Vatican II avait une visée pratique (dite « pastorale ») : trouver les moyens de faire cesser l’interminable conflit avec la modernité. Cinquante ans après, bien que ce but ne soit pas atteint, un réexamen se heurte à un blocage.
Le
clivage entre l’Eglise et le monde contemporain est aujourd’hui
aigu, bien loin des attentes formulées lors de l’ouverture du
concile Vatican II, il y a cinquante ans. La situation d’alors
était préoccupante. On entrait dans la consommation de masse, avec
toutes les conséquences morales que cela annonçait et qui
effectivement se mesuraient déjà. The Affluent society,
de John Kenneth Galbraith, paraît en 1962, célébration de
l’abondance matérielle et programme d’expansion capitaliste. The Gutemberg Galaxy,
de Marshall Mac Luhan, fait apparaître qu’un saut qualitatif
s’est produit dans la possession des nouveaux pouvoirs des médias.
Le communisme poursuit ses activités maléfiques à travers le
monde, et rivalise avec la superpuissance concurrente dans la
course aux armements… Enfin à l’intérieur de l’Eglise circulent les
« opinions fausses qui risquent de ruiner les fondements de la
doctrine catholique » (Pie XII, Humani generis, 1950).
On se rendra très vite compte que ces derniers périls n’étaient pas
illusoires, et se vérifient dans tous les domaines de la vie
ecclésiale, dans les doctrines comme dans les pratiques «
modernisatrices » de l’Action catholique, de syndicats, partis
politiques, universités considérés comme catholiques,
désormais en voie de sécularisation rapide. De tout cela chacun
était conscient en 1962, de même que l’on savait pertinemment que
cet état de choses venait en fait d’assez loin dans le passé.Si les
interventions initiales de Jean XXIII passèrent très rapidement
sur ces côtés négatifs, les textes auxquels ont abouti les longs
débats conciliaires présentent pour une part des traits plus
réalistes. Paul VI, dans son discours de conclusion (7 décembre
1965), les a résumés par un portrait
saisissant de l’homme de la modernité, clos sur lui-même et «
tout entier occupé de soi, […]qui se fait non seulement le centre de
tout ce qui l’intéresse, mais qui ose se prétendre le principe et
la raison dernière de toute réalité ». En conséquence, affirmait
Paul VI, « la religion du Dieu qui s’est fait homme s’est
rencontrée avec la religion (car c’en est une) de l’homme qui se
fait Dieu ». Quant au texte conciliaire le plus salué pour son «
ouverture », Gaudium et spes, il commence par un tableau
préliminaire plutôt sombre de « la condition humaine dans le monde
d’aujourd’hui ». Il dénonce l’athéisme institutionnel (même sans
mentionner directement le communisme) et le scientisme, émet la
crainte que les nouvelles techniques militaires provoquent « une
barbarie bien pire que celle d’autrefois », conclut enfin sur l’«
état lamentable de l’humanité » (n. 79). La mission impartie au
concile était d’offrir des réponses proportionnées aux angoisses
nées de cette situation, mais aussi de discerner les aspirations
positives et leur apporter une réponse dans une formulation
adaptée. Telle était la raison d’être du caractère
essentiellement pratique de ce concile, signifiée par
l’adjectif « pastoral » qui lui a été officiellement attribué.
Jean XXIII avait été très clair à ce sujet : il ne s’agissait pas de «
discuter de certains chapitres fondamentaux de la doctrine de
l’Eglise, et donc de répéter plus abondamment ce que les Pères et
théologiens anciens et modernes ont déjà dit », mais bien d’opérer
une mise à jour (c’est l’un des sens du mot aggiornamento si
souvent répété), une adaptation pédagogique : « Il faut que
cette doctrine certaine et immuable, qui doit être respectée
fidèlement, soit approfondie et présentée de la façon qui
répond aux exigences de notre époque » (Discours d’ouverture. La
traduction littérale de la version italienne comporte une
variante : « […] soit étudiée et exposée suivant la recherche et
la présentation dont use la pensée moderne », formulation
ambiguë, pouvant s’entendre dans le sens d’une attention portée à
la capacité de compréhension des auditeurs, ou bien d’une mise
en adéquation avec les formes culturelles dominantes de
l’Occident. Mais une ambiguïté semblable entoure le mot «
exigence » dans la version française). L’opération était d’autant
plus importante que l’on se trouvait en présence d’un
bouleversement général du monde face auquel il convenait de
réfléchir avec d’autant plus de force que les attitudes adoptées
depuis le XIXe siècle envers la modernité s’étaient soldées par
des échecs successifs toujours plus patents, entre autres parce que
le discours de l’Eglise n’était pas toujours arrivé à se formuler
dans des termes immédiatement accessibles à ses destinataires.
