SOURCE - Delphine de Mallevoüe - Le Figaro - 9 novembre 2012
Un prêtre se bat pour empêcher qu'elles ne soient fondues et saisit la justice.
Un prêtre se bat pour empêcher qu'elles ne soient fondues et saisit la justice.
Réduites au silence après deux siècles de tintants et loyaux
services, les quatre cloches de Notre-Dame de Paris, décrochées en
février dernier en vue de leur remplacement, avaient provoqué une vive
émotion en étant promises à la destruction. Elles sonnaient faux, le
bronze du XIXe était de mauvaise qualité, elles ne méritaient même pas
leur reconversion en objet d'exposition. C'est ce que l'évêché de Paris,
dépositaire des cloches, qui sont propriété de l'État depuis la loi de
1905, a invoqué, soucieux d'une complète «restauration du paysage
sonore» (d'un coût de 2 millions d'euros) pour le 850e anniversaire de la cathédrale en 2013.
Direction,
donc, la fonderie Cornille Havard en Normandie où, toujours stockées,
Angélique-Françoise (1915 kg), Antoinette-Charlotte (1335 kg),
Hyacinthe-Jeanne (925 kg) et Denise-David (767 kg) attendent leur
funeste coulée. La polémique s'en serait tenue là si elle n'avait pas
pris une nouvelle volée avec l'engagement d'un recours juridique pour
stopper cette destinée.
Curé contre archiprêtre
Comble du barouf, c'est une communauté religieuse qui en est l'auteur. Candidat à la reprise des cloches, l'institut religieux Sainte-Croix de Riaumont
(Pas-de-Calais) s'est proposé de les récupérer pour leur offrir une
deuxième vie mais aussi parce que la communauté, qui construit une
abbaye dans un chantier-école avec des scouts, en a besoin. D'une pierre
deux coups. «Nous étions dans un cas de vandalisme, “destruction
inutile”, comme le définit le dictionnaire, et ce n'était pas
acceptable, explique Alain Hocquemiller, le père prieur de Riaumont.
J'étais même prêt à les payer pour les acquérir, d'autant qu'il nous en
faut pour notre future église. On m'avait fait une estimation basse à
24.000 €.»
Par l'entremise de l'Observatoire du patrimoine
religieux (OPR) qui veille à la sauvegarde des édifices et objets du
culte, la communauté rencontre la Direction régionale des affaires
culturelles d'Ile-de-France (Drac), à qui incombe le devenir des
cloches. Celle-ci donne son accord implicite, notifié dans un
procès-verbal de réunion entre l'OPR, l'abbaye de Riaumont et la Drac,
daté du 25 octobre dernier. «En conclusion, Dominique Cerclet
(conservateur régional des monuments historiques à la Drac
Ile-de-France, NDLR) propose de mener à bien la procédure de
déclassement (du domaine public vers le privé, NDLR) et d'estimer les
cloches à une valeur symbolique», résume le document. Le père prieur
pense alors l'affaire entérinée. Mais voilà que la Drac conditionne la
cession des cloches à «l'accord express de l'évêché» sinon «cela ne se
fera pas». Or, Mgr Patrick Jacquin, recteur-archiprêtre de la cathédrale
et président de l'association Notre-Dame de Paris 2013, «oppose son
refus», ne décolère pas le prieur de Riaumont. Les cloches seront
fondues, un point c'est tout. La Drac répond aujourd'hui aux abonnés
absents, le patron de la fonderie, Paul Bergamo, n'a «pas de directive à
ce jour», et l'évêché jure ses grands dieux qu'«il n'y a pas de date
prévue pour la fonte», qu'il a «mis de côté cette option», qu'il n'a
«pas son mot à dire sur une propriété de l'État», répond-il.
Le
blocage du dossier et le manque d'explications provoquent «la colère
mais surtout l'incompréhension», se désole Béatrice de Andia, présidente
de l'OPR. «Mgr Jacquin ne voulait plus ces cloches mais il ne voulait
pas non plus qu'elles sonnent ailleurs qu'à Notre-Dame, rapporte le père
Alain Hocquemiller de ses échanges houleux avec l'ecclésiastique. Il
n'a pas fourni d'argumentaire, juste un entêtement, les relations ont
été très violentes.»
Intouchables
Un proche du dossier
confie son analyse: «Pour faire passer la pilule des 2 millions d'euros,
demandés aux donateurs, pour fabriquer les nouvelles cloches, l'évêché a
tout intérêt à dire que les anciennes ne valent pas un clou», dit-il.
La
querelle de cloches est consommée, la communauté prend un avocat.
«Comment peut-on user et abuser d'un bien qui ne nous appartient pas,
qui plus est pour le détruire?», interroge Me Philippe Bodereau.
Mercredi, il adresse une mise en demeure à la fonderie pour l'enjoindre à
renoncer à toute intention de fonte, Riaumont s'estimant destinataire
des cloches. Et, dans la foulée, dépose une requête «aux fins de
saisie-revendication». La juge en accepte les motivations en se fondant
sur le document de la Drac et «autorise la saisie des biens désignés»,
dit l'ordonnance. Jeudi, un huissier se rend à la fonderie pour
signifier la saisie.
Désormais, personne ne peut toucher aux
cloches, en attendant les prochains arbitrages. En véritable croisé, le
père Alain Hocquemiller est déterminé et prêt à décocher d'autres
flèches, si besoin. Il vient de fonder l'Association de sauvegarde du
patrimoine religieux et liturgique qui «se réserve le droit d'invoquer
les articles 322-3-1 et 322-4 du Code pénal», prévient Me Philippe
Bodereau. En effet, depuis le 15 juillet 2008, par la loi relative aux
archives portant modification du code du patrimoine, la détérioration
d'objets ou mobilier du culte est un délit pénal, punissable de sept
années d'emprisonnement et de 100.000 euros d'amende…