au cours des siècles, on a continuellement l’impression qu’aux moments critiques où la division commençait à naître, les responsables de l’Eglise n’ont pas fait suffisamment pour conserver ou conquérir la réconciliation et l’unité; on a l’impression que les omissions dans l’Eglise ont eu leur part de culpabilité dans le fait que ces divisions aient réussi à se consolider. Ce regard vers le passé nous impose aujourd’hui une obligation: faire tous les efforts afin que tous ceux qui désirent réellement l’unité aient la possibilité de rester dans cette unité ou de la retrouver à nouveau. »

Je suppose aussi que les motifs d’appartenance à la fraternité Saint Pie X sont très divers, étant donné le grand nombre de personnes qui en font partie, et que la levée de l’excommunication – comme déjà sa promulgation en 1988 – va diviser les esprits à l’intérieur de la fraternité, de telle sorte que les uns pourront trouver leur chemin vers l’Eglise et que les autres camperont encore plus fermement sur des positions somme toute non catholiques.

Il reste malgré tout la question de savoir si le prix à payer pour essayer d’atteindre l’unité n’est pas trop lourd. Je comprends tous ceux qui pensent ainsi. Dans la situation actuelle, il est difficile de voir ce qui est positif. Mais je suis persuadé que l’histoire donnera raison au pape Benoît d’avoir tout tenté pour surmonter la division intervenue après le Concile Vatican II (comme, d’ailleurs, après différents conciles). Seul Dieu décidera de la réussite de cette tentative ; mais j’espère – contre toute attente – que ce sera un succès.

On a aussi exprimé l’espoir, dans différentes prises de position, que la main de la réconciliation se tendrait également dans une autre direction, notamment dans celle de certains théologiens de la libération. Il est vrai que l’excommunication et la condamnation du message ne sont pas sur le même plan, mais il se pourrait que le temps soit mûr pour cela aussi. Si j’analyse correctement toute la problématique, de nombreuses critiques adressées à certains théologiens de la libération portent sur une acceptation inconditionnelle du marxisme et sur le rapprochement hâtif de la pensée socialiste et du message biblique du Royaume de Dieu. On peut bien comprendre que le pape Jean-Paul II, qui a fait lui-même la dure expérience du socialisme d’Etat, et le cardinal Ratzinger, qui a dû grandir dans une autre dictature, aient eu une sensibilité particulière à ce propos. Mais, après le tournant de 1989 qui a révélé la totale inhumanité du système communiste et a permis aux théologiens de la libération de voir beaucoup de nouvelles choses, le temps pourrait être mûr pour une nouvelle entente. Il me semble que la participation du pape Benoît à l’ouverture de la cinquième assemblée générale de l’épiscopat d’Amérique latine et des Caraïbes à Aparecida en mai 2007 a constitué un bon début sur lequel il sera possible de continuer à cons-truire.

5. Dialogue et prière doivent continuer

Cher Frères et Soeurs, telles sont les pensées que j’ai couchées sur le papier après mûre réflexion et que je vous livre. Je dois cependant dire aussi que je ne possède pas plus d’informations que vous sur les tenants et aboutissants de cette affaire. Cela m’amène à soulever un problème que le Vatican doit résoudre de manière urgente et efficace, à savoir le manque de coordination appa-rent entre les différentes personnes qui assument des responsabilités au Vatican. Car il est diffici-lement compréhensible que personne au Vatican n’ait eu connaissance des propos insoutenables de la fraternité Saint Pie X. A cela s’ajoute une politique d’informations très restrictive. J’ai entendu parler d’une possible levée de l’excommunication trois jours avant, à Paris, où les prési-dents des conférences épiscopales d’Allemagne, de France et de Suisse tenaient leur réunion annuelle, sans que personne ne sache cependant rien de précis. Nous, les présidents des trois conférences épiscopales directement concernées par la levée de l’excommunication, n’avions pas 6

reçu d’informations préalables, mais avons dû attendre jusqu’à midi, le jour de l’annonce, pour en savoir plus. Et seul a été communiqué le décret du Préfet de la Congrégation pour les évêques (sans plus d’explications), ainsi qu’un communiqué disant que les propos de l’évêque William-son étaient « totalement inacceptables ». Un seul décret pour la véritable bombe que soulèvera dans l’opinion publique la levée de l’excommunication (même sans tenir compte des propos inacceptables de l’évêque Williamson) : une telle politique d’information doit impérativement être revue pour le bien de l’Eglise et le salut des âmes ; et il ne doit plus jamais y avoir une catastrophe médiatique aussi grave que celle que nous vivons maintenant !