Pourquoi cette intention pastorale n’a-t-elle pas abouti ?
Pourquoi tant d’efforts déployés n’ont-ils pas permis de trouver
les moyens d’élaborer un modèle renouvelé de compréhension de
la modernité, et de donner une impulsion décisive à une
renaissance de la culture chrétienne apte à imposer le respect ?
On se contentera ici de considérer deux points : l’option initiale
qui a donné sa tonalité aux travaux conciliaires, et la
difficulté de comprendre l’entêtement avec lequel la ligne posée
à l’origine n’a pas été modifiée en dépit de son inefficacité.
* * *
Le caractère propre de Vatican II ne
réside pas tant dans sa « pastoralité », c’est-à-dire dans la
préoccupation pratique qui lui était assignée, que dans la
manière dont celle-ci s’est concrétisée et dans le contenu des
décisions qui en sont résultées, aujourd’hui jugées par les faits
comme un échec. Après tout, ce concile aurait pu être « pastoral »
d’une tout autre manière. Et la façon dont il le fut a été tributaire
d’un certain nombre de données, tout autant que le long processus
qui a suivi. La première parmi ces données est une décision
d’optimisme. Cette voie, généralement imputée au concile dans
son ensemble, a été imposée par Jean XXIII. La bulle d’indiction
Humanae salutis, l’acte juridique de convocation du concile (25
décembre 1961), évoque certes de manière assez précise les « guerres
meurtrières qui, aujourd’hui, se succèdent sans interruption » –
on pense à ce qui se passait alors en Algérie, au Viêt-Nam, en
Angola, etc. –, mais en tire une interprétation positive qui
laissera des traces par la suite : « […] cela pousse les hommes à
s’interroger, à reconnaître plus facilement leurs propres
limites, à aspirer à la paix, à apprécier la valeur des biens
spirituels ; et cela accélère le processus […] qui conduit de plus
en plus tous les individus, les classes sociales et les nations
elles-mêmes à s’unir amicalement, à s’aider, à se compléter et à
se perfectionner mutuellement ». Cette conviction du passage à
dans un accès collectif à la sagesse a pour corollaire dans le même
texte une première critique à l’endroit de ceux qui la mettraient
en doute, et qui « ne voient que ténèbres enveloppant notre monde ».
A peine six mois plus tard, le propos se fera plus acerbe. Jean XXIII
qualifiera de « prophètes de malheur » ceux « qui ont coutume de
dire que notre époque a profondément empiré par rapport aux
siècles passés » ; et il situera les reproches qu’il leur adresse
sur un terrain de principe, affirmant qu’« ils se conduisent comme
si l’histoire, qui est maîtresse de vie, n’avait rien à leur
apprendre […] », présupposant et confirmant ainsi l’idée fort peu
réaliste que l’on assistait à un basculement positif vers une
ère nouvelle d’apaisement (Discours d’ouverture du concile, 11
octobre 1962). On n’a jamais su exactement qui était visé par cette
critique, peut-être était-elle seulement préventive, en tout cas
une ligne était énoncée, d’ailleurs cohérente avec la définition
des objectifs assignés à l’assemblée qui s’ouvrait, consistant
non à combattre les principes qui sont à la racine des maux
contemporains, et les systèmes qui en résultent (le marxisme, le
libéralisme, etc.), mais à « recourir au remède de la
miséricorde plutôt qu’à brandir les armes de la sévérité ». La
justification de ce choix, très nouveau dans la pratique de
l’Eglise qui avait toujours mêlé les deux, est donnée dans le même
discours d’ouverture : les erreurs, y lit-on, s’opposant les unes
aux autres « s’évanouissent comme brume au soleil », bien plus, les
contemporains « semblent commencer à les condamner d’eux-mêmes ».
Jean XXIII donnait même un exemple : « C’est le cas
particulièrement pour ces manières de vivre au mépris de Dieu et
de ses lois, en mettant une confiance exagérée dans le progrès
technique, en faisant consister la prospérité uniquement dans le
confort de l’existence » (ibid.). La tournure d’esprit du « bon pape
Jean » lui a survécu, mais avec Paul VI, elle a revêtu une
expression plus résolue que l’attente d’une « nouvelle Pentecôte
» ou d’un « nouveau bond en avant du royaume du Christ dans le monde »
annoncée par son utopique prédécesseur (8 décembre 1962).
Reprenons le discours de Paul VI du 7 décembre 1965, souvent cité,
sans doute à cause de son lyrisme : « La religion du Dieu qui s’est
fait homme s’est rencontrée avec la religion (car c’en est une) de
l’homme qui se fait Dieu. Qu’est-il arrivé ? Un choc, une lutte, un
anathème ? La vieille histoire du Samaritain a été le modèle de la
spiritualité du concile. Une sympathie sans bornes l’a envahi
tout entier… » C’est donc en pleine conscience que le concile a été
poussé dans cette direction : « […] il faut reconnaître que ce
concile, dans le jugement qu’il a porté sur l’homme, s’est arrêté
bien plus à [… l’] aspect heureux de l’homme qu’à son aspect
malheureux. Son attitude a été nettement et volontairement
optimiste ». Le reste du discours insiste sur ce choix délibéré,
se traduisant par « un courant d’affection et d’admiration […]
sur le monde humain moderne ». Il ne s’agit plus ici de cette
bienveillance ingénue que les Italiens appellent le buonismo,
mais d’un postulat, d’un regard délibérément sélectif. Ce
choix, qui n’est pas celui de la lucidité mais un apriorisme
rappelant ce qu’un psychologue très en vogue à l’époque, Carl
Rogers, nommait la « considération positive inconditionnelle
», doit lui-même être compris dans son contexte. Une première
explication a l’avantage de la simplicité ; elle repose en outre
sur beaucoup d’indices et aussi d’aveux explicites. Un
basculement s’est opéré dès la première semaine, en octobre 1962,
lorsque cinquante-neuf des soixante schémas préparatoires
présentés par la curie romaine ont été rejetés. Elle est le
résultat des efforts d’un petit noyau d’activistes de tendance
moderniste plus ou moins affichée, habile à s’imposer en face de
personnages ecclésiastiques ne comprenant pas le sens d’une
action de débordement menée avec l’appui de quelques évêques, sous
le regard bienveillant d’un Jean XXIII multipliant les gestes
d’ouverture. C’est une donnée, assurément. Mais elle n’est pas
suffisamment probante, en ce sens que Jean XXIII avait
préalablement fait son choix en faveur du changement. D’autre
part, si « parti » révolutionnaire il y eut, les historiens qui se
sont penchés sur le sujet attestent qu’il ne prit à l’origine que la
forme élémentaire d’un état d’esprit commun, porté par des réseaux
distincts et en relations occasionnelles, et non d’une
organisation formée d’avance et dotée d’un programme cohérent.