Voilà la raison pour laquelle je n’ai pas pu réagir plus tôt de manière plus complète. Je devais d’abord me forger moi-même une opinion sur toute la problématique. Je vous livre maintenant le résultat de mes réflexions, parce qu’il en va de ma responsabilité d’évêque de ne pas vous laisser seuls dans cette situation difficile et de vous aider dans la mesure de mes moyens. Je ne prétends pas voir et évaluer toute chose de manière exacte. J’essaie simplement de présenter les réalités et les contextes qui ont été occultés ou tronqués dans la discussion publique. Si vous évaluez la situation différemment, je vous serais reconnaissant de considérer mes réflexions comme une autre manière de voir les choses.

J’avoue volontiers que j’ai écrit cela en accordant d’office ma confiance au pape. Car sans com-préhension préalable, nul ne va pouvoir évaluer. Un catholique se doit de regarder les choses d’abord dans un esprit positif. Je le fais cependant aussi parce que je suis persuadé que l’on peut lutter de manière crédible contre une injustice commise, comme la négation de l’Holocauste, seulement en ne commettant pas ou en n’acceptant pas soi-même de nouvelle injustice, ce qui a été le cas ces derniers jours à l’égard du pape Benoît. Car de nombreuses choses qui ont été dites dans les médias ces jours passés sur le pape Benoît relèvent de la pure méchanceté. Je suis éga-lement persuadé que les quarante ans qui se sont écoulés depuis le Concile en disent infiniment plus sur notre Eglise et sur notre pape que la question controversée du nombre de fois et de la manière dont le pape doit s’excuser.

Ma lettre est devenue bien longue et j’implore votre compréhension. Mais elle laisse entrevoir ainsi combien les questions soulevées sont complexes et que nous ne devons pas nous contenter de gros-titres accrocheurs. C’est probablement aussi un signe du temps que le désir du pape Benoît de combler une division particulièrement lourde pour le pasteur qu’il est ait soulevé autant de doute et de désaccord ; nous devons le comprendre comme : « Hominum confusione, sed Dei providentia » et rester dans l’espérance que Dieu pourra écrire une nouvelle fois de nouveau droit sur des lignes tordues.

J’aimerais remercier toutes celles et ceux qui, dans ces jours difficiles et malgré leurs doutes et leur désarroi, sont restés fidèles à l’Eglise et au pape Benoît et l’ont porté dans leurs prières. Mais j’aimerais aussi inviter à remettre cette situation difficile de notre Eglise dans les mains de Dieu et lui demander de nous montrer les chemins de l’avenir.

Avec mes salutations cordiales et mes voeux.

+ Kurt Koch

Evêque de Bâle
Soleure, 6 février 2009

1 Lettre du Pape Benoît XVI aux évêques qui accompagne la Lettre apostolique « motu proprio data » ‘Summorum Pontificum’ sur l’usage de la liturgie romaine antérieure à la réforme de 1970
2 Ch. Geffroy, Benoît XVI et la ‚paix liturgique’ (Paris 2008) présente amplement le chemin parcouru du Concile Vatican II au motuproprio ‚Summorum pontificum’ de 2007. 3
3 J. Ratzinger, Ergebnisse und Probleme der dritten Konzilsperiode (Köln 1965) 31-32; Problemi e risultati del Concilio Vaticano II, Brescia 1966.
4 Benoît XVI, Discours aux Grands Rabbins d’Israël le 15 septembre 2005.
5 J. Cardinal Ratzinger, L’unique alliance de Dieu et le pluralisme des religions, Saint-Maur 1999.
6 J. Cardinal Ratzinger, Ma vie. Souvenirs (1927-1977), Paris 1998.