En outre, et cela est important, une aspiration confuse à sortir
d’une ambiance bureaucratique et tatillonne constituait un point
d’appui moral pour ces initiatives, notamment dans les ordres
religieux et les épiscopats nationaux. Ce n’est qu’au cours des
sessions suivantes du concile que des liens plus étroits se
tisseront, sans jamais cependant aboutir à quelque instance
centralisée, en revanche en symbiose toujours plus grande avec le
monde extérieur des médias, des groupes de pression et des
laboratoires de pensée.L’époque était aux « révolutions
coperniciennes », aux retournements d’alliances, et pas
seulement parce que certains jusqu’alors tenus à l’écart avaient saisi
l’occasion inespérée de prendre leur revanche sur les
conservateurs qui leur faisaient obstacle. De manière plus
générale et surtout plus vaste dans la durée, le rapport entre le
monde catholique et le « monde moderne » qui constituait son
environnement ressemblait à un combat pour la survie, l’Eglise,
dans son assise sociale se trouvant dans une condition de
confinement, en dépit de certaines conjonctures localement et
temporairement favorables et de quelques territoires encore
privilégiés. Cette situation était intenable à terme, tout le
monde est d’accord sur ce point. Par le passé, une stratégie de
contournement avait été tentée, sous la direction de Léon XIII :
ainsi s’interprètent la politique du Ralliement (1892) et la
tentative de maîtrise d’un électorat catholique conçu comme une
puissante masse de manoeuvre pouvant défendre les intérêts de
l’Eglise ; et de même l’action sociale systématique, encouragée à
partir de l’encyclique Rerum novarum (1891), devant la place vide
laissée par le libéralisme sauvage. La même stratégie sera
prolongée sous Pie XI surtout, à un moindre degré sous Pie XII, qui
en verra l’épuisement. Au début des années 1960, on peut admettre
l’hypothèse d’une nouvelle tentative, de retournement cette
fois, comparable à ce qui se produit dans le jeu de Go où il suffit
de peu de choses pour que d’assiégé on devienne assiégeant. En
l’occurrence, plutôt que de contrer le monde moderne et son
humanisme idolâtrique, il était imaginable de se proclamer
soi-même moderne et plus humaniste que l’humanisme contemporain :
« Nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l’homme »
clamait Paul VI dans son discours du 7 décembre 1965. Ce que l’on
peut considérer comme une première offensive de communication
sera suivie de bien d’autres au cours de la période
postconciliaire, mais même avec le charisme personnel de
Jean-Paul II, elle n’atteindra guère son but. L’une des raisons de
cet échec est d’ordre technique : dès le départ, le concile s’est
laissé investir par les médias ; entrant en béotiens dans une
structure étroitement liée aux finalités de la modernité,
heureux de trouver une tribune facile pour la diffusion de leurs
idées ou simplement pour paraître, de nombreux experts, évêques et
porte-parole ont placé le concile en situation de dépendance à
l’égard du « magistère » hégémonique détenu par les faiseurs
d’opinion publique. Le concile est devenu l’événement
conciliaire, durablement. En définitive, le retournement de
situation ne s’est pas produit, en dépit du lourd tribut payé à la
culture dominante dangereusement flattée.
* * *
Comment se fait-il que malgré les
démentis du réel, il soit toujours très difficile d’imaginer
remettre en cause une politique dont l’inefficacité, cinquante
ans après, est patente ? Il semble que l’on puisse avancer deux
hypothèses, ayant en commun une même notion de contrainte. La
première concerne le fait, déjà abordé, d’une insertion de l’Eglise
dans la sphère médiatique, fortuite, impréparée, rapidement
étouffante et jamais soumise à réexamen, alors même qu’abondent les
moyens d’analyse disponibles sur ce sujet. Avant même de penser le
statut de l’Eglise postconciliaire en termes de participation à
l’espace public – aujourd’hui mis à l’ordre du jour sous l’angle
particulier de la laïcité – celle-ci était réalisée de facto. La
principale conséquence de cette nouveauté historique n’a pas été,
sinon de manière secondaire, un élargissement de la présence
publique de l’Eglise dans la vie sociale, compte tenu du fait que
toute intervention dans le champ médiatique a pour contrepartie
immédiate de la voir « traduite » en termes réducteurs, aisément
déformés jusqu’à la subversion totale (les affaires de
Ratisbonne, en 2006, puis le traitement du cas Williamson, en 2009,
sont à cet égard dans toutes les mémoires). Tout au long de la
période de l’après-concile, l’Eglise a été ainsi soumise à la
censure pointilleuse des puissances qui disposent de l’instrument
médiatique, assortie de menaces dès que le moindre écart, réel ou
imaginaire, a pu être relevé. Cette situation d’emprisonnement
est due à l’origine à une méconnaissance de la structure du
pouvoir dans la société démocratique, dont le modeste Décret sur
les moyens de communication sociale Inter mirifica, le texte le
plus court et certainement le plus faible produit par le concile,
témoigne éloquemment. Or les médias font partie intégrante du
système du pouvoir de la modernité tardive et l’ignorance de ses
règles et de ses finalités internes ne fait que traduire celle de
l’ensemble plus vaste dont il n’est qu’un rouage particulier. Comme
au sein de l’Eglise il ne manque pas d’esprits de qualité et de
compétence indiscutables, il semble que pour une part au moins, le
peu d’intérêt porté à ces réalités résulte, comme l’optimisme
d’il y a cinquante ans, d’un acte de volonté. L’autre contrainte est
liée aux logiques théoriques élaborées pendant le processus
conciliaire lui-même. L’intention d’alors était de partir des
aspirations de l’homme contemporain pour leur donner une sorte
d’achèvement chrétien. On a vu que le modèle pris en compte était
une image moyenne de l’Occidental modernisé, replié sur son
égoïsme, fasciné par la technique et clamant son autosuffisance,
ayant des « exigences de liberté » et une conscience accrue de sa
dignité intrinsèque – on dirait aujourd’hui de ses « fiertés » –
(cf. la Déclaration Dignitatis humanae en particulier). Il
s’agissait d’une réduction, à la fois socialement – cette
représentation étant surtout celle des cadres moteurs de la
modernisation – et géographiquement, à une époque où
l’occidentalisation du monde n’avait pas atteint les
proportions actuelles. Et cependant c’est à partir de ce modèle –
que le système des médias a largement contribué à mettre en
valeur – que toute une conception anthropologique s’est
constituée, sur le socle préexistant du personnalisme catholique
élaboré dans les années d’avant-guerre, et dans la continuité de
courants théologiques antérieurement rejetés. Et le discours
idéologique qui a simultanément émergé sur « l’Eglise des pauvres
» n’a pas contrebalancé cette vision, servant, de fait, dans les
circonstances d’agitation révolutionnaire de l’époque, à
conforter un sentimentalisme progressiste d’où sortiront
quelque temps plus tard les théologies de la libération.
* * *
Il est impossible de séparer
question politique et question religieuse, transformations du
discours ad extra et élaboration théorique ad intra, bien que la
clé réside dans le désir premier de surmonter le conflit avec le
monde de la modernité, un conflit indissociablement
théologique, philosophique et politique. De même, il est
difficile de récuser le fait que même les productions les plus
strictement tournées vers la vie interne de l’Eglise – son
autodéfinition dans Lumen gentium, les textes sur la formation
des prêtres, l’épiscopat, la Révélation… – aient été pensées in
situ, et à plus forte raison toutes celles qui touchent aux relations
avec les autres, qu’il s’agisse d’oecuménisme, de liberté
religieuse, de participation à la « construction du monde » en
commun avec les incroyants, et ainsi de suite. Ce n’est qu’une
conséquence naturelle de l’option pastorale initiale. Il faut
ajouter le fait que la longue période postconciliaire, si elle a
connu des nuances, a dogmatisé le corpus constitué entre 1962 et
1965 – alors que son caractère pastoral impliquerait
logiquement de faire un point périodique sur sa pertinence,
tenant compte des changements de circonstances. Il est vrai que
dans certains cas cette dimension essentiellement pratique a été
outrepassée pour se présenter comme progrès doctrinal, ouvrant
la porte à une interminable interrogation sur la portée de
certains textes, leur continuité ou leur rupture avec
l’enseignement acquis. Parallèlement le regard
unilatéralement positif sur le monde a laissé place à une
autocélébration périodique, pendant que la censure extérieure
se montre toujours plus oppressante. Ce faisant, par un étrange
paradoxe, nous en revenons, cinquante ans après, à la situation
de conflit sans fin à laquelle voulait échapper le concile. Il est
donc difficile, dans ces conditions, d’imaginer la possibilité
de faire l’économie d’un réexamen.
A propos de l'auteur - Bernard Dumont: Directeur de la revue Catholica, est également membre du comité de rédaction de la revue trimestrielle de philosophie politique Behemoth (Rome). Promoteur des traductions françaises des oeuvres du philosophe Augusto Del Noce (L'époque de la sécularisation, L'irréligion occidentale, direction d'un collectif sur Del Noce interprète du XXe siècle), il assure la direction de colloques internationaux, tels que « La culture du refus de l’ennemi. Modérantisme et religion au seuil du XXIe siècle » (Paris, 2004), et « Guerre civile et modernité » (Lausanne, 2008). Il co-dirige la collection « Philosophie politique » aux éditions Artège